Interview de M. Gérald Darmanin, Garde des Sceaux, ministre de la justice, à France 2 le 5 décembre 2025, sur le budget pour 2026 et les fouilles des détenus de l'ensemble des établissements pénitentiaires de France.

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Média : France 2

Texte intégral

ALEXANDRE PEROU
Bonjour à tous et bonjour Gérald DARMANIN.

GERALD DARMANIN
Bonjour.

ALEXANDRE PEROU
Merci d'être notre invité ce matin. L'actualité de la nuit, c'est bien le vote, tard, hier soir qui redonne une sorte de lueur d'espoir au Gouvernement. Les Députés se sont mis d'accord sur un amendement dit de compromis, sur la hausse de la CSG sur les revenus du capital, indispensable selon la gauche, repoussoir selon la droite. Finalement, ils ont trouvé un terrain d'entente. Est-ce que vous poussez ce matin un ouf de soulagement ?

GERALD DARMANIN
Pour les Français et pour leur sécurité sociale, et pour la stabilité du pays, il faut qu'on ait un budget. On sait tous que ce que nous sommes en train de faire au Parlement, ce n'est pas le budget rêvé. En tout cas, moi, ce n'est pas mon budget rêvé. Je suis pour moins de charges, moins de déficit, moins d'impôts, de manière générale, et la réforme des retraites. Mais il faut faire un compromis. Et je trouve que ce que fait très courageusement le Premier Ministre, c'est de trouver un compromis pour la France et pour la stabilité.

ALEXANDRE PEROU
Est-ce que ce n'est pas un sursis finalement pour le Gouvernement dans cette histoire, avant la question de la réforme des retraites qui va arriver prochainement, le vote de la partie recette qui sera aujourd'hui, et l'adoption définitive mardi ?

GERALD DARMANIN
Vous avez raison, c'est très, très, difficile, la situation politique dans laquelle nous sommes. Nous n'avons pas de majorité, personne n'a de majorité à l'Assemblée nationale. Mais on a vu que l'instabilité politique, notamment après la chute du premier Gouvernement de Sébastien LECORNU, coûtait très cher à la France. Des taux d'intérêt qui ont augmenté. On paye notre dette plus chère. Et puis des Français qui sont désorientés. Je vois dans le ministère de la Justice, il y a mille agents pénitentiaires supplémentaires l'année prochaine pour aider dans nos prisons. Si on n'a pas de budget, on n'a pas ces mille agents. Je pense qu'on est d'accord pour dire que c'est difficile, mais il faut qu'on avance.

ALEXANDRE PEROU
On va revenir sur le budget de l'État, mais avant ça, si aujourd'hui, la partie recette, elle est rejetée, ça veut dire que tout le projet de loi de finances de la Sécurité Sociale est rejeté, est-ce que dans ces cas-là Sébastien LECORNU devra démissionner ?

GERALD DARMANIN
D'abord, Sébastien LECORNU, il est dans un moment où il travaille pour trouver un compromis. On ne va pas commencer à faire la politique du pire ou la politique fiction. Moi, je ne suis pas un commentateur politique. J'ai confiance dans sa capacité à recevoir et à trouver un compromis. C'est un élu local, Sébastien. Et il sait très bien comment on trouve ses compromis. Encore faut-il que les gens qui sont en face de lui ont envie de ce compromis. Moi, je plaiderai inlassablement pour la stabilité et pour l'Union. Je suis sûr qu'on trouvera cet après-midi et la semaine prochaine, lors du vote solennel, les moyens d'avoir une majorité. Ce n'est pas le budget rêvé. On doit faire beaucoup de choses différemment pour la France, mais on doit d'abord donner à un Gouvernement une stabilité pour le pays.

ALEXANDRE PEROU
Vous parlez d'Union. Est-ce que ça ne commence pas par votre propre camp, quand on voit, par exemple, que les Députés du parti Horizons, d'Édouard PHILIPPE, menacent aujourd'hui de voter contre ce PLFSS ? En tout cas, ils disent que dans l'état, ils ne voteront pas pour. Est-ce que ce sont des traîtres, selon vous ?

GERALD DARMANIN
Non, mais je pense que Sébastien LECORNU, Édouard PHILIPPE, Gabriel ATTAL, ils ont à la fois des ambitions, ils se connaissent très bien, et ils trouveront un compromis. Moi, je plaide…

ALEXANDRE PEROU
Ces ambitions, elles polluent ce débat ?

