Déclaration de politique générale de M. Sébastien Lecornu, Premier ministre, sur la composition du Gouvernement, la suspension de la réforme des retraites jusqu'en 2027, le déficit public maintenu sous la barre de 5 % du PIB en 2026, le non-recours à l'article 49.3, la fiscalité des grandes fortunes et l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie, à l'Assemblée nationale le 14 octobre 2025.

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Texte intégral

Madame la Présidente, Mesdames et Messieurs les parlementaires, Il faut savoir tirer les bienfaits d'une crise.

J'ai accepté la mission que m'a confiée le président de la République, parce que la France doit avoir un budget, parce qu'il y a des mesures d'urgence à prendre, sans attendre. C'est un devoir. Je l'accomplirai, sous certaines conditions, qui découlent, d'évidence, de la composition de cette Assemblée. Certains aimeraient voir cette crise parlementaire virer à la crise de régime. Cela n'aura pas lieu, grâce aux institutions de la Ve République et à ses soutiens. Mais cette crise a des racines. D'autres crises sont palpables, profondes, entremêlées : crises sociale, économique, financière, écologique, climatique, culturelle, internationale… Aux crises habituelles s'ajoutent les crises imprévisibles, comme celles du Covid ou de l'énergie, sans oublier les guerres. En s'ajoutant à certaines dépenses qui augmentent de manière automatique, elles expliquent pour l'essentiel la situation financière dans laquelle nous sommes. Là non plus, il ne faut rien oublier. En vérité, plus qu'une crise, je crois que nous changeons de monde, créant des fractures tout aussi locales que mondiales, et des bouleversements géopolitiques majeurs. Une révolution de même ampleur que la révolution industrielle remet tout en cause. Cette révolution digitale, sociétale, bouleverse notre façon de vivre : elle choque, effraie. Il y a le monde d'avant, il y a ce monde de demain. L'irruption de ce nouveau monde provoque mille conflits, mille raidissements. Nous vivons et nous vivrons dans une époque de crises. Soit on les subit, soit on les utilise. Soit on change, soit on sera changé. Le dégagisme c'est ça. Ceux qui ne changent pas, ceux qui s'agrippent aux vieux réflexes, aux postures, disparaîtront. En politique, comme en tout. En France, comme ailleurs. Le basculement du monde ne s'arrêtera pas. Au fond, c'est la place de la France et des Français dans ce nouvel environnement qui est en jeu. Restera-t-elle parmi les pays dont la voix compte ? Restera-t-elle "indépendante" ? Le déclin n'est pas certain, le progrès non plus. Tout dépend de notre capacité à innover, en matière politique comme en matière sociale, économique ou scientifique. Innover, c'est vrai pour le Gouvernement. J'ai pris acte de cet impératif. Innover, c'est assumer des ruptures. Le monde n'attend pas. Dans la vraie vie, nos concitoyens – pas les statistiques – travaillent, s'inquiètent, attendent des solutions. J'ai proposé un gouvernement de mission, d'objectifs. Il n'agira qu'avec l'Assemblée nationale et le Sénat. À nous, au-delà des divergences, des écoles de pensée, des confrontations, de valoriser ce qu'il est possible de faire ensemble. La défiance de nos concitoyens n'épargne personne. Ou bien la politique sert à quelque chose, et les politiques trouvent des terrains d'entente ; ou bien ils ne les trouvent pas, et la déception se répand autant que l'impuissance. Je vous propose d'avancer. L'Assemblée, dans sa diversité et ses divisions, ressemble aux Français. Elle est le fruit du choix des Français. Elle traduit les doutes, peurs et espérances de millions de nos compatriotes. En un mot, cette Assemblée n'a jamais été aussi représentative des Français. Il faut en tirer toutes les conséquences : jusqu'ici on en a tiré essentiellement des conséquences négatives. On peut aussi en tirer des conséquences positives. Il serait temps. Pour avancer, la première condition, élémentaire, est de pouvoir compter sur le soutien des députés qui portent le besoin de stabilité. Je remercie toutes celles et ceux qui ont annoncé leur soutien. J'ai proposé au président de la République un gouvernement, pour donner un budget sérieux et fiable pour la France, utile et bon pour les Français, dans les trois mois. Ce Gouvernement incarne le renouvellement, avec l'entrée d'experts parmi les plus compétents de notre pays. Chacun apporte une expérience incontestable. Je les en remercie : ils quittent des fonctions stables pour se frotter à une vie politique qui n'a pas toujours montré sa meilleure face ces derniers jours. Ils serviront le pays avec une nouvelle génération de parlementaires qui partagent l'envie d'avancer. Toutes et tous ont une feuille de route, tous ont conscience des difficultés. Pour réussir à faire avancer notre pays, avec une Assemblée nationale divisée, la seconde condition - que j'avais sans doute insuffisamment mesurée, je le reconnais - est de tenir le Gouvernement le plus éloigné possible des divergences légitimes, qui s'expriment à travers les partis politiques. Il est logique que chacun affirme ses convictions. Chacun pose ses lignes rouges, avec d'autant plus de force que des élections se profilent. C'est naturel. Le gouvernement de la République assure la continuité de l'action de l'État, porte ses propres convictions dans le respect de la diversité de ses membres, mais il doit incarner l'ouverture au débat et aux compromis. Qui recherche les points d'accord, d'action, plutôt que de cultiver les différences ? Parce que dans la situation du monde, marquée par une instabilité financière, militaire, économique, commerciale, migratoire, climatique, mieux vaut montrer une France unie qu'une France divisée. C'est une évidence, qui est tellement évidente qu'elle disparaît tant on se complaît dans les querelles intérieures. Ce que je vous propose, c'est de trouver un chemin commun, malgré les divergences. Le Gouvernement proposera, nous débattrons, vous voterez. Là encore, c'est une rupture. La troisième condition, pour réussir cette mission, est de redonner du sens à la politique. Pas par des mots, mais par des actes. Par une nouvelle pratique du pouvoir, qui doit amener plus de progrès pour nos concitoyens.


