Texte intégral
HADRIEN BECT
Bonjour Amélie de MONTCHALIN,
AMELIE DE MONTCHALIN
Bonjour,
HADRIEN BECT
On va revenir avec vous évidemment sur les questions du budget, question qui vous occupe beaucoup en ce moment. L'examen se poursuit à l'Assemblée. On va essayer d'y voir clair avec vous, ce matin, parce que c'est vrai qu'il y a eu beaucoup de votes. On doit bien reconnaître qu'il y en a un peu dans tous les sens donc, on va essayer de ranger un petit peu tout cela. Avant d'en parler, SHEIN d'abord, c'est l'actualité de ces derniers jours, le Gouvernement a entamé un bras de fer avec la plateforme chinoise. Hier vous étiez à l'aéroport de Roissy Charles de Gaulle, près de Paris. Vaste opération de contrôle de colis. SHEIN, 200 000 colis bloqués. Bon, c'était quoi ? C'était une opération de communication ? Ça sert vraiment à quelque chose ?
AMELIE DE MONTCHALIN
D'abord, vous dire que ces opérations, tous les jours, les douaniers, la direction du contrôle des fraudes contrôlent, tous les jours les douaniers qui sont sous mon autorité depuis, vous voyez, depuis un an. Je suis, avec eux, les opérations qu'ils font pour retirer du flux de colis qui arrivent, chaque jour, les produits dangereux. Parce que nous avons tous les jours des, comme on l'a vu hier, des produits cosmétiques avec des produits toxiques.
HADRIEN BECT
Vu le flot de colis, on sait que c'est un peu chercher une aiguille dans une botte de foin quand même.
AMELIE DE MONTCHALIN
D'abord, c'est important de dire, tous les jours on contrôle. Qu'est-ce qui s'est passé de spécial ou d'inédit cette semaine et hier ? C'est que comme une procédure, à la fois, de suspension du site et une procédure judiciaire et une enquête européenne ont été lancées contre SHEIN, suite notamment à ce qui s'est passé sur ces poupées pédopornographiques qui sont scandaleuses, aussi la détection d'armes en vente sur le site, le Premier Ministre a décidé d'engager un certain nombre de poursuites. Et pour alimenter les enquêtes, nous avons pris la décision inédite de bloquer 24 heures tous les flux, donc 200 000 colis. Les contrôles sont en cours, tous les moyens de la douane et de la direction du contrôle des fraudes sont sur place. Et nous avons déjà 100 000 articles qui ont été contrôlés et ça permet d'alimenter…
HADRIEN BECT
Donc la moitié déjà.
AMELIE DE MONTCHALIN
100 000 articles. Il y a un million d'articles dans les 200 000 colis, donc c'est un travail, mais c'est très utile pour que nous puissions avoir des éléments de preuve sur la non-conformité. Moi, mon sujet, juste que je le dise en un mot, c'est deux choses, c'est de d'abord vraiment protéger les consommateurs. Nous ne pouvons pas laisser entrer dans les ménages, dans les foyers, dans les maisons des Français, des produits dangereux pour eux, pour leurs enfants, pour leur santé. Je pense que tout le monde comprend bien l'importance.
MATHILDE SIROT
Et justement, concrètement, sur ces colis, sur ces 100 000 articles qui ont été contrôlés, est-ce que vous pouvez nous donner la proportion de produits dangereux, illicites ou non-conformes ? Est-ce que ça représente vraiment une somme importante de ces produits qui sont dans les colis ?
AMELIE DE MONTCHALIN
Je ne peux pas vous dire actuellement, et ce sera un point qui sera fait ce soir par les ministres, par nous tous, parce que la procédure est judiciaire, donc, je ne peux pas vous révéler ce qui se passe aujourd'hui. Ce que je peux vous dire, c'est que dans les contrôles que nous faisons tous les jours avec les douanes, huit produits sur dix hors textiles ne sont pas conformes. Ils ne sont pas conformes en sécurité, ils ne sont pas conformes en qualité, ils ne sont pas conformes en normes, ils ne sont pas conformes en valorisation. Bref, on est face à, quand même, un respect des normes qui n'est pas garanti. Donc…
MATHILDE SIROT
Vous ne découvrez pas le problème ?