GERALD DARMANIN
Moi, je plaide inlassablement pour l'Union. Il faut regarder les choses positivement. Sébastien tend la main, il faut qu'il la serre. En même temps, il faut comprendre ce que dit Édouard PHILIPPE aussi. Un budget qui prévoit davantage de déficits, davantage de cotisations, et qui reporte une réforme des retraites très courageuse, que nous avons mis en place, et qui est nécessaire pour le pays. On peut comprendre aussi qu'il se pose ces questions avec ses Députés. C'est normal dans un Parlement de parlementer. Mais au bout d'un moment, il faut décider, et il faut soutenir le Premier ministre.

ALEXANDRE PEROU
Est-ce que vous êtes toujours proche d'Édouard PHILIPPE ? Est-ce que vous comprenez ce qu'il est en train de faire ?

GERALD DARMANIN
Moi, je suis même, je pense, un ami d'Édouard PHILIPPE. Je le connais depuis très longtemps. Nous étions élus municipales ensemble, alors qu'il n'était pas encore maire du Havre, et il n'était pas encore maire de Tourcoing. Je le connais depuis longtemps. Après, j'ai des divergences, parfois, d'opinion avec Édouard PHILIPPE, mais c'est normal. Vous avez des divergences avec vos amis.

ALEXANDRE PEROU
Ça nous arrive.

GERALD DARMANIN
Voilà.

ALEXANDRE PEROU
Est-ce qu'il n'y a pas aussi une question d'autorité ? C'est quelque chose dont vous parlez souvent, vous parlez d'autorité de l'État. Est-ce qu'il n'y a pas une question de l'autorité du Premier ministre, qui a du mal à tenir, si ce n'est sa majorité, la minorité qui, aujourd'hui, le porte à l'Assemblée nationale ?

GERALD DARMANIN
Je pense qu'on est à quelques encablures d'une future élection présidentielle. Et donc, ce n'est pas tout à fait anormal que des camps politiques, des parlementaires, fassent de la politique. L'avantage de ce que fait le Premier ministre, c'est qu'il a oublié, lui, son ambition personnelle. Il se sacrifie un peu pour nous tous, parce que c'est très dur d'être à Matignon aujourd'hui. Et je pense que l'autorité du Premier ministre est naturelle. Tout le monde considère qu'il est très courageux de faire ça. Viendra le moment où on aura un débat présidentiel, pour la suite et pour l'avenir. Les parlementaires, ils peuvent avoir peur aussi de la dissolution. C'est aussi pour ça qu'ils se disent : " Bah, moi, je ne vais pas prendre une position, parce que je vais retrouver devant mes électeurs dans quelques jours ". Il n'y aura pas de dissolution s'il y a une stabilité au Gouvernement. Donc, je pense qu'il faut écouter la stabilité et penser intérêt général avant intérêt partisan.

ALEXANDRE PEROU
Alors, on va aussi parler ce matin des prisons. Vous avez lancé il y a dix jours un grand plan de fouilles de l'ensemble des établissements pénitentiaires de France. On va parler très concrètement ce matin. Combien de fouilles ont déjà été menées et qu'est-ce que vous y avez trouvé ?

GERALD DARMANIN
Il y a 26 maisons d'arrêt qui ont connu déjà des fouilles jusqu'à hier soir, par exemple à Paris la Santé hier soir. On a plus de 400 téléphones, plus de 600 objets interdits. Ça peut être des couteaux, ça peut être des Airpods, ça peut être... J'y ai trouvé même, en allant à Nanterre, des lunettes connectées.

ALEXANDRE PEROU
De la drogue aussi ?

GERALD DARMANIN
Et plusieurs kilos de drogue, et notamment, c'est évidemment du cannabis. Voilà. Moi, j'ai dit que j'étais tout à fait, comme tous les Français, scandalisé de ce qui se passait dans nos prisons.

ALEXANDRE PEROU
Ça veut dire quoi ? Que les prisons, aujourd'hui, ce sont des passoires dans lesquelles on fait rentrer et sortir n'importe quoi ?

GERALD DARMANIN
Oui, c'est vrai. C'est pour ça, d'ailleurs, que je change radicalement la façon dont les prisons sont organisées. D'abord, en faisant des prisons de haute sécurité. En six mois, nous les avons faites, construites, aménagées. Là, il n'y a pas de téléphone, il n'y a pas de clé USB et surtout, on y a mis les personnes les plus dangereuses. Et maintenant, on s'occupe de toutes les autres prisons, les maisons d'arrêt, à la fois en les sécurisant. Il faut qu'on change totalement la façon dont on fait l'architecture d'une prison. Parce que quand on les a inventées, il y a plus de 150 ans, parfois, certaines... On n'a pas pensé aux drones, on n'a pas pensé aux téléphones portables. Et puis, en remettant de la sécurité et de l'autorité dans ces prisons, en y remettant des effectifs, parce qu'il manque des agents pénitentiaires, en luttant contre la surpopulation carcérale, parce qu'il y a trop de prisonniers dans ces prisons, mais aussi en remettant les fouilles au parloir, en faisant venir des chiens anti-stups, en faisant des fouilles systématiques. Et donc, nous allons changer. Nous changeons la façon dont on gère les prisons en France.

ALEXANDRE PEROU
Mais quand on voit qu'il y a eu aussi cette double évasion pendant une permission, certes, à la prison de Dijon, il y a eu aussi d'autres évasions, on se demande, on se dit qu'il y a quand même un sous-investissement dans la justice. On sait que ça a été augmenté ces dernières années. Mais qu'a fait l'État ces dernières années, avant cela ?

GERALD DARMANIN
Alors, je pense que depuis 40 ans, nous sous-investissons totalement dans la justice. Nous avons quatre fois moins de magistrats que les autres, quatre fois moins de magistrats qu'en Allemagne, par exemple. On a trois fois moins d'agents qui s'occupent de la jeunesse, de nos enfants, qui sont en difficulté que les autres pays qui nous entourent. Et on a effectivement 4 000 agents pénitentiaires qui nous manquent dans nos prisons. Éric DUPOND-MORETTI, quand il était ministre de la Justice, il a obtenu un budget très important. Et ce budget très important obtenu par mon prédécesseur, moi, je le maintiens. Et je remercie le Premier ministre et le Président de la République, puisqu'avec les armées, c'est le seul qui ne baisse pas et qui augmente. Nous devons continuer à augmenter ce budget. Cependant, le budget ne fait pas tout. Il y a aussi une politique que l'on veut insuffler, et on ne peut pas laisser des téléphones portables dans les prisons. C'est inacceptable pour la société et pour les victimes.

ALEXANDRE PEROU
Bien sûr. Sur les questions budgétaires, vous avez été vous-même ministre du but entre 2017 et 2020. J'ai regardé les chiffres sur cette période-là, sur ces trois ans : seulement 700 millions d'euros supplémentaires. Est-ce que vous dites aujourd'hui que quelque part, vous avez une part de responsabilité ?

GERALD DARMANIN
On a tous une part de responsabilité. Moi, je suis un jeune ministre, mais vous avez parfaitement raison. Il faut regarder l'avenir. Après 700 millions, si je regarde les choses, pour sécuriser une prison totalement, il faut 5 millions d'euros. Là, avec 30 millions d'euros, je sécurise 6 prisons, dont Dijon, qui connaissent les plus de difficultés. Il ne faut pas reconstruire des prisons, forcément. Oui, il faut en construire, mais ce qu'il faut surtout, c'est les sécuriser, mettre des caillebottis aux fenêtres pour pas que les drones rentrent dans les cellules. Il faut évidemment mettre plus d'effectifs pour qu'ils puissent faire des contrôles. Il faut des chiens anti-stups, parce qu'on n'a pas ça, forcément. On n'en a pas beaucoup dans les prisons françaises. Au parloir, il faut faire des contrôles. Et lorsque vous remettez ces contrôles, vous remettez de l'ordre. Moi, je suis toujours élu local. J'ai reçu, il y a quelques semaines, une dame qui avait été violentée très fortement par son mari et qui, de sa prison, cet ex-mari, appelait avec un téléphone portable pour la harceler alors qu'elle, elle avait obtenu sa condamnation. Elle me dit : " Mais monsieur le maire, elle m'appelle encore monsieur le maire à Tourcoing, comment c'est justifiable, ça ? " Je me suis trouvé honteux devant cette dame. Et c'est pour ça que c'est bien sûr une lutte contre le narcotrafic ou le terrorisme, mais c'est aussi une lutte contre l'insécurité du quotidien.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 8 décembre 2025