[Partage du pouvoir avec le Parlement]

Mesdames et messieurs les parlementaires, Partager le pouvoir avec le Parlement, voici, incontestablement, une rupture. Dans une assemblée divisée, un gouvernement, même en s'appuyant sur la majorité la plus relative, ne peut, dans la durée, agir sans tenir compte des oppositions. Ce n'est pas possible, ce n'est plus possible. Et, surtout : ce n'est pas souhaitable. J'avais renoncé à utiliser l'article 49 alinéa 3 de la Constitution. C'est la garantie pour l'Assemblée nationale, que le débat, notamment budgétaire - mais pas seulement -, dans tous les domaines, vivra, ira jusqu'au bout. Jusqu'au vote. Cette décision est forte de changements radicaux. "La légitimité démocratique, c'est une démocratie où le Parlement a un rôle politique." expliquait Michel Debré. Le Parlement et le Gouvernement ayant, je le cite : "chacun une semblable importance dans la marche de l'État et assurant les moyens de résoudre les conflits qui sont, dans tout système démocratique, la rançon de la liberté." Et la rançon de la liberté, pour reprendre ce terme, c'est la responsabilité. Le Gouvernement présente le budget qu'il estime souhaitable. Le Parlement l'examine, le discute, le modifie. C'est sa liberté. Et, sans 49.3, sans majorité absolue, le Parlement aura le dernier mot. C'est sa responsabilité et nous devons lui faire confiance. Cela paraît de bon sens, c'est pourtant presque une révolution. À vous de saisir ce pouvoir qui est une chance, un bel exercice de responsabilité pour montrer à toutes celles et ceux qui en doutent que la démocratie représentative n'est pas morte et que l'Assemblée nationale et le Sénat restent l'endroit du pouvoir de décision, du pouvoir d'agir. Quel parlementaire dira à ses concitoyens qu'il ne veut pas discuter le budget de l'État, le budget social de la Nation ? N'est- ce pas le cœur même de la fonction parlementaire ? En renonçant au 49.3, il n'y a plus de prétexte pour une censure préalable. N'est-ce pas, d'ailleurs, ce que réclamait une grande partie de cette assemblée ? Je ne reprendrai pas ici les déclarations des uns et des autres. Vous le demandiez : c'est fait. J'avais promis une rupture, cela en est une. Les débats sur la fiscalité, sur le niveau des dépenses publiques, sur le déficit public : chaque parlementaire se prononcera. Les débats sur les moyens à allouer pour l'écologie, la sécurité, l'éducation, le logement, les collectivités locales, la culture, l'agriculture, nos services publics : chaque parlementaire s'en saisira. Cette fois, son vote dictera la copie finale. On verra la position de chacun sur la dette et les impôts, sur les dépenses et les économies. Chaque vote sera un acte. Le budget sera donc au cœur du débat. Alors, que contient ce budget initial ? Une maîtrise des comptes publics qui réduira le déficit : dans la copie proposée par le Gouvernement, il est réduit à 4,7% du PIB, contre 4,6% suite au retrait de la suppression des deux jours fériés. Comme je l'ai déjà annoncé, dans tous les cas de figure à la fin de la discussion budgétaire, ce déficit devra être à moins de 5% du PIB, car cet impératif de souveraineté s'impose à nous tous. Nous ne pouvons pas placer notre pays en dépendance durable de prêteurs étrangers et je ne serai pas le Premier ministre d'un dérapage des comptes publics. Aussi, dès 2025, nous aurons respecté les 5,4% de déficit. Le Gouvernement proposera un projet, qui, par essence, est