Texte intégral
M. le président Stéphane Travert. Le large champ de vos compétences, monsieur le ministre, recouvre un ensemble de problématiques qui relèvent de notre commission. Nous avons ainsi créé deux missions d'information intéressant particulièrement vos attributions. La première, dont les rapporteurs sont nos collègues Robert Le Bourgeois et Thierry Benoit, porte sur l'évolution du pouvoir d'achat en France depuis 2017 au regard des indicateurs de prix et de consommation. La seconde, dont les rapporteurs sont Mme Marie-Noëlle Battistel et M. Vincent Rolland, concerne l'économie du ski et les enjeux du tourisme de montagne en France ; ses travaux nous seront prochainement présentés. Nous ne manquerons pas de poursuivre avec vous nos échanges sur ces sujets et de veiller à la bonne prise en compte des recommandations qui pourront être formulées dans le cadre de ces deux missions.
Vous plaidez pour un traitement différencié des PME dans les négociations avec la grande distribution. Quelles devraient en être, selon vous, les modalités concrètes ?
Face à l'essor de plateformes de commerce en ligne à bas coût, comment envisagez-vous de protéger les commerces physiques et les acteurs du commerce de proximité ? Quelle articulation envisagez-vous entre taxation des petits colis, politique de contrôle des marketplaces et soutien direct au commerce local ?
Comment comptez-vous simplifier concrètement les démarches des PME afin qu'elles puissent accéder plus facilement aux aides et dispositifs d'accompagnement existants ?
Quelles mesures concrètes envisagez-vous pour améliorer le pouvoir d'achat des ménages, dont beaucoup font face à des dépenses contraintes élevées dans les domaines du logement, de l'alimentation et de l'énergie ? Comment comptez-vous procéder pour soutenir en même temps le développement des PME et des producteurs locaux, dont les prix ne peuvent pas toujours rivaliser avec ceux d'acteurs économiques plus importants ?
S'agissant du tourisme, quelle appréciation portez-vous sur l'évolution de la fréquentation de notre pays et sur les résultats économiques obtenus, notamment, dans l'hôtellerie et la restauration ? Quelle place souhaitez-vous accorder au tourisme durable et comment articuler cette ambition avec le nécessaire développement économique des territoires ?
M. Serge Papin, ministre des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l'artisanat, du tourisme et du pouvoir d'achat. Ministre issu de la société civile, je prends aujourd'hui la parole avec responsabilité et détermination, animé de l'envie sincère de travailler avec vous à la lumière de mon expérience de chef d'entreprise. Je suis arrivé au Gouvernement pour défendre des convictions personnelles, dont nous pourrons parler, et pour essayer, modestement, de trouver des solutions aux problèmes auxquels sont confrontés les Français – commerçants, artisans, entreprises et consommateurs. Il est précieux de pouvoir vous présenter ma feuille de route, écouter vos propositions et échanger avec vous.
Ma première priorité est la protection de notre économie et de nos commerces, notamment face aux plateformes asiatiques et singulièrement face à Shein. Il faut protéger le commerce de centre-ville, envisager de façon fluide et positive les transmissions – je pense en particulier au pacte Dutreil – et œuvrer pour la simplification.
Ma deuxième priorité est le partage de la valeur au service du pouvoir d'achat.
La troisième consiste à rendre le made in France accessible à tous, comme une alternative durable aux produits importés.
Sur le premier point, il s'agit d'une stratégie défensive, car nous faisons face à une attaque contre laquelle nous devons nous protéger : protéger le consommateur, les entreprises, mais aussi la planète – ce ne sont pas moins de six cents avions chargés de marchandises qui arrivent en effet sur le sol européen chaque jour. Au cours des dernières semaines, nous avons découvert que plusieurs plateformes, dont Shein, vendaient des poupées pédopornographiques (mais aussi des armes). Cela a été une douche froide pour tout le monde. Ce sont nos valeurs fondamentales qui sont bafouées.
Face à la menace, nous avons su réagir vite. Le 5 novembre, le Gouvernement a engagé une procédure de suspension de Shein ; le fait que sa marketplace soit toujours fermée montre que la plateforme ne contrôle pas vraiment les produits qu'elle met sur le marché. Le lendemain, nous sommes allés à Roissy, avec ma collègue Amélie de Montchalin, pour y ouvrir des colis. Les produits que nous avons vus ne respectent ni nos normes de qualité, ni le code de la consommation, ni les règles de protection des consommateurs et ils nourrissent des trafics en tout genre. Quant à la TVA, elle est sous-déclarée : nous avons ainsi vu une centaine de flacons de vernis à ongles qui n'étaient pas destinés à une consommation personnelle, mais à un trafic illicite qui s'affranchit de la TVA. Le non-respect des normes constitue le business model de ces plateformes.
Vous avez convoqué un représentant de Shein qui, une nouvelle fois, n'est pas venu. Nous sommes tous en attente d'explications et, surtout, d'engagements clairs. Ces plateformes font du dumping, c'est-à-dire qu'elles cherchent à prendre la place des autres ; ce faisant, elles tuent nos commerces de proximité et le cœur de notre économie. Elles doivent se plier à nos règles, les mots d'ordre étant : prévenir, sanctionner et, s'il le faut, bloquer. Il est nécessaire, à cet égard, que la taxe de 2 euros par article soit effective dès le début de l'année prochaine.
Dans le commerce de centre-ville, le taux de vacance commerciale atteint désormais 14% et la trajectoire n'est pas bonne. On voit trop de rideaux tirés : c'est moins d'emplois et moins d'activités dans de nombreux territoires. On peut s'inquiéter aussi pour les métiers artisanaux qui font partie de notre quotidien, comme ceux de coiffeur, de boulanger, de fleuriste et de cordonnier. Pour lutter contre cette évolution, j'ai annoncé un plan d'action visant à accompagner la mutation des commerces de centre-ville. Il s'appuie sur le rapport sur l'avenir du commerce de proximité rédigé par Mme Frédérique Macarez, maire de Saint-Quentin, M. Dominique Schelcher, PDG de Coopérative U, et M. Antoine Saintoyant, directeur de la Banque des territoires, à la demande de Mme Véronique Louwagie et Mme Juliette Méadel.
