Interview de M. Vincent Jeanbrun, ministre de la ville et du logement, à TF1 le 5 novembre 2025, sur l'arrivée de SHEIN au BHV à Paris, les activités commerciales et de santé dans les coeurs de ville, les logements des délinquants et l'accès à l'hébergement d'urgence pour les migrants en situation irrégulière

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Média : TF1

Texte intégral

BRUCE TOUSSAINT
7h38, bonjour Adrien GINDRE,

ADRIEN GINDRE
Bonjour,

BRUCE TOUSSAINT
Votre invité, ce matin, Vincent JEANBRUN, ministre de la Ville et du Logement.

ADRIEN GINDRE
Bonjour, Vincent JEANBRUN,

VINCENT JEANBRUN
Bonjour,

ADRIEN GINDRE
On va parler avec vous ce matin, des difficultés pour les commerces, notamment dans les centres-villes, puisqu'en tant que ministre de la Ville, vous recevez tout à l'heure un rapport sur le sujet. D'abord, justement, un mot de l'arrivée de SHEIN, aujourd'hui, au grand magasin BHV à Paris. TF1 a pu accéder en avant-première à ce qui sera le premier stand physique au monde pour ce site de vente en ligne. Est-ce que vous faites partie de ceux qui déplorent l'arrivée de SHEIN au BHV à Paris ?

VINCENT JEANBRUN
Évidemment que je le déplore et je pense d'ailleurs que le BHV fait une erreur stratégique, une erreur sur le long terme, c'est certain. À très court terme, il y a l'attrait de l'argent, un corner intéressant, et je pense qu'il pense faire un bénéfice court terme. Sur le long terme, c'est une erreur. Et d'ailleurs, je soutiens un certain nombre d'initiatives parlementaires, notamment celle d'Antoine VERMOREL, qui est un député qui mène actuellement une enquête et qui demande, et c'est son combat aujourd'hui, le déréférencement du site SHEIN en France. Et je lui souhaite bon courage et je le soutiens. Je pense qu'il va falloir que, justement, on prenne une position claire. On ne peut pas, d'un côté, dire qu'on veut sauver nos petits commerces et l'économie française et ouvrir grand nos portes à une entreprise qui fait du dumping social et du dumping écologique.

ADRIEN GINDRE
Vous y voyez un danger pour nos commerces, y compris pour les autres marques, qui sont implantées dans ces magasins et dans d'autres villes de France, puisque SHEIN va s'étendre dans les semaines à venir ?

VINCENT JEANBRUN
C'est un danger parce que ce n'est pas une concurrence loyale. Quand vous n'avez pas les mêmes règles sociales, et là il y a un dumping terrible, quand vous n'avez pas les mêmes règles écologiques et on voit l'impact de la fast-fashion sur la planète et sur notre environnement, effectivement, on ne joue pas avec les mêmes règles. Donc, il y a un avantage injuste à une entreprise comme SHEIN. Et donc, je pense qu'effectivement, c'est un danger. Il faut que, collectivement, on le combatte.

ADRIEN GINDRE
Ça arrive dans un contexte où l'on voit déjà dans nos communes des rideaux baissés, des vitrines désaffectées. Ces derniers mois, ces dernières années, ça ne s'est clairement pas arrangé. C'est l'objet du rapport que vous allez recevoir tout à l'heure, rédigé notamment par le PDG des Supermarchés U, la maire de Saint-Quentin, le directeur de la Banque des Territoires. Quel objectif vous fixez ? Est-ce qu'on va vraiment pouvoir rouvrir tous ces commerces ?