perfectible. Il est urgent de continuer à dépenser moins. L'État a engagé une revue de ses dépenses. Des économies seront faites et il faudra désormais qu'elles s'inscrivent dans un cadre pluriannuel en s'appuyant sur une véritable réforme de l'État, j'y reviendrai dès demain devant le Sénat et devant vous dans les jours qui viennent. Sur les dépenses de l'État, on peut faire beaucoup, à la condition de repenser son action en profondeur, de réussir sa transformation numérique, de moderniser ses interventions, et d'alléger considérablement certaines procédures qui ne sont plus explicables. Tout le monde prône la simplification, nombre d'acteurs dans le pays la réclame : une majorité dans les deux chambres est possible sur ce sujet. D'autres économies seront engagées en luttant plus rigoureusement contre les fraudes, qu'elles soient sociales ou fiscales. Là encore, c'est une question de justice. Trop d'argent public est gaspillé parce qu'on ne contrôle pas assez à quoi il sert. Un projet de loi contre les fraudes a été déposé ce matin, en même temps que le budget de l'État et de la sécurité sociale. C'est la première fois. Il y aura par ailleurs des baisses d'impôts pour les petites et moyennes entreprises, il y aura des hausses d'impôts ciblées et exceptionnelles pour certaines très grandes entreprises. Baisse d'impôts d'un côté, hausse de l'autre, pour mieux répartir les efforts au sein des contribuables, et garder une maîtrise de nos prélèvements obligatoires qui sont déjà très élevés, pour financer notre modèle de redistribution au profit des plus modestes. La fiscalité des très grandes fortunes, parmi nos compatriotes, a pu interpeller un certain nombre d'entre vous. Là aussi, il faut reconnaître qu'il peut y avoir des anomalies. Nous croyons que réussir par son travail est une bonne chose, nous voulons une société où il est bon de travailler, de réussir et d'innover. Nous voulons aussi être vigilant au consentement à l'impôt. Encadrer l'optimisation fiscale – en particulier celle qui passe par les holdings - est une première réponse. Nous demanderons à créer une contribution exceptionnelle des grandes fortunes que nous proposons d'affecter au financement des investissements du futur qui touchent à notre souveraineté, pour les infrastructures, la transition écologique ou la défense. Là encore le débat parlementaire aura lieu. Il permettra à chacun de faire valoir ses arguments. En ne perdant jamais de vue que derrière la fiscalité se pose la question du consentement à l'impôt, de la confiance et de la justice. Le débat fiscal doit être aussi un débat sur l'emploi et la croissance, raison pour laquelle je ne suis pas favorable à ce que le patrimoine professionnel soit touché. Je ne détaillerai pas les mesures fiscales maintenant. J'ai ouvert le débat. Sans tabou. Je vous exposerai moi-même, avec les ministres, les propositions que j'ai faites, les modifications que je soutiendrai, celles que je combattrai. Le Gouvernement proposera, nous débattrons, vous voterez. Sans utilisation du 49-3, le Gouvernement devra changer de méthode : il faudra des discussions préalables, des compromis, le souci du détail et ne jamais refuser la technicité et l'âpreté du débat. La loi se fera ici, pas à Bercy. Je montrerai moi-même l'exemple en portant la discussion générale du budget de l'État et du budget de la sécurité sociale ici même. Une fois de plus : le Gouvernement proposera, nous débattrons, vous voterez.


