Déclaration de M. Gérald Darmanin, Garde des Sceaux, ministre de la justice, sur les crédits de la mission " Justice " dans le projet de loi de finances pour 2026, au Sénat le 12 novembre 2025.

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Circonstance : Audition devant la Commission des lois du Sénat

Texte intégral

Mme Muriel Jourda, présidente. - Nous poursuivons nos auditions budgétaires en recevant le garde des sceaux, dans le cadre de l'examen des crédits de la mission " Justice ".

Cette mission, monsieur le garde des sceaux, fait figure de mission préservée au sein du projet de loi de finances., dans la mesure où les crédits demandés sont en augmentation par rapport à 2025, de façon à atteindre un total proche de l'objectif de 10,7 milliards d'euros hors contribution au compte d'affectation spéciale (CAS) " pensions " fixé par la loi du 20 novembre 2023 d'orientation et de programmation du ministère de la justice (LOPJ).

Dans le contexte budgétaire contraint que nous connaissons, nous ne pouvons que nous en féliciter, d'autant plus - je suis certaine, monsieur le garde des sceaux, que vous ne me démentirez pas sur ce point - que les enjeux qui sont devant nous sont de taille.

L'année 2026, dans la continuité de l'année 2025, doit être celle de la montée en puissance de nos moyens de lutte contre la criminalité organisée. Après la création des nouveaux quartiers pénitentiaires de lutte contre la criminalité organisée (QLCO), 2026 sera l'année d'institution du parquet national anti-criminalité organisée, le Pnaco.

Cette audition est ainsi l'occasion d'évoquer les incidences budgétaires de la loi du 13 juin 2025 visant à sortir la France du piège du narcotrafic, et plus généralement de faire le point sur son application. Il est inutile de vous rappeler combien notre commission est attentive à la bonne mise en oeuvre de cette loi.

L'année 2026 devrait également conduire le Parlement à être saisi d'une importante réforme portant sur l'utilisation dans les enquêtes pénales des données de connexion, en vue d'assurer la conformité du droit français aux règles européennes. Notre commission s'intéresse particulièrement à ce sujet, auquel elle a consacré un rapport d'information en 2023 ; j'espère que vous pourrez nous indiquer les projets du Gouvernement sur ce terrain, étant souligné que le contrôle préalable que nous devons mettre en place suppose, lui aussi, des moyens matériels et humains complémentaires.

Je vais vous laisser la parole, monsieur le garde des sceaux, pour nous présenter les grandes lignes du budget proposé pour l'année 2026. Je la donnerai ensuite à nos rapporteurs pour avis ainsi qu'au rapporteur spécial de la commission des finances, Antoine Lefèvre, qui vous demanderont certainement de nous apporter des précisions sur les différents programmes de la mission. Ensuite, l'ensemble des collègues pourront intervenir.

M. Gérald Darmanin, garde des sceaux, ministre de la justice. - Je suis très heureux de vous présenter aujourd'hui les crédits du ministère de la justice, d'autant que je n'ai pu le faire à l'Assemblée nationale. Je me réjouis de constater que la haute assemblée s'intéresse à cette mission.

Le premier message que je souhaite adresser à votre commission - vous l'avez vous-même souligné, madame la présidente - concerne le respect, à l'euro près, de la loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice, adoptée par le Sénat dans des conditions budgétaires et politiques très différentes de celles qui prévalent aujourd'hui. Le ministère des armées et celui de la justice sont les deux seuls ministères intégralement protégés par les engagements adoptés par le Parlement.

Cela n'était pas gagné d'avance : le projet de loi de finances pour 2025, déposé avant mon arrivée à la Chancellerie, ne respectait ni les crédits ni les emplois décidés par le Parlement et beaucoup pensaient encore il y a quelques mois que 2026 serait une année blanche budgétaire, notamment pour les projets immobiliers de la justice, pénitentiaires ou judiciaires, comme pour les créations d'équivalents temps plein (ETP). La lettre de cadrage du Premier ministre d'alors ne comportait d'ailleurs aucune référence à la LOPJ, ce qui n'était pas de bon augure.

Toutefois, le choix fait par François Bayrou puis confirmé par Sébastien Lecornu, que je remercie, traduit la volonté du Gouvernement de soutenir résolument nos armées et notre justice, qui a bien besoin de moyens. Ainsi, le ministère de la justice disposera en 2026, si le Parlement adopte ce budget, de 10,7 milliards d'euros de crédits de paiement, hors pensions, soit 266 millions d'euros de plus qu'en 2025.

En outre, alors que 3 000 ETP sont supprimés dans l'ensemble de la fonction publique de l'État, nous en créons 1 600, soit la plus forte progression de tous les champs de l'action publique. Ces emplois et crédits nouveaux sont très importants pour notre justice. Je précise que ces 1 600 emplois ne sont pas des postes virtuels, ce sont des effectifs bien réels, il s'agit bien de créations nettes, après la compensation intégrale des départs en retraite. Ces 1 600 emplois se composent de 855 emplois dans l'administration pénitentiaire, de 660 emplois dans les juridictions, ce qui inclut les magistrats - nous respectons ainsi, au magistrat près, la promesse faite par Éric Dupond-Moretti il y a trois ans à Annecy concernant le nombre de créations de postes -, et de 70 postes supplémentaires pour la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). Ces créations constituent un effort inédit pour le ministère de la justice.

Ce renforcement s'accompagne d'un enjeu majeur en matière de ressources humaines, avec la mise en application de tous les accords signés en 2023, 2024 et 2025 - notamment le protocole d'Incarville pour le personnel pénitentiaire -, portant sur la création d'un troisième grade, sur les directeurs de greffe et le personnel administratif et technique. Le personnel bénéficiera ainsi des avancées prévues par la loi organique du 20 novembre 2023 relative à l'ouverture, à la modernisation et à la responsabilité du corps judiciaire, que vous avez adoptée.

Mon deuxième message, après le respect intégral de la loi de programmation, concerne la culture de la responsabilité budgétaire que doit développer le ministère de la justice. Ce n'est pas son fort, depuis de nombreuses années, pour diverses raisons, peut-être d'abord en raison d'une confusion entre l'indépendance de l'utilisation des moyens et l'indépendance de la magistrature, laquelle, s'il faut la chérir, concerne l'acte juridictionnel et non la gestion des moyens du service public de la justice.

Le ministère doit rendre des comptes, conformément aux règles de l'État de droit : la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen prévoit bien que chaque citoyen peut demander des comptes à son administration et ce principe s'applique particulièrement au ministère de la justice, compte tenu des moyens considérables mis à sa disposition pour réduire les délais de jugement, améliorer l'efficacité de ses outils informatiques et accueillir les justiciables, les victimes et les professions juridiques. Nous devons donc instaurer une véritable culture de la responsabilité budgétaire et assumer d'employer le terme de performance, qui se justifie pleinement s'agissant d'argent public.

Jamais encore un garde des sceaux n'avait fixé des objectifs de gestion chiffrés à ses chefs de cour. Je l'ai fait, via une circulaire adressée aux chefs de siège et de parquet, afin d'améliorer la gestion des cours d'appel et des tribunaux. J'ai également organisé, place Vendôme, une réunion commune avec la ministre des comptes publics, ses chefs de programme budgétaire et les chefs de cour et de juridiction. Enfin, une lettre a été personnellement adressée à chacun de ces derniers pour connaître leurs délais de jugement, leurs frais de justice, ainsi que leur taux d'absentéisme.

En outre, je leur ai fixé un objectif de 100 millions d'euros de recettes supplémentaires, car la justice rapporte aussi. Cela rapporte d'abord grâce à l'agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (Agrasc), et je salue d'ailleurs les auteurs d'amendements relatifs à cette agence sur le projet de loi contre les fraudes sociales et fiscales. Toutefois, bien qu'elle accomplisse un travail important, elle pourrait recouvrer encore davantage : l'écart entre saisies et confiscations demeure trop important. Ensuite, les autres recettes perçues par le ministère pourraient aussi être plus importantes, notamment les amendes civiles ou pénales, insuffisamment prononcées et mal recouvrées.