AMELIE DE MONTCHALIN
Mais bien sûr que non. Donc, qu'est-ce qu'on a fait depuis un an ? D'abord, on a mis des amendes. Une amende inédite. C'était il y a à peu près 15 jours.
MATHILDE SIROT
Ça a peu de conséquences pour le moment.
AMELIE DE MONTCHALIN
Ensuite, on a créé une coalition européenne, parce que, nous, France, on a évidemment un État qui est puissant. On n'est pas du tout impuissant, parce que certains vous disent : " C'est bon, les algorithmes ont gagné ". Non, l'État est là. L'État fait appliquer ses règles. Donc, on a créé une coalition européenne. J'ai proposé, dans le budget, une taxe sur les petits colis pour que les contrôles que vous imaginez, demandent beaucoup de moyens, soient financés par les plateformes et pas par les contribuables français. Et nous avons réformé toute la pratique des douanes européennes, pour qu'il y ait une réforme d'ampleur, à l'initiative de la France. Et vous savez, quand est-ce qu'on a lancé ce combat ? Pendant la présidence française du Conseil de l'Union Européenne, en 2022. Et quand on a lancé le sujet, et je finirai là, moi-même, dans certains cercles, le président de la République à l'époque, tout le monde se demandait pourquoi on avait un sujet sur ces plateformes. Personne ne voyait le problème. Le problème, il est double. C'est, à la fois, la protection des consommateurs, mais c'est aussi la protection de notre économie.
HADRIEN BECT
Il y a un côté protectionnisme que vous assumez ?
AMELIE DE MONTCHALIN
Ce n'est pas du protectionnisme, parce que l'on se refermerait, mais on ne va pas se laisser submerger.
HADRIEN BECT
Protectionnisme, ça veut dire protéger ?
AMELIE DE MONTCHALIN
Protéger les consommateurs, protéger l'économie. Quand il y a du commerce, il n'y a pas de problème. Mais du commerce qui respecte nos règles, qui respecte nos normes, qui respecte nos principes, qui respecte nos valeurs. Et vous voyez, aujourd'hui, politiquement, moi, je suis très interrogative sur la ligne du Rassemblement national, qui sur ce sujet, je dois dire, me semble assez cynique, et assez lunaire. Monsieur BARDELLA et ses amis, au fond, quand vous les écoutez, trouvent qu'aujourd'hui, c'est gênant que nous bloquions le flux, parce qu'il vaudrait mieux que les Français puissent avoir leurs colis à temps. Mais c'est cynique et lunaire d'imaginer qu'on peut laisser, nous, autorités gouvernementales, laisser entrer, je le dis à nouveau, dans les foyers, dans les ménages français, des produits dangereux. Et par ailleurs, c'est une forme de trahison nationale, puisque aujourd'hui, vous avez des députés du Rassemblement national, qui ont exprimé le fait qu'ils seraient contre la taxe sur les petits colis. Alors, quand on dit qu'on a la préférence nationale au coeur, ce qui est le discours du Rassemblement national…
HADRIEN BECT
Peut-être que ça pénalise, sans doute, le pouvoir d'achat.
AMELIE DE MONTCHALIN
Vous voyez le sujet ? On a un parti qui nous dit que son enjeu, c'est la préférence nationale. Quand il s'agit de l'économie, j'appelle ça la trahison nationale.
HADRIEN BECT
On peut aussi comprendre qu'un certain nombre de personnes achètent sur ce type de plateforme par nécessité.
AMELIE DE MONTCHALIN
C'est une chose qu'on achète des produits, et deuxièmement, je le redis, c'est la responsabilité du Gouvernement de faire en sorte que ces produits ne soient pas dangereux.
HADRIEN BECT
J'ai une question plus précise à vous poser, Amélie de MONTCHALIN, quand même, c'est quoi, parce que là, on voit ce déploiement à la fois sur le terrain, les contrôles, les enquêtes, etc. C'est quoi l'objectif final ? C'est que SHEIN ne vende plus en France, ou c'est que SHEIN puisse continuer à vendre, mais des produits qui respectent nos normes ?
AMELIE DE MONTCHALIN
La réponse est dans votre question. La France considère, et c'est même assez tautologique, que tout opérateur qui opère en France doit respecter la loi française.
