Interview de M. Gérald Darmanin, ministre d'État, garde des Sceaux, ministre de la justice, à France 2 le 26 août 2025, sur le vote de confiance, la prison de Vendin-le-Vieil, le mouvement de blocage du 10 septembre et sa rentrée politique à Tourcoing.

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Média : France 2

Texte intégral

CYRIL ADRIAENS-ALLEMAND
Bonjour à tous. Bonjour Gérald DARMANIN.

GERALD DARMANIN
Bonjour.

CYRIL ADRIAENS-ALLEMAND
Merci d'avoir choisi les 4 V pour votre première prise de parole après ce qu'on pourrait qualifier de surprise du chef, hier : ce vote de confiance annoncé par le Premier ministre pour le 8 septembre prochain. Le Gouvernement auquel vous appartenez ne tient plus qu'à un fil. Comment est-ce que vous qualifiez, ce matin, cette décision du Premier ministre ? Courageuse, inévitable ?

GERALD DARMANIN
Oui, c'est un acte extrêmement courageux de la part du Premier ministre François BAYROU, et très démocratique, de dire devant la difficulté, devant les efforts qu'il faudra faire, devant les semaines qui vont venir, qui vont être difficiles pour voter un budget, de dire à l'Assemblée nationale, c'est-à-dire, là où les représentants du peuple sont élus : " Est-ce que vous êtes d'accord pour que nous continuions sur la ligne que je vais dresser ? " C'est-à-dire le discours qu'il va porter le 8 septembre et qui définit, on va dire, le cadre de la négociation. Il faut faire des économies pour que le pays aille mieux.

CYRIL ADRIAENS-ALLEMAND
C'est extrêmement risqué. Certains disent " suicidaire ".

GERALD DARMANIN
Ce qui est suicidaire, c'est de ne pas avoir de budget pour notre pays. Ce qui est suicidaire, c'est de ne pas avoir de Gouvernement pour notre pays. Depuis le général de Gaulle, la Ve République, les institutions fonctionnent, nous permettent d'emprunter sur les marchés financiers, d'envoyer des armées à la guerre, de pouvoir parler aux Nations unies, de pouvoir régler les grands problèmes du monde et de la France, parce que nous avons un Gouvernement et nous avons des institutions stables. Et là, on voit bien que les menaces multipliées de motions de censure, d'instabilité, en fait, rendent la France plus petite, plus difficile.

CYRIL ADRIAENS-ALLEMAND
C'est François BAYROU lui-même qui appuie sur le bouton d'une certaine façon. À combien de chances vous évaluez la survie du gouvernement, le 8 septembre soir ?

GERALD DARMANIN
Je pense qu'il faut toujours continuer, d'ailleurs, à discuter. Il y a deux impératifs pour nous, les Français. Il faut rétablir les comptes publics, rétablir les finances publiques, parce que les bons comptes font les bonnes nations, comme l'a fait la Grèce, comme l'a fait la Suède, comme l'a fait l'Italie, comme l'a fait l'Allemagne, comme l'a fait l'Espagne. Et puis, il faut produire plus. Il faut que nous travaillions davantage, produire davantage, parce que dans le monde dans lequel nous sommes, il faut pouvoir financer notre sécurité sociale, nos retraites, l'innovation.

CYRIL ADRIAENS-ALLEMAND
Pardon Gérald DARMANIN, mais ce discours, vous l'avez porté depuis deux, trois mois, et quand on fait les comptes arithmétiquement parlant, il y a très peu de chances que ça passe le 8 septembre. Vous faites comme si ce risque n'était pas là.

GERALD DARMANIN
Mais si, il faut discuter. Il faut discuter avec l'ensemble des parlementaires. Et puis, le Premier ministre, hier, a fait des ouvertures. Il a dit, par exemple, pour les jours fériés, on peut discuter.

CYRIL ADRIAENS-ALLEMAND
Il l'avait déjà dit.