Pour accroître ces recettes, et permettre ainsi d'alléger les charges affectées au ministère de la justice par le budget de l'État, plusieurs leviers sont possibles :

- d'abord, nous proposons l'introduction d'un droit de timbre modeste - 50 euros -qui ne s'appliquerait pas aux bénéficiaires de l'aide juridictionnelle ; ce droit de timbre existait jusqu'en 2013, avant d'être supprimé par Mme Taubira, mais il était alors versé au budget général de l'État ; nous proposons qu'il alimente directement le budget de l'aide juridictionnelle ;

- ensuite, nous envisageons d'accroître le recours aux commissaires de justice pour recouvrer plus efficacement les amendes pénales et civiles ; un article du projet de loi de finances traduit ainsi un accord passé avec la direction générale des finances publiques (DGFiP), afin que le produit des amendes soit recouvré non plus par les services des impôts mais par des huissiers rémunérés à cette fin ;

- nous souhaitons également relancer les ventes avant jugement ; celles-ci ont progressé de 47 % en un an, à la suite des instructions que j'ai données à l'Agrasc, mais on pourrait faire davantage ;

- enfin, on pourrait développer le recours aux jours-amendes, dont l'existence dans le code pénal et le code de procédure pénale est embryonnaire ; c'est l'objet du projet de loi pour une sanction utile, rapide et effective (Sure) que je présenterai au conseil des ministres en janvier prochain.

Mon troisième message concerne la rigueur comme levier d'efficacité. Nous devons mieux gérer l'argent public.

Pour la première fois, les frais de justice, qui explosaient, sont stabilisés en 2025 sous le niveau de l'inflation, avec une progression de 0,3%, contre 10% par an auparavant. Les chefs de cour et de juridiction ont oeuvré, en lien avec les services du ministre de l'intérieur qui vient de nous quitter, à la maîtrise de ces dépenses, notamment grâce à la plateforme nationale des interceptions judiciaires, qui permet d'éviter le recours à des prestataires privés bien plus coûteux. Nous avons ainsi pu enregistrer une économie de 30 millions d'euros cette année et nous espérons atteindre 45 millions à 50 millions d'euros en 2026.

La rigueur de la gestion passe par d'autres leviers, sans que l'indépendance de la justice soit jamais remise en cause. C'est le cas par exemple des véhicules placés en fourrière judiciaire ; nous avons actuellement en stock des milliers de véhicules - voitures, motos, quads, camions - saisis par les services d'enquête. Or, il ne s'agit pas toujours de la voiture de Jacques Mesrine, si bien qu'il n'est pas nécessaire de conserver ces véhicules cinq ou six ans jusqu'au jugement. L'an dernier, les fourrières comptaient encore 32 500 véhicules immobilisés, pour un coût annuel de 60 millions d'euros. En moins d'un an, nous avons réduit ce nombre à moins de 29 000, ce qui correspond à une baisse de 8% des stocks, et avons obtenu une économie de 40 millions d'euros. Il faut poursuivre cet effort. J'affecterai des greffiers dans chaque cour d'appel pour mieux gérer ces fourrières, symboles d'une mauvaise gestion.

De la même manière, nous pourrions optimiser la gestion des objets déposés dans les tribunaux, comme les montres, les sacs et autres effets saisis ou confisqués. Beaucoup pourraient être vendus ou donnés à des associations, afin de réduire les coûts de gardiennage.

Grâce à la dématérialisation désormais complète des procédures correctionnelles, nous avons franchi un cap. Lorsque j'ai été nommé pour la première fois à la Chancellerie - j'ai été nommé trois fois garde des sceaux cette année, j'espère que la troisième sera la dernière ! -la première question que nous avions évoquée était celle du retard numérique du ministère de la justice ; on en était à la préhistoire, si j'ose dire. J'y ai consacré beaucoup d'énergie et de moyens. Ainsi, la procédure pénale numérique (PPN) est déployée sur l'ensemble du territoire national depuis plusieurs semaines ; c'est très positif. Il reste à mener à bien le projet Portalis, équivalent civil de la PPN.

J'annoncerai, le 2 décembre prochain, à l'occasion du vingtième anniversaire du secrétariat général du ministère, une réorganisation structurelle portant sur l'immobilier et le numérique au sein de mes services, parce que trop de gens s'occupent de trop de choses et qu'il n'existe pas de direction du numérique telle qu'il en existe dans les autres administrations. Ce chantier s'impose, surtout avec l'arrivée de l'intelligence artificielle.

Autre enjeu majeur pour la bonne gestion : la construction des palais de justice et des établissements pénitentiaires. Le plan " 15 000 places " n'a pas été tenu, pour diverses raisons, mais il connaît désormais une accélération, avec la construction de plus de 5 000 places en dix-huit mois. Nous aurons ouvert en 2025 quatre établissements pénitentiaires non prévus initialement, dont le nouveau bâtiment dit " Baumettes 3 ", à Marseille, dans quinze jours.

J'ai également proposé la nomination d'un nouveau directeur pour l'agence publique pour l'immobilier de la justice (Apij), en la personne de Benoist Apparu, ancien ministre du logement, ancien promoteur immobilier et maire, qui mettra son expérience au service d'une vision pragmatique de la construction des prisons et des palais de justice. Il nous faut encore bâtir le palais de justice de Bobigny, celui de Marseille, celui de Cusset, et d'autres encore, et de nombreuses prisons doivent être rénovées. Nous devons mener une véritable révolution au sein du ministère pour que les constructions soient plus rapides et moins chères.

Par ailleurs, nous consacrons de nouveaux moyens budgétaires à une nouvelle stratégie pénitentiaire. Dans trois semaines, un décret important instaurera la première direction générale du ministère, la direction générale de l'administration pénitentiaire. Il y aura ainsi une structuration en deux pôles, insertion et probation d'une part, administration pénitentiaire d'autre part, afin de donner du muscle à une administration centrale qui en manque beaucoup.

En outre, a lieu aujourd'hui même l'ouverture de notre seconde prison de haute sécurité, celle de Condé-sur-Sarthe, permise par loi du 13 juin 2025 dite " Narcotrafic " ; le Parlement se réjouira de constater que l'on a su mettre en oeuvre très rapidement cette stratégie pénitentiaire, qui fonctionne, puisque pas un drone, pas une clef USB, pas un téléphone n'ont pénétré au sein de la prison de Vendin-le-Vieil. De plus, tous les recours engagés contre l'État - soixante-six au total - ont été gagnés par l'État, grâce à la solidité du travail parlementaire que nous avions accompli ensemble.

Nous poursuivons également les rénovations de maisons d'arrêt particulièrement poreuses : la Santé, Arras, Douai, Corbas, Nanterre, etc. Je remercie d'ailleurs le Premier ministre d'avoir débloqué 30 millions d'euros dans les crédits de 2025, pour ce plan de renforcement. Les appels d'offres et les bons de commande sont lancés aujourd'hui.

Un projet de loi sur la justice pénale sera présenté, je le disais, en janvier prochain au conseil des ministres.

Parallèlement, d'importantes réformes civiles avancent, notamment sur la justice amiable, afin de désengorger une partie de nos tribunaux : désormais, 50% des affaires passent par la conciliation et l'accord amiable entre les parties.

Je souhaite également réformer la justice économique, en particulier prud'homale, confrontée à des délais insupportables : jusqu'à six ans, appel compris, dans certains ressorts. Pour un chef de PME ou un salarié, attendre six ans une décision crée une insécurité juridique et financière inacceptable. S'ajoute à cela une grande incertitude, puisque 50% des décisions prud'homales sont infirmées en appel, contre seulement 13 % dans l'ensemble du contentieux civil. Cette situation nuit à la confiance économique que nous voulons tous restaurer.

