Interview de Mme Amélie de Montchalin, ministre de l'action et des comptes publics, à France 2 le 24 octobre 2025, sur le projet de budget pour 2026.

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Média : France 2

Texte intégral

JOURNALISTE
Bonjour à tous, bonjour Amélie DE MONTCHALIN.

AMELIE DE MONTCHALIN
Bonjour.

JOURNALISTE
Merci d'être avec nous ce matin. Est-ce que vous arrivez à garder une dose d'optimisme, alors que le projet de budget arrive aujourd'hui dans l'hémicycle, après une semaine pour le moins compliquée en commission ? Je rappelle que cette partie recette du budget a déjà été rejetée. 11 voix pour seulement 37 contres, dont celle du rapporteur général du budget lui-même, monsieur Philippe JUVIN, qui dit, je le cite, que ce budget n'est pas crédible. Est-ce que vous admettez que ça ne part pas bien ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Moi, ce que je vois, c'est qu'il y a deux semaines, souvenez-vous, on était dans une situation où on disait qu'il n'y aurait pas de budget. Et puis, il y a une semaine, les commentateurs nous disaient qu'il n'y aura pas de débat. Bon, si on regarde ce qui s'est passé depuis maintenant deux semaines, il y a un projet de texte, j'insiste sur le mot " projet ", et il y a eu un débat qui a commencé.

JOURNALISTE
Et rejeté en commission, le projet de texte.

AMELIE DE MONTCHALIN
Vous savez, la commission, c'est un moment où les Députés font des propositions. D'ailleurs, ils ont voté des choses un peu contradictoires les unes avec les autres. Mais qu'est-ce qu'on veut, nous ? Quel est mon rôle et quel est le rôle du Gouvernement dans une situation politique très particulière, où, vous le savez, nous n'avons pas de majorité absolue, et où le Premier ministre a fait le choix d'annoncer, d'ores et déjà, que nous n'utiliserons pas le fameux 49.3 ? Nous voulons un débat et nous voulons un compromis. Un débat devant les Français, un débat démocratique, clair. Ça commence cet après-midi. Et tout le monde pourra voir ce que veulent les uns et les autres. Tout le monde pourra voir que le Rassemblement national, que la France Insoumise, ne veulent pas le débat. Ils ne veulent pas non plus qu'on avance.

JOURNALISTE
Mais ce n'est pas qu'avec ces parties-là que vous avez des difficultés aujourd'hui, si je puis me permettre. C'est avec la droite, c'est avec le socle commun, c'est avec vos propres amis.

AMELIE DE MONTCHALIN
Et le compromis, c'est quoi le compromis ? C'est un moment où les forces politiques n'oublient pas que nous ne sommes pas là juste pour avoir raison les uns ou les autres. Nous sommes là pour servir les Français, pour redonner de la cohérence à ce que nous faisons.

JOURNALISTE
Si vous voulez bien.

AMELIE DE MONTCHALIN
Et donc, vous voyez, on a avancé, parce qu'il y a un projet de budget, il y a un débat. Moi, je pense que le compromis est possible. Et je pense qu'il faut qu'on arrive à le construire concrètement pour les Français.

JOURNALISTE
Alors, compromis. Je voudrais parler, si vous le voulez bien, des éléments concrets de ce budget.

AMELIE DE MONTCHALIN
Exactement.

JOURNALISTE
On a un temps limité dans cette émission, donc, on va rentrer dans le vif du sujet et dans le concret, si j'ose dire. Il y a un sujet qui met le feu aux poudres et ce n'est pas la première fois, c'est la fameuse taxe Zucman. La gauche la réclame toujours. Ceux qui restent du socle commun la rejettent. Le problème de la contribution des foyers fiscaux les plus riches reste donc entier. Est-ce que vous allez faire de nouvelles propositions, puisqu'aujourd'hui, il y a un blocage ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Vous voyez bien. Il y a ceux qui veulent des symboles. Et puis nous, on dit, voilà : nous, on veut la justice, on veut l'efficacité, on veut évidemment lutter contre la sur-optimisation, mais on veut s'attaquer à cette sur-optimisation. On ne veut pas s'attaquer à l'entreprise, on ne veut pas s'attaquer à nos entrepreneurs, on ne veut pas s'attaquer à la réussite. Et donc, au fond, est-ce qu'on veut de la justice ou est-ce qu'on veut des symboles ? Ce sera le débat.