GERALD DARMANIN
Oui, mais il faut répéter. Vous savez, la répétition, c'est l'art de la notion, comme le savent monsieur BAYROU et les professeurs. Il a cette habitude. Il faut pouvoir discuter, convaincre les forces politiques. Moi, je ne me résous pas à un pays où on n'est pas d'accord entre nous en attendant la prochaine…

CYRIL ADRIAENS-ALLEMAND
Et ça veut dire quoi ? Il faut aller plus loin, par exemple, sur la contribution des hauts revenus, par exemple, pour faire un geste vers le Parti socialiste ?

GERALD DARMANIN
Je pense, moi, de là où je suis, c'est-à-dire de Tourcoing, d'une ville très populaire, effectivement, le partage doit se faire de façon plus équitable. Quand il y a des difficultés, tout le monde doit faire des efforts : les femmes et les hommes politiques, les personnes les plus riches, et puis, évidemment, tous ceux qui doivent travailler davantage.

CYRIL ADRIAENS-ALLEMAND
Il faut renoncer aux deux jours fériés ?

GERALD DARMANIN
Le Premier ministre a dit qu'il était ouvert à la négociation. Regardez, quel est le problème ? Non, mais quel est le problème ? Je vais vous dire, je pense, moi, de là où je suis, de Tourcoing. C'est que les gens qui travaillent, travaillent beaucoup. Et ils n'ont peut-être pas très bien perçu, ou ils ne le perçoivent pas très bien, ou ils ne veulent pas travailler davantage, alors qu'ils travaillent déjà beaucoup. Ils ne voient pas assez leurs enfants, ils ne sont peut-être pas assez bien rémunérés, et ils s'aperçoivent que tout le monde ne travaille pas comme eux. Il y a des gens qui doivent travailler davantage. Il y a des gens qui pensaient que je suis pour la réforme de l'assurance chômage, par exemple. Il y a des gens qui sont aujourd'hui dans une dynamique où il n'y a pas assez de travail.

CYRIL ADRIAENS-ALLEMAND
Gérald DARMANIN, est-ce que le Premier ministre…

GERALD DARMANIN
Regardez, si nous avions le taux d'emploi de l'Allemagne, notre voisin, si nous faisions autant de travail que les Allemands, nous n'aurions pas les problèmes de finance publique aujourd'hui.

CYRIL ADRIAENS-ALLEMAND
J'entends, mais est-ce que le Premier ministre a entendu les critiques, y compris de son camp, cet été ? Il a eu du temps. On dit qu'il a peu reçu, y compris les socialistes. Dans son camp, à la rentrée, les Députés Renaissance, Modem, ont émis des critiques. Et hier, il n'a pas changé un mot, une virgule, du plan qu'il avait présenté mi-juillet.

GERALD DARMANIN
D'abord, moi, j'ai beaucoup discuté avec le Premier ministre. Je le trouve ouvert à la discussion. Il l'a redit hier.

CYRIL ADRIAENS-ALLEMAND
Hier, il n'y a pas eu de changement.

GERALD DARMANIN
Il y a encore 15 jours pour discuter. Il a dit qu'il était prêt à recevoir tous les groupes politiques, tous les syndicats. Aujourd'hui, je crois qu'il va à la CFDT. Demain, au patronat. Il recevra évidemment tous les groupes politiques qui le veulent, mais on ne peut pas changer le cadre du réel. Je pense que la question que pose le Premier ministre, c'est : est-ce qu'on est d'accord sur le réel ? Est-ce qu'on est d'accord pour voir ce que l'on voit ? Ce que l'on voit, c'est qu'il faut faire des efforts, des réformes, des économies, pour que notre pays reste un grand pays.

CYRIL ADRIAENS-ALLEMAND
A priori, les oppositions vont lui répondre non le 8 septembre.

GERALD DARMANIN
Nous verrons bien. C'est dans 15 jours.

CYRIL ADRIAENS-ALLEMAND
Vous avez un espoir que ça change encore ?