[Partage du pouvoir avec les partenaires sociaux]

Mesdames et Messieurs les parlementaires, Je veux maintenant vous parler d'un sujet majeur qui a traversé notre pays, qui l'a parfois fracturé : le mérite, la dignité et le courage des travailleurs, la légitimité d'une bonne retraite. La fierté d'être travailleur, c'est la fierté de nos entreprises, qui ne sont pas l'affaire que des patrons mais aussi de tous les salariés. C'est celle de notre industrie, de toutes nos industries et de leurs filières : électronique, automobile, nucléaire, chimie, métallurgie, aéronautique, militaire, etc. Cette fierté, c'est celle du goût de l'effort partout et pour tous. L'effort mérite reconnaissance et récompense. Le Gouvernement sera du côté des travailleurs et de celles et ceux qui veulent travailler. Le travail est la condition indispensable à la croissance et au financement de notre modèle social. Il nous faut nous attaquer à deux problèmes majeurs. Les Français, quand ils travaillent, sont productifs. Par contre, ils accèdent trop tard au travail et en sortent trop tôt. Le deuxième problème est qualitatif. Nous avons en proportion trop d'emplois de service moins rémunérés et pas assez d'emplois industriels qualifiés. C'est la raison pour laquelle il est urgent d'accélérer la réindustrialisation de notre pays par l'investissement et l'innovation mais aussi par notre politique énergétique. Nous croyons à la promotion interne, à l'ascenseur social. Je demanderai au ministre du Travail et des Solidarités d'engager dès cet automne des négociations par branche pour développer des parcours permettant aux salariés en bas de l'échelle de devenir agents de maîtrise et cadre. Le travail, le mérite, la volonté de progresser doivent être encouragés et récompensés. On ne peut pas rester au SMIC des années sans perspective de progression. Des nouveaux ministres sont arrivés avec de nouvelles idées. C'est d'ailleurs pour cette raison qu'ils sont là. Le Gouvernement présente un budget pour l'emploi, pour produire, pour que le travail paye. Nous soutiendrons la rémunération, le logement, la santé des travailleurs. Ce sera aussi un budget pour préserver l'outil de production, avec la reprise de la baisse de la CVAE, impôt qui pèse sur la production de nos petites et moyennes entreprises. Des propositions ont émergé de plusieurs groupes parlementaires pour le pouvoir d'achat des travailleurs, là aussi, toutes seront examinées. Toutes seront débattues et font actuellement l'objet d'un travail technique par les ministres en charge. Le Gouvernement proposera, nous débattrons, vous voterez. Être du côté des travailleurs, c'est être aussi auprès de celles et ceux qui ont travaillé toute leur vie et qui sont à la retraite. Nous respectons les travailleurs, donc, nous respectons les retraités.