Ce plan d'action propose notamment de soutenir les foncières. Bénéficiant d'un engagement fort de la Banque des territoires, à hauteur de 120 M€ (M€), il constitue un levier pour rouvrir des commerces et des services et pour les agrandir. Il prévoit aussi la pérennisation et la professionnalisation des managers de commerce. À l'interface entre les commerçants et les municipalités, ces animateurs ont pour rôle de créer une véritable stratégie commerciale pour la ville. Enfin, le rôle des maires doit être renforcé. Après l'adaptation de la taxe sur les friches commerciales, il devrait être possible d'aller plus loin en leur laissant la main sur les autorisations d'ouverture des commerces.
S'agissant de la transmission des entreprises, il faut absolument préserver l'esprit du " pacte Dutreil ". Je le répète, car je sais que le sujet a fait débat lors de l'examen du projet de loi de finances (PLF) à l'Assemblée. Ce pacte n'est pas un cadeau fait aux entreprises, c'est un dispositif essentiel à notre souveraineté économique ; s'il existe, c'est pour éviter que des entreprises françaises soient rachetées par des fonds étrangers ou qu'elles ferment purement et simplement.
La France est l'un des pays européens comptant le plus grand nombre d'entreprises familiales. Leur transmission aux générations à venir est un véritable défi, d'autant que c'est souvent aussi un savoir-faire qui est transmis. Je veux porter haut les couleurs de l'artisanat " bleu-blanc-rouge " : ses métiers sont précieux, ancrés dans nos territoires et non délocalisables. Pour les préserver, nous devons continuer de les transmettre. Le défi sera avant tout démographique car, dans les dix ans à venir, plus de cinq cent mille entreprises seront à reprendre. C'est un enjeu majeur pour notre souveraineté économique. Je voudrais mentionner à cet égard l'intérêt d'une extension du pacte Dutreil aux salariés. Dans les très petites entreprises (TPE), en particulier, il peut y avoir des candidats à la reprise.
Il faut aussi simplifier le quotidien de nos entreprises : trop de normes et de démarches s'empilent. Ce problème, auquel je vous sais sensible, monsieur le président Travert, pénalise surtout les TPE et PME, aux dirigeants desquelles on ne peut demander d'être des experts-comptables à temps partiel. Une grande entreprise peut plus facilement recourir à une expertise en interne ou en externe. Le projet de loi de simplification de la vie économique comprend des mesures importantes en faveur du commerce que nous devons préserver, comme la mensualisation des loyers, le plafonnement des dépôts de garantie, le " test PME " et les mesures relatives à l'accès à la commande publique.
Ma deuxième priorité, le partage de la valeur, concerne un sujet qui me tient à cœur depuis de nombreuses années et qui constitue un véritable levier pour améliorer le pouvoir d'achat. La France est sans doute le pays d'Europe où le taux d'épargne est le plus élevé. Alors que la plupart des dispositifs actuels sont orientés vers l'épargne à long terme, les salariés doivent pouvoir disposer d'un complément de revenu immédiatement disponible pour la consommation. Il faut aussi faciliter l'accès des PME et TPE à ces outils – intéressement, participation, prime de partage de la valeur. Les PME n'y recourent pas parce que ce serait trop complexe (parmi les PME de moins de cinquante salariés, 10% seulement disposent d'un contrat d'intéressement), ce qui pénalise leurs salariés par rapport à ceux des grandes entreprises. Plus largement, pour donner un coup de pouce aux jeunes, des mesures pourraient être prises pour inciter les générations comme la mienne à transmettre plus facilement leur épargne.
J'en viens au made in France, qui doit être pour tous ! On ne peut pas toujours reprocher à un ménage qui doit se serrer la ceinture d'acheter des produits importés. On touche, ici aussi, à une question de pouvoir d'achat autant que de souveraineté. On a trop laissé penser que le made in France était une production de niche destinée à l'élite, à la France d'en haut. Au cours du récent salon du made in France, ainsi que du sommet Choose France – Édition France, j'ai rencontré des entreprises déterminées à faire du made in France abordable et accessible. Je veux donc mettre en avant l'excellence française populaire. C'est un enjeu essentiel à quelques semaines des fêtes de fin d'année. Si les entreprises peuvent investir, moderniser les outils, améliorer leur productivité et accroître leurs volumes, notre pays sera capable de reconquérir son marché intérieur ; il a d'ailleurs commencé.
Enfin, je ne peux pas ne pas évoquer l'économie sociale et solidaire (ESS). Ayant passé toute ma carrière professionnelle au cœur d'un groupe coopératif, j'ai mesuré ce que représente l'engagement d'un acteur de ce secteur. L'ESS est concernée par chacune de mes priorités : la revitalisation des territoires, la transmission d'entreprise et l'accessibilité du made in France. Je souhaite par ailleurs poursuivre et finaliser, en concertation avec les acteurs, le travail qui a été lancé par la ministre Véronique Louwagie en dotant la France d'ici fin mars 2026 d'une stratégie lisible et ambitieuse pour l'ESS.
Je défends aussi le tourisme comme pilier essentiel de notre économie. Le tourisme, c'est du concret, du local, du vivant ; il est une vitrine de notre influence. Notre leadership en la matière doit se maintenir et s'amplifier. Je fixe à l'horizon 2030 deux caps ambitieux : atteindre 100 milliards d'euros (Md€) de recettes internationales et faire de la France la première destination durable du monde. Il s'agit de permettre au tourisme de créer de la valeur sans épuiser le vivant.
Je voudrais enfin dire un mot des négociations commerciales qui viennent de débuter. Étant moi-même issu de la grande distribution, je connais cette période clé pour l'ensemble de la filière. Sur ce sujet, je me vois aujourd'hui comme un médiateur qui œuvre pour préserver un équilibre et agit dans l'intérêt de la transparence. Je tiens à saluer les dispositifs qui ont été votés au sein de cette commission au cours des dernières années : il y a eu de vraies avancées sur la construction du prix et la conduite des négociations.
Nous voulons une économie dans laquelle chacun peut travailler, consommer et investir avec confiance, dans laquelle nos entrepreneurs ne sont pas freinés par des obstacles inutiles et dans laquelle les citoyens voient leur pouvoir d'achat préservé et renforcé.
