Déclaration de Mme Naïma Moutchou, ministre des outre-mer, sur la place des outre-mer dans les arbitrages économiques, budgétaires, climatiques et sécuritaires, à l'occasion de la journée ultramarine du 107e Congrès de l'Association des maires et présidents d'intercommunalité de France, Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine) le 25 novembre 2025.

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Texte intégral

Monsieur le Président de l'association des maires de France, cher David Lisnard,
Mesdames et Messieurs les parlementaires,
Messieurs les présidents d'associations territoriales des maires, 
Mesdames et Messieurs les maires et élus locaux,

Je suis très heureuse d'être parmi vous ce matin.

Je me présente à vous avec humilité, parce que je sais ce que représente le mandat que vous avez choisi. J'ai été parlementaire pendant 9 ans, j'ai beaucoup travaillé aux côtés des maires de mon petit département de la banlieue parisienne. Je sais ce qu'est être maire. Être maire, c'est répondre à tout, tout de suite, pour tout le monde. C'est gérer l'urgence, la proximité, la sécurité, le logement, le lien social même. C'est un mandat d'exigence et de courage. Je veux le dire sans détour : j'ai beaucoup de respect pour ce que vous faites.

Et je le dis : Rien ne remplace ce que vous vivez sur le terrain.

Pour paraphraser le président Linsard, "tout part de la commune". Et je viens aussi avec détermination.

Depuis un mois que je suis à la tête du ministère des Outre-mer, j'ai la conviction que nous ne réussirons que si nous travaillons autrement : en nous tenant à vos côtés, en comprenant vos réalités, et en faisant mieux circuler vos alertes vers les lieux où se prennent les décisions.

Je ne prétends pas tout réinventer. Beaucoup a été fait avant moi, et je m'inscris en partie dans cette continuité.

Mais je veux apporter un supplément de méthode : plus d'écoute, plus de clarté, plus d'allers-retours entre vos préoccupations et les décisions nationales. Et je veux m'en expliquer.

I. Inscrire davantage les Outre-mer dans la conscience commune

Je veux être franche avec vous : si certaines difficultés persistent, c'est souvent parce que les Outre-mer restent mal compris. Non pas par mauvaise volonté, mais parce que vos contraintes restent encore insuffisamment intégrées dans les lieux où se décident les politiques publiques. Pour que les choses progressent, il faut élargir le cercle. Cela passe d'abord par des exemples très concrets, que chacun doit pouvoir comprendre immédiatement : lorsqu'un chantier est ralenti parce qu'un matériau doit parcourir des milliers de kilomètres alors qu'un matériau local, parfaitement adapté au climat, n'est toujours pas homologué lorsqu'un retard administratif qui, en métropole, se traduit par quelques jours de décalage, devient chez vous une rupture de service ; lorsqu'un seul bateau conditionne l'approvisionnement alimentaire d'un territoire entier. Ces réalités sont les vôtres, et elles doivent devenir familières à ceux qui décident à Paris, faute de quoi les choix nationaux continueront d'ignorer des contraintes structurelles. Je présenterai bientôt des propositions très concrètes pour que les Outre-mer soient mieux connus, mieux compris et mieux intégrés dans la façon dont la Nation pense et décide.

Il faut également que les Outre-mer entrent dans toutes les discussions nationales qui les concernent, non pas en marge, mais au cœur des arbitrages : économiques, budgétaires, climatiques, sécuritaires. Vos enjeux ne peuvent plus rester cantonnés aux seuls élus ultramarins ou aux acteurs spécialisés. Ils doivent être regardés par l'ensemble du pays. C'est un changement de culture plus qu'une révolution, mais il est nécessaire. Et il commence par une chose simple : relier clairement vos alertes aux décisions prises au niveau national. Nous avons eu un exemple concret ces dernières semaines: lorsque vous avez alerté sur les conséquences de "coupe budgétaire" sur la LODEOM et de la réforme de la défiscalisation, j'ai porté cette inquiétude et le Premier ministre m'a entendue. Nous y avons renoncé. Ce sont 650 millions d'euros qui ne seront pas retirés à l'économie ultramarine en 2026 parce que nous ne voulons pas fragiliser ces territoires. Cette décision a été prise parce que votre parole a été claire, collective, et parce qu1elle a été entendue et que nous avons travaillé ensemble.

Enfin, élargir le cercle suppose une méthode de travail fondée sur la présence, le dialogue et l'association réelle des élus. Le président Lisnard en a parlé. J'étais en Nouvelle-Calédonie il y a quelques jours et j'ai souhaité réunir les maires dès ma première semaine : non pas pour une réunion formelle, mais pour un échange concret sur les projets en cours, les blocages identifiés, les solutions possibles, et surtout j'ai voulu associer les maires aux discussions institutionnelles – ce qui n'était jamais arrivé. Je leur ai proposé pour la suite, de pouvoir échanger, de prendre aussi leurs avis, leurs solutions sur les questions à l'ordre du jour. Et l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie, est – vous le savez – au cœur de nos préoccupations. Il est normal que les maires puissent y participer.