Je travaille également à la refonte de l'école nationale de la magistrature (ENM), dont la préfiguration est engagée. Cette réforme, de nature réglementaire, sera finalisée d'ici à la fin du premier trimestre 2026 pour entrer en vigueur à la rentrée suivante. Nos autres écoles sont concernées : l'école nationale d'administration pénitentiaire (Enap), l'école nationale des greffes et l'école nationale de la protection judiciaire de la jeunesse.

En somme, madame la présidente, vous recevez aujourd'hui un ministre qui, s'il n'est pas totalement satisfait de son budget, car il faudrait bien plus pour atteindre le niveau des standards européens, notamment de l'Allemagne, mieux dotée en magistrats, greffiers et agents pénitentiaires - les nôtres sont confrontés à la surpopulation carcérale, à la présence croissante de personnes souffrant de troubles psychiatriques et à un taux d'illettrisme dépassant 40% -, ne peut pas se plaindre des arbitrages rendus.

D'ailleurs, lors de la réunion du président de la République avec le conseil supérieur de la magistrature, lundi dernier, j'ai constaté un fait inédit : pour la première fois, les propos introductifs et les questions du Conseil portaient non pas sur les moyens, mais sur d'autres sujets essentiels, notamment la défense de l'État de droit, que nous devons conforter, notamment en protégeant nos magistrats, victimes d'attaques personnelles, parfois d'origine étrangère. Je pense en particulier au juge Nicolas Guillou, membre de la cour pénale internationale (CPI), visé par un executive order de M. Trump. Bien sûr, nous avons besoin de moyens, mais la voix de la France, celle d'une justice indépendante, demeure une richesse inestimable qu'il nous faut préserver.

Mme Lauriane Josende, rapporteure pour avis de la mission " Justice " sur les programmes 166 " Justice judiciaire ", 101 " Accès au droit et à la justice ", 310 " Conduite et pilotage de la politique de la justice " et 335 " Conseil supérieur de la magistrature ". - Monsieur le garde des sceaux, je souhaite vous interroger sur deux thèmes que vous avez évoqués sans les développer : l'immobilier judiciaire et l'intelligence artificielle générative.

Tout d'abord, l'immobilier a souvent servi, avec le numérique, de variable d'ajustement budgétaire compte tenu des contraintes qui pèsent sur la Chancellerie. Nous le déplorons évidemment, mais nous craignons surtout que cette politique cruciale fasse l'objet d'un pilotage incertain. Vos services ont à cet égard été assez rassurants quant à la poursuite des chantiers qui doivent être livrés l'an prochain, qu'il s'agisse de Lille, de l'île de la Cité ou de Saint-Martin. Nous aimerions obtenir de votre part des précisions, notamment sur la participation que vous sollicitez auprès des collectivités territoriales pour financer certaines opérations.

Au-delà, nous constatons à chaque exercice budgétaire le mécontentement du personnel de votre ministère et des avocats quant à la conception même de ces différents projets immobiliers. Comment envisagez-vous d'améliorer la conception des projets à venir, qui conditionne largement leur qualité d'exécution ?

Ensuite, parmi les chantiers récemment lancés par votre ministère figure celui de l'intelligence artificielle générative, qui intéresse particulièrement le Sénat. Lorsque nos collègues Christophe-André Frassa et Marie-Pierre de La Gontrie ont présenté leur rapport d'information sur l'intelligence artificielle et les métiers du droit, il y a à peu près un an, vos services commençaient tout juste à identifier les cas d'usage potentiels de l'intelligence artificielle générative pour la Chancellerie, tandis que les cabinets d'avocats utilisaient déjà cette technologie. Quelles utilisations entendez-vous faire de l'intelligence artificielle générative et quand ces outils seront-ils disponibles pour vos agents ?

Outre ces cas d'application propres à la Chancellerie, cette technologie repose notamment sur l'exploitation des décisions de justice diffusées en données ouvertes. Quel est donc votre avis sur l'anonymisation des magistrats et greffiers concernés, qui semblent inquiets à ce sujet ?

Mme Dominique Vérien, rapporteure pour avis de la mission " Justice " sur les programmes 166 " Justice judiciaire ", 101 " Accès au droit et à la justice ", 310 " Conduite et pilotage de la politique de la justice " et 335 " Conseil supérieur de la magistrature ". - Vous connaissez l'intérêt que le Sénat porte à la politique numérique de la Chancellerie. Ce sujet irrite singulièrement le personnel de votre ministère, alors que des crédits importants lui sont pourtant alloués depuis plusieurs exercices budgétaires.

On nous a parlé cette année de deux logiciels cruciaux, Portalis et Prisme, en cours de déploiement, et de mises à jour significatives de l'application Cassiopée. Sur ces sujets, je dois l'avouer, vos services se sont montrés rassurants et c'est la première fois en cinq ans que j'ai eu face à moi quelqu'un qui comprenait mes questions et dont je comprenais les réponses... Le chantier est pris à bras-le-corps et j'espère être là l'année prochaine pour voir si, effectivement, il y a eu une évolution.

Toutefois, dans les juridictions, on nous signale les problèmes de fiabilité de Prisme et de Cassiopée ; un greffier à Lyon nous a ainsi montré que la peine complémentaire d'un condamné apparaissait bien à l'écran, mais ne figurait pas sur le document une fois imprimé. Comment entendez-vous remédier à ces difficultés ?

Ensuite, vous l'avez dit, les cibles de la LOPJ sont encore loin des standards européens. Quel regard portez-vous sur cette loi ? Certes, on respecte sa trajectoire, mais sera-t-elle suffisante ? J'étais, avec Agnès Canayer, rapporteure sur ce texte, et nous avons d'emblée pensé que la trajectoire sur cinq ans devrait être prolongée. Qu'en pensez-vous ?

Enfin, vous connaissez mon engagement contre les violences intrafamiliales, qui sont systémiques ; on ne pourra pas les éliminer sans prendre en charge les victimes, mais aussi les auteurs. Les centres de prise en charge ne relèvent pas de cette mission ; selon moi, ils y auraient pourtant plus leur place que dans le petit programme 137 " Égalité entre les femmes et les hommes ". Toutefois, ma question porte moins sur l'aspect budgétaire que sur l'efficacité de nos politiques publiques. Le niveau d'efficacité de ces centres de prise en charge est très variable. Dans un contexte où l'argent public est compté, il serait intéressant d'évaluer cette politique publique, afin de savoir qui doit être aidé et ce qui doit être dupliqué. Menez-vous une telle évaluation ?

M. Antoine Lefèvre, rapporteur spécial de la commission des finances sur la mission " Justice ". - Je vous remercie, madame la présidente, mes chers collègues, de m'avoir convié à cette audition en tant que rapporteur spécial sur la mission « Justice ».

Ce projet de loi de finances est le douzième sur lequel je suis chargé du rapport spécial sur cette mission " Justice ", ayant pris mes fonctions lors de l'examen du PLF 2015. Depuis lors, les crédits de la mission ont augmenté de 37% en autorisations d'engagement et de 64% en crédits de paiement.

Au cours de ces douze années, six gardes des sceaux de bords différents se sont succédé, avec des visions parfois éloignées, mais tous animés par la volonté de doter l'autorité judiciaire des moyens correspondant à la noblesse de sa mission. J'ai eu plaisir à travailler avec chacun d'eux.

Monsieur le garde des sceaux, je dois souligner votre volontarisme et votre ténacité. Vos précédentes expériences de ministre de l'action et des comptes publics puis de l'intérieur vous dotent certainement d'une vision périphérique de l'action judiciaire. Depuis votre installation place Vendôme, j'ai le sentiment que les choses bougent et semblent aller dans le bon sens.

J'ai publié en octobre 2023 un rapport sur le plan de construction des 15 000 places de prison et la dramatique question de la surpopulation carcérale soulevait quelques interrogations majeures. Or, la teneur innovante et volontariste de vos premières décisions en matière pénitentiaire témoigne d'une véritable vision pour la justice de demain, et je m'en félicite. Les quartiers de haute sécurité de Vendin-le-Vieil et de Condé-sur-Sarthe récemment ouverts aux détenus les plus dangereux, les projets de prison modulaire ou encore la récente nomination de Benoist Apparu à la tête de l'Apij constituent autant de signaux encourageants pour une politique carcérale marquée par des enjeux de respect des droits de l'homme. Ces mesures démontrent une volonté concrète d'augmenter les places de prison.