M. le président Stéphane Travert. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.
M. Julien Gabarron (RN). Il est des réalités économiques que l'on peut tenter de maquiller, d'arrondir ou de diluer dans des chiffres ou des tableaux. Et puis il y a la réalité brute, celle que vivent chaque jour nos artisans, nos commerçants, nos patrons de TPE et de PME : la France qui travaille est asphyxiée sous le poids d'une fiscalité devenue absurde, sous le joug de normes qui s'empilent et sous l'indifférence de ceux qui prétendent la soutenir tout en la surchargeant.
Chargé du tissu des artisans, commerçants et petites entreprises qui composent majoritairement le paysage économique de la France, vous êtes, monsieur le ministre, le gardien désigné de notre souveraineté en la matière. Or, celle-ci se fracture lorsque ceux qui créent la richesse sont traités non comme des acteurs essentiels, mais comme des guichets fiscaux. Comment demander à nos TPE et PME d'investir, d'embaucher ou d'innover quand, même dépourvues de locaux et de moyens et au bord du gouffre, elles doivent s'acquitter d'impôts de production qui frappent en bloc et mécaniquement, sans regarder qui est atteint, ni ce qui est détruit ?
La cotisation foncière des entreprises (CFE) est devenue le symbole d'une politique qui ne veut pas voir : elle pèse sur les plus humbles, sur les micro-entrepreneurs, sur les commerçants de nos villages et sur les entreprises familiales, alors qu'ils se battent déjà contre l'énergie trop chère, les matières premières trop volatiles et les assurances trop lourdes. Pendant que les marges fondent, que les trésoreries se vident, que nos entreprises ferment leurs portes dans un silence qui devrait nous scandaliser, l'État continue ainsi d'exiger, de prélever, d'étrangler.
Devons-nous rappeler ici le triste record de défaillances d'entreprise qu'enregistre en ce moment notre pays ? Dans la vie réelle, une faillite n'est pas un point sur un graphique : c'est un territoire qui s'efface, un savoir-faire qui disparaît, une classe qui ferme, une famille fragilisée. Malgré les alertes, les témoignages et la réalité qui saute aux yeux, rien ne change pourtant : il n'y a pas de stratégie d'ensemble, pas de souffle, pas de vision pour redonner aux forces productives de notre pays la place qu'elles méritent.
Le Rassemblement national défend depuis longtemps une autre voix, celle d'une France qui protège ses artisans, qui libère ses entrepreneurs de la norme et qui assainit sa fiscalité pour encourager l'activité plutôt que de la punir. Supprimer l'impôt de production n'est pas un simple slogan, c'est un choix politique majeur, cohérent et assumé, visant à remettre l'économie réelle au centre. Au moment où tant d'entreprises vacillent et où les fondations de notre économie réelle s'effondrent, je vous demande d'entendre cette France productive et d'engager la réforme indispensable des impôts de production, en supprimant notamment la CFE, afin de lui rendre l'oxygène indispensable à sa survie.
M. Serge Papin, ministre. Le projet de loi de finances actuellement débattu prévoit une baisse de 1,3 Md€ de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), un impôt de production injuste de mon point de vue, ainsi qu'une baisse de l'impôt sur les sociétés (IS). En fait, le texte soumis à l'Assemblée en première lecture préservait les PME et les TPE.
Si j'en crois les chiffres, la consommation se tient plutôt bien. Tous les dirigeants d'entreprise que j'ai rencontrés, y compris les artisans, me disent qu'ils sont prêts à investir et à recruter et qu'ils souhaitent simplement de la stabilité. Je comprends que la situation soit tendue du fait de l'incertitude actuelle, mais je suis certain que si l'on apporte un peu de sérénité, les choses vont redémarrer. Rappelons que la France va boucler l'année avec une croissance de 0,8%, ce qui la place parmi les pays européens où la croissance est la plus élevée, et que le pouvoir d'achat des ménages a crû dans les mêmes proportions.
Mme Marie Lebec (EPR). À première vue, le " Black Friday " de 2025 ressemble à un succès, avec 52,5 millions de transactions en ligne traitées par Accertify en une seule journée contre un peu plus de 42 millions en 2024, soit une croissance spectaculaire de 24%. Nous assistons à une explosion du commerce en ligne accompagnée d'une arrivée massive de produits importés à très bas coût, qui ne respectent pas toujours nos normes. Nous avons longuement débattu de la présence de Shein au BHV, mais, chacun le sait ici, c'est l'arbre qui cache la forêt. De nouveaux modes de commercialisation et d'achat bouleversent l'ensemble de notre écosystème économique.
Dans le cadre du projet de loi de finances pour 2026, nous travaillons à instaurer une taxe sur les petits colis. La France agit pour freiner la commercialisation des produits non conformes sur les plateformes, et nos commerçants se mobilisent face aux abus ; mais en dépit de ces efforts, nous restons démunis. Vous l'avez dit à plusieurs reprises, l'action doit se situer à l'échelle européenne. Quelles recommandations la France défend-elle à ce niveau pour mieux encadrer les plateformes, plus précisément pour faire respecter les normes de fiscalité et de protection des consommateurs ?
Vous vous êtes rendu récemment avec la ministre de l'action et des comptes publics à l'aéroport de Paris-Charles de Gaulle pour assister aux opérations de contrôle des colis issus de ces plateformes. Ces contrôles indispensables sont nombreux en France, mais qu'en est-il dans les ports européens, qui revendiquent parfois de laisser passer ces colis plus facilement que nos ports de dimension internationale ?
Vous avez agi rapidement et avec détermination dès vos premiers jours au ministère. Cependant, aucun échange avec nos PME ou nos commerçants ne se tient sans que soient évoquées les préoccupations liées au tsunami que représentent les plateformes de commerce en ligne. Les enjeux sont majeurs pour les commerçants et les consommateurs et l'action de la France ne peut se limiter à des mesures nationales : elle doit s'inscrire dans une régulation collective à l'échelle européenne. C'est à ces conditions que nous pourrons relever ces défis de façon efficace, cohérente et durable.
