Texte intégral
ALIX BOUILHAGUET
Bonjour Philippe BAPTISTE.
PHILIPPE BAPTISTE
Bonjour.
ALIX BOUILHAGUET
On commence cet entretien avec cet attentat antisémite à Sydney. Au moins 15 morts… sont mortes hier alors qu'elles étaient réunies pour fêter la fête juive de Hanoukka. Laurent NUÑEZ, le ministre de l'Intérieur, a annoncé un renforcement de la sécurité sur les lieux de culte juif. Est-ce que vous, vous redoutez des actions, une menace au sein des universités françaises ?
PHILIPPE BAPTISTE
Peut-être juste avant dire mon émotion évidemment en pensant à ces 15 victimes dont un compatriote et puis dire aussi à quel point c'est profondément choquant, c'est l'horreur, c'est l'antisémitisme dans sa bêtise la plus crasse et puis c'est l'horreur du terrorisme. Et ça montre encore une fois qu'il faut qu'on lutte et qu'on se mobilise en permanence évidemment nous localement, en France, en Europe mais dans le monde entier pour lutter contre ça. On ne fait progresser aucune cause avec ça. Donc c'est le premier point que je voulais faire. Évidemment après, les conditions de sécurité s'adaptent en permanence à la situation nationale et internationale. Les présidents d'universités sont mobilisés sur ces sujets-là, bien entendu, et s'adaptent en permanence et ils s'adaptent à leurs dispositifs.
ALIX BOUILHAGUET
Merci. On revient en France sur ce qui se passe en ce moment du côté de nos agriculteurs. Pour lutter contre l'épidémie de dermatose bovine, les autorités ont mis en place un protocole, je le rappelle, c'est l'abattage des bêtes dès lors qu'un animal du troupeau est touché et c'est aussi la vaccination dans un périmètre de 50 km. Un protocole qui a été décidé notamment par les vétérinaires, par les autorités scientifiques sanitaires. Vous êtes, vous-même, scientifique de haut niveau. Pourquoi certains continuent, parmi les agriculteurs ou même parfois les politiques, à rester défiants par rapport à ce protocole ?
PHILIPPE BAPTISTE
La question que vous posez, au-delà du drame que connaissent aujourd'hui le monde de l'élevage et le monde agricole, parce que c'est un vrai traumatisme et c'est vrai que c'est très compliqué à vivre quand vous êtes agriculteur, quand vous êtes éleveur, mais c'est la question de la confiance en la science. On le constate dans le monde agricole aujourd'hui, on voit que certains syndicats ou que certains hommes politiques essaient de contester quelque part le sujet. La question, en fait, c'est que, derrière, ces protocoles ont été mis en place par des vétérinaires, par des scientifiques, par des épidémiologistes, par des sachants qui, quelque part, travaillent sur cette question et essaient de trouver la meilleure solution à un problème qui est quand même extraordinairement complexe. Et on ne va pas s'en débarrasser simplement en niant le problème. J'appelle tout le monde évidemment à la responsabilité et à la confiance, confiance en les sachants, confiance en la science. C'est comme ça qu'on se sortira de cette crise qui est une crise majeure. Et évidemment, il faut être aux côtés des vétérinaires, aux côtés du ministère de l'Agriculture pour faire confiance.
ALIX BOUILHAGUET
Quand vous entendez, par exemple, Marine LE PEN appeler le Gouvernement à une concertation avec les agriculteurs à alléger ce protocole ou Jean-Luc Mélenchon, lui, qui dénonce un abattage systématique des troupeaux absurdes. Vous qualifiez ça comment ? Pour vous, c'est du populisme ? C'est quoi ?
PHILIPPE BAPTISTE
Je pense qu'en tout cas, ce n'est pas faire preuve d'une très, très grande responsabilité. La responsabilité aujourd'hui, c'est de faire confiance justement aux scientifiques, aux vétérinaires qui travaillent au quotidien pour essayer de trouver des solutions et leur faire confiance, ce n'est pas justement générer de la polémique et générer du malheur sur le malheur.
ALIX BOUILHAGUET
Donc ça veut dire que la Confédération Paysanne, par exemple, elle dit qu'il faut un abattage partiel, une quarantaine forcée, une vaccination élargie, vous dites ça ?