GERALD DARMANIN
Bien sûr. Il faut convaincre chacun des parlementaires, et il faut surtout parler aux Français. C'est eux qui décident à la fin.

CYRIL ADRIAENS-ALLEMAND
La France insoumise, le Rassemblement national, réclament une dissolution pour pouvoir dégager une majorité. Pensez-vous que le Président actionnera cela le 9 septembre ?

GERALD DARMANIN
Ben, il appartient au Président de la République, que c'est son pouvoir propre de le faire. Il est certain que lorsqu'il y a un conflit extrêmement important entre le pouvoir législatif, l'Assemblée nationale et l'exécutif, eh bien, le général de Gaulle et puis la République avant, aient imaginé la dissolution pour trancher le noeud gordien. Evidemment, je pense qu'il vaut mieux pouvoir trouver un compromis avec les groupes politiques à l'Assemblée. La dissolution coûte cher, coûte cher à la France, bien sûr. Mais il ne faut pas écarter cette hypothèse.

CYRIL ADRIAENS-ALLEMAND
C'est encore une option plausible ?

GERALD DARMANIN
C'est au Président de la République de décider. Mais par nature, je pense que la Ve République fait qu'on ne retire pas les pouvoirs du Président de la République par principe.

CYRIL ADRIAENS-ALLEMAND
Plusieurs partis de gauche : le Parti socialiste, les écologistes, le mouvement de François Ruffin, disent dans un communiqué : " Nous sommes prêts à gouverner ". Est-ce qu'aujourd'hui, il serait temps, par exemple, d'envisager une autre option, puisqu'on a vu depuis 18 mois qu'il y a eu plusieurs ministres et que ça n'a pas fonctionné ?

GERALD DARMANIN
Pardon, ça a fonctionné. Ça fait 8 ans que je suis membre du Gouvernement du Président de la République. Je suis ministre de la Justice depuis 9 mois. Nous avons fait des choses extrêmement concrètes. Je prends le ministère de la Justice : des prisons de haute sécurité en 6 mois, un changement profond des affaires civiles dans notre pays, une meilleure protection des enfants, et notamment des enfants qui sont victimes de violences. En 6 mois, les Français ont vu la prison de haute sécurité. Et puis d'autres ministres ont pu faire des choses extrêmement concrètes. Nous avons fait des choses pour les Français.

CYRIL ADRIAENS-ALLEMAND
Vous en parlez, justement. Il y a une trentaine de détenus de Vendin-le-Vieil, dans le quartier de haute sécurité, qui ont saisi la justice administrative.

GERALD DARMANIN
Mais c'est leur droit.

CYRIL ADRIAENS-ALLEMAND
Ils estiment que leur transfert n'est pas justifié et que leurs conditions de traitement sont inhumaines.

GERALD DARMANIN
Non, mais c'est tout à fait leur droit. Ce n'est évidemment pas inhumain. La prison de Vendin-le-Vieil, d'ailleurs, met chacun des détenus dans une cellule individuelle, ce qui n'était pas dans les prisons dans la plupart d'où ils venaient. Je constate que la justice administrative a donné raison au ministère de la Justice depuis le début. Nous verrons bien l'ensemble…

CYRIL ADRIAENS-ALLEMAND
Il y a 11 requêtes jugées recevables à ce stade.

GERALD DARMANIN
Oui, il y en a une dizaine qui, déjà, on a dit " non " aux détenus. Voilà. Que le ministère de la Justice avait raison. Pourquoi ? Parce que c'est une loi que j'ai fait voter, la loi de narcotrafic, qui a été votée du Rassemblement national jusqu'au Parti socialiste.

CYRIL ADRIAENS-ALLEMAND
Mais est-ce que vous allez adapter le dispositif en tenant compte des critiques éventuelles ?