Je me félicite également que le Gouvernement ait choisi de reprendre à son compte, dans ce PLF, plusieurs propositions que j'ai formulées dans mon récent rapport sur les frais de justice et les frais d'enquête, notamment, à l'article 30 du texte, la réintroduction d'un droit de timbre pour chaque introduction d'instance, mais aussi le recouvrement, à l'article 46, de certains frais d'enquête pénale auprès des personnes condamnées. Ces nouvelles recettes permettront de combler la légère sous-exécution de la LOPJ 2023-2027.

J'ai trois questions à vous adresser.

À côté de la réintroduction d'une contribution forfaitaire de 50 euros pour chaque introduction d'instance, avez-vous également des projets pour la contribution de 225 euros due pour toute procédure en appel, qui existe mais doit se terminer le 31 décembre 2026 ? Son produit est actuellement affecté à l'indemnisation des anciens avoués auprès des cours d'appel, dont les fonctions ont été supprimées en 2011.

Le recouvrement des frais d'enquête par les personnes condamnées dépendra de la mise en place de systèmes informatiques et de procédures de recouvrement. Quelles solutions doivent être mises en oeuvre de façon prioritaire pour améliorer le taux de recouvrement, notamment des amendes pénales et des frais de justice ?

Sous réserve des résultats de la prochaine élection présidentielle, quelles priorités devraient, selon vous, être mises à l'agenda de la prochaine loi de programmation pour la justice, qui devra être examinée par le Parlement courant 2027 ? Quels devraient en être les grands contours et la trajectoire actuellement observée par la mission " Justice " sera-t-elle poursuivie ?

M. Louis Vogel, rapporteur pour avis de la mission " Justice " sur le programme 107 " Administration pénitentiaire ". - Je souhaite pour ma part évoquer les enjeux liés à la surpopulation carcérale. Depuis votre entrée en fonctions, vous vous êtes attaqué, monsieur le garde des sceaux, à ce problème ; il était temps.

Ma question aura trois volets.

Premièrement, le budget pour 2026 comporte un programme d'investissement pour créer de nouvelles places dans des prisons dites " modulaires ". Pourriez-vous nous détailler les raisons qui vous ont conduit à revoir certaines opérations du plan " 15 000 places " au profit de ces nouveaux programmes ? Pourriez-vous nous préciser le coût estimé de ces prisons modulaires ainsi que le calendrier de déploiement de ce nouveau plan ?

Deuxièmement, en ce qui concerne le plan " 15 000 places ", de nombreux projets prêts à être mis en oeuvre sont bloqués faute de crédits. Envisagez-vous de prendre des mesures pour les débloquer ?

Troisièmement, la surpopulation carcérale ne peut pas se limiter à des mesures bâtimentaires, il faut changer la politique pénale. Un très intéressant rapport d'information de la commission des lois sur l'exécution des peines, rédigé par Dominique Vérien, Elsa Schalck et Laurence Harribey, propose de réintroduire les très courtes peines, de moins d'un mois, dont l'effet désocialisant serait moindre. En mai dernier, vous nous aviez indiqué ne pas disposer de structure adéquate pour recevoir des détenus sur de telles durées. Les quartiers pour courtes peines ne pourraient-ils pas remplir cette fonction ?

Mme Muriel Jourda, présidente. - Je me permets de vous poser la question que Laurence Harribey, rapporteure pour avis du programme " Protection judiciaire de la jeunesse ", qui ne peut malheureusement être présente aujourd'hui aurait voulu vous poser.

Elle porte sur les centres éducatifs fermés. Un programme de construction de vingt-deux centres est prévu. La commission des lois émet des réserves depuis plusieurs années sur ce dispositif et un rapport de l'inspection générale de la justice pointe cette année de réelles lacunes dans le fonctionnement des centres existants. Quelles mesures seront mises en oeuvre pour garantir que les nouveaux centres répondent à un besoin avéré et que leur implantation s'appuie sur une cartographie rationnelle, ainsi que pour garantir une durée effective de placement de six mois, condition sine qua non de l'efficacité de ces centres ?

M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - Je commencerai par les questions immobilières.

En premier lieu, le problème du ministère de la justice est qu'il possède un parc immobilier important, réparti sur tout le territoire, constitué à la fois de grands paquebots, comme le tribunal de Paris ou la prison de Fresnes, et de très petits sites, tels que les centres éducatifs fermés, sans disposer pour autant d'une direction de l'immobilier ni - c'était d'ailleurs un défaut du ministère, qui explique sans doute ses difficultés, indépendamment du manque de moyens - d'un plan pluriannuel d'investissement.

Quand on gère une collectivité locale, on sait qu'il faut un programme d'investissement. Cela ne signifie pas que tout est budgétisé, mais il faut au moins évaluer ce dont on a besoin en autorisations d'engagement et ne pas changer de plan constamment ; on doit avoir une vision de son investissement liée à l'augmentation de sa population et à son plan local d'urbanisme.

Cette question est mal traitée au ministère de la justice ; c'est pourquoi je mets en place depuis un an un plan pluriannuel qui doit porter sur cinq, six ou sept ans, puisqu'il fallait jusqu'à présent sept ans pour construire une prison. D'ailleurs, ces changements de programme et de destination des projets expliquent entre 15% et 20% de l'augmentation du coût des projets immobiliers. Nous n'avons déjà pas beaucoup d'argent, les projets coûtent déjà très cher, donc, si, en plus, chaque ministre qui arrive change le modèle alors que l'architecte a été choisi ou que les appels d'offres sont lancés, le coût final est beaucoup plus élevé.

En deuxième lieu, comme pour le numérique, il n'y a pas de pilotage unique de l'immobilier au sein du ministère de la justice. La direction des services judiciaires (DSJ) s'occupe d'immobilier, mais l'Apij et la direction de l'administration pénitentiaire (DAP) aussi. Par conséquent, lorsque je veux parler d'immobilier, je suis parfois obligé d'avoir trois ou quatre directeurs en face de moi. Ce matin encore, le président du tribunal d'Alençon me disait que la porte d'entrée de son tribunal ne fermait pas bien et qu'il avait de nombreux menus travaux à faire pour sécuriser ses locaux lors des extractions de détenus dangereux ; et il n'était pas évident, sur le moment, de savoir quel service ministériel était compétent pour commander les travaux, alors même que les études ont déjà été réalisées. Cela ne va pas... Je vais donc faire en sorte qu'une administration unique pilote l'immobilier, cela changera beaucoup de choses.

En troisième lieu, l'administration pénitentiaire dispose de bâtiments conçus en fonction du statut juridique du détenu et non de sa dangerosité. C'est absurde. Nous avons ainsi les maisons d'arrêt, pour les personnes condamnées à moins de deux ans de détention, à peu près identiques partout et qui sont surpeuplées, et les établissements pour peine, dont le taux d'occupation est de 97%.

Or gérer des détenus, ce n'est pas gérer leur statut juridique ; ce qui compte, c'est leur dangerosité, leurs addictions, leur capacité de réinsertion, leurs difficultés, leur état psychiatrique, le fait qu'ils aient ou non vocation à rester sur le territoire national à l'issue de leur peine. Aussi, j'essaie de mettre en place depuis un an la catégorisation des détenus en fonction de leur dangerosité : les plus dangereux iront dans des prisons de haute sécurité, très carcérales, et les autres, qui n'ont pas les mêmes moyens de corruption ou d'évasion, auront besoin de moins de sécurité et iront dans des établissements moins carcéraux.

Aujourd'hui, quelle que soit la prison, le coût de la place est de 500 000 euros, mais toutes les prisons n'ont pas besoin de miradors. Par exemple, sur les 86 000 détenus de France, 16 000 sont en prison pour des délits routiers n'ayant pas entraîné de blessure ou de mort. Ces détenus n'ont pas vocation à être dans le même établissement que, disons, Mohamed Amra. Cela nuit au bon travail des agents pénitentiaires, à leur formation, mais aussi à la réinsertion et au suivi des addictions des détenus. La politique pénitentiaire que je porte vise donc la catégorisation des détenus, comme le font nos amis britanniques et allemands, ce qui permet de catégoriser les prisons.