VINCENT JEANBRUN
Alors, d'abord, je voudrais saluer l'initiative de Juliette MEADEL et Véronique LOUWAGIE qui avaient commandé ce rapport et qui va nous être remis avec mon collègue Serge PAPIN qui, vous le savez, est aux avant-gardes sur ces sujets. Maintenant, l'ambition, elle est effectivement d'accompagner une transformation du commerce. Je discutais avec les auteurs du rapport hier. Ils nous disent : " Vous savez, il faut être positif, il faut avoir l'espoir ". Et effectivement, on ne rouvrira pas les mêmes boutiques qu'il y a 20 ans. Il faut être clair. Par contre, on peut redonner de la vie à nos coeurs de ville avec des activités commerciales et de santé très importantes dans le rapport. On ramène les médecins aussi, on ramène les personnels de santé pour faire en sorte qu'il y ait de la vie, qu'il y ait de la lumière dans nos rues. Et ça, c'est fondamental. Et cet espoir-là, oui, je l'ai. Et on voit d'ailleurs le rapport qui est très positif et qui fait une trentaine de propositions qui nous montrent qu'il y a un chemin.

ADRIEN GINDRE
Mais par quel chemin ça passera justement ? Est-ce que c'est une question d'argent ? Est-ce qu'il faudra aider ces commerces à s'installer ? Voir leur donner de l'argent pour se maintenir ? Est-ce que l'État, d'ailleurs, a les moyens de faire ses dépenses ?

VINCENT JEANBRUN
Alors, c'est intéressant, les trois propositions. On n'aura pas le temps de les détailler là. Mais j'espère qu'effectivement, dans la presse et avec vos confrères, on ira plus loin. Vous avez différents volets, il y a un enjeu financier. Et c'est une annonce que moi, je souhaite reprendre et porter. C'est, en gros, faire une zone franche. C'est-à-dire qu'en gros, un commerce qui s'ouvrira dans nos coeurs de ville prioritaire, dans nos quartiers prioritaires, aura une franchise fiscale qui pourra monter jusqu'à 50 000 euros pendant une période de 8 ans, ce qui est énorme.

ADRIEN GINDRE
Franchise fiscale, ça veut dire c'est une exonération d'impôts ?

VINCENT JEANBRUN
Une exonération pour l'entreprise qui s'installe, qui ouvre, qui fait une reprise. Et encore une fois, pour des commerces, pour des petites entreprises et des personnels de santé. Donc, voilà, série d'OBC demain. Si vous venez les rouvrir, si vous venez recréer de la vie dans ces quartiers, eh bien, l'État vous accompagne avec cette franchise fiscale. Je pense que c'est une mesure très forte et qui fera du bien pour ces installations. Ensuite, vous avez, dans ce rapport, des volets qui, notamment, luttent contre l'économie sur le souterrain. Parce que ce n'est pas le tout de vous avoir envie de rouvrir un rideau. Mais si à côté, vous avez des commerces qui servent à blanchir de l'argent ou à être un point d'incrustation du narcotrafic, ça ne fonctionne pas. Donc, on voit bien que la réponse, elle va être aussi de nettoyer un peu ces quartiers, probablement donnant plus de pouvoir aux élus locaux pour faire le choix des commerces qui s'installent et générer un maximum de diversité. Et puis, il y a plein de mesures, je pourrais les détailler encore.

ADRIEN GINDRE
Il y avait des programmes qui avaient été engagés ces dernières années. On appelait ça " Action Coeur de Ville ". Ça avait été mis en place sous le premier quinquennat d'Emmanuel MACRON, des managers de centres-villes, des managers de commerces. Tout ça, ça va être pérennisé. On peut encore poursuivre tout ça ?

VINCENT JEANBRUN
C'est évidemment l'objectif. On voit des villes comme Toulon, par exemple, où on était sur des quartiers prioritaires très compliqués, très dégradés, où aujourd'hui, avec la volonté des élus, l'accompagnement de l'État, on a réussi à transformer complètement ces Coeurs de Ville et faire en sorte de casser, ce qui est pour moi la priorité, le sentiment de déclassement et d'assignation à résidence. Parce que quand vous avez tous ces rideaux qui ferment, couverts de tag, comme on voit ici sur vos écrans, il y a un sentiment d'abandon du citoyen qui se dit : " Au fond, moi je vis dans des villes, dans des quartiers, même dans les centres-villes de seconde zone, je n'ai pas le droit à la même chose que tout le monde ". Ça crée de la colère, ça crée de la frustration et souvent, ça ne se termine pas bien. C'est tout ce cycle vicieux qu'on veut endiguer et retrouver des quartiers dont les gens soient fiers.