GERALD DARMANIN
Non, mais les critiques, c'est celle des Français qui voient que la drogue est partout, qui voient qu'on peut assassiner des agents pénitentiaires en pleine rue par la Kalachnikov. Moi, je me bats pour la mémoire de ces deux agents pénitentiaires tués à la Kalachnikov, père de famille, dont aujourd'hui, il y a des petits orphelins. Ils peuvent demander à l'État " Pourquoi on n'a pas protégé mon papa ? " Et je comprends que les Français, partout, demandent qu'on lutte contre le narcobanditisme. Voilà. Après, il y a des gens qui sont issus du narcobanditisme, de criminalités organisées, qui ont été condamnés comme tels, qui se sont mis en examen dans les affaires, qui demandent, et qui font valoir leur droit. C'est l'endroit d'une démocratie. Mais moi, mon principe, en tant que ministre, c'est de protéger les Français.

CYRIL ADRIAENS-ALLEMAND
Gérald DARMANIN, dans ce contexte de la rentrée, est-ce que vous craignez que le mouvement du 10 septembre se dégonfle ou s'amplifie ?

GERALD DARMANIN
Moi, je n'ai jamais peur des émotions populaires. Elles sont très importantes. Il faut que les Français puissent s'exprimer. Dans la République, le droit de grève est un droit constitutionnel. On a le droit de manifester, on a le droit de discuter. On a le droit de contester les femmes et les hommes politiques. On a le droit de se présenter aux élections.

CYRIL ADRIAENS-ALLEMAND
Vous pensez que ce sera un mouvement d'ampleur ?

GERALD DARMANIN
Je ne sais pas. En tout cas, ce qui est sûr, c'est qu'il y a une part de colère chez les Français, une part de personnes qui travaillent, qui ne payent que leurs factures, qui n'arrivent pas à faire autre chose que ça. Il y a beaucoup de femmes seules qui élèvent leurs enfants, qui ont du mal à s'en sortir. Moi, je ne peux pas être insensible aux émotions et aux difficultés du peuple Français. J'en suis issu et je pense qu'il faut toujours écouter les gens lorsqu'ils ont un truc à nous dire.

CYRIL ADRIAENS-ALLEMAND
Dernière question, Gérald DARMANIN. Vous devez faire votre grande rentrée politique dimanche à Tourcoing. C'est votre ville. Vous ne faites pas mystère du fait que vous préparez un projet présidentiel. Est-ce que c'est le moment pour vous de faire un pas de plus vers 2027 ?

GERALD DARMANIN
D'abord, c'est le moment de défendre le bilan du Président de la République. Depuis huit ans, on a fait baisser le chômage, on a rétabli la France dans le concert des nations. On a amélioré... Je prends l'impôt à la source, par exemple, que j'ai pu porter sous l'autorité du Président de la République, pour réussir les JO, les Jeux Olympiques. Il faut défendre le bilan.

CYRIL ADRIAENS-ALLEMAND
Et en même temps, il faut marquer son territoire, vous dites.

GERALD DARMANIN
Oui, ma ligne politique, elle est évidemment complémentaire d'autres dans le Gouvernement. Moi, je suis quelqu'un de droite sociale, gaulliste social, très fort, très dur sur l'autorité, et à l'écoute du peuple. Voilà. Et je pense que c'est cette ligne-là, un peu séguiniste, chiraquienne. Je ne sais pas comment vous la définir exactement aujourd'hui, en 2025.

CYRIL ADRIAENS-ALLEMAND
Vous voulez l'incarner en 2027 ?

GERALD DARMANIN
Je veux l'incarner, déjà, aujourd'hui.

CYRIL ADRIAENS-ALLEMAND
Candidat ?

GERALD DARMANIN
Déjà, on verra bien. Il reste deux ans. Mais deux ans, c'est énorme pour les Français. Il reste deux ans, c'est les chefs d'entreprise qui sont inquiets, c'est les ouvriers qui cherchent un emploi, c'est les familles et des enfants qui cherchent un avenir. Faisons ici et maintenant des choses. Et puis si on n'arrive pas à les faire, pour les raisons que nous évoquions tout à l'heure, eh bien, nous verrons l'élection présidentielle.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 10 septembre 2025