HADRIEN BECT
Oui, mais on se souvient, par exemple, d'un autre opérateur comme WISH, un Californien, qui n'avait plus été référencé par les moteurs de recherche, et depuis, on peut imaginer que le business de WISH en France, il a quand même bien diminué.
AMELIE DE MONTCHALIN
Et parce que cette plateforme ne respectait pas la loi. Quand vous vendez des produits interdits, vous êtes interdit.
HADRIEN BECT
Vous voyez que les deux peuvent être liés, une présence sur le territoire et la capacité ou non à vendre des produits.
AMELIE DE MONTCHALIN
Je le redis, c'est très simple, et je pense que les gens qui nous écoutent comprennent très bien. On peut être une plateforme, un opérateur, une entreprise étrangère en France. Mais quand on est en France, on respecte la loi française. Et la deuxième chose, c'est que quand on est en France, on joue aussi les règles de la concurrence française. Et moi, mon objectif, à nouveau, c'est que nos artisans, nos commerçants, nos petites industries, qui fabriquent des produits, respectent nos normes, sont présents sur le territoire, ne soient pas face à une concurrence qui est une submersion, qui est du dumping, qui ne respecte pas les lois et les valeurs. Le Far West numérique ne peut pas être un Far West. Et nous, ce qu'on montre, et ce n'est pas qu'une démonstration, c'est une action, c'est que nous ne sommes pas impuissants et que les algorithmes ne vont pas prendre le pas sur la loi.
MATHILDE SIROT
Est-ce que c'est un message que vous allez adresser au patron de SHEIN ? Il a demandé explicitement à être reçu par le Gouvernement. Il a adressé une lettre à votre collègue Serge PAPIN. Est-ce que vous allez le recevoir ? Est-ce que vous allez parler avec lui ? Est-ce qu'il ne fallait pas tout simplement aussi le recevoir jusqu'alors ?
AMELIE DE MONTCHALIN
On est dans une procédure qui est à la fois de suspension du site, une procédure judiciaire, une procédure européenne. Donc d'abord, on va faire les choses en respectant les procédures.
MATHILDE SIROT
Donc pas pour le moment ? Vous n'allez pas le recevoir tout de suite ?
AMELIE DE MONTCHALIN
Les gens qui veulent nous recevoir, vous savez, on reçoit plein de monde. Aujourd'hui, je pense qu'on est plutôt dans la caractérisation des infractions. Les échanges auront lieu quand ils auront lieu.
HADRIEN BECT
Mais pas maintenant.
AMELIE DE MONTCHALIN
On n'est pas en train de négocier. On est en train de faire appliquer la loi. Donc moi, je ne recevrai personne dans mon bureau pour négocier. Par contre, à un moment donné, les administrations s'assureront que la loi est respectée. Et à ce moment-là, il faut vraiment dire aux Français, nous ne sommes pas en guerre contre tel ou tel opérateur. Nous ne sommes pas en guerre contre eux, d'ailleurs. Nous sommes là pour protéger les Français. Je vais vous donner un exemple très simple. Il y a de plus en plus d'incendies aujourd'hui, d'incendies domestiques, nous disent les pompiers. Parce que les grippes, les airfryers, les sèches-cheveux prennent feu. Parce qu'ils ont été importés et fabriqués avec des conditions qui ne sont pas ce qu'on impose nous-mêmes à nos producteurs pour éviter les incendies. Bon, est-ce qu'on se dit, finalement, les incendies, ce n'est pas grave ? Et on laisse entrer ces produits ?
MATHILDE SIROT
Non, on n'arrive pas à appliquer nos règles, c'est tout simplement.
AMELIE DE MONTCHALIN
Non, ça met en danger les Français. Donc nous, les douaniers, la DGCCRF, la Direction générale de répression des fraudes, nous contrôlons tous les jours. Nous sortons du flux beaucoup de choses tous les jours. Et donc, on va continuer à appliquer la loi.
HADRIEN BECT
J'aimerais bien quand même comprendre. Si SHEIN ne répond pas aux demandes que vous formulez, est-ce qu'il existe une possibilité ou que le site soit fermé carrément ou, à minima, qu'il ne soit plus référencé sur les grands moteurs de recherche ?