ADRIEN GINDRE
Vous êtes également en charge du logement. Je voudrais qu'on parle des logements des délinquants. Il se trouve que la loi narcotrafic permet d'envisager la résiliation d'un bail lorsqu'il y a des troubles qui sont liés au trafic de stupéfiants, autrement dit expulser les dealers. Vous, vous voulez aller au-delà de ce qui est prévu par la loi actuelle. À quelles infractions vous voulez étendre cette règle ?

VINCENT JEANBRUN
Vous savez, mon principe, il est simple. La solidarité nationale qui finance les logements sociaux, elle ne doit pas servir aux voyous et aux délinquants. C'est assez basique, au fond. Parce qu'il y a trop de familles qui attendent. Vous avez des mères qui travaillent, qui élèvent seules leurs enfants, qui parfois dorment dans leur voiture. Et dire à ces familles-là, à ces mamans : " Vous, vous n'avez pas de logement ". Par contre, celui qui pourrit la vie de tout le monde, qui deal, qui trafique, qui est violent, qui agresse, lui, il a le logement social.

ADRIEN GINDRE
Par exemple, il y a quelques jours, on avait encore dans la vérité ce refus d'obtempérer à Lille. Un auteur de refus d'obtempérer, pour vous, il a vocation à être sorti de son logement ?

VINCENT JEANBRUN
J'ai envie de poser la question. Si vous me demandez mon avis, effectivement, je considère qu'il n'a plus le droit à la solidarité nationale, comme tous ceux qui, de toute façon, seraient coupables de violences, les agressions physiques, le car-jacking, et puis même les violences intrafamiliales. Vous avez des personnes qui sont coupables d'avoir frappé, battu leur femme, leur conjoint, leurs enfants. On doit se poser la question, est-ce que c'est la priorité de leur proposer un logement dans le cadre de la solidarité nationale ?

ADRIEN GINDRE
Là, on parle d'un logement social.

VINCENT JEANBRUN
D'un logement social, bien sûr. Et je distingue d'ailleurs, c'est un peu technique, mais le logement social et le logement d'urgence. C'est l'honneur de notre pays de ne laisser personne à la rue et de proposer à tout le monde, y compris quelqu'un qui aurait fait de la prison, de trouver une solution d'hébergement d'urgence. En revanche, le logement social, où on s'installe avec sa famille, eh bien, on donne la priorité aux plus fragiles, qui le méritent et qui respectent nos lois.

ADRIEN GINDRE
Un dernier mot, puisque vous parlez du logement d'urgence. Il se trouve que dans le cadre du budget, des députés du socle commun, du parti Renaissance, notamment Guillaume KASBARIAN, ancien ministre du Logement, proposent d'interdire l'accès à l'hébergement d'urgence pour les migrants en situation irrégulière. Au bout de 30 jours, d'après l'amendement, il se trouve qu'entre 60 et 70% des places dans les centres d'hébergement d'urgence sont occupées par des étrangers en situation irrégulière. Est-ce que vous soutiendrez cet amendement dans la discussion ?

VINCENT JEANBRUN
Encore une fois, c'est une question de priorité. Moi, je considère que c'est l'honneur de la France de ne laisser personne mourir de froid dans la rue. Donc, il faut trouver des solutions et l'hébergement d'urgence, y compris pour quelqu'un qui est sous OQTF, fait partie des propositions qui font l'honneur de la France. Maintenant, c'est vrai que c'est toujours quelque chose qu'il faut repenser en se disant : " Quand vous avez des gens qui sont sur notre pays légalement et qui voient que quelqu'un d'autre va aller dormir au chaud et qui, lui, n'a pas le droit d'être là, il y a effectivement une question à se poser et probablement des règles à mettre à jour ".

ADRIEN GINDRE
Et pourquoi pas ?

VINCENT JEANBRUN
En revanche, je pense qu'on ne laisse personne dormir à la rue et ce sera mon combat.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 6 novembre 2025