Cela explique la construction des prisons de haute sécurité pour les détenus les plus dangereux. Quant aux détenus qui ne sont pas dangereux pour l'extérieur, car ils n'appartiennent pas à un réseau corruptif, ne commandent pas un point de deal et ne font pas partie d'une organisation terroriste, ils peuvent correspondre au profil des prisons modulaires.

La prison modulaire n'est pas une prison en kit, elle est bien en béton. Elle présente deux grands avantages. D'abord, elle est petite, elle ne compte que 100 à 150 places, contrairement à une maison d'arrêt, qui en compte 600 à 800, ce qui est très dur à faire accepter dans les territoires. Au total, 3 000 places seraient créées, pour 550 millions d'euros. Ensuite, elle est fabriquée en usine avant d'être assemblée, ce qui fait gagner deux ans sur les sept années de construction. Comme il n'y a besoin ni de miradors, ni de douves, ni de très hauts murs d'enceinte, le coût de la place baisse, de 500 000 euros à 200 000 euros, et ce, grâce à la catégorisation des détenus.

De son côté, la construction de la prison de haute sécurité de Saint-Laurent-du-Maroni durera quatre ans, parce qu'elle nécessite plus de " carcéralité ".

S'agissant des cités judiciaires, à ce jour, neuf projets dont été présélectionnés. À Marseille, le projet, d'un montant de 360 millions d'euros, regroupera cinq services actuellement répartis dans cinq endroits différents de la ville, ce qui pose des problèmes de lisibilité, de sécurité et d'accès. Le pôle correctionnel du tribunal de Marseille est vétuste ; la pluie coule à l'intérieur.

Le coût de la construction de la cité judiciaire de Bobigny s'élèvera à plus de 300 millions d'euros. À Meaux, le projet est évalué à 60 millions d'euros ; à Cusset, à 35 millions d'euros ; à Bonneville, à 20 millions d'euros ; à Chartres, à 50 millions d'euros ; à Dieppe, à 10 millions d'euros ; à Mâcon, à 10 millions d'euros ; à Valence, à 4 millions d'euros.

Le nouveau tribunal de Lille est un exemple typique de dysfonctionnement du ministère de la justice. On y a construit un nouveau tribunal, mais il est trop petit, il faudrait en construire un autre pour le pôle civil ! Évidemment, nous allons plutôt louer des locaux, mais c'est une démonstration de mauvaise organisation.

M. Vogel a tout à fait raison. Certains projets de prison n'attendent plus que la signature de la direction du budget. Tout est prêt, sauf l'argent. Quatre prisons sont ainsi en attente, la plus symbolique étant celle d'Angers. Pour l'instant, au conseil d'administration de l'Apij, la direction du budget refuse de signer. Nous menons une discussion en lien avec le Premier ministre, afin de débloquer ces projets.

En outre, certaines prisons ne sont pas construites en raison du refus des élus, comme à Magnanville dans les Yvelines, ou dans le Val-de-Marne. Pourtant, l'Île-de-France est la région où la surpopulation carcérale est la plus élevée. D'autres projets sont par ailleurs freinés par des recours, qui entraînent des difficultés juridiques, comme à Muret.

Bref, plusieurs raisons expliquent que des prisons ne sortent pas de terre.

Toutefois, cet été, nous avons inauguré celles de Villenauxe, de Nîmes et des Baumettes 3, soit 1 500 places créées en une année, alors que tout était bloqué depuis de nombreux mois.

Pour avoir été maire moi-même, je sais que, si quelqu'un vient demander de l'argent à une collectivité territoriale pour implanter une entreprise qui crée 400 ou 500 emplois, les élus sont prêts à participer ! Depuis neuf ans que je suis ministre, je décentralise l'État. Je suis celui qui a le plus oeuvré en faveur de l'aménagement du territoire, tant au ministère des comptes publics qu'au ministère de l'intérieur. Beaucoup d'entre vous ont obtenu l'implantation de sites de la direction générale des finances publiques qui étaient auparavant à Paris. À chaque fois, les collectivités territoriales m'ont accompagné, par la mise à disposition de places en crèche ou de logements, ou par des financements en espèces sonnantes et trébuchantes. Le ministère de la justice est le seul qui ne demandait aucune participation des collectivités territoriales. Cette participation peut revêtir des formes très diverses. Ainsi, le maire de Meaux paie l'intégralité des aménagements et parkings liés au futur tribunal. À Cusset, la municipalité vend le terrain pour un euro symbolique. À Marseille, les collectivités territoriales - métropole, région, ville - participent à hauteur de 20% des 360 millions d'euros.

Que les collectivités territoriales participent, toutes strates confondues, à 10% du montant d'un projet ne me paraît pas déraisonnable. L'argent ainsi économisé par le ministère pourra financer tous les projets en attente. Vous êtes nombreux à me demander le réaménagement de vos prisons ou de vos palais de justice. Cette participation des collectivités territoriales n'est pas obligatoire, mais fortement incitée. Elle est le fait de tous, sans préférence politique. Ainsi, la mairie communiste de Dieppe a été la première à me répondre favorablement tandis que des élus du bloc central s'y refusent. En conséquence, Dieppe a été priorisée.

J'ai peu de moyens à ma disposition, mais si les parlementaires souhaitent augmenter les crédits du ministère de la justice, je ne m'y opposerai pas dans le débat parlementaire.

J'en viens à l'intelligence artificielle. Il est compliqué de parler de ce sujet à des agents quand leurs logiciels actuels sont si lents. Je pense notamment au logiciel TUTI, relatif aux tutelles, qui prend 30 secondes à se charger chaque fois que le greffier change de page.

Je remercie le sénateur Lefèvre d'avoir rappelé mon expérience. En effet, j'ai mis en place l'impôt à la source au ministère des comptes publics, avec un certain succès, tout comme la plainte en ligne au ministère de l'intérieur. Depuis un an et demi, 50 % des plaintes sont déposées en ligne alors qu'auparavant, tout le monde se déplaçait au commissariat ou à la gendarmerie. Le permis de conduire est aussi totalement dématérialisé. Le fautif perd ses points directement sur son permis. Il n'est plus possible d'accuser sa grand-mère !

Ces projets numériques doivent être suivis politiquement. Il faut aussi que des directions « métier » s'en occupent, plutôt que de laisser simplement des personnes apporter un logiciel qui, si intéressant soit-il, ne correspond pas aux besoins quotidiens.

Vous ne m'avez pas parlé de la PPN, ce qui prouve que les choses ont progressé dans un continuum entre forces de l'ordre, parquet et siège. Le logiciel Portalis pose encore problème. Je pense raisonnablement que nous verrons le bout du tunnel en 2026. Nous étions mal partis. Je serai moins dur sur le logiciel d'exécution des peines Prisme, expérimenté dans les tribunaux judiciaires de Thionville et de Bordeaux. Nous prenons le temps ; il sera généralisé en 2026 si la conclusion est positive.

Tout cela n'est pas une question d'argent, c'est un problème d'organisation du ministère. Je pense que c'est au secrétariat général de mener les projets numériques. Actuellement, ils le sont un peu par la direction des affaires criminelles et des grâces (DACG), un peu par la DSJ. Il faut un copilotage entre les ingénieurs et la direction " métier ". Je vous demande de me faire confiance, au regard des projets numériques que j'ai menés précédemment. C'est toujours très long, surtout quand c'est mal parti, mais nous n'allons pas tarder à voir le bout du tunnel.

Toutes les données de ces logiciels serviront la politique d'intelligence artificielle du ministère de la justice. J'appelle votre attention sur deux éléments très importants relatifs à cet enjeu au ministère de la justice : c'est à la fois une question de souveraineté et d'efficacité.

