Texte intégral
BENJAMIN DUHAMEL
Bonjour Jean-Pierre FARANDOU.
JEAN-PIERRE FARANDOU
Bonjour.
BENJAMIN DUHAMEL
Merci d'être avec nous, ce matin, au micro de France Inter. Alors que vous êtes l'homme des sujets explosifs : retraites, pouvoir d'achat, avec pas mal d'ambiguïtés qu'on va essayer de lever ce matin, mais juste avant, je voudrais qu'on parle du scandale dont tout le monde parle, le scandale SHEIN. Après la découverte de poupées pédopornographiques dans son catalogue, le Gouvernement menace d'interdire l'accès de la plateforme aux marchés français, mais ça n'empêchera pas un magasin SHEIN d'ouvrir ses portes demain au BHV à Paris. D'autres magasins suivront en province. Le Gouvernement est impuissant, Jean-Pierre FARANDOU ?
JEAN-PIERRE FARANDOU
Il y a deux sujets. Le premier sujet, je suis très choqué. Vous savez, je suis moi-même grand-père de deux petites filles de sept ans et quatre ans. Je suis un peu scandalisé qu'on puisse accéder à des poupées pédopornographiques sur le site de SHEIN. Je pense que là-dessus, c'est du pénal. Il faut que SHEIN réponde de ses actes. Ce n'est pas une petite erreur commerciale. Il me semble que là, il faut que la justice s'en saisisse et qu'on arrive à bloquer tout ça.
BENJAMIN DUHAMEL
Et ça n'empêche pas des magasins d'ouvrir, dont demain à Paris. Vous êtes le ministre du Travail, des commerçants qui considèrent aussi que Shein, c'est de la concurrence déloyale. Ça vous pose un problème que ce magasin ouvre demain au BHV ?
JEAN-PIERRE FARANDOU
Bien sûr, ça pose un problème. D'ailleurs, avec mon collègue Serge PAPIN, bien évidemment, on regarde tout ça de près.
BENJAMIN DUHAMEL
Ça veut dire quoi, regarder tout ça de près ?
JEAN-PIERRE FARANDOU
On a affaire à du dumping. C'est-à-dire qu'on est attaqué par des exportations à prix très, très, très bas qui s'installent dans notre pays. C'est toute la filière textile qui est menacée. Ce sont les petits commerçants aussi qui sont menacés. La riposte doit être faite au niveau français, au niveau européen.
BENJAMIN DUHAMEL
Mais ça n'empêche pas ces magasins d'ouvrir.
JEAN-PIERRE FARANDOU
Pour le moment, la loi fait qu'ils peuvent s'installer. La riposte doit être là pour le coût commercial. On n'est pas dans le même registre que le premier sujet.
BENJAMIN DUHAMEL
Vous iriez faire vos courses au BHV ou aux Galeries Lafayette en province, là où des magasins SHEIN vont ouvrir ?
JEAN-PIERRE FARANDOU
Non, je n'irais pas. Je pense qu'il faut être solidaire par rapport à nos commerçants et à produire français, encore plus en étant ministre de la République. Il faut acheter français chez des commerçants, des petits commerçants qui tiennent tous nos centres-villes.
BENJAMIN DUHAMEL
Jean-Pierre FARANDOU, nous revenons aux ambiguïtés encore présentes dans le budget. On va essayer d'y voir plus clair. D'abord sur la suspension de la réforme des retraites. Première question, puisque c'est une demande des socialistes. Est-ce que les salariés dits carrières longues, c'est-à-dire ceux qui ont commencé à travailler très tôt, vont être concernés par la suspension de la réforme des retraites ?
JEAN-PIERRE FARANDOU
Alors la suspension, c'est une proposition qui est faite dans le projet de loi sur la Sécurité Sociale. Les débats vont démarrer ce soir. On aura des amendements, on aura des discussions. On verra ce que les amendements proposent.
BENJAMIN DUHAMEL
Alors c'est assez simple sur les carrières longues. Vous êtes les seuls au Gouvernement à pouvoir déposer un amendement pour inclure les carrières longues. Donc je repose ma question. Est-ce que le Gouvernement va inclure les carrières longues, c'est-à-dire ceux qui ont commencé à travailler tôt, dans cette suspension de la réforme des retraites ?