M. Serge Papin, ministre. Je suis d'accord. Jeudi dernier, nous avions une réunion des ministres européens du commerce ; la majorité a répondu à mon invitation, y compris le ministre hongrois. Tous sans exception sont derrière nous. Ils ont même cité la France en exemple face aux problèmes auxquels ils sont, eux aussi, confrontés.
Nous ne pouvons être les seuls ouverts au libre-échange alors que les autres, notamment les États-Unis et la Chine, mettent des barrières en place : il faut, pour nos commerces et nos entreprises, un peu de protectionnisme. Le combat sera long. Un dispositif est en route – la taxe sur les petits colis, votée dans le cadre des discussions budgétaires – et un autre sera applicable dès 2026 – l'application de droits de douane dès le premier euro au niveau européen. Avec mes collègues européens, nous allons aussi envoyer un courrier commun au commissaire McGrath afin de lui faire des propositions visant à protéger l'Europe. Nous avons marqué des points, notamment en exerçant un effet d'entraînement sur les autres pays européens.
L'audition est suspendue de dix-sept heures à dix-sept heures vingt.
M. Guillaume Lepers (DR). Je salue votre engagement en faveur du commerce de proximité depuis votre arrivée à Bercy. Depuis plus de dix ans, la vacance commerciale progresse, touchant fortement les villes moyennes et les centres-bourgs, où plus de 20% des vitrines sont parfois fermées. Cela transforme le quotidien de nos concitoyens, fragilise le lien social et crée un cercle vicieux qui menace, à terme, l'attractivité de nos territoires.
Des leviers existent : les programmes Action cœur de ville et Petites Villes de demain ont permis de relancer de belles dynamiques locales. S'il faut évidemment les reconduire, ils ne suffiront pas à inverser la tendance actuelle. L'effondrement de grandes enseignes nationales crée, dans nos rues commerçantes, des trous béants que nous peinons à combler. Pourtant, le commerce, ce sont des emplois non délocalisables et une proximité humaine irremplaçable. Les commerçants sont des chefs d'entreprise qui prennent des risques et créent de l'emploi : leur engagement mérite d'être soutenu.
Face à cette situation de crise, votre prédécesseure Véronique Louwagie, dont mon groupe tient à saluer l'action à Bercy, avait présenté des mesures en faveur du renforcement des foncières de redynamisation territoriale, de la montée en puissance des managers de centre-ville ou encore du développement d'outils destinés à faciliter la transmission des commerces. Pour encourager l'installation des jeunes entrepreneurs et simplifier la vie des commerçants en matière tant administrative que fiscale, il faut aller plus loin et renforcer les mesures réellement incitatives.
Permettez-moi d'appeler votre attention sur un point sensible : si les collectivités territoriales sont libres de créer des exonérations et des dispositifs de soutien fiscaux, ceux-ci entraînent une perte de recettes qui pèse lourdement sur leurs finances, en particulier dans les territoires les plus fragiles. Si l'État veut encourager des politiques volontaristes, ne devrait-il pas compenser ces efforts pour ne pas pénaliser les communes les plus engagées ?
Enfin, dans l'esprit du " mégadécret " de simplification annoncé par le Premier ministre, envisagez-vous de prendre des mesures réglementaires pour lever les obstacles entravant la transmission ou la modernisation du commerce de centre-ville ?
Le commerce de proximité mérite une ambition nationale forte et votre connaissance fine du terrain est précieuse à l'heure où nos centres-villes, en particulier ceux des villes moyennes, subissent une fragilisation sans précédent.
M. Serge Papin, ministre. Je remercie à mon tour ma prédécesseure Véronique Louwagie pour son travail précieux, qui m'a permis de gagner beaucoup de temps à mon arrivée au ministère, où m'attendait le plan d'action en faveur du commerce.
La taxe sur les friches commerciales, à la main du maire, est trop peu activée alors qu'elle permet d'accompagner les réouvertures. Bien des rideaux fermés ne sont pas rouverts parce que les propriétaires attendent un loyer trop élevé : ce n'est pas normal.
La foncière de redynamisation territoriale permet aussi de réguler les loyers. Ce dispositif important, soutenu par la Banque des territoires, peut également accueillir d'autres investisseurs ; certains, qui se tournent habituellement vers les centres commerciaux, se sont déjà dits prêts à s'y engager.
Lors de ma visite à Saint-Quentin auprès de Mme Frédérique Macarez, j'ai pu mesurer l'importance de la culture commerciale du maire. Elle coordonne l'action des différents acteurs (services de l'État, associations de commerçants, agents immobiliers, etc.) pour créer une dynamique dans les centres-villes. Quelques rideaux étaient baissés, mais des solutions déjà envisagées. L'engagement des élus est primordial, en particulier à l'approche des élections municipales.
Mme Sandrine Nosbé (LFI-NFP). Le pouvoir d'achat des salaires n'a jamais rattrapé son niveau de 2021 et, selon l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), il continuera de reculer en 2026, en raison du faible dynamisme des prestations sociales, de la masse salariale et des revenus du patrimoine, ainsi que d'une remontée modérée de l'inflation. Parallèlement, les dernières données publiées par l'Insee montrent que le taux de pauvreté atteint des niveaux inédits – 15,4% en 2023, son plus haut niveau depuis le début du décompte (1996). Entre 2017 et 2023, 1,2 million de personnes supplémentaires sont devenues pauvres. Voilà la France d'Emmanuel Macron, que vous soutenez par votre politique !
Face à cette érosion du pouvoir d'achat et à l'augmentation de la pauvreté, nombre de Français se tournent vers des solutions à bas coût pour continuer à se vêtir et à subvenir à leurs besoins. Dans ce contexte, les plateformes de commerce en ligne connaissent un essor considérable en France, à l'image de Shein ; mais si celle-ci a été, à juste titre, au cœur des débats aux niveaux national et européen ces dernières semaines, elle est loin d'être un cas isolé. Amazon, eBay, AliExpress, Rakuten, Temu, Joom, Vinted ou encore Wish, pour ne citer qu'elles, sont aussi concernées : non seulement elles concentrent les dérives du capitalisme mondialisé et opèrent en dehors de toute norme, mais leur essor change profondément le tissu économique français. Entre 2007 et 2018, la France a perdu 81 000 emplois dans le commerce et, si rien n'est fait, ce chiffre pourrait encore augmenter de 68 000 d'ici à 2028. Dans le même temps, le taux de vacance commerciale a doublé, passant de 5,94% en 2004 à 10,85% en 2024 – une dynamique qui a fragilisé les centres-villes et accentué les inégalités locales.