JOURNALISTE
Est-ce que ce sont des symboles ou est-ce que ce sont des mots ? Par exemple, sur la suspension des retraites, vous avez fini par lâcher en disant suspension et non pas de décalage et non pas report. Est-ce qu'à un moment ou un autre, pour faire plaisir au Parti socialiste, qui tient un peu la clé de ce Gouvernement, vous n'allez pas lâcher aussi sur la taxe Zucman ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Est-ce qu'on peut donner le crédit de la bonne foi au Premier ministre ? Est-ce qu'on peut donner le crédit du fait que nous sommes en train de prendre des engagements et de les traduire ? Vous savez qu'hier, nous avons tenu un Conseil des ministres pour faire adopter ce qu'on appelle une lettre rectificative, pour que nous changions nous-mêmes la proposition de budget pour la sécurité sociale, pour que ce qu'a dit le Premier ministre à l'Assemblée nationale soit dans le texte.

JOURNALISTE
Vous me tendez une perche. Est-ce que le Président MACRON ne vous a pas un petit peu gêné cette semaine en expliquant, je redis ses termes, qu'il s'agissait d'un simple décalage ? Ça ne vous a pas facilité les choses. Il vous a obligé à faire cette mise au point.

AMELIE DE MONTCHALIN
Vous voyez bien. En suspendant la montée en charge de la réforme jusqu'à la présidentielle. Oui, les gens vont pouvoir partir de manière décalée. Ils vont partir trois mois plus tôt, pour tous les Français qui imaginaient dans les mois qui viennent…

JOURNALISTE
Et vous comprenez que ce qu'a dit le Président est plus troublé, et que beaucoup de gens aient plus demandé si finalement, on suspend ou on remet juste à plus tard ?

AMELIE DE MONTCHALIN
C'est une suspension. Et ce qu'a dit le Président, qui est très important, c'est qu'il a expliqué que si nous nous mettions d'accord, pas juste nous forces politiques, mais les forces syndicales, les forces patronales, sur un nouveau système des retraites, il était même prêt à en faire un référendum. Pourquoi on fait une suspension ? Pas pour gagner du temps. Et pour dire, un : le débat, manifestement, doit avoir lieu. Deux : les Français attendent autre chose. Je pense qu'on le sait tous, on entend que certains veulent de la capitalisation ou que certains veuillent d'ailleurs revenir à des âges de retraite qui ne sont quand même pas totalement en ligne avec notre démographie. Mais qu'est-ce qu'a dit le Premier ministre ? Nous voulons ouvrir, et c'est Jean-Pierre FARANDOU qui mènera ces travaux, une conférence des retraites et du travail. Parce que le but c'est qu'on avance, ce n'est pas qu'on ait des débats qui tournent en rond, ce n'est pas qu'on remette les sujets. Et voyez bien que suspendre pour suspendre n'a pas beaucoup d'intérêt. Suspendre pour trouver un meilleur compromis, le soumettre aux Français, et le faire de manière transparente, voilà qui, à mon avis, peut faire avancer le pays.

JOURNALISTE
On va y venir, à la partie recette du projet de budget qui sera donc examiné dans l'hémicycle de tout à l'heure, cet après-midi, à partir de 15 h. Il y a une proposition du Gouvernement qui a été également rejetée en commission, c'est celle de la suppression de l'abattement de 10% dont bénéficient les retraités au profit d'un abattement forfaitaire de 2 000 euros. Là encore, est-ce que vous allez rester sur cette position qui pénaliserait, si elle est votée, des millions de retraités ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Vous l'avez entendu, le Premier ministre a dit : le Gouvernement propose, les parlementaires débattent et il y a un vote. Nous proposons, et je vous expliquerai dans l'hémicycle pourquoi cette proposition a à mes yeux un intérêt, un abattement, donc ce n'est pas une suppression, j'insiste…

JOURNALISTE
Un abattement forfaitaire de 2 000 euros au lieu des 10 % actuels.

AMELIE DE MONTCHALIN
Qui permet quoi ? Qui permet que pour un quart des retraités qui payent des impôts, ils soient gagnants, ils payent moins d'impôts.

JOURNALISTE
Et pour les trois quarts, d'autres, qui soient perdants.

AMELIE DE MONTCHALIN
Et les autres, pourquoi ? Parce que c'est une forme d'équité. Ce sont les retraités les plus aisés, au fond, qui paieront un petit peu plus d'impôts, qui permettra, si cette ma proposition est adoptée, à ce qu'un quart des retraités qui payent des impôts payent un peu moins. Et il nous semblait…

JOURNALISTE
Oui, mais parmi les trois-quarts qui en paieront plus, il n'y a pas que des riches, si vous me permettez.