Mesdames et messieurs les parlementaires, Je vis donc avec quelques convictions simples : celle qu'il faut garantir l'équilibre de notre système. Qu'il faut le financer pour les générations futures. Qu'il faut pour chacun une retraite digne et pérenne. Il y a moins de cotisants qu'avant et plus de retraités. Cela s'impose à nous, comme dans plusieurs pays européens, plus personne ne peut le nier. Mais je ressens aussi ce que la dernière réforme pourtant nécessaire a provoqué : des tensions, des inquiétudes, de la lassitude, parfois un sentiment d'injustice ou d'incompréhension, y compris - à tort ou à raison - dans sa dimension démocratique. Alors est-ce que le Gouvernement est prêt à un nouveau débat sur l'avenir de notre système de retraite ? La réponse est oui. Une réforme sociale, aussi nécessaire soit-elle, ne peut tenir que si elle est comprise et équitable. Cet enjeu reste un enjeu d'avenir. J'ai toujours indiqué que l'avenir de nos retraites serait au cœur de la prochaine campagne présidentielle. Mais nous devons entendre que ce débat est demandé dès maintenant par des forces politiques et syndicales légitimes. Paradoxalement, cette période de quelques mois d'ici à l'élection présidentielle peut être une opportunité pour avancer, y compris sur ce sujet difficile des retraites. J'ajoute que la plus grande richesse pour notre pays c'est la stabilité et la capacité à recréer la confiance entre les acteurs, notamment les partenaires sociaux. La maîtrise des comptes publics, la croissance, l'emploi, le renforcement de notre défense, la perspective de réformes utiles votées d'ici à 2027 reposent sur notre capacité à acter la stabilité politique. La plus grande richesse du pays, c'est sa capacité collective à aller de l'avant. C'est pourquoi, je proposerai au Parlement dès cet automne que nous suspendions la réforme de 2023 sur les retraites jusqu'à l'élection présidentielle. Aucun relèvement de l'âge n'interviendra à partir de maintenant jusqu'à janvier 2028, comme l'avait précisément demandé la CFDT. En complément, la durée d'assurance sera elle aussi suspendue et restera à 170 trimestres jusqu'à janvier 2028. Mais je le dis très directement : suspendre pour suspendre n'a aucun sens. La suspension en préalable de rien serait irresponsable. Cette suspension doit installer la confiance nécessaire pour bâtir de nouvelles solutions. La suspension pour faire mieux est la solution, si chaque acteur sait en tirer quelque chose.

Mesdames et messieurs les parlementaires, Résumons : L'Assemblée voulait que je n'utilise pas le 49-3 : je m'y suis engagé. L'Assemblée voulait débattre à nouveau des retraites : elle en débattra, et chaque parlementaire défendra ses opinions. L'Assemblée voulait que le Gouvernement suspende la réforme en attendant un débat, une solution, un vote. Je le fais. Ce qui permettra d'éclairer le débat pour la future élection présidentielle. Mais je veux être très clair : je n'endosserai pas n'importe quoi. Le coût de la suspension pour notre système de retraite est de 400 millions d'euros en 2026 et 1,8 milliards d'euros en 2027. Cette suspension bénéficiera à terme à 3,5 millions de Français. Elle devra donc être compensée par des économies. Elle ne pourra pas se faire au prix d'un déficit accru. J'ai pris des engagements, ceux que les oppositions demandaient. J'en prends un supplémentaire et il doit être entendu par chacun, y compris par nos prêteurs : je n'endosserai pas un résultat qui mettrait en danger la crédibilité de notre pays. Et encore moins notre système de retraite tout entier. Je fais des pas en avant, à chacun, aussi, d'en faire.

