Texte intégral
La voix du Caillou : Après le rejet de la proposition de loi par l'Assemblée nationale, quelle est votre analyse des difficultés et des atouts du processus de Bougival ?
Je veux être très claire : l'accord de Bougival n'est pas la fin du processus engagé depuis 1988, mais bien une nouvelle étape sur la voie de la décolonisation et de l'émancipation. Ce processus est exigeant, car il s'inscrit dans une histoire longue, sensible, parfois douloureuse. La qualité du dialogue entre les partenaires, la recherche du consensus et le respect mutuel sont, à mes yeux, les clés de la réussite. Les partenaires calédoniens ont su aller très loin dans les concessions réciproques : cinq délégations sur six continuent de soutenir cet accord – UNI, Palika, Loyalistes, Rassemblement, Calédonie Ensemble et Eveil Océanien – soit près de 80 % des sièges du Congrès de la Nouvelle-Calédonie. C'est un socle politique solide, qu'il faut désormais consolider et faire vivre.
La voix du Caillou : Quel est votre point de vue sur la signature, puis le rejet de l'accord par le FLNKS ?
Je ne veux pas faire sans le FLNKS, encore faut-il que le FLNKS ne fasse pas sans les autres. L'enjeu n'est pas d'exclure, mais de ramener l'ensemble des acteurs autour de la table, dans un esprit de responsabilité. Il ne s'agit pas d'effacer ce qui a été négocié, mais de consolider et d'enrichir le processus en tenant compte des sensibilités de chacun. Ma méthode sera celle du dialogue, de la constance et du respect. Rien ne doit être brusqué. Lors de mon prochain déplacement en Nouvelle-Calédonie, je rencontrerai l'ensemble des partenaires pour examiner les modalités de mise en œuvre de l'accord. Cela ne signifie pas tout remettre à plat, mais compléter, éclairer et préciser certains points. Je sais que des marges de manœuvre existent. L'histoire calédonienne l'a montré : le dialogue a toujours su ouvrir des chemins.
La voix du Caillou : Le FLNKS se prévaut du soutien du Sénat coutumier et de l'EPKNC (Église protestante de Kanaky Nouvelle-Calédonie) dans leur rejet de Bougival. Quelle est votre analyse sur ce point ?
Je sais que le Sénat coutumier s'est publiquement montré critique à l'égard de l'accord de Bougival. Je le regrette. Sa parole doit être entendue et respectée. C'est une institution issue de l'accord de Nouméa, garante de la place des structures coutumières dans les institutions calédoniennes. Je veux répondre à ses préoccupations sur la préservation de l'identité kanak. Rien, dans l'accord de Bougival, ne remet en cause les fondements de l'accord de Nouméa. Au contraire, "les dispositions de l'accord de Nouméa qui ne sont pas contraires au présent accord demeurent en vigueur". L'identité kanak est donc préservée et réaffirmée, et cela figure expressément dans l'exposé des motifs du projet de loi constitutionnelle. S'agissant de l'Église protestante de Kanaky Nouvelle-Calédonie, comme de l'ensemble des acteurs de la société civile, toutes les voix doivent être écoutées. Dans un moment aussi charnière, il est légitime que chacun puisse s'exprimer. La société civile, économique, sociale, associative, religieuse ou philosophique, a un rôle essentiel à jouer dans la construction du dialogue et de la paix. Elle exprime des sensibilités, des aspirations et des inquiétudes qui doivent nourrir la réflexion collective.
La voix du Caillou : Avez-vous des éléments sur l'implication à venir de l'État dans la reconstruction économique indispensable pour le territoire ?
La relance économique de la Nouvelle-Calédonie est une priorité absolue. Les entreprises ferment, les ménages s'endettent, le chômage des jeunes explose, et la vie quotidienne devient chaque jour plus difficile. Si nous n'agissons pas maintenant, la fracture économique nourrira la fracture politique. Pour mémoire, le PIB de l'archipel a reculé de 13,5 % en 2024. Cette même année, plus de 2,7 milliards d'euros ont été mobilisés. L'État a également accordé une première tranche de prêt garanti de 560 millions d'euros en juin, suivie d'une seconde tranche de 240 millions en septembre. J'ai d'ailleurs signé, dès le jour de ma nomination, la convention entre l'État et le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, garantissant le versement effectif des fonds dès le 17 octobre. Sur ces 240 millions d'euros, 21 millions ont été spécifiquement fléchés vers les dispositifs d'urgence sociale, principalement portés par les communes : restauration scolaire, transports, insertion des jeunes. Ces mesures auront un impact immédiat sur les difficultés sociales les plus pressantes. La Nouvelle-Calédonie a besoin d'un véritable choc de confiance. C'est par l'investissement que nous recréerons de l'activité, des emplois et de l'espoir. Le territoire doit redevenir une terre d'opportunités, attractive pour les investisseurs et porteuse d'avenir pour sa jeunesse. Cela suppose des mesures d'urgence et des projets structurants : dans les domaines régaliens, de la transition énergétique, de l'adaptation au changement climatique et de la stratégie nickel. L'objectif n'est pas de reconstruire à l'identique, mais de bâtir un modèle plus solide et plus durable, pour préparer la Nouvelle-Calédonie de demain. La relance économique ne peut pas être suspendue au calendrier institutionnel : elle doit avancer dès maintenant.
La voix du Caillou : Quel message porterez-vous devant la Commission mixte paritaire ?
Je poursuivrai les échanges pour permettre à ce texte d'aboutir, afin de donner à la Nouvelle-Calédonie le temps du dialogue nécessaire. L'accord de Bougival a besoin d'un socle solide et partagé. Pour l'heure, je suis pleinement mobilisée sur deux textes inscrits à l'agenda du Parlement la semaine prochaine : le report des élections provinciales et la lutte contre la vie chère. Au-delà du volet institutionnel, il y a urgence à répondre à la crise économique et sociale qui frappe le territoire. Je souhaite me rendre rapidement sur place pour rencontrer les élus, les acteurs économiques, la société civile et le monde coutumier. Avant de décider, je veux écouter, comprendre les réalités du terrain et bâtir, avec eux, une trajectoire de confiance et de reconstruction durable.
Source https://www.outre-mer.gouv.fr, le 28 octobre 2025