C'est une méthode que je veux appliquer partout : être présente, écouter, comprendre la réalité locale dans sa complexité, et intégrer vos regards dans les choix d'avenir.

II. Faire face à une situation sécuritaire sans équivalent et renforcer les moyens locaux

La question sécuritaire est au cœur de vos préoccupations, et vous avez raison : les chiffres parlent d'eux-mêmes et disent l'ampleur du défi. Les Outre-mer représentent 4 % de la population française, mais concentrent 30 % des homicides, 50 % des vols à main armée et 25 % des atteintes aux personnes. La pression des routes du narcotrafic est massive : 50 % de la cocaïne saisie en France provient de la zone Antilles-Guyane, qui se trouve à quelques heures de navigation des principaux pays producteurs du monde. D'autres territoires, comme la Polynésie française, voient se diffuser des drogues dures, avec une progression inquiétante de l'ice : plus d'une personne sur dix y a déjà consommé cette substance. À cela s'ajoutent les violences intrafamiliales, dont vous connaissez l'intensité et la gravité, et pour lesquelles votre rôle de premier secours, de premier recours, notamment dans la prise en charge des victimes, est décisif.

Face à cela, l'État est mobilisé et continuera de l'être. Aujourd'hui, 6 350 fonctionnaires de police, 4 200 gendarmes et 1 600 réservistes sont déployés dans les Outre-mer. 38 escadrons de gendarmerie mobile sont présents sur le terrain, ce qui constitue un niveau d'engagement exceptionnel. Lors de son déplacement aux Antilles en août dernier, le ministre de l'Intérieur de l'époque, Bruno Retailleau, a annoncé des moyens supplémentaires massifs dont, avec Laurent Nunez, nous suivrons de très près le déploiement. Mais nous savons que les forces de sécurité intérieure ne peuvent pas tout, seules. Vos polices municipales ont un rôle déterminant à jouer, non seulement en matière de prévention, mais aussi dans le cadre du continuum de sécurité. Le projet de loi présenté fin octobre, visant à étendre les prérogatives des polices municipales et des gardes champêtres, s'appliquera aux Outre-mer ; et je serai attentive, au cours de son examen, à tout amendement que vous jugerez nécessaire.

C'est un sujet que j'ai pris à bras-le-corps en tant que parlementaire, je continuerai de le faire comme ministre.

Le trinôme maire-préfet-procureur doit rester au cœur de notre action commune. Il est le socle de toute stratégie locale de lutte contre la délinquance. Et je veux qu'il soit pleinement opérationnel, avec des moyens d'intervention, de coordination et d'analyse renforcés. Je veux aussi que le ministère des Outre-mer continue de travailler étroitement avec celui de l'Intérieur pour soutenir la vidéo-protection, les programmes de prévention et l'équipement des communes. La délinquance des mineurs, notamment, exige un investissement constant de votre part dans les rappels à la loi, les conseils des droits et devoirs des familles, et la prise en charge des foyers en difficulté. La délégation sénatoriale aux Outre-mer a parlé d'un "choc régalien"  j'y souscris pleinement, Madame la présidente. Ce choc devra se construire avec vous, car rien ne réussira sans vous sur le terrain.

III. Les Outre-mer face aux crises : catastrophes visibles, crises silencieuses, et nécessité d'une stratégie durable

Je veux parler des autres catastrophes. Vous êtes non seulement en première ligne face à l'insécurité, mais aussi face aux crises climatiques et naturelles, dont l'intensité et la fréquence ne cessent d'augmenter. Certains événements marquent durablement les esprits – Chido, Garance – et rappellent la vulnérabilité extrême de vos territoires aux aléas climatiques. Chaque fois, la mobilisation de l'État a été totale, et elle le restera. Mais il y a également des crises moins spectaculaires, plus continues, qui fragilisent profondément vos territoires : le recul du trait de côte, qui oblige à repenser l'urbanisme et, parfois, à envisager le déplacement de populations ; la montée du niveau des eaux ; l'épisode récurrent des sargasses aux Antilles, qui a des conséquences sanitaires, économiques et environnementales majeures ; la menace persistante sur la biodiversité ; ou encore les épisodes de sécheresse de plus en plus marqués, qui affectent l'accès à l'eau, les cultures, l'équilibre des sols.

Pour répondre à cette situation, l'État doit être à vos côtés avec des outils adaptés, dans la durée. Le Fonds Barnier, le Fonds vert, les financements de l'AFD, de BPI France et des fonds européens constituent des leviers puissants, à condition qu'ils soient accessibles et utilisés pleinement. C'est pourquoi j'ai demandé à ce que l'on travaille à une simplification des procédures d'accès, et à ce que les préfets vous accompagnent davantage dans la mobilisation de ces financements. Par ailleurs, des missions inter-inspections sur le recul du trait de côte et sur la gestion des sargasses vont rendre leurs conclusions dans les prochains jours afin de proposer des pistes nouvelles et opérationnelles. Et pour la première fois, Météo France a publié des projections climatiques spécifiques aux Outre-mer, un outil essentiel pour anticiper et planifier.