JEAN-PIERRE FARANDOU
On aura le débat. Il faut laisser faire le débat. Il y a le débat aussi sur le financement.
BENJAMIN DUHAMEL
Jean-Pierre FARANDOU, s'il vous plaît, le débat c'est très bien, mais j'imagine que le Gouvernement a une position, non ?
JEAN-PIERRE FARANDOU
Non, mais le débat, il faut avoir le débat. Il y a le débat sur le financement aussi qui va avec. C'est bien joli de prendre une mesure, mais il faut regarder comment on la finance. Donc ce n'est pas la même chose. S'il n'y a pas les carrières longues, on sait que l'enjeu c'est cent millions, s'il y a les carrières longues, c'est 400 millions, mais il faut qu'on débatte gentiment sur comment on trouve les 300 millions manquants.
BENJAMIN DUHAMEL
Ça passe à 400, mais vous, personnellement, la position que vous défendrez sur les carrières longues ?
JEAN-PIERRE FARANDOU
Moi, je suis ouvert. Je suis ouvert à toute la discussion. Tout ça, ce sont des équilibres. On a parlé de négociations, on a parlé de compromis. Il y a des équilibres à trouver. Je rajoute aussi la dimension économique. Prendre une décision, c'est bien. Trouver des financements qui vont avec, c'est bien.
BENJAMIN DUHAMEL
Donc il n'y a pas de certitude que ceux qui ont travaillé et qui ont commencé à travailler très tôt se retrouvent concernés par la suspension de la réforme des retraites ?
JEAN-PIERRE FARANDOU
Il y aura certitude quand il y aura un amendement voté. On n'en est pas encore là. Laissons faire le processus parlementaire, le processus budgétaire.
BENJAMIN DUHAMEL
Vous allez lancer tout à l'heure, Jean-Pierre FARANDOU, une conférence sociale sur le travail et sur la question des retraites notamment. C'est quoi l'intérêt de cette conférence sociale ? C'est gagner du temps, essayer de rejouer le conclave alors que ça n'a pas marché ?
JEAN-PIERRE FARANDOU
On a parlé de la suspension, on en a parlé, qui sera débattue au Parlement. Cette suspension, elle donne du temps puisqu'elle va jusqu'au 1?? janvier 2028. Ce temps, il faudra qu'il soit utile. Je pense que les Français attendent de nous qu'on trouve une solution à ce sujet des retraites. C'est-à-dire qu'il y a une espèce de sparadrap du Capitaine Haddock dans le débat démocratique. Il y a eu une réforme en 2023. On a entendu qu'elle n'était pas forcément bien comprise par les Français. On a le temps d'en discuter. Ce que je propose, c'est deux éléments différents dans la méthode. D'abord, parler du travail. On n'a pas assez parlé de travail. Quand je ne dis pas assez, on n'a pas du tout parlé du travail. Or, tout ce qui se passe dans notre parcours professionnel, ça conditionne la manière dont nous arrivons à la retraite.
BENJAMIN DUHAMEL
Vous renoncez à la réforme de l'assurance chômage puisque c'est ce que vous demandent les organisations syndicales ?
JEAN-PIERRE FARANDOU
Ça c'est autre chose, c'est un autre débat.
BENJAMIN DUHAMEL
Ça concerne le travail.
JEAN-PIERRE FARANDOU
Oui, d'accord, on s'est éloigné des retraites. Et deuxièmement, il n'y a pas de pression. On n'est pas là pour... Ce n'est pas le conclave. On était obligés, dans un espace fermé, de trouver une solution, d'attendre la fumée blanche. Là, on discute, c'est un lieu de débat. C'est un lieu apaisé pour que les partenaires sociaux puissent aborder les problèmes.
BENJAMIN DUHAMEL
Un lieu apaisé, vous êtes optimiste. Sur la question de la réforme de l'assurance chômage, est-ce que ce matin, vous nous dites, le Gouvernement abandonne officiellement la volonté de durcir les règles pour percevoir les allocations chômage ?