Face à l'utilisation de l'IA par les notaires, les avocats et les citoyens, on ne peut pas répondre uniquement par la hausse du nombre de greffiers ou de magistrats. Désormais, l'IA est capable de trouver, en quelques instants, une trentaine de motifs de nullité dans un dossier de 600 pages. Nous devons, nous aussi, travailler avec l'IA. L'an dernier, il n'y avait pas d'IA au ministère de la justice. Nous avons confié la première mission à ce sujet au directeur adjoint de l'ENM, qui m'a rendu ses conclusions. Désormais, 15 ETP sont consacrés à ce sujet.

Les magistrats utilisaient tout de même l'IA, de façon sauvage, en transmettant des données relevant du secret de l'instruction ou du secret des affaires à des outils comme ChatGPT, avec des références anglo-saxonnes n'ayant rien à voir avec notre droit napoléonien. L'IA peut servir le fonctionnement classique de la justice, par exemple pour une retranscription immédiate dans le cabinet du juge d'instruction, pour la lecture rapide de pièces afin d'éviter l'absence des signatures nécessaires, pour la synthèse des très nombreux documents d'un dossier volumineux, ou encore pour la rédaction d'un réquisitoire. Elle peut aussi servir l'administration pénitentiaire, pour mieux lutter contre les drones ou mieux sélectionner les repas des détenus.

Nous avons lancé plusieurs appels d'offres. De grandes entreprises françaises d'édition de livres juridiques sont désormais capables d'éditer des logiciels conversationnels, qui répondent à des questions de jurisprudence.

Nous devons bâtir un modèle français qui garantira, dans un cloud français, que le secret de l'instruction et le secret des affaires sont respectés, sans recourir à un serveur américain, israélien ou chinois, qui serait ensuite utilisé contre notre souveraineté. L'extraterritorialité, l'ingérence, voire l'espionnage, peuvent concerner le parquet national financier (PNF) lorsqu'il enquête sur de grands industriels français en concurrence avec de grands industriels américains. Nous devons faire attention à nos données.

L'IA concerne aussi, très concrètement, l'interprétariat. Nous avons tous constaté, en garde à vue ou au tribunal, qu'il fallait attendre l'arrivée du traducteur pour commencer. L'IA pourrait se charger de la traduction instantanée.

J'en viens à la question sur la poursuite de la trajectoire de la LOPJ. Dans la prochaine LOPJ, il faudrait inscrire au moins 5 000 à 6 000 nouveaux magistrats et au moins 3 000 à 4 000 agents pénitentiaires supplémentaires, ce qui inclut les conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation (CPIP), en comptant sur les innovations technologiques. J'espère que le Parlement et le Gouvernement y consentiront.

Madame Vérien, nous consacrons beaucoup de moyens à la lutte contre les violences faites aux femmes et aux mineurs. Sans doute doit-on étudier davantage ce qui se fait ailleurs, notamment en Espagne. Mon anté-prédécesseur s'était opposé aux tribunaux spécialisés. Pour ma part, j'estime la question ouverte. Puisque ce n'est pas une criminalité organisée, il n'est sans doute pas nécessaire de créer un parquet national dédié, mais ce contentieux de masse pourrait être spécialisé. C'est déjà un peu le cas de la cour criminelle, puisque 85% des affaires traitées sont des viols. Toutefois, les violences faites aux femmes sont plus diverses. Le 25 novembre, journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes, Mme Joly-Coz et M. Corbaux me remettront le rapport que je leur ai commandé sur ce sujet. Il en ressortira sans doute des propositions sur lesquelles nous pourrons travailler ensemble.

Dans le projet de loi pour une sanction utile, rapide et effective (Sure), je proposerai la fin de l'obligation d'aménagement de peine, donc, par principe, la possibilité d'effectuer de courtes peines. Il faut aussi utiliser toutes les peines substitutives à la prison ; d'ailleurs, la courte peine n'est pas forcément effectuée en prison. On dénombre encore 1 500 placements extérieurs non occupés, 11 000 bracelets électroniques non utilisés et un nombre de peines de travaux d'intérêt général (Tig) réalisées en baisse alors que l'offre de Tig augmente. Les magistrats ne souhaitent pas la surpopulation carcérale, mais parfois, leur seule façon de s'assurer de l'exécution de la peine qu'ils prononcent est de l'assortir d'un mandat de dépôt. Il faudrait créer une forme de mandat de dépôt des peines substitutives, pour garantir au magistrat que l'administration pénitentiaire les applique, qu'il s'agisse du bracelet électronique, du placement extérieur ou du Tig. Nous en reparlerons lors de l'examen du projet de loi Sure. Je suis favorable à une expérimentation sur les courtes peines, en la ciblant dans des territoires équipés de l'immobilier adapté.

Nous reparlerons des 225 euros des avoués avec les avocats, monsieur Lefèvre. Je suis favorable à ce que cet argent aille à l'aide juridictionnelle.

J'ai moi-même déclaré que j'étais désormais dubitatif sur les centres éducatifs fermés. J'ai commandé un rapport d'inspection qui indique que peu d'enfants sont concernés, sur le nombre de mineurs délinquants, et que les CEF sont plus efficaces lorsqu'ils sont gérés par des associations que lorsqu'ils le sont par l'État lui-même. Le nouveau directeur de la PJJ, M. Lesueur, travaille à une proposition. Il pourrait s'agir d'y mettre fin et d'aller vers d'autres dispositifs, avec l'armée ou l'éducation nationale. Les enfants en CEF ont paradoxalement moins d'heures de cours que les autres - huit heures hebdomadaires en moyenne -, alors qu'ils en ont davantage besoin. Faute de statut spécifique de professeur en CEF, l'enfant doit attendre plusieurs mois avant d'en avoir un. La politique des CEF est peu efficace alors qu'elle reçoit beaucoup de moyens.

M. Guy Benarroche. - Nous accueillons tous favorablement l'augmentation du budget de la justice dans ce PLF, tout en étant conscients que c'est un rattrapage progressif, pour une fonction régalienne laissée trop longtemps à l'abandon. Il faut renforcer tous les corps de métier, qui sont en sous-effectif. Trop peu d'ajustements sont réalisés après évaluation et, de plus, les mécanismes d'évaluation sont trop superficiels ou trop imprécis. On a parfois du mal à s'assurer du bon emploi de nos ressources, sauf à mener des missions parlementaires.

Après mes visites régulières, que l'on peut qualifier, comme vous l'avez fait, monsieur le garde des sceaux, de voyeurisme carcéral, auprès du CEF de Marseille ou de l'établissement pénitentiaire pour mineurs (EPM) La Valentine, je dresse un constat clair : cela coûte cher pour des résultats mitigés. Vous le dites ; nous le disons ; la Cour des comptes et l'Assemblée nationale le disent. En commission, nos collègues députés socialistes ont fait adopter un amendement visant à suspendre le plan de construction des CEF afin d'en réorienter les moyens, en particulier vers la PJJ. Lors de l'examen de cette mesure au Sénat, la défendrez-vous ?

Lors d'une réunion du conseil de juridiction à laquelle j'ai assisté vendredi dernier à Marseille, a été abordée la question de la prise en compte des victimes. En commission, les députés ont adopté un amendement écologiste de soutien aux associations venant en aide aux femmes victimes d'infractions pénales. Quelle est la position du Gouvernement sur cette mesure qui abonde de 2 millions d'euros les crédits de l'aide aux victimes ?

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Louis Vogel a dressé un constat sur la surpopulation carcérale que nous partageons tous. Monsieur le garde des sceaux, j'ai l'impression que vous faites de la régulation carcérale sans le dire. Vous refusez de prononcer ce terme, pourtant, vous avez organisé des rencontres avec l'ensemble des acteurs de la chaîne pénale pour éviter que la surpopulation carcérale ne soit intenable pendant l'été dernier. Les parquetiers ont eu le sentiment que le Gouvernement, ne voulant pas assumer cette responsabilité, la leur faisait porter.

La course à la construction est assez vaine. Elle ne réduira pas la surpopulation.