AMELIE DE MONTCHALIN
Est-ce que vous entendez ce que vous dites ? Si on ne respecte pas la loi, est-ce qu'on est faible ? Non, quand on ne respecte pas la loi, il y a des procédures.
HADRIEN BECT
Donc, vous vous assumez de dire potentiellement, demain, les personnes qui achètent sur SHEIN en France auront, ou ne pourront plus le faire, ou auront plus de mal à le faire.
AMELIE DE MONTCHALIN
Si le Premier ministre lance une procédure de suspension, une enquête judiciaire et une enquête européenne, ce n'est pas pour bouger les bras. Ce n'est pas pour faire du mouvement. Et d'ailleurs, on pourrait le faire sans... Avoir les moyens de faire appliquer nos lois. Et les lois sont bien écrites. Donc, il y a une procédure contradictoire.
HADRIEN BECT
Y compris sans en passer par un stade européen ? Ça ne doit pas se faire au niveau européen, tout ça ?
AMELIE DE MONTCHALIN
Les lois sont bien écrites. Et heureusement, quand vous vendez des poupées pédopornographiques, et que vous vendez des armes interdites sur un site internet, heureusement que la loi a encore force de droit. Donc, les choses sont en cours. Il y a une procédure. Je ne peux pas tout vous dire ce matin, parce que c'est le principe d'une procédure, c'est qu'il y a des étapes. Mais ce que je peux vous dire, c'est que dans le cadre de cette procédure, les douaniers et les agents du ministère de l'Économie et des Finances, et tous les agents de l'agent de la gendarmerie, des tribunaux, sont mobilisés pour que la loi s'applique.
MATHILDE SIROT
Est-ce que vous pensez que la France, le Gouvernement français peut être appuyé, aidé par l'Union Européenne, par ses partenaires européens, dans cette bataille ?
AMELIE DE MONTCHALIN
Non seulement, je le pense.
MATHILDE SIROT
On voit que les amendes qui, jusqu'ici, ont été infligées, n'ont pas véritablement eu de conséquences. Qu'est-ce que vous pouvez espérer de nos partenaires européens ?
AMELIE DE MONTCHALIN
Non seulement, je pense qu'on peut être soutenus, mais surtout, je peux vous en donner la preuve. Depuis un an, nous avons créé une coalition. La taxe de 2 euros par article, qui est dans le projet de loi de finances, elle est aussi dans le budget des Belges, des Pays-Bas, du Luxembourg. Nous avons collectivement annoncé que cette taxe serait mise en oeuvre dans toute l'Europe au 1er novembre. Nous avons travaillé pour qu'au 1er janvier 2028, il y ait des droits de douane sur tous ces produits. Certains, d'ailleurs parlementaires, je pense à Olivia GREGOIRE, sont en train, et dans tous les parlements européens…
MATHILDE SIROT
2028, c'est dans 3 ans.
AMELIE DE MONTCHALIN
Exactement, de mettre des injonctions à ce que nous accélérerions ce calendrier. Moi, je ne suis pas en train de vous dire, voyez, je viens vous parler parce qu'il se passe des choses.
MATHILDE SIROT
Cette taxe qui a 2 euros, il faut l'augmenter ? C'est ce que préconisent certains.
AMELIE DE MONTCHALIN
Aujourd'hui, c'est 2 euros par article qui est proposé. C'est un seuil qui a été défini au niveau européen de manière homogène, qui sera appliqué dans toute l'Europe le 1er novembre et par anticipation en France et dans quelques pays voisins, parce que ces pays, il faut se dire en tête que Pays-Bas, Belgique et France, on reçoit plus des trois quarts des colis en Europe. Donc, c'est très important qu'on l'applique nous-mêmes le plus rapidement possible, parce que sinon, c'est une submersion à la fois dangereuse pour les Européens, mais aussi une submersion dangereuse pour notre économie. Je le redis parce qu'il faut qu'on ait bien en tête que c'est aussi derrière nos commerces et nos industries qui sont en danger.