JEAN-PIERRE FARANDOU
Non, ce que je vous dis, c'est qu'on discute. Là aussi, c'est le dialogue. Le dialogue social, c'est de la discussion. On est en train de caler l'agenda social.
BENJAMIN DUHAMEL
Il y a beaucoup de discussion, il y a eu beaucoup de débats ce matin.
JEAN-PIERRE FARANDOU
Oui, mais c'est ça, le social. Vous savez, le social, c'est de la discussion. Par contre, ce que je peux vous dire, c'est déjà qu'on a l'accord des partenaires sociaux pour s'attaquer à une partie du sujet, que sont les ruptures conventionnelles. On a une espèce de droit de tirage qui s'est installé. Là-dessus, il y a convergence. On va bien s'attaquer aux ruptures conventionnelles qu'on retrouve d'ailleurs dans le projet de loi de finances sur la Sécurité Sociale.
BENJAMIN DUHAMEL
Jean-Pierre FARANDOU, vous êtes aussi ministre des Solidarités. Et ceux qui nous écoutent et sont peut-être concernés savent que quand vous touchez le RSA ou que vous êtes au chômage en fin de droit, à chaque Noël, vous avez le droit à une prime. Ça s'appelle la prime de Noël. Sauf que dans le budget 2026, vous avez confirmé hier soir en audition que vous alliez supprimer cette prime de Noël pour ceux qui n'ont pas d'enfants. Franchement, c'est incompréhensible, Jean-Pierre FARANDOU ?
JEAN-PIERRE FARANDOU
Ce qui doit être compris, déjà, c'est l'état des comptes de la Sécurité Sociale. C'est pour ça qu'on est amenés à faire des propositions qui peuvent sembler parfois un peu agressives pour les Français. Je le comprends, je l'entends. Mais déjà, entendons que la Sécurité Sociale est en train de diverger. C'est un bien commun, la Sécurité Sociale. Si on n'a pas le courage de s'attaquer à bras-le-corps, à son équilibre, ça va déraper. On va arriver à un moment où on ne sera plus capable de payer les retraites, de payer les remboursements, donc, il y aura des propositions.
BENJAMIN DUHAMEL
Jean-Pierre FARANDOU, au sujet de la question du déficit et du déficit de la Sécurité Sociale, je crois que tout le monde est à peu près d'accord. Simplement, vous assumez ce matin le fait de dire : il y a cette prime de Noël pour les plus précaires, je le répète, ceux qui sont au RSA ou des chômeurs en fin de droit. Quand vous n'avez pas d'enfants, vous ne toucherez plus cette prime de Noël ?
JEAN-PIERRE FARANDOU
Alors, c'est la version initiale du projet de loi de finances, mais là encore, il y a débat. C'est bien exactement ce qu'on dit. S'il y a des réactions, je les ai entendues. Moi, je n'ai pas de problème à les remettre en question. Ce que je demanderais à chaque fois, c'est : quelle est l'économie qui va avec ? Parce que moi, je suis garant des comptes de la Sécurité Sociale.
BENJAMIN DUHAMEL
Et donc, vous êtes ouvert à la possibilité de revenir et de rétablir cette prime de Noël pour ceux qui n'ont pas d'enfants ?
JEAN-PIERRE FARANDOU
Bien sûr, je suis ouvert. Là encore, c'est le jeu parlementaire qu'on a évoqué. Mais je serai attentif à ce qu'on me dise quelle est l'économie qui va avec ou quelle est la recette qui va avec ? Je serai le garant de cet équilibre, ça me paraît fondamental.
BENJAMIN DUHAMEL
Vous savez quel est le montant de la prime de Noël pour les célibataires et pour les foyer sans enfants ?
JEAN-PIERRE FARANDOU
C'est autour de 150 euros.
BENJAMIN DUHAMEL
Oui, c'est ça. C'est 150 euros pour un célibataire et 228 euros pour un couple. Est-ce que là encore, vous comprenez que certains se disent : "Quand il est question de s'attaquer aux très, très, très riches, on y va d'une main tremblante. Mais par contre, quand il est question d'enlever 150, 250 euros aux plus précaires, là, le Gouvernement, bizarrement, trouve des idées."