PHILIPPE BAPTISTE
Moi, ce que je dis, c'est que je ne suis pas sachant justement. Être scientifique, c'est justement être modeste et savoir ce qu'on sait et ce qu'on ne sait pas et aussi faire confiance à la communauté scientifique. Moi, je fais confiance aujourd'hui à la communauté scientifique qui s'est penchée sur ces questions et qui justement propose des solutions qui peuvent être des solutions qui peuvent être très douloureuses pour des éleveurs, mais c'est aussi le moyen aujourd'hui d'éviter une propagation qui peut être fulgurante de cette épidémie.
ALIX BOUILHAGUET
Un tout dernier mot, la députée Mathilde PANOT réclame, elle, un débat avec vote au Parlement, vous trouvez ça judicieux ?
PHILIPPE BAPTISTE
Je crois qu'on n'est pas tellement dans un moment qui est un moment politique, on est dans un moment qui est sanitaire. Ça ne veut pas dire qu'il ne doit pas y avoir un moment ou un autre, un débat au Parlement peut-être après, etc. Mais là, on est quand même dans l'urgence d'un débat sanitaire. Et je pense qu'encore une fois, il faut faire confiance aux scientifiques, il faut faire confiance aux sachants. C'est comme ça qu'on pourra s'en sortir.
ALIX BOUILHAGUET
Le Gouvernement a annoncé un investissement de 300 millions d'euros pour 15 nouveaux programmes de recherche destinés à renforcer la souveraineté scientifique et technologique de la France. D'abord, si jamais le budget passait par loi spéciale, est-ce que ça aurait une incidence sur cette annonce ?
PHILIPPE BAPTISTE
Ça pourrait avoir une incidence sur énormément de choses et énormément de programmes et on pourrait avoir des retards d'investissement immobilier, des retards d'investissement dans des programmes de recherche, dans des programmes spatiaux, dans le domaine, ça peut avoir un impact absolument majeur. Encore une fois, ce n'est pas ça la logique aujourd'hui. Notre logique aujourd'hui, c'est d'avoir une commission mixte paritaire qui va avoir lieu dans quelques jours. Et derrière cette CMP, je pense qu'on a la possibilité de trouver un compromis et d'avoir un budget avant la fin de l'année.
ALIX BOUILHAGUET
Vous êtes optimiste sur le fait qu'on va éviter la loi spéciale ?
PHILIPPE BAPTISTE
Je crois que, derrière, la "méthode LECORNU" a fonctionné, elle a marché. On a vu qu'en fait quelque part, on était capable d'instaurer un dialogue et d'avoir, à la fin, un compromis. Le budget à la fin, ce n'est pas le budget d'un parti, ce n'est pas le budget du Gouvernement, c'est le budget qui fait l'objet d'un compromis. Alors ce programme de recherche que vous mentionniez, là, ces 300 millions d'Euros, c'est beaucoup d'argent qui est mis sur des sujets qui sont des sujets très concrets, mais qui permettent effectivement de construire l'autonomie stratégique de la France. Je vous donne quelques exemples, ce sont les technologies nucléaires du futur, ce sont les composants du futur, c'est aussi réfléchir à des sujets comme utiliser l'intelligence artificielle pour les greffes ou utiliser l'intelligence artificielle pour d'autres sujets qui touchent directement au médical. C'est mixer des approches qui sont des approches scientifiques et techniques de haut niveau pour construire l'autonomie stratégique du pays. La recherche, vous le savez, c'est non seulement étendre le champ des connaissances, mais c'est aussi construire des produits, construire des objets qui vont être dans nos usines et qui vont, demain, être au cœur des entreprises et au cœur de l'emploi.
ALIX BOUILHAGUET
Mais est-ce que cet investissement est à la hauteur des défis alors que le Gouvernement avait annoncé 3 milliards pour les 47 programmes précédents ?
PHILIPPE BAPTISTE
Alors vous savez, en fait, ça c'est un morceau du programme. Le budget global du ministère, c'est à peu près 27 milliards d'Euros. Donc évidemment, il y a d'autres aspects à côté, mais c'est un programme qui est un programme qui est important et qui permet de lancer, de poursuivre une dynamique qui est une dynamique extrêmement forte.
ALIX BOUILHAGUET
Oui, vous avez aussi annoncé récemment l'organisation d'assises sur le financement des universités en janvier. L'objectif, c'est donc d'établir un état des lieux, partager des ressources et charge des établissements. Est-ce que c'est une manière de faire pression sur le Gouvernement dans cette période de disette budgétaire ?
PHILIPPE BAPTISTE
Alors d'abord, ce n'est pas vraiment une disette budgétaire, c'est-à-dire que la mission de recherche et d'enseignement supérieur…
ALIX BOUILHAGUET
C'était disette pour l'ensemble…, les difficultés budgétaires pour tout le monde.
PHILIPPE BAPTISTE
Donc dans l'ensemble du champ gouvernemental, le champ de l'enseignement supérieur et de la recherche est relativement protégé. Le budget est en augmentation, il y a des charges aussi qui augmentent à côté. Mais enfin, c'est plutôt un budget qui est quand même relativement stable, voire en légère augmentation. Donc la question en fait de ces assises, c'est quoi ? C'est simplement de dire, aujourd'hui on voit qu'on a des établissements, on a des universités qui sont en difficulté, qui disent : "On n'y arrive pas, on n'arrive pas à trouver des moyens."
ALIX BOUILHAGUET
La présidente de Paris Panthéon-Sorbonne estime que l'université française est désormais atteinte jusqu'à l'os.
PHILIPPE BAPTISTE
Oui, je pense que le mot est un peu fort et qu'il est fait pour réagir, mais je pense qu'effectivement il y a des universités qui sont en difficulté aujourd'hui, c'est vrai. À côté de ça, l'État a fait au cours de ces dix dernières années un effort budgétaire très important pour les universités. Globalement, le budget global des universités a augmenté de 5 milliards par an au cours de ces dix dernières années. Et donc on voit bien que quelque part, il y a probablement un problème de méthode, il y a probablement la manière dont on alloue les crédits, la manière dont on alloue les moyens, peut-être beaucoup à travers des appels à projets, peut-être pas assez à travers des socles ou des choses comme ça. Il y a des questions qui doivent être reposées et qui doivent être mises sur la table et discutées. Et le but du jeu, c'est bien d'avoir à la fois une vérité partagée sur ce qui s'est passé ces dix dernières années et aussi de faire des propositions pour la manière dont on attribuera des crédits demain.
ALIX BOUILHAGUET
Mais les universités disent faire face à des dépenses supplémentaires - selon les syndicats, 519 millions d'Euros - et une baisse des aides directes aux étudiants. Ça veut dire… Comment elles vont fonctionner ? Elles vont devoir puiser dans leur fonds de roulement pour financer des mesures ?
PHILIPPE BAPTISTE
D'abord, on a un contexte budgétaire qui est un contexte budgétaire globalement contraint aujourd'hui et personne ne peut l'oublier, et dont les marges de progression sont significativement inférieures à celles qu'on avait prévues dans la loi de programmation pour la recherche. Donc ça, c'est vrai. Maintenant, il faut trouver des solutions. Quand on a des difficultés dans telle ou telle université, l'État sera là et sera à côté d'elle, bien sûr. Il faut aussi, évidemment, maîtriser les dépenses, maîtriser la masse salariale. C'est évidemment extrêmement important. Et puis, il faut travailler au cas par cas. Donc moi, je n'ai pas de solution, je n'ai pas de baguette magique pour résoudre les difficultés. Je fais appel, évidemment, à la responsabilité de tout le monde, à la discussion, à partager les problèmes. Effectivement, il y a aussi des endroits où il y a beaucoup de trésorerie qui est disponible. Peut-être qu'on a du mal à utiliser cette trésorerie qui est là aujourd'hui. Ça fait partie des questions dont on va discuter, justement, à partir du mois de janvier, avec deux personnes de très haut niveau qui seront pilotes de cette mission : Jérôme FOURNEL, qui est l'ancien directeur de cabinet du Premier ministre, et à côté de ça, monsieur ROUSSEL, qui est l'ancien président de France Université.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 16 décembre 2025