Monsieur le ministre, pour nous protéger face à Shein, vous proposiez hier de " faire du Trump " en imposant une taxe sur les petits colis. Toutefois, le montant de 2 euros est insignifiant et, surtout, la taxe fait peser la régulation sur les consommateurs, alors que ce sont les plateformes qui tirent profit des pratiques sociales et environnementales destructrices. Elle ne résout ni la question des pratiques illégales, ni celle de la sauvegarde des petits commerces, encore moins celle de la baisse du pouvoir d'achat des Français.
Quelles mesures concrètes comptez-vous prendre pour augmenter le pouvoir d'achat et soutenir nos TPE et PME, contraintes de mettre la clé sous la porte en raison de la concurrence de ces plateformes et de la baisse de fréquentation des commerces locaux ?
M. Serge Papin, ministre. La lutte contre les plateformes promet d'être longue, mais nous avons déjà obtenu des victoires. La taxe sur les petits colis et d'autres mesures à l'échelle européenne sont insuffisantes, je vous l'accorde, mais c'est un début. Nous avons déjà un accord, activons-le. Nous menons une stratégie résolument défensive : j'utilise tout l'arsenal à ma disposition – et il est fourni. Concernant les produits illicites, nous attendons les conclusions du juge sur la demande de suspension de Shein, mais d'autres plateformes sont concernées. La direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) est très mobilisée pour contrôler le respect des normes, car huit produits sur dix présentent des défauts de conformité.
Concernant le pouvoir d'achat, j'ai à cœur d'améliorer le partage de la valeur afin que les salariés puissent bénéficier des fruits de la croissance de leur entreprise. Cela passe notamment par la simplification des contrats d'intéressement, au bénéfice notamment des collaborateurs de PME et TPE, afin que la prime, plutôt que d'abonder une épargne, soit immédiatement disponible.
Mme Valérie Rossi (SOC). Même si nous ne pouvons que regretter que cela ne figure pas explicitement dans l'intitulé de votre ministère, le décret du 29 octobre dernier vous confie la politique de développement de l'économie sociale et solidaire. Profondément ancré dans les territoires, ce pilier essentiel de notre modèle économique et social complète l'action des acteurs économiques classiques et des pouvoirs publics. Avec plus de deux cent mille structures employeuses et 2,7 millions de salariés (ce qui représente plus de 20 % de l'emploi privé dans certains territoires), l'ESS agit dans des domaines essentiels : inclusion et insertion par l'activité économique, transition énergétique, valorisation des déchets, lutte contre le décrochage scolaire, etc. La soutenir n'est pas une dépense, mais un investissement.
Pourtant, les signaux d'alerte se multiplient, comme j'ai pu le constater la semaine dernière au 20e forum de l'ESS des Hautes-Alpes – et encore lors de la 4e conférence régionale de l'économie sociale et solidaire pour la région Sud, organisée par la chambre régionale de l'économie sociale et solidaire de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur et qui se tenait ce matin à Marseille.
Vous avez rappelé votre attachement à ce secteur. Or, les acteurs de terrain sont très inquiets de la baisse de 54% des crédits de l'ESS prévue dans le projet de loi de finances pour 2026, qui affecte notamment les pôles territoriaux de coopération économique (PTCE), les dispositifs locaux d'accompagnement (DLA) ou encore l'insertion par l'activité économique (IAE). Des milliers d'emplois sont en péril et l'accompagnement de projets locaux risque d'être fragilisé, en particulier dans des territoires ruraux tels que les Hautes-Alpes.
Pourtant, l'ESS transforme la vulnérabilité en résilience. Si ses entreprises ont tenu pendant la covid-19 et la flambée des coûts de l'énergie, c'est parce qu'elles reposent sur trois piliers simples : l'ancrage local, la gouvernance partagée et la priorité donnée à la pérennité plutôt qu'à la spéculation. La reprise coopérative de Duralex montre qu'un modèle fondé sur la propriété collective, l'engagement citoyen et le soutien public peut sauver des savoir-faire industriels ; Brandt, dont on parle beaucoup depuis deux jours, peut et doit en être le prochain exemple. Votre collègue Sébastien Martin, ministre délégué chargé de l'industrie, a déjà annoncé le soutien de l'État à cette entreprise à hauteur de 5 M€.
Monsieur le ministre, en attendant de vous retrouver au Conseil supérieur de l'économie sociale et solidaire pour travailler sur la stratégie nationale, pouvez-vous nous indiquer comment le Gouvernement entend permettre à l'ESS de continuer à exercer sereinement sa mission d'intérêt général sur l'ensemble du territoire, grâce à un financement pérenne, une concertation effective avec les acteurs et un soutien concret aux projets émergents innovants ? Le projet de loi de finances actuel lui coupe l'herbe sous le pied.
M. Serge Papin, ministre. Ce n'est pas ainsi que je le comprends. Vous avez pu parler de rendre 20 M€ de crédits à l'ESS, mais celle-ci est soutenue à hauteur de 22 Md€. Je suis personnellement très sensible à l'ESS, dont j'ai souhaité qu'elle dépende de mon portefeuille. Sans le modèle coopératif, je ne serais pas devant vous en tant que ministre : il m'a permis d'entrer stagiaire et de finir exploitant de ma propre entreprise. Ce modèle permet de partager les moyens et d'organiser la solidarité. J'étais d'ailleurs tout à l'heure au conseil d'administration de la Fédération du commerce coopératif et associé, premier acteur du commerce en centre-ville de notre pays et l'un des représentants de l'ESS.
Les débats sur le budget sont en cours : aux parlementaires d'afficher leurs priorités, j'en tiendrai compte. Nous nous sommes donné un peu plus de temps pour finir de rédiger la stratégie nationale de l'ESS : elle devrait être prête d'ici à la fin mars et nous la défendrons ensuite au niveau européen.