JEAN-PIERRE FARANDOU
C'est-à-dire, il faut aussi bien se rendre compte que l'État français a été très généreux, et tant mieux. Il y a eu une époque de générosité sur toutes les politiques sociales, et tant mieux. Je pense que maintenant, il faut faire attention. Je ne suis pas sûr que notre pays ait les moyens de poursuivre ces politiques de générosité maximale, il faut donc accepter un recentrage. Et là, c'est le débat. Quelles sont les priorités ? Comment on cible ? Mais il faut accepter cette idée que peut-être la générosité qu'on a connue pendant une décennie est peut-être arrivée à son terme.
BENJAMIN DUHAMEL
Encore une ambiguïté, Jean-Pierre FARANDOU, qu'on va essayer de lever ce matin. Vous avez comme projet au Gouvernement de taxer à hauteur de 8 % les tickets restaurants et autres chèques vacances, ce qui concrètement veut dire que ça coûtera plus cher aux entreprises qui veulent en mettre à disposition à leurs salariés. Donc en fait, quand vous dites que vous voulez préserver le pouvoir d'achat des salariés, c'est seulement des éléments de langage ?
JEAN-PIERRE FARANDOU
Oui, non, puisque les tickets restaurants en tant que tels, on ne les touche pas. C'est la taxe, elle est pour les employeurs, elle n'est pas pour les salariés.
BENJAMIN DUHAMEL
Donc si ça coûte plus cher aux employeurs, ça veut dire qu'ils donneront moins de tickets restaurants et de chèques vacances.
JEAN-PIERRE FARANDOU
La Sécurité Sociale, comment elle fonctionne ? Comment elle se finance ? Par des cotisations. Ça s'appelle les compléments de salaire. Dans le complément de salaire, il y a salaire. Tout salaire mérite cotisation. Si l'on n'y arrive pas, si on passe son temps à exonérer toutes les parties du salaire de paiement des cotisations, comment vous voulez faire pour équilibrer les comptes de la Sécurité Sociale ? Donc, là encore, le débat est légitime, d'autant plus qu'avec les tickets restaurants, vous achetez de la lessive maintenant. On s'est un petit peu éloigné du restaurant.
BENJAMIN DUHAMEL
Et vous avez aussi une situation, Jean-Pierre FARANDOU, où les salaires n'ont peut-être pas suffisamment augmenté, et où les tickets restaurants, les chèques vacances sont apparus comme des compléments de salaire. Là, avec cette mesure de 8 %, vous vous en prenez au pouvoir d'achat des salariés.
JEAN-PIERRE FARANDOU
Non, 8 % ce n'est pas sur les salariés, c'est sur les employeurs. Si c'était du salaire, les employeurs paieraient 40 %. Donc un forfait de 8 %, ce n'est pas grand-chose par rapport à la vraie charge sociale qui pèseront sur les employeurs
BENJAMIN DUHAMEL
Mais à la fin, ceux qui auront moins de chèques vacances et de chèques restaurants, si vous maintenez cette taxe de 8 %, ce seront bien les salariés.
JEAN-PIERRE FARANDOU
Ça dépendra des employeurs, ça dépend des employés encore. Mais là encore, je veux dire, mais pourquoi on n'accepte pas l'idée que dès lors que c'est du salaire, et d'ailleurs vous l'avez dit vous-même, il est quand même normal, fonctionnement normal sur la Sécurité Sociale, c'est dès lors que c'est du travail, il y a la cotisation.
BENJAMIN DUHAMEL
Mais vous pourriez revenir sur cette mesure là aussi.
JEAN-PIERRE FARANDOU
Là aussi bien sûr, d'ailleurs on a commencé à en discuter, pour tout vous dire, il y a eu des échanges avec plusieurs groupes. Si on me donne des propositions alternatives avec peut-être d'autres niches sociales qui paraîtraient plus légitimes, je suis ouvert à la discussion.
BENJAMIN DUHAMEL
Merci beaucoup à Jean-Pierre FARANDOU, ministre du Travail et des Solidarités, qui fait ce matin l'éloge du débat et de la discussion.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 5 novembre 2025