AMELIE DE MONTCHALIN
84 %, vous voyez, du rendement, c'est-à-dire de la mesure, se fait sur les 20% des retraités les plus aisés. Ce sera un débat. Moi, je mettrai les choses sur la table, pourquoi ? Parce que je crois qu'à un certain moment, il y a l'âge, mais il y a aussi les revenus, et que vous voyez, beaucoup de Français nous demandent de l'équité, nous demandent un impôt qui soit plus progressif, que chacun contribue plus selon ses moyens. Et donc, la proposition que nous avons faite a été pensée comme ça. Et à nouveau, moi, je suis, vous voyez, dans un Gouvernement qui propose, qui va essayer de permettre un débat éclairé, mais à la fin, ce sont les parlementaires qui votent. Et le pouvoir, il est entre les mains des Députés et des Sénateurs.

JOURNALISTE
Dans vos fonctions réattribuées à la tête des comptes publics, vous chapeautez aussi la fonction publique. Et là encore, je reprends des expressions employées par les oppositions, le musée des horreurs, le budget Frankenstein. Ce ne sont pas les miennes, hein. Ce sont celles qu'on emploie notamment dans l'hémicycle. Il y a la suppression annoncée de 2 000 emplois nets dans la fonction publique. Est-ce que ça aussi, ça va se faire ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Oui. Avec David AMIEL, qui est le ministre délégué à la Fonction publique et à la Réforme de l'État, on a une boussole. Le but, ce n'est pas d'affaiblir l'État, c'est de l'adapter. Et donc, je peux vous dire qu'est-ce qui fait la force de notre service public : c'est que les Français trouvent sur des sujets qui sont leur priorité, des hommes et des femmes à l'endroit où ils les attendent.

JOURNALISTE
Moins de fonctionnaires? Pardon d'être un petit peu…

AMELIE DE MONTCHALIN
On a donc besoin, je vous donne un exemple, de plus de militaires, de plus de policiers, de plus de gendarmes. Eh bien, on les recrute. Mais on fait aussi le constat qu'il y a moins d'enfants dans les écoles. Donc, il y a un peu moins de professeurs dans les classes. En revanche, on voit qu'il faut qu'on forme mieux les enseignants. On va les recruter plus tôt. Et il y a des ministères…

JOURNALISTE
À l'arrivée, moins d'enseignants, Amélie DE MONTCHALIN, moins de fonctionnaires, excusez-moi ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Oui, il y aura... Dans la proposition à nouveau qu'on fait, il y a 2 000 fonctionnaires au total en moins pour l'État. Mais vous voyez, ce n'est pas 2 000, parce qu'il y en a un tout petit peu moins partout. Ce sont des choix que nous proposons pour à nouveau renforcer nos services publics, et je le dis : nous avons aussi proposé des choses qui correspondent aux besoins des Français, aux urgences des Français. Et nous tirons aussi les conclusions de notre démographie. Je pense que tout le monde peut le comprendre.

JOURNALISTE
Une toute dernière question, avec une mise au point rapide, s'il vous plaît. Vous l'avez dit en début d'interview : il n'y aura pas de 49.3, mais certains imaginent que le budget, il pourrait être adopté par ordonnance s'il y a un blocage à l'Assemblée. Est-ce que c'est un scénario possible ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Non. Et les seules personnes qui vous parlent de cela sont ceux qui ne veulent pas que nous réussissions. Qui vous parle des ordonnances ? Madame LE PEN. Pourquoi ? Parce qu'elle ne veut pas qu'on trouve un compromis. Parce que si on trouve un compromis, c'est précisément son carburant électoral qui sera mis à mal. Qu'est-ce qu'elle dit aux Français toute la journée, Madame LE PEN ? Ils ne savent pas se mettre d'accord, je suis la solution. Eh bien, à nous, force de Gouvernement, certains à l'opposition, certains au Gouvernement, nous ne serons pas tous d'accord sur tout, mais je crois que nous pouvons être d'accord sur l'idée de donner un budget aux Français.

JOURNALISTE
Merci beaucoup Amélie DE MONTCHALIN, ministre des Comptes publics, qui va être très occupée dans les prochains jours.

AMELIE DE MONTCHALIN
Je vous remercie.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 27 octobre 2025