M. Boris Tavernier (EcoS). Le commerce de proximité donne une âme à nos quartiers et une vie à nos villes ; mais dans les centres-villes comme dans les villages, des enseignes tirent le rideau, laissant salariés et petits patrons sur le carreau et privant les habitants d'un accès facile à des biens et services essentiels. En un peu plus de dix ans, le taux de vacance commerciale a plus que doublé, pour s'établir à 14% en 2024.
Le rapport sur l'avenir du commerce de proximité dans les centres-villes et les quartiers prioritaires de la politique de la ville, qui vous a été remis début novembre, rappelle la nécessité de lutter contre la concurrence déloyale des grandes plateformes d'e-commerce – l'actualité nous montre l'importance de l'enjeu. Vous avez déclaré ne pas être opposé à une " dose de protectionnisme " ; nous en avons effectivement besoin pour protéger nos commerces, mais aussi notre agriculture et notre industrie.
Le rapport recommande également de promouvoir les projets d'alimentation durable dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville – une ambition que je partage – et, plus largement, d'y développer le commerce de proximité, notamment en s'appuyant sur l'ESS.
Enfin, il propose d'expérimenter un mécanisme de régulation des loyers commerciaux, sur le modèle de l'encadrement des loyers d'habitation. C'est un sujet important : loin de l'image du commerçant propriétaire de son local, nos galeries et nos rues commerçantes sont de plus en plus détenues par des fonds de pension. Chez moi, à Lyon, le loyer d'un commerçant peut doubler ou tripler à l'occasion du renouvellement d'un bail : c'est insoutenable. En Presqu'île, seules de grandes chaînes franchisées réussissent encore à supporter le coût de loyers en hausse ; les restaurants et commerces indépendants, eux, sont malmenés, comme le café Perl, à Cordeliers, qui a mis la clé sous la porte après vingt-huit ans d'existence, parce que le propriétaire a triplé le loyer lors du renouvellement de son bail. À Lyon, pour protéger les locataires, nous encadrons les loyers d'habitation et ça fonctionne. Nous aimerions donc pouvoir faire de même pour protéger les petits commerçants. Le maire Grégory Doucet et celui de Bordeaux ont écrit au Premier ministre pour demander à mener une expérimentation ; Périgueux a fait la même demande dans la foulée. Que pensez-vous de cette initiative ?
M. Serge Papin, ministre. Le projet de loi de simplification de la vie économique prévoit la mensualisation des loyers et le plafonnement du montant de la garantie. J'espère que le texte sera rapidement adopté.
Comme je l'ai dit au maire de Bordeaux, je suis plutôt favorable à cette expérimentation. Cela dit, le marché est en train de réguler le niveau des loyers. J'ai parlé du rôle de la foncière en ce sens. Je répète aussi que si des propriétaires refusent de louer au motif que le loyer ne serait pas assez élevé, les maires peuvent aussi activer la taxe sur les friches commerciales.
M. Philippe Bolo (Dem). De leur création à leur transmission en passant par leur développement local et international, les entreprises, en particulier celles qui dépendent de votre ministère, ont besoin d'accompagnement, de conseils et de soutien. Dans un contexte économique incertain et un contexte géopolitique bouleversant les équilibres commerciaux, cet accompagnement est encore plus essentiel pour les soutenir dans leurs transitions.
Expérimenté et présent au plus près du terrain, le réseau des chambres de commerce et d'industrie (CCI) répond, au quotidien, à ce besoin. Toutefois, ces dernières semaines, partout en France, les CCI ont réagi à la diminution de leurs recettes, prévue malgré les engagements pris en 2023 dans le cadre du contrat d'objectifs et de performance pour les années 2024 à 2027 – engagements qui étaient assortis d'une contribution de 100 M€ prélevée, pendant la même période, sur leurs crédits. Si les parlementaires ont réussi à maintenir la trajectoire de stabilité des moyens des CCI dans le projet de loi de fin de gestion pour 2025 et le projet de loi de finances pour 2026, des incertitudes demeurent, car les débats sont loin d'être terminés. De nouvelles réductions budgétaires seraient un très mauvais signal pour les CCI et, indirectement, pour la vitalité économique de nos territoires, en particulier ruraux. Le Gouvernement s'engage-t-il à respecter les engagements pris en 2023 et le choix des parlementaires ?
Par ailleurs, où en est le Gouvernement de la réflexion sur le rapprochement des réseaux des CCI et des chambres de métiers et de l'artisanat (CMA) ?
M. Serge Papin, ministre. Je ne suis pas favorable à une baisse des moyens aussi radicale que celle proposée dans la version initiale du projet de loi de finances. Pour autant, après analyse et pour en avoir discuté avec les acteurs concernés, il apparaît que, pour éviter les doublons et permettre une optimisation, certains moyens pourraient être mutualisés – entre les CCI et les CMA, mais peut-être aussi avec les chambres d'agriculture, l'Agence de la transition écologique (Ademe), BPIFrance et les régions. " Faire maison commune, mais chambre à part ", comme m'a dit un éminent membre de CMA, ne serait pas stupide : s'installer dans les mêmes locaux, avec un accueil commun, permettrait à la fois de diminuer les coûts et de rendre ces maisons d'entreprises plus robustes. Au-delà du budget, il y va donc de la pérennité des chambres. Il s'agit d'une mutualisation, non d'une fusion – les chambres y seraient opposées et c'est bien normal. Cela prendra un peu de temps, mais j'y travaille avec les acteurs concernés.
M. Thomas Lam (HOR). La TVA est la recette la plus importante de l'État : ses rentrées dans les caisses constituent un enjeu crucial, en particulier en période de tensions budgétaires. Pourtant, voilà trois ans qu'on surestime massivement son poids dans les recettes de l'État et qu'il y a un trou dans la collecte. Remédier à ce problème devient urgent. Le groupe Horizons et Indépendants salue les efforts entrepris en ce sens, comme la généralisation de la facturation électronique et la transmission automatique des données en 2026, la taxe sur les petits colis ou encore la suppression de l'exonération de droits de douane dont ces derniers bénéficient au niveau européen. Toutefois, ces mesures, bien que nécessaires, ne suffisent pas.