La seule peine considérée comme certaine est la peine de prison avec mandat de dépôt. Pourtant, c'est aux parquetiers de s'assurer de l'exécution de la peine prononcée. Quelque chose ne fonctionne pas. Le pouvoir, quel qu'il soit, doit faire face à la réalité et assumer qu'il faut développer des alternatives : vous le dites vous-même.

Vos propos paraissent donc contradictoires ; je vous encourage à abandonner ce double discours. Cessez de bannir le terme de « régulation carcérale ». Lisez plutôt l'excellente proposition de loi visant à instaurer un mécanisme contraignant de régulation carcérale, que j'ai déposée avec Laurence Harribey.

On a évoqué le retour du droit de timbre en procédure civile - il est bien plus coûteux en appel : 225 euros. Monsieur le garde des sceaux, vous préparez un décret baptisé Rivage qui a vocation à réduire l'accès à la justice, à défaut de pouvoir répondre aux besoins. Vous voulez limiter, voire supprimer, la possibilité de faire appel et rendre la médiation obligatoire dans un nombre accru de procédures, ce qui n'est pas simple, car il faut des médiateurs, qui peuvent être payants. Ce décret traduit un état d'esprit selon lequel, quand on n'arrive pas à faire face au stock, on réduit le flux.

Enfin, je voudrais aborder la question de la suppression, par une décision du Conseil constitutionnel du 29 avril 2025, du droit de visite des parlementaires en prison. Je connais votre réponse, mais je veux vous l'entendre dire devant l'ensemble de mes collègues. Il est nécessaire, avant avril 2026, de réécrire l'article 719 du code de procédure pénale pour que ce droit soit maintenu. Vous m'avez affirmé en privé vouloir vous en assurer dans le projet de loi Sure, mais nous n'en connaissons pas le calendrier d'examen. Une de mes propositions de loi réglant ce problème pourrait être votée rapidement par tous mes collègues.

M. Pierre-Alain Roiron. - L'attractivité de la PJJ est faible. Le taux de vacance des postes d'éducateurs y atteint 7 %. La crise est grave. En moyenne, 20 % des agents qui travaillent à la PJJ sont contractuels. Que prévoyez-vous pour y remédier ?

M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - S'il est défendu au Sénat, j'émettrai un avis favorable sur l'amendement socialiste imposant un moratoire sur les CEF. C'est l'objet même de ma réflexion et de l'inspection que j'ai demandée aux services. Il faudra savoir si ce moratoire inclut les CEF en chantier - je pense à ceux de Chalon-sur-Saône et La Rochelle -, qui doivent pouvoir être livrés.

Il faut des moyens pour la PJJ. Distinguons toutefois les EPM, comme La Valentine, des CEF. Il faut travailler, sur le modèle des établissements pour l'insertion dans l'emploi (Epide) ou des régiments du service militaire adapté (RSMA), entre éducation nationale, armées et ministère de la justice. La PJJ doit être mieux accompagnée et compter moins de contractuels. La réforme de l'école nationale de la PJJ est également un élément important. Je suis favorable au redéploiement des moyens des CEF auprès des agents de la jeunesse de notre ministère. La création actuelle de postes est un bon signe.

Certaines subventions aux associations de victimes relèvent d'autres ministères, dont celui de Mme Bergé. Dans le PLF pour 2026, le seul ministère de la justice consacre 17 millions d'euros aux associations de victimes de violences intrafamiliales, comme en 2025. Ce montant était de 16 millions d'euros l'année précédente. Il n'y a pas de baisse de crédits au ministère de la justice. Il se peut, en revanche, que les crédits aillent à des associations nouvelles.

Madame de La Gontrie, vous affirmez - accusation piquante - que j'aurais un double discours. Je m'étonne de votre changement de point de vue, selon que vous êtes ou non dans la majorité gouvernementale.

La surpopulation carcérale est un drame, tant pour les détenus que pour les agents. On dénombre 6 000 matelas au sol. Je ne m'en satisfais absolument pas. Une partie de cette surpopulation est liée à notre retard collectif dans la construction de prisons. Pendant le quinquennat de François Hollande, aucune construction n'a été décidée et les seuls établissements inaugurés à cette époque sont ceux qui avaient été lancés par son prédécesseur. En revanche, il y a eu 9 000 détenus supplémentaires sous son mandat. Il me semble même que Mme Taubira avait annulé la création de places voulues par ses prédécesseurs.

Ensuite, si le plan " 15 000 " n'a pas été à la hauteur, au moins, l'intention était là.

J'assume de mener la politique pénale du ministère de la justice. C'est même un pouvoir qui m'est garanti. Oui, j'ai donné des orientations ; ce sont les mêmes depuis un an. J'ai demandé aux parquets de requérir des peines de prison ferme dans trois domaines : le narcobanditisme ; les violences faites aux femmes et aux enfants ; les violences contre la République, qu'il s'agisse d'actes homophobes, antisémites, antireligieux ou attentatoires aux élus. Pour le reste, sauf cas individuel apprécié par le parquetier, je demande de ne pas requérir de peine de prison. L'été dernier, j'ai réuni, nationalement et localement, l'ensemble des branches du ministère. Je leur ai dit que je continuais à lire dans la presse locale, en l'occurrence dans La Voix du Nord, que des procureurs de la République requéraient des peines de prison ferme dans d'autres domaines que ceux que j'ai fixés. On me répond : " Fermeté ! ". Je trouve que la fermeté est formidable, mais ce n'est pas ce que j'ai demandé ! On ne peut pas me demander de régulation carcérale alors que l'on n'applique pas mes orientations. Je vous ai déjà parlé des bracelets électroniques et des placements extérieurs disponibles, mais en plus, cet été, la moitié des places de semi-liberté étaient vacantes ! Je me suis permis de dire à tous que je ne prendrais pas de mesure de régulation carcérale pour vider les prisons si les alternatives à l'incarcération n'étaient pas utilisées.

Le nombre de détenus augmente parce que le quantum moyen des peines prononcées par les juges a augmenté. En 1981, quand M. Mitterrand a été élu président de la République, il était de quatre mois. En 1995, à son départ, il était de neuf mois. En 2017, lorsque M. Macron a été élu, il était de onze mois. L'an dernier, il approchait les quatorze mois.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Et on dit que la justice est laxiste !

M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - La justice n'est pas laxiste. Sous  la présidence d'Emmanuel Macron, le nombre d'années de prison prononcées par an est passé de 94 000 à 122 000. Mais une peine de prison sur deux n'est jamais effectuée, contre une sur cinq quand M. Mitterrand était président de la République. M. Perben, Mme Dati, Mme Taubira, Mme Belloubet, M. Dupond-Moretti : chacun a renforcé les aménagements de peine. Or, plus ceux-ci étaient rendus obligatoires, plus les magistrats augmentaient les quantums de peine. Je suis très solidaire de mes prédécesseurs, mais l'aménagement de peine obligatoire ne fonctionne pas. Supprimons-le ! Cette obligation va profondément à l'encontre de l'indépendance du magistrat. Le code pénal dispose à la fois que l'auteur de telle ou telle infraction encourt une peine de six mois de prison et que pour une telle peine, nul ne va en prison ! C'est objectivement très difficile à comprendre.

Il ne faut pas réduire le nombre de personnes qui entrent en prison, mais le nombre de jours qu'elles y passent. Beccaria l'a dit : " Ce n'est point par la rigueur des supplices qu'on prévient le plus sûrement les crimes, c'est par la certitude de la punition ".

En revanche, la régulation carcérale, ce n'est pas demander au procureur de la République ou, le cas échéant, au juge de l'application des peines, de requérir une peine substitutive ou de laisser les gens en prison. La régulation carcérale, c'est ce que l'on a fait, par exemple, pendant la pandémie de covid-19. Cela répondait à des difficultés propres à la crise sanitaire, mais le fait de remettre en liberté un sixième, un cinquième, voire un quart des détenus a-t-il amélioré la situation ? Pas du tout, car il s'agissait de sorties sèches !

La régulation carcérale telle que vous la demandez et telle que l'a proposée le président de la commission des lois de l'Assemblée nationale, qui est un ami mais dont je ne partage pas les conclusions, n'est rien de moins qu'une sortie sèche ! Or, nous savons tous que les sorties sèches encouragent la récidive.

Je suis bien sûr très favorable à ce que des peines alternatives soient prononcées lorsque le cas s'y prête, qu'il s'agisse de Tig, s'ils sont bien encadrés, du port d'un bracelet électronique si son porteur n'est pas susceptible de frapper sa femme en rentrant chez lui, ou encore d'un placement extérieur si les associations font bien leur travail. La peine de prison ne doit pas être systématique. En revanche, lorsque le juge prononce une peine de prison, celle-ci doit être effectuée sans qu'il soit obligé d'augmenter le quantum de peines pour s'en assurer.

Nous ne sommes pas très loin d'être d'accord, madame de La Gontrie. Nous aurons l'occasion d'en discuter lors de l'examen de la loi Sure. Vous verrez alors que la philosophie que je porte, c'est surtout de redonner de la latitude aux magistrats pour qu'ils fassent baisser le quantum de peine. Je ne proposerai pas de toucher aux infractions du code pénal.

Enfin, je prendrai le temps de vous répondre sur le projet de décret Rivage, car peu de gens parlent de la politique civile, qui est pourtant essentielle pour nos concitoyens. J'ai publié l'été dernier deux décrets très importants consistant à placer l'amiable au premier rang lors d'un procès civil et qui ont été correctement accueillis par la profession d'avocat. La culture française veut qu'il y ait un perdant et un gagnant et donc un procès, alors que tous nos voisins cherchent à trouver un compromis. Cela vaut tant en matière correctionnelle qu'en matière civile.

Du reste, le divorce par consentement mutuel est une forme de règlement amiable que nous avons mis à la disposition des avocats. Peut-on pratiquer des formes de règlements à l'amiable dans d'autres domaines que les affaires familiales ? Sans doute : comme je l'ai mentionné précédemment, 50% des affaires civiles concernées par les décrets que j'ai pris aboutissent à un accord sans avoir besoin d'être présentées devant le juge. C'est une question non pas de moyens, mais de procédure : comme le dit le dicton populaire, un mauvais arrangement vaut mieux qu'un bon procès.

Le projet de décret Rivage porte sur un autre sujet. L'un de ses objets est en effet de favoriser l'amiable et la conciliation, mais ce n'est pas le seul. Là encore, ce n'est pas une question de moyens : ce décret concerne 12 500 dossiers par an sur des centaines de milliers d'affaires civiles. Je précise d'ailleurs qu'il doit faire l'objet d'une concertation avec la profession d'avocat et n'a pas encore été envoyé au Conseil d'État.

Actuellement, le droit civil oblige le magistrat en appel à instruire un recours, avec le concours d'un avocat - peut-être est-ce là le problème -, même si l'appel a été déposé hors délai. Tout le monde sait qu'il sera donné tort au requérant in fine, mais on continue malgré tout d'emboliser les cours d'appel. Le projet de décret Rivage prévoit que, dans 12 500 dossiers par an, le magistrat peut refuser un recours s'il est manifestement irrecevable.

Il n'est en aucun cas question de priver le requérant de l'appel en matière civile. D'ailleurs, si je puis me permettre, madame de La Gontrie, le droit d'appel ne figure pas dans le code civil. Il est un droit en matière pénale, mais il n'est qu'une option, certes nécessaire, en matière civile, et non un principe général du droit. Le législateur ne l'a jamais souhaité ainsi.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Je n'ai pas dit cela...

M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - Le périmètre du projet de décret Rivage exclut la quasi-intégralité des contentieux qui ont, si je puis dire, une portée sentimentale. Je pense bien sûr aux affaires familiales, mais aussi, par exemple, aux problèmes avec des locataires dans le domaine de l'immobilier. Il ne concerne que très peu de cas du champ du droit civil.

Prenons l'exemple d'un contentieux qui embolise les tribunaux et représente 30% des contentieux d'une cour d'appel comme celle de Lyon : le contentieux entre la maison départementale des personnes handicapées (MDPH) et l'État pour savoir si un enfant doit être ou non accompagné par un accompagnant d'élèves en situation de handicap (AESH). Si la MDPH dit non et que l'État fait appel, il faut, en moyenne, quatre ans pour qu'un jugement soit prononcé en appel. Autant dire que l'enfant a alors quitté l'établissement où il aurait eu besoin d'un AESH... Voilà le genre de situations un peu absurdes qui mériteraient qu'un appel formulé hors délai ne soit pas examiné.

Ceci étant dit, vous avez parfaitement raison, des interrogations, des doutes ont été formulés que je veux écarter. Nous allons donc nous concerter avec la profession d'avocat, qui a l'impression que les réformes des dernières années n'ont pas donné les résultats qu'avait promis la Chancellerie, notamment les décrets du 3 juillet 2024 portant diverses mesures de simplification de la procédure civile et relatif aux professions réglementées et du 8 juillet 2025 portant diverses mesures de simplification de la procédure civile, dits décrets Magicobus. Je suis prêt à en discuter.

Toutefois, entre nous, madame de La Gontrie, la protection du justiciable ne consiste pas à lui promettre qu'il obtiendra un appel s'il prend un avocat, puisque dans 97% des cas que j'ai évoqués, au moment où le juge statue, il rejette l'appel qui n'a plus de pertinence. Le projet de décret Rivage ne va donc pas révolutionner le monde. Vous me demandez combien de temps il nous fera gagner ; il nous fera gagner l'équivalent de quarante magistrats, ce qui est à la fois beaucoup et peu. Encore une fois, si ce projet de décret n'obtient pas le soutien de la profession d'avocat - notamment pour des raisons compréhensibles de modèle économique, car il est aussi question de cela -, je ne le déposerai pas en l'état.

Oui, je serai favorable à votre proposition de loi visant à garantir le droit de visite des lieux de privation de liberté des parlementaires et des bâtonniers si elle est inscrite à l'ordre du jour du Sénat, mais ce n'est pas moi qui en décide. Si ce n'est pas le cas, je l'intégrerai, en citant bien sûr ses auteurs, au projet de loi Sure.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Chiche !

M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - Cela figure déjà dans le projet de loi.

Du reste, l'article L. 111-1 du code pénitentiaire autorise le garde des sceaux à visiter quand il le souhaite n'importe quel lieu dépendant de son administration, mais j'ai cru comprendre que vous lui refusiez ce droit.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - J'ai eu peur !

M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - Enfin, je partage la grande détresse des agents de la protection judiciaire de la jeunesse, qui rencontrent des difficultés à exercer leur métier face à une jeunesse à la fois plus violente et plus souvent victime, malgré un manque de moyens et de reconnaissance. Sans doute est-ce celle des administrations dont j'ai la charge qui est le plus en difficulté. C'est pourquoi j'ai nommé un nouveau directeur et je prendrai des dispositions très fortes en début d'année prochaine.

Mme Muriel Jourda, présidente. - Je vous remercie, monsieur le garde des sceaux, d'avoir bien voulu répondre à nos questions.

Ces débats évoquant de nombreux souvenirs chez les vieux avocats qui siègent dans cette commission, je me permettrai de formuler quelques observations.

Tout d'abord, je rappelle qu'il fut un temps où, lorsque l'on assignait devant le tribunal d'instance - qui n'existe plus -, on assignait aux fins de conciliation, puis de jugement. Je vois d'anciens confrères opiner du chef. Il existe toujours des conciliateurs, devant lesquels le juge renvoie souvent les parties avant de les entendre en vue de trouver un accord à l'amiable. Les procédures à l'amiable ont toujours existé.

Ensuite, si l'appel n'est pas un droit en tant que tel, le double degré de juridiction est un acquis de longue date. Il me semble que c'est à cela qu'il était fait allusion, plutôt qu'à un droit de faire appel à proprement parler.


Source https://www.senat.fr, le 18 novembre 2025