HADRIEN BECT
Justement, Amélie de MONTCHALIN, vous parliez des produits, les airfryers, les sèches-cheveux, etc. Vous avez un peu exclu l'aspect textile. De fait, beaucoup de commerces textiles, y compris d'industries textiles d'ailleurs, surtout s'inquiètent des conséquences et on les voit d'ailleurs déjà dans nos centres-villes de l'arrivée de SHEIN et de sa montée en puissance. Est-ce que sur ce sujet, en revanche, là, il n'y a plus grand-chose à faire ?
AMELIE DE MONTCHALIN
On ne va pas refermer tous les rayons numériques de SHEIN.
HADRIEN BECT
Le textile, c'est quand même le rayon de SHEIN.
AMELIE DE MONTCHALIN
Ce qui est certain, c'est qu'il faut qu'on ait une approche qui soit à nouveau celle de nos principes. Qu'est-ce qui respecte la loi ? Qu'est-ce qui respecte nos normes ? Qu'est-ce qui respecte nos procédures douanières ?
HADRIEN BECT
Là-dessus, la bataille, elle est perdue sur le textile en l'espèce.
AMELIE DE MONTCHALIN
Je ne pense pas qu'elle soit perdue, à nouveau. On a aussi vu des choses intéressantes dans les colis. Que ce soit envoyé en direct à des citoyens, il y a une procédure. Si c'est pour faire de la revente sur les marchés, sur ensuite des plateformes françaises, là, ça s'appelle de l'importation. Et on a vu dans le flux hier de colis avec Serge PAPIN en ouvrant, qu'on voit que se glisse dans ce flux qui est censé être un flux pour alimenter des particuliers, aussi un flux qui est, en fait, un flux d'importation. Et ça, ça doit être durement et sévèrement réprimé parce que là aussi, c'est de la concurrence déloyale.
HADRIEN BECT
Vous restez avec nous, Amélie de MONTCHALIN. On va parler d'un autre sujet qui vous occupe beaucoup en ce moment, le budget. Juste après l'essentiel de l'actualité en une minute, il est 9h moins le quart. Voici Manon LOMBARD-BRUNEL.
(…)
MATHILDE SIROT
Merci d'écouter France Info. Nous sommes toujours avec la ministre de l'Action et des Comptes Publics, Amélie DE MONTCHALIN. Alors, venons-en, bien sûr, à l'examen de ce budget. Ça vous occupe quasiment nuit et jour en ce moment. On va essayer de comprendre avec vous concrètement où est-ce qu'on en est. Parce qu'on vous entend, vous et les autres membres du Gouvernement, vanter cet esprit de compromis. Le Premier ministre lui-même s'en félicite. Mais concrètement, on a plutôt l'impression, jusqu'à maintenant, que les Députés se font plaisir. On vote l'amendement, on vote la taxe qui va bien par rapport à son électorat, mais à la fin, la copie sera illisible, elle ne conviendra à personne. C'est quand même un risque que vous partagez, non ?
AMELIE DE MONTCHALIN
Alors, d'abord, je tiens à dire une chose très importante : c'est que ce que nous faisons est la seule voie possible pour le pays. Nous avons renoncé au 49-3, qui était une procédure qui, on le savait, n'amenait pas justement à pouvoir assurer la stabilité, ni politique ni économique. Et nous avons engagé, sous l'autorité du Premier ministre et avec de très nombreux Députés, si vous regardez l'hémicycle, il est quasiment plein depuis maintenant dix jours, de Députés qui font, au fond, leur travail. Leur travail, c'est de faire des propositions, de faire des amendements, et d'essayer d'améliorer ce qui est un projet du Gouvernement, qui est en débat. Nous sommes dans un processus qui est, je le décrirais comme ça, une course d'endurance. Il y a beaucoup d'étapes. Il y a l'étape, d'abord, de la première lecture à l'Assemblée. Ensuite, viendra le temps du Sénat. Ensuite, ça reviendra à l'Assemblée.
MATHILDE SIROT
Le Sénat qui veut, d'ailleurs, revoir de fond en comble la copie budgétaire de l'Assemblée.