Enfin, je m'impliquerai directement personnellement sur le volet européen, car beaucoup de vos enjeux se jouent aussi à Bruxelles. Et je veux que les Outre-mer y soient mieux défendus.

IV. Vie chère, logement, développement économique avancer ensemble, avec des outils renforcés

La vie chère reste l'une de vos préoccupations principales. Elle est l'un des sujets que le Premier ministre m'a demandé de traiter en priorité, et je m'y suis pleinement engagée. Au cœur de ce combat, il y a la question du logement : construire plus, réhabiliter, lutter contre l'habitat indigne, proposer de véritables parcours résidentiels, allant du très social au libre en passant par l'intermédiaire. La Ligne budgétaire unique (LBU) joue ici un rôle central : près de 8 000 logements dans les DROM ont été financés en 2024 grâce à elle. Le projet de loi de finances pour 2026 prévoit des crédits de paiement en hausse pour poursuivre cet effort.

Nous devons également utiliser pleinement les leviers législatifs existants. J'ai porté au Sénat le projet de loi sur la vie chère. Il va dans la bonne direction, mais nous pouvons aller beaucoup plus loin. Je suis prête à l'amplifier avec tous ceux qui veulent y travailler, de manière très concrète. Le décret d'application de la loi Belim, que vous attendiez et qui permettra l'homologation de matériaux de construction issus de vos environnements régionaux – ce qui réduira les coûts et accélérera les chantiers – sera publié d'ici la fin de l'année. L'encadrement des loyers, déjà expérimenté à La Réunion avec l'observatoire des loyers, pourra être étendu si les présidents d'intercommunalité en font la demande. Je vous invite également, en tant que maires, à poursuivre votre mobilisation dans la rénovation des logements sociaux, rendue plus simple et plus attractive grâce au décret d'août dernier sur le crédit d'impôt, très attendu par les bailleurs et le BTP.

Pour structurer cette action, je souhaite que nous puissions signer le Plan logement Outre-mer 3 (PLOM 3) d'ici le début de l'année prochaine, afin de fixer une stratégie claire, des priorités partagées et des moyens précis pour les atteindre.

En matière économique, les discussions parlementaires qui s'ouvrent seront déterminantes. J'ai constaté à mon arrivée une baisse de 21 % des autorisations d'engagement du programme 123, consacré aux conditions de vie outre-mer, ainsi qu'un effort prévu de 650 millions d'euros sur la LODEOM et la défiscalisation. Avec le Premier ministre, nous avons entendu les élus et les acteurs économiques : ces réformes ne s'appliqueront pas en 2026. Nous allons reprendre le travail dès le début de l'année pour définir une réforme qui serve réellement l'emploi local et le développement économique des Outre-mer, et j'ai bon espoir que le budget du ministère soit ajusté en conséquence.

V. Une relation renouvelée pleinement engagé un État partenaire, fiable, et pleinement engagé

Enfin, je veux vous dire un mot de la méthode, car elle conditionne tout le reste. Dans la relation que je souhaite instaurer entre les territoires ultramarins et l'État, une chose compte : la fiabilité. Un État qui s'engage doit tenir ses engagements. Cela vaut pour les contrats de convergence et de transformation, pour les contrats de développement, pour les contrats de redressement. Ces outils sont essentiels, car ils financent des investissements structurants, et ils accompagnent les communes qui s'engagent courageusement dans le redressement de leurs finances.

Mais la fiabilité, c'est aussi laisser de l'espace à la décision locale. Je ne parle pas seulement des discussions institutionnelles en cours dans certains territoires, mais de choses très concrètes : vous donner les moyens d'agir dans vos compétences actuelles, sans attendre d'éventuelles réformes futures. C'est pourquoi je veux formaliser, dans les prochaines semaines, une offre d'ingénierie renforcée destinée aux communes. Je souhaite pouvoir mobiliser, sur le long terme, des inspecteurs et experts au service de vos priorités locales. J'invite d'ailleurs vos associations territoriales à identifier vos besoins de manière très précise, car ils diffèrent d'un territoire à l'autre, d'une commune à l'autre.

Conclusion

Mesdames et Messieurs, cette journée s'ouvre un mois seulement après mon entrée en fonction. Je ne viens pas vous livrer une vérité toute faite ; je viens partager avec vous une méthode faite de trois exigences simples : écoute, respect, résultats. Je serai à vos côtés pour accélérer les projets utiles, lever les blocages, simplifier lorsque c'est possible, renforcer l'ingénierie, mieux coordonner l'action de l'État avec la vôtre, et faire entendre vos réalités là où elles doivent être décidées.

Cette journée contribuera, j'en suis certaine, à bâtir un agenda commun, concret, mesurable, territoire par territoire.

Parlons vrai, parlons utile, décidons ensemble.

Vive la République, vive les Outre-mer et vive la France.

Je vous remercie.


Source https://www.outre-mer.gouv.fr, le 28 novembre 2025