Spécialisée dans le reconditionnement de smartphones, l'entreprise Phone Recycle Solution, qui emploie une cinquantaine de personnes, m'alerte depuis plusieurs mois sur des problèmes de concurrence déloyale posée par les marketplaces. Une simple requête sur un moteur de recherche permet d'accéder à de nombreux produits proposés par des vendeurs étrangers. Le client final ne paie alors pas la TVA, ce qui crée mécaniquement un écart de prix de 20%, pénalisant les vendeurs français sur leur propre territoire – un phénomène qui peut encore être aggravé par la vente à perte pour écouler les stocks. Dans certains secteurs, les ventes en ligne représentent jusqu'à 70% des parts de marché, ce qui met les PME françaises en très grande difficulté.
Cette concurrence déloyale marginalise les PME françaises et engendre une perte de recettes pour l'État : c'est la double peine. Serait-il envisageable d'imposer aux marketplaces la collecte directe de la TVA pour les produits vendus sur le territoire français, comme nous l'avons fait avec Airbnb et ses confrères pour la taxe de séjour ?
M. Serge Papin, ministre. Vous avez raison, il faut lutter contre la fraude à la TVA, qui est inacceptable. Je m'y emploie avec ma collègue Amélie de Montchalin.
Pour enrayer le phénomène, il faut renforcer les contrôles douaniers. Leur nombre a déjà triplé. Il y a aussi des contrôles aléatoires. Une bonne partie des colis ouverts au hasard lors de notre déplacement à Roissy n'étaient pas destinés à la consommation personnelle, mais au marché de la revente, où les vendeurs ne s'acquittent pas de la TVA – ce qui peut contribuer à expliquer les problèmes d'appréciation de ces rentrées fiscales.
Il faut également agir à l'échelle européenne, car certains colis transitent par un pays européen avant d'entrer en France. L'extension de la redevabilité de TVA pour les plateformes, actuellement limitée aux colis de plus de 150 euros, concerne aussi l'Union européenne.
M. David Taupiac (LIOT). Vous avez annoncé hier le lancement d'une mission destinée à " empêcher la fermeture du dernier commerce ". En tant que coprésident du groupe d'études de notre assemblée sur la ruralité, je suis sensible à ce projet. Vous avez évoqué 1,5 M€ d'aides déjà inscrites dans le budget cette année et l'objectif d'accompagner cinq cents commerces au cours des trois prochaines années. Si cet objectif est louable, j'appelle votre attention sur la nécessité d'un dispositif plus large, incluant des outils pour favoriser l'installation des commerces de proximité dans les centres-bourgs ou les plus petites communes, notamment en milieu rural, et un portage à la fois privé et public.
Il ne faut pas négliger les besoins en ingénierie territoriale. Les petites communes, qui ne disposent pas toujours des compétences nécessaires pour mener leurs projets, doivent être davantage accompagnées, notamment dans le cadre des programmes Petites Villes de demain et Villages d'avenir ou des pôles d'équilibre territorial et rural.
Il faut également mobiliser l'immobilier, souvent vacant, ou les friches commerciales à l'abandon depuis de nombreuses années. Plusieurs outils le permettent : l'établissement public foncier, qui joue un rôle déterminant en matière de portage immobilier pour faciliter l'installation des commerces, la taxe sur les logements vacants ou encore la possibilité d'interdire le changement de destination des locaux à vocation commerciale dans les plans locaux d'urbanisme (PLU).
Mais il faut aller plus loin en matière fiscale. Bien qu'entièrement couvert par une zone " France ruralités revitalisation " (FRR), le département du Gers présente des disparités : sa moitié Est bénéficie d'une belle embellie économique et démographique grâce à la proximité de la métropole toulousaine, tandis que sa moitié Ouest, hyper-rurale, est en déclin. J'aimerais que cette dernière puisse bénéficier du classement en FRR +, qui permet de cibler les territoires en déclin pour un effet de levier beaucoup plus puissant. La commune de Saint-Clar, dont j'étais le maire, a mené un beau projet mêlant commerce et habitat sur la place du village, grâce à un portage foncier ; à l'autre bout du département, la commune de Panjas, dans le Bas-Armagnac, inaugurera un commerce multiservices à la fin de l'année.
Le projet que vous avez esquissé hier au début de votre entretien m'a fait penser au regretté fonds d'intervention pour les services, l'artisanat et le commerce (Fisac). Je regrette vivement que cet outil ait été abandonné. Un des derniers programmes financés grâce à ce fonds avait justement été mené, à mon initiative, par ma communauté de communes. Je vous incite vivement à vous pencher sur le sort de ce dispositif, qui jouait un rôle important dans la redynamisation du commerce en milieu rural grâce à la coordination des actions publique et privée.
M. Serge Papin, ministre. Je suis très attaché à ce projet, qui permettra d'apporter des réponses à géométrie variable : dans un village de moins de mille habitants, on soutiendra, par exemple, le développement d'une épicerie solidaire ; dans une commune un peu plus grande, où il y a une boulangerie, on réfléchira à la manière d'y accueillir un peu d'épicerie ; en début d'année prochaine, j'inaugurerai un petit Point Coop dans un village. Il y a beaucoup de possibilités et des associations comme Bouge ton coq déploient des initiatives très intéressantes. C'est le sens de la mission que je souhaite lancer avec mes collègues Michel Fournier, ministre délégué chargé de la ruralité, et Françoise Gatel, ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation. Peut-être saurons-nous mobiliser un peu d'argent privé au service du bien commun ? J'espère pouvoir vous en dire un peu plus en début d'année prochaine – si nous sommes toujours là, bien sûr… (Sourires.)
M. Julien Brugerolles (GDR). Le scandale de la vente en ligne de produits pédopornographiques et d'armes de catégorie A a conduit le Gouvernement à saisir la justice pour demander la suspension de Shein ; mais ces faits, bien que d'une particulière gravité, ne doivent pas être l'arbre qui cache la forêt en matière de respect des règles et des normes sur les places de marché.