AMELIE DE MONTCHALIN
Qui veut aussi apporter sa patte. Et c'est normal. Et ça s'appelle la démocratie. Et au fond, c'est à la fin du processus qu'on pourra regarder le résultat, et se demander si ce budget, au fond, est meilleur. Je pense qu'il sera meilleur, parce qu'il aura été le fruit, justement, de l'action de groupes politiques qui, sur tous les sujets, cherchent à faire avancer les choses dans le sens des Français. Et une fois à ce moment-là, on se posera le choix de décider : est-ce qu'on fait ça ou est-ce que, du coup, on en reste au budget 2025. Ce qui est très intéressant, quand même, c'est que politiquement, vous avez deux types d'acteurs aujourd'hui dans l'hémicycle. Vous avez ce que j'appelle les artisans du compromis. Ce sont les Députés qui ne sont pas d'accord entre eux. Beaucoup, d'ailleurs, se sont opposés aux élections et continuent de s'opposer, d'ailleurs, à la présidentielle ou ailleurs. Mais ils veulent servir les Français, maintenant et jusqu'à la présidentielle. Ils se disent que leur responsabilité collective, c'est d'assurer que le pays puisse tourner jusqu'à la présidentielle. Et puis, vous avez…
MATHILDE SIROT
Donc, le Centre, les Républicains, le Parti Socialiste, pour résumer.
AMELIE DE MONTCHALIN
Ce que j'appelle les partis de Gouvernement : des partis qui ont eu des responsabilités, qui aspirent à en avoir de nouveaux et qui, devant les Français, veulent trouver ce compromis. Et puis, vous avez deux forces qui sont déjà dans la présidentielle, qui sont déjà dans, au fond, un autre projet politique.
MATHILDE SIROT
Le RN et la France Insoumise.
AMELIE DE MONTCHALIN
Vous avez les Insoumis d'un côté, qui, eux, on l'entend tous les jours, veulent la destitution du Président de la République. Et donc, ce budget n'est qu'une péripétie, au fond, pour eux, pour arriver à cet objectif. Donc, bordéliser les débats est, pour eux, clairement une méthode. Et puis, vous avez le Rassemblement national de l'autre côté, qui se sert, au fond... Et Jordan BARDELLA lit son livre au théâtre. Et parfois, les Députés du Rassemblement National, quand vous les regardez, ils sont un peu au théâtre.
HADRIEN BECT
Après, tout ça, c'est aussi de l'opposition. Enfin, c'est de la politique, Amélie DE MONTCHALIN, enfin.
AMELIE DE MONTCHALIN
Et les Députés du Rassemblement National, ils sont aussi, parfois, dans des votes qui sont surtout en train d'incohérence.
HADRIEN BECT
Vous ne découvrez pas le fonctionnement de l'Assemblée.
AMELIE DE MONTCHALIN
J'entends Jordan BARDELLA, vous voyez, faire des discours aux entrepreneurs, en leur expliquant qu'il va être là pour eux. Puis, moi, je vois les Députés du Rassemblement National voter des taxes à 25, 26 milliards d'euros. Taxes que je ne peux d'ailleurs pas, moi-même, inclure dans les chiffrages du budget. Tellement, ce sont des taxes inconstitutionnelles, qui ne peuvent pas s'appliquer, et qui sont contraires au droit. Donc, on a des gens qui veulent, au fond, travailler pour les Français aujourd'hui, et puis d'autres, qui sont dans un autre calendrier, c'est la présidentielle. Elle va arriver, la présidentielle. Mais il nous semble que notre responsabilité, et nous de Gouvernement, à force de dire, c'est de permettre ce compromis pour que les Français aient un budget le 1er janvier 2026. La présidentielle, c'est dans 18 mois. Et donc, on aura largement le temps d'avoir des débats à ce moment-là. Nous, on cherche des compromis d'action maintenant. Et on le fait avec méthode.
HADRIEN BECT
Amélie DE MONTCHALIN, est-ce que, quand même, si on revient sur le budget, sur le fond, avec tout ce qui a été voté, c'est certaines hausses de fiscalité, certains aménagements, et cetera. On redoutait un budget créature de Franck Einstein. On n'est pas un peu face à ça, quand même, aujourd'hui ?
AMELIE DE MONTCHALIN
Moi, je voudrais tordre le coup à cette idée, parce qu'il y a…
HADRIEN BECT
Il y a une cohérence, le budget ?