Mesdames et messieurs les parlementaires, Suspendre doit être une opportunité. Débattre de la question des retraites n'est pas seulement une équation financière. Elle est partie intégrante de notre contrat social. Et ce contrat a besoin, lui aussi, d'une refondation, d'innovations, de ruptures. Ce gouvernement est prêt à renforcer le paritarisme, à faire confiance à la démocratie sociale. Une fois encore, suspendre la réforme n'a de sens que si c'est pour aller plus loin. Je propose, dans les prochaines semaines, d'organiser une Conférence sur les retraites et le travail, en accord avec les partenaires sociaux. Grâce à la suspension, cette Conférence aura le temps de se prononcer avant l'élection présidentielle. Elle se posera la question de l'ensemble de la gestion de notre système de retraite. Certains veulent les systèmes par points, d'autres par capitalisation, d'autres veulent abandonner toute référence d'âge. Mais ces propositions ne valent que si l'on sait qui est responsable. Aux partenaires sociaux de s'emparer ou non de cette responsabilité de gérer le régime. Ce serait revenir aux sources historiques de notre modèle de retraite, c'est d'ailleurs ce que font toujours nos voisins européens. Le Gouvernement y est prêt. J'ai confiance dans la démocratie sociale, confiance dans la démocratie parlementaire. Si la conférence conclut, le Gouvernement transposera l'accord dans la loi. Sinon, il appartiendra aux candidats à l'élection présidentielle de faire leurs propositions, et aux Français de les trancher. Elle pourra rendre ses premières conclusions au printemps prochain. Mais il y a aussi des urgences : j'ai inscrit, comme s'y était engagé mon prédécesseur, dans le budget de la sécurité sociale une amélioration concernant les retraites des femmes. Inutile d'attendre. La Conférence devra aborder d'autres sujets cruciaux comme l'attractivité de certains métiers indispensable, le travail pénible, l'usure au travail et les carrières longues. Voilà une discussion qui était bloquée depuis 23 ans. Paradoxalement, la rupture, c'est de conclure. Là encore, le Gouvernement proposera, nous débattrons, vous voterez. Je le dis sans détour : suspendre, ce n'est pas renoncer, ce n'est pas reculer, si nous savons utiliser ce temps avec intelligence et volonté d'avancer. La cohésion sociale, l'unité du pays et donc sa stabilité, sont une force. La division, elle, a un coût.


[Partage du pouvoir avec les collectivités locales]

Mesdames et messieurs les parlementaires, Partage du pouvoir entre le Gouvernement et l'Assemblée, partage du pouvoir entre le Gouvernement et les partenaires sociaux, partage du pouvoir aussi avec les collectivités locales. Pas pour faire plaisir aux élus locaux - j'en suis un -, mais pour être efficace au service des Français. On le dit souvent, on le fait rarement. Déjà, avec une urgence : la réforme institutionnelle en Nouvelle-Calédonie. La fin des accords de Nouméa a laissé un vide institutionnel qu'il faut combler pour permettre la paix sur le Caillou. L'accord de Bougival permet une réconciliation. Il doit être transcrit dans la Constitution. Le Gouvernement proposera d'adopter ce texte avant la fin de l'année, afin que les Calédoniens puissent être consultés au printemps 2026. C'est une urgence. Mais ce serait une erreur de croire que la Nouvelle Calédonie est un cas à part. La question des Outre-mer se pose aussi avec la même urgence. Un projet de loi, concernant la "vie chère", est prêt. Il ne faut pas attendre. Un projet de loi constitutionnelle concernant la Corse, fruit de deux années de discussion, lui aussi est prêt. Rien ne serait pire, pour l'État, que de renier sa parole. Là aussi, l'Assemblée nationale et le Sénat débattront et trancheront. Nos concitoyens veulent que le pouvoir soit proche d'eux, adapté aux réalités de terrain. Je proposerai donc en décembre un projet de loi pour renforcer le pouvoir local : un nouvel acte de décentralisation. Lui seul permettra de réformer l'État de manière globale et d'améliorer le fonctionnement de tous nos services publics. Qu'est-ce que l'on attend de l'État ? C'est la question centrale. La police, la justice, la sécurité, la défense, les relations internationales, dans ces domaines, les budgets ont augmenté depuis 2017 et continueront d'augmenter. L'État s'est renforcé, parce que ce sont des missions que lui seul peut exercer. Pour le reste, quel doit être le niveau de décision local ? Qui est responsable de quoi ? Je proposerai un principe simple, celui de l'identification d'un seul responsable par politique publique. Il s'agira soit d'un ministre, soit d'un préfet, soit d'un élu. Il ne faut pas décentraliser des compétences. Il faut décentraliser des responsabilités, avec des moyens budgétaires et fiscaux et des libertés, y compris normatives. Le Gouvernement peut-il engager cette réforme dans les trois mois ? Vous vous dites que cela prendra du temps ? C'est précisément parce que cela prendra du temps qu'il faut engager cette réforme tout de suite. Sinon, elle sera reportée une fois de plus, et jusqu'à quand ? Au plus tôt dans deux ans, après l'élection présidentielle. Nous n'attendrons pas. Des majorités sur ce texte sont possibles dans les deux chambres. Le Gouvernement proposera, nous débattrons, vous voterez.


[Les urgences]

Mesdames et messieurs les députés, Ne pas attendre. Il y a urgence. Urgence pour tenir le calendrier d'adoption du budget et de voter le meilleur budget. Urgence pour renforcer le dialogue social. Urgence, avant les élections municipales, de mieux répartir les compétences et réformer l'État. Si les débats de cette assemblée débutent cette semaine, cela permettra via les discussions budgétaires de répondre aux urgences pour la santé, l'accès au soin avec France Santé, pour défendre l'environnement, la sécurité, pour la loi de programmation militaire. Il y a des urgences, il y a des projets de loi qui sont prêts : pour les polices municipales et la lutte contre les incivilités du quotidien, pour le statut de l'élu. Des discussions, sensibles, doivent se poursuivre notamment sur la fin de vie. Des combats doivent sans cesse être menés, contre le racisme, l'homophobie, l'antisémitisme, pour l'égalité entre les femmes et les hommes. La soif absolue de nos compatriotes pour leur sécurité, pour la justice et le respect de la loi doit être entendue par les élites et sur chaque banc de cette Assemblée. Les enjeux migratoires à venir, tant liés à la démographie, au réchauffement climatique et au terrorisme posent un défi imminent qui ne peut être nié. J'y reviendrai. Les ministres y reviendront. A condition d'oser discuter. Agir. Avancer. Tout cela, nous pouvons le faire ensemble dans les mois qui viennent, si nous mettons fin à cette crise. Désormais, cela dépend de vous. Je sais, je n'ai pas obéi à l'exercice de style habituel d'une déclaration de politique générale, collectant chaque domaine d'intervention de l'État, citant chacune des préoccupations de nos concitoyens, dans leur travail, leur famille, leur village ou leur ville. Que personne ne se sente oublié. Je pense, sinon à tout, - je n'en ai pas la prétention- en tout cas, à toutes et à tous. Cela est facile, il me suffit de me sentir utile à mon pays. Et je vous le dis avec toute ma conviction ; avec, aussi, tout ce que j'ai appris au ministère des Armées : les seuls qui se réjouiraient d'une crise, d'une panne budgétaire en France, ne sont pas les amis de la France. Qui, parmi les Français, se sentira mieux, si la France se divise plus encore, si elle est plus faible, si elle repousse les questions de fond et les questions d'urgence à plus tard ? Je ne vous ai pas fait un discours de politique général convenu. Je reviendrai ici pour expliquer la politique que le Gouvernement entend mener sur les sujets fondamentaux. Je me suis engagé à revenir pour expliquer le budget, parce qu'il traduit une politique pour la France. Mais je reviendrai aussi sur les questions de sécurité, d'immigration, d'énergie, de transition écologique, d'éducation, du numérique : sur tout cela, je ferai des propositions, nous débattrons, et à la fin, vous voterez. Je ne vous ai pas présenté un programme à long terme. C'est un gouvernement de mission. L'urgence est de redonner son sens à la politique, de redonner confiance en la politique, de respecter les engagements de chacun, y compris ceux des oppositions. La vraie démocratie permet à celles et ceux qui ne sont pas d'accord de travailler ensemble. Sans rien renier de leurs convictions. C'est ce qui se passe dans toutes les démocraties du monde et même dans la majorité des conseils municipaux de France. Osons : Il suffit de faire un pas. C'est comme cela que l'on avance. Pour la France et les Français.

Je vous remercie.


Source https://www.info.gouv.fr, le 15 octobre 2025