Il y a quelques jours, nous avons été alertés par la filière du jouet et de la puériculture sur le taux alarmant de produits non conformes vendus sur diverses plateformes. Une enquête de l'UFC-Que choisir, publiée le 30 octobre, a mis en évidence la qualité de fabrication catastrophique des jouets vendus par Shein et Temu. Pièces détachables, risque d'ingestion, taux anormalement élevé de substances chimiques : un seul des cinquante-quatre jouets testés respectait les normes européennes. Joyeux Noël ! En novembre, la Fédération européenne des industries du jouet publiait ses propres résultats : sur soixante-dix jouets achetés à des vendeurs tiers non européens sur sept places de marché en ligne, 96% étaient non conformes et 86 % présentaient des risques graves pour la sécurité et la santé des enfants. Pire : certains, déjà identifiés comme dangereux en 2024, étaient toujours en ligne.
L'Europe se mobilise en se dotant d'instruments comme le règlement sur les services numériques (Digital Services Act, DSA), le règlement sur la sécurité générale des produits ou la fin de l'exemption douanière sur les petits colis… mais dans le même temps, elle acte un " grand bond en arrière " sur le devoir de vigilance des entreprises. Quel paradoxe ! Le temps des procédures européennes n'est malheureusement pas celui de la protection des consommateurs et, à l'approche des fêtes de fin d'année, des produits dangereux continuent d'être commercialisés sur plusieurs plateformes.
La Fédération européenne des industries du jouet réclame l'instauration d'un mécanisme de déréférencement automatique des places de marché lorsque les autorités de contrôle constatent un taux anormalement élevé de produits non conformes et vous avez déclaré, tout à l'heure, qu'il fallait aller jusqu'à bloquer les ventes. Entendez-vous donc faire retirer immédiatement par les places de marché en ligne les jouets dangereux qu'elles proposent à la vente ? Par ailleurs, allez-vous défendre auprès de la Commission européenne une entrée en vigueur anticipée des nouvelles règles de sécurité sur les jouets adoptées par le Parlement européen le 25 novembre ?
M. Serge Papin, ministre. Je partage pleinement cette préoccupation. Nous devons nous féliciter qu'il soit impossible d'acheter des jouets en ligne sur Shein, la plateforme étant fermée. La DGCCRF a été active : Shein a été condamnée à 190 M€ d'amende, dont 40 M€ par la DGCCRF et le reste par la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) pour utilisation abusive des données. J'ai assisté au conseil d'administration de la Fédération française des industries jouet-puériculture et je me suis engagé auprès de ces entreprises. J'ai notamment constaté que les enfants peuvent ingérer des pièces en plastique qui ressemblent à des chips ! Avec Mme Sarah Lacoche, directrice générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, dont les services dépendent de mon ministère, nous contrôlons tout cela et nous allons vraiment sévir – c'est d'ailleurs déjà le cas. Tous les jouets non conformes seront verbalisés, car il n'est pas normal que ces jouets soient commercialisés. Cela fait partie de notre combat et nos services sont très mobilisés sur cette question.
M. le président Stéphane Travert. Nous en venons aux questions des autres orateurs.
M. Patrice Martin (RN). Les 68 000 défaillances d'entreprise et les menaces qui pèsent sur plus de cent cinquante mille entreprises concernent directement nos TPE et PME, qui sont la colonne vertébrale de l'économie française et qui, avec les entreprises de taille intermédiaire (ETI), sont les premiers employeurs du pays. L'Insee rappelle aussi que le taux implicite d'impôt sur les sociétés supporté par les PME et ETI est plus élevé de quatre points que celui de l'ensemble des entreprises.
Cette hétérogénéité n'est pas un hasard : elle résulte de règles fiscales trop complexes conçues au détriment de nos petites structures. Par ailleurs, contrairement aux grands groupes, celles-ci n'ont pas les mécanismes d'optimisation nécessaires ni la capacité d'amortir la volatilité des résultats financiers et elles paient proportionnellement plus avec toujours moins de marges de manœuvre.
Tout projet qui alourdit les charges sur l'emploi ou le capital productif fragilise encore davantage ces entreprises. Cette fiscalité est une attaque directe contre l'économie de proximité, alors que c'est par nos TPE et PME que commence le patriotisme économique. La France peut-elle vraiment se permettre de les désavantager ?
M. Serge Papin, ministre. Pour ce qui est des défaillances d'entreprise, les statistiques témoignent d'un rattrapage qui s'est opéré depuis la covid-19 et la fin des prêts garantis par l'État (PGE), qui avaient aidé – et c'est tant mieux – au maintien des entreprises. Il se trouve aussi que, l'installation étant plus facile, des entreprises peuvent démarrer puis s'arrêter. Le solde est aujourd'hui positif.
En tant que ministre responsable des PME, je m'attache, dans le débat budgétaire en cours, à ce que celles-ci soient préservées. Elles l'ont été dans le texte examiné en première lecture, comme en témoigne les baisses de la CVAE, un impôt de production injuste, et de l'IS.
Mme Nicole Le Peih (EPR). Dans le Morbihan comme partout en Bretagne, les TPE-PME nous alertent : l'économie semble tenir, mais la dynamique s'effondre, la rentabilité est attaquée, les normes s'empilent, les charges explosent et la consommation ralentit. À l'échelle nationale, 32% des TPE-PME ont une trésorerie fragile et 58 % des dirigeants évoquent la faiblesse de la demande. Les TPE reculent alors que les grandes PME progressent. Nos secteurs-clés que sont le tourisme, la construction et le transport décrochent. Si ces entreprises s'affaiblissent, c'est toute la France qui s'affaiblit. Notre pays traîne un écart de compétitivité de dix à quinze points, tandis que nos voisins européens avancent, avec + 1,8% pour les PME allemandes.
Une économie forte, c'est une France forte : comment redonner visibilité et confiance à ces acteurs et quand disposerons-nous de ce plan concret de stabilisation et de simplification coconstruit avec les fédérations, les syndicats et les chambres consulaires ?
M. Serge Papin, ministre. Nous voulons un projet de loi visant à réduire les délais de paiement. En effet, le non-respect de ces délais par les grands groupes se traduit par un déficit de trésorerie de 15 Md€ pour les PME. Vous avez donc mis le doigt sur un sujet important : si les PME disposaient de ces 15 Md€ de trésorerie, cela changerait tout. Je vais m'y employer.
M. Laurent Alexandre (LFI-NFP). Je me fais le relais de l'inquiétude de nombreux acteurs du thermalisme et du tourisme à propos du déremboursement des cures thermales que prévