Interview de M. Sébastien Martin, ministre délégué, chargé de l'industrie, à TF1 le 12 décembre 2025, sur la liquidation du groupe BRANDT par la justice.

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Média : TF1

Texte intégral

ADRIEN GINDRE
Bonjour Sébastien MARTIN.

SEBASTIEN MARTIN
Bonjour.

ADRIEN GINDRE
La justice a prononcé hier la liquidation du groupe BRANDT, on en parlait dans le journal, dernier grand groupe d'électroménagers français. 700 salariés vont se retrouver au chômage. Leur projet de coopérative n'a pas été retenu. Hier, vous avez fait part de votre tristesse et de votre incompréhension. Incompréhension, parce qu'à vos yeux la décision du tribunal est une erreur ?

SEBASTIEN MARTIN
Incompréhension, parce que je crois qu'on s'est tous battus, extrêmement, fortement. Et moi, je veux saluer l'engagement des salariés et du président de la région, François BONNEAU, et du maire d'Orléans, Serge GROUARD, pour que seulement en 10 jours, on arrive à remonter un projet, à aller chercher 30 millions d'euros, même la région Île-de-France, Valérie PECRESSE s'est mobilisée aussi.

ADRIEN GINDRE
Mais donc, le tribunal aurait dû décider autrement ?

SEBASTIEN MARTIN
Non, vous savez, moi, je suis respectueux de l'État de droit. Il y en a beaucoup qui s'interrogent sur l'État de droit. Moi, je suis respectueux de l'État de droit.

ADRIEN GINDRE
Ah, notamment Jean-Luc MELENCHON, hier, qui disait : " C'est quand même incroyable qu'un tribunal ait l'opportunité de tout refuser et de tout détruire ", dit-il.

SEBASTIEN MARTIN
D'accord, d'accord. Mais enfin, Jean-Luc MELENCHON et son rapport à l'État de droit, vous me permettrez de ne pas le partager. Et donc, vous ne m'entendrez pas critiquer comme ça une décision de justice. Par contre, bien évidemment, moi, ça m'interroge, parce qu'une reprise d'entreprise, c'est toujours un pari, c'est toujours difficile. Quand vous reprenez une prise, quand vous voulez reprendre une entreprise qui est en difficulté, bah, forcément, il faut faire confiance, forcément, il faut se dire que le plan d'affaire qui est proposé est sans doute un plan d'affaire qui doit se consolider avec le temps. Parce que reprendre des entreprises qui vont bien, c'est facile. Ce n'est pas trop compliqué quand vous avez les clients, quand vous avez un chiffre d'affaires positif. Mais quand vous avez un chiffre d'affaires qui est négatif, que vous avez moins de clients, effectivement, parfois, c'est difficile.

ADRIEN GINDRE
Alors, justement, je voudrais vous faire écouter ce que disait hier le maire d'Orléans, qui, lui aussi, s'est mobilisé sur le dossier, qui, d'ailleurs, a salué votre travail et votre engagement, mais qui a aussi exprimé sa colère. On l'écoute.

SERGE GROUARD, MAIRE DVD D'ORLEANS
Tout le monde vient gloser sur la réindustrialisation de la France, mais la réalité, elle est là aujourd'hui. Elle est qu'n a une super boite qui va couler. Cette boîte, elle était sauvable. Cette boîte, elle aurait dû tourner. Elle doit continuer d'exister, cette boîte. Merde. C'est la France ici, quoi.

JOURNALISTE
C'est quoi ? C'est un gâchis ?

SERGE GROUARD
Mais c'est plus qu'un gâchis. C'est une pétaudière. Et c'est un système qui ne fonctionne plus, qui est vérolé.

ADRIEN GINDRE
Qu'est-ce que vous lui répondez ? Il a raison quand il dit : " Cette boîte était sauvable " ?

SEBASTIEN MARTIN
Serge GROUARD est quelqu'un de passionné. Passionnant, d'ailleurs, aussi parfois. Et il réagit avec ses tripes, parce que forcément, ça se passe sur son territoire.

ADRIEN GINDRE
Mais sur le fond, est-ce qu'il a raison ?

SEBASTIEN MARTIN
Sur le fond, il a raison de se battre comme moi pour la question de la réindustrialisation et dire qu'il faut des usines dans ce pays. Maintenant, il faut regarder les choses en face telles qu'elles sont. On a recréé des emplois industriels dans ce pays. On a tendance à l'oublier, parce qu'en ce moment, c'est difficile.

ADRIEN GINDRE
On va en parler, mais sur le cas de BRANDT, est-ce que le la boîte était sauvable pour vous ? Et est-ce qu'elle l'est encore aujourd'hui ? Ou est-ce que de toute façon…

SEBASTIEN MARTIN
Si elle n'était pas sauvable, je ne me serais pas battu comme on s'est battus en y allant au dernier moment, à Orléans, en... sur place, en rencontrant tout le monde, en essayant de convaincre les banques. Oui, elle était sauvable. Maintenant, ce que je souhaite, c'est qu'on n'agisse pas à nouveau dans la précipitation. Il y en a qui me disent : il faut que j'appelle le procureur pour qu'il fasse appel. Je rappelle juste que dans notre constitution, il y a quand même une forme de séparation des pouvoirs. Donc, il faut qu'on prenne le temps. D'ici la fin de l'année, on va se revoir avec les acteurs locaux pour essayer de rebâtir, un autre projet peut-être : un projet sérieux tout aussi sérieux que celui-ci, avec plus d'investisseurs privés, sans doute, aussi.

ADRIEN GINDRE
Donc, il peut encore y avoir un avenir pour BRANDT ?

SEBASTIEN MARTIN
Et moi, je ne laisse pas tomber le sujet BRANDT. Je ne laisse pas tomber le fait que nous puissions avoir sur le territoire français, comme c'est le cas dans d'autres pays européens, des acteurs de l'électroménager comme ça.

ADRIEN GINDRE
Hier, vous avez également indiqué, bien sûr, concernant les salariés, qui nous regardent très certainement ce matin pour nombre d'entre eux, que vous seriez très mobilisés pour les accompagner.

SEBASTIEN MARTIN
Bien sûr.

ADRIEN GINDRE
Quand on dit ça, ça signifie quoi ? On parle de leur trouver un emploi, leur trouver une formation, des indemnisations, ou comme vous venez de l'esquisser, leur dire : il y a encore un avenir pour BRANDT, sur le site de BRANDT ?

SEBASTIEN MARTIN
Dans l'immédiat, il va y avoir, d'abord, la discussion de ce qu'on appelle le PSE, le plan social. Donc, avec nos services en département, sur le territoire, on accompagnera les salariés pour faire en sorte que ce plan social soit bien construit. Ça, c'est dans l'immédiat. Ensuite, il y a aussi, sur le bassin économique d'Orléans, et notamment avec les acteurs locaux, des entreprises qui sont dynamiques, qui recrutent. Je pense que beaucoup de salariés de BRANDT peuvent aussi avoir un avenir très proche dans des entreprises qui sont présentes sur le bassin. Et ensuite, dans un troisième temps, en parallèle : retravailler sur un projet. Il y a un site industriel qui est présent. Il y a des savoir-faire qui sont présents, et donc, la capacité d'imaginer un nouveau projet industriel sur ce site.

BRUCE TOUSSAINT
Mais monsieur le ministre, il y a quelques minutes, dans cette émission, Élizabeth MARTICHOUX, dans son édito, a dit : " Au fond, le rôle du Gouvernement se limite à présenter ses condoléances après ce faire-part de décès. » Est-ce que ce n'est pas la réalité ?

SEBASTIEN MARTIN
Non, ce n'est pas vrai, parce que d'abord, si on se contentait de présenter nos condoléances, je ne pense pas qu'on aurait été aussi proactifs. Je ne pense pas que…

BRUCE TOUSSAINT
Mais aujourd'hui, est-ce que vraiment, vous pouvez faire des promesses, objectivement ?

SEBASTIEN MARTIN
Ah non, mais attendez, moi, je ne suis pas venu faire des promesses.

BRUCE TOUSSAINT
À l'instant, vous venez de le faire. Vous venez de dire : les services du département allaient se…

SEBASTIEN MARTIN
Excusez-moi. Non, non, non, non. Non, non. La vie économique... Ça ne s'appelle pas faire des promesses. Non, ça ne s'appelle pas faire des promesses. Ça s'appelle faire son boulot. Ce n'est pas exactement la même chose. Les services de l'État, dans le département, sous l'autorité de la préfète, les services de la DRETS, pour être précis, ont bien évidemment un travail à faire : d'accompagnement d'un plan social, d'accompagnement des salariés, les agences de développement économique aussi, d'accompagnement d'entreprises qui peuvent avoir besoin de recruter. Donc, ça, c'est ce qui va être fait. Et ça s'appelle faire notre boulot. Ça ne s'appelle pas faire des promesses. Et ensuite, reconstruire un projet. Ça, c'est autre chose, et je suis prêt à en parler.

ADRIEN GINDRE
Pour bien comprendre ce qui s'est passé, Sébastien MARTIN, il se trouve qu'hier, vous avez, avec votre collègue Roland LESCURE, tous les deux, à Bercy, rappelé que l'État avait promis 5 millions de soutiens, que les collectivités ont promis 20 millions de soutiens. Et vous avez cette phrase : " Malgré cela, les autres acteurs indispensables n'ont pas souhaité se positionner pour sauver BRANDT. " Qui n'a pas été au rendez-vous ? Qui a manqué à l'appel ?

SEBASTIEN MARTIN
Il y a eu peu de partenaires bancaires, c'est vrai. Et moi, j'aurais aimé, je vais utiliser cette expression : qu'ils fassent un peu plus transpirer leurs règlements. C'est-à-dire, c'est vrai que pour avoir un engagement bancaire, il faut passer par un certain nombre de règles, de comités d'engagement. Et là, il y avait urgence. Il y avait urgence. Et on n'a pas réussi, sans doute, dans cette urgence, à aller chercher un peu plus de partenaires privés autour de cette opération.

ADRIEN GINDRE
Donc, les banques ont manqué de courage, d'une certaine manière, d'audace.

SEBASTIEN MARTIN
Je ne sais pas si c'est courage ou audace, mais en tout cas, j'aurais aimé peut-être que, face à l'urgence de la situation, on se dise que les procédures habituelles, on pouvait faire un peu mieux et un peu plus vite.

ADRIEN GINDRE
Il y a des propositions qui vous sont faites depuis hier et depuis plusieurs années. Même hier encore, le Député François RUFFIN, un Député de gauche, très mobilisé sur les questions d'industrie, dit : " Sans barrière douanière, sans taxe aux frontières, notre industrie se fait laminer encore une fois. " Il pointe bien sûr la concurrence chinoise. Est-ce qu'il faut plus de barrières douanières ? Est-ce qu'il faut mettre plus vite en place ces mesures ?

SEBASTIEN MARTIN
Bien évidemment. La France a défendu la possibilité, aujourd'hui, par exemple, d'avoir plus de barrières douanières sur la question de l'acier, parce que vous avez aujourd'hui 5 fois le volume du marché européen qui est déversé par la Chine, sur l'acier.

ADRIEN GINDRE
On le dit, mais est-ce qu'on fait assez vite, assez fort ?

SEBASTIEN MARTIN
Ah non, mais attendez. Les clauses de sauvegarde ont été annoncées par Stéphane SEJOURNE en octobre, à la demande de la France.

ADRIEN GINDRE
A la commission d'enquête.

SEBASTIEN MARTIN
C'est en cours d'examen au Parlement européen. Et en tout cas, une mise en oeuvre doit tomber au premier trimestre 2026. C'est-à-dire juste après les fêtes. C'est demain. On peut faire la même chose sur la chimie. Il y a la question aussi de l'automobile. Moi, je crois qu'aujourd'hui, je crois à un marché, au libre-échange, mais sauf qu'à condition que tout le monde respecte les mêmes règles. Et aujourd'hui, nous sommes face à une invasion, il n'y a pas d'autre mot, de production chinoise, qui sont à 50% ou 30% du prix, ou même parfois, j'ai rencontré le patron de MICHELIN, en dessous du prix de la matière première. Parce qu'ils ont ce qu'on appelle des surcapacités. C'est-à-dire qu'ils produisent 100, leur marché s'est réduit, les Etats-Unis se sont fermés, et ils balancent tout chez nous. Et ça, très honnêtement, il faut qu'on se protège.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 15 décembre 2025