AMELIE DE MONTCHALIN
Quand on dit Franck Einstein, ceux qui le disent, le disent pour que, surtout, ça ne soit jamais voté. Qui fait peur aux Français avec ça ? Ceux qui pensent qu'il vaudrait mieux qu'il n'y ait rien, que, au fond, on retourne aux urnes, c'est leur projet, ou que le Président de la République parte. C'est leur projet, ce n'est pas le nôtre. Ce que vous me dites, c'est qu'à la fin du processus, ce n'est pas incohérent qu'il y ait des modifications. Ce n'est pas incohérent. Je vais vous donner un certain nombre de choses qui ont déjà été votées. On est à un moment très partiel. On a fait à peu près un tiers du travail sur les recettes de l'État. Il en reste encore toutes les autres recettes et les dépenses. Et sur le budget de la Sécurité sociale, on a fait à peu près la moitié des recettes. Il y aura d'ailleurs un vote important ce week-end pour que puissent être débattues les questions d'hôpital, les questions de prévention, les questions de retraite. Ce vote de ce week-end, c'est un vote d'étape, c'est un vote important. Les Députés, vous voyez bien... Il faut qu'on puisse continuer ce travail. Pourquoi je n'appelle pas ça Franck Einstein ? Dans ce qui a été voté, je vous donne des exemples. Il y a à peu près 3 milliards de baisse d'impôt sur les PME. Ça sera dans le débat. Qu'est-ce qu'on va en faire le Sénat ? Comment ça va revenir ? Il y a aussi à peu près 4 milliards d'euros d'impôts en moins sur les ménages. Il y a 3 milliards d'impôts en plus sur les multinationales. Il y a un paquet de mesures pour les ménages les plus fortunés qui est un tout petit peu supérieur à ce qu'était l'ISF de François HOLLANDE. Tout ça, c'est ce qui est discuté et débattu aujourd'hui. Est-ce que je peux en faire un bilan aujourd'hui ? Je ne peux pas en faire un bilan aujourd'hui, on n'est pas au bout du processus. Néanmoins, ceux qui vous parlent d'un budget Franck Einstein sont ceux qui pensent qu'il vaudrait mieux que les Députés ne travaillent pas, que nous en arrivions à un autre projet. Et moi, je pense que quand un budget est débattu, il est meilleur. Le projet du Gouvernement est actuellement en train d'être transformé. À la fin, ce ne sera plus notre budget, ce sera celui du Parlement et, j'espère, de la nation.
MATHILDE SIROT
Justement, un moment important bientôt, ça va être l'examen de cette suspension de la réforme des retraites, comme vous le savez. Et hier, il y avait une mobilisation dans tout le pays : des syndicats et des associations de retraités qui étaient dans la rue et qui dénoncent un acharnement du Gouvernement, les ciblant. Je vous propose d'écouter Alain qui était dans la rue hier.
ALAIN
Il ne faut pas qu'on tombe malade. Maintenant, en plus, on va rester une année blanche sans augmentation. On fait une politique vraiment pour les riches et au détriment des gens beaucoup plus pauvres, les retraités, entre autres.
MATHILDE SIROT
Alors, est-ce que vous considérez que cette mobilisation est justifiée ? Vous comprenez cette mobilisation au moment où, justement, parfois, on met en décalage le niveau de vie des actifs et celui des retraités ?
AMELIE DE MONTCHALIN
D'abord, ce que j'entends, et je pense que c'est pour nous une très grande vigilance à avoir, c'est que ce budget ne doit pas amener à ce que les Français s'opposent les uns aux autres. Moi, je ne suis absolument pas partisane de la guerre des générations où, vous voyez, qu'on mette au pilori qui les retraités, qui d'autres Français.
MATHILDE SIROT
Les boomers, comme le disait François BAYROU.
AMELIE DE MONTCHALIN
Ça, c'est la première chose. Ensuite, ce que dit Alain, je crois, dans votre reportage, c'est qu'il y a des inquiétudes. Et le Premier ministre, vendredi dernier, écoutant à la fois les débats et les Français, a dit son attachement à ce que, notamment, les petites retraites ne soient pas gelées. Et donc, c'est un élément que le Gouvernement, écoutant…
HADRIEN BECT
C'est quoi une petite retraite ?
AMELIE DE MONTCHALIN
C'est ensuite les débats qu'il y aura. Il y a des amendements très nombreux. Il y avait eu des débats l'année dernière.
HADRIEN BECT
Mais à vos yeux, c'est plutôt 1 500, 2 000 euros, 1 008 ?
AMELIE DE MONTCHALIN
L'attachement du Premier ministre, c'est de dire que les amendements sur le dégel des retraites sont des amendements que le Gouvernement regardera avec un grand sens d'ouverture.
HADRIEN BECT
Puisque si on écoute certains partis, il n'y a pas de petites retraites.
AMELIE DE MONTCHALIN
Non, mais le Premier ministre a parlé des amendements sur le gel des retraites en disant qu'ils ont été très ouverts au débat. Et puis, surtout, ce que je veux dire, c'est que, c'est aussi ce que dit Alain, on parle beaucoup des enjeux d'âge. Mais voyez bien que le sujet, c'est les enjeux de revenu. Pour moi, ce qui compte plus, c'est le revenu que l'âge. Beaucoup des débats qu'on a aujourd'hui dans l'hémicycle, c'est de regarder justement, plutôt, comment on fait un système peut-être progressif, peut-être plus progressif, peut-être plus compréhensible aussi pour tous. Et donc, ces inquiétudes, on les a à la fois entendues. Le Premier ministre, d'ailleurs, dans l'oeuvre de compromis que nous proposons, a montré que dans la copie initiale, il y avait des choses que le Gouvernement était tout à fait prêt à accompagner si les parlementaires voulaient les faire évoluer. Et donc, mais je le redis, ce budget ne peut pas être pris comme prétexte pour que nous opposions ou que les Français se retrouvent à être opposés les uns aux autres.
HADRIEN BECT
C'est normal que ce soit une hausse de la CSG sur les produits financiers qui paye, par exemple, la suspension de la réforme des retraites ?
AMELIE DE MONTCHALIN
Alors, ce n'est pas ce qui a été débattu sur la CSG patrimoine dont vous me parlez. J'ai pris la parole pour dire aux Députés la chose suivante. On a proposé des économies. Certaines, manifestement, ne reçoivent pas de majorité. Nous pouvons, nous, Gouvernement, quand même être assez inquiets, à la fin, d'avoir un budget à la sécurité sociale qui apporte un énorme déficit, qui serait aussi un danger pour la santé, pour les retraites des Français.
HADRIEN BECT
Il n'y a pas effectivement dans ce sujet que le sujet de la retraite.
AMELIE DE MONTCHALIN
Et donc, ce que j'ai dit, et qui a permis de faire avancer le débat, c'est que nous n'avions pas décidé, nous, Gouvernement, et ce n'est d'ailleurs pas notre pouvoir, quel était le niveau de fiscalité qui permettrait d'atteindre un déficit moins important, mais qu'il était utile que dans le débat, la CSG patrimoine puisse être débattue. Donc, que ça soit dans le texte. Et puis ensuite, entre le Sénat, l'Assemblée, les choses seront encore débattues. Ce qui est compliqué, au fond, vous voyez qu'il y a des sondages où on dit qu'il y a une forme de prime à la radicalité de ceux qui disent qu'ils s'opposent à tout…
MATHILDE SIROT
Cette référence au score très important du Rassemblement national en cas d'élection présidentielle. Autour de 25 %.
AMELIE DE MONTCHALIN
Oui, mais vous voyez, nous, on est dans un processus où, peut-être, c'est un peu moins lisible aujourd'hui, mais parce qu'on essaie de rendre les choses lisibles au 1er janvier 2026. C'est sûr que si on était en campagne présidentielle, qu'on n'aurait pas à se soucier du quotidien et qu'on soit déjà sur le monde d'après et les grandes idées de 2027, oui, on serait peut-être plus lisible, mais je pense que ça ne résoudrait pas les problèmes des Français, de vos auditeurs et de votre reportage d'aujourd'hui. C'est ça notre rôle, notre responsabilité. Et je crois que c'est le seul chemin qui est le nôtre face aux Français, désormais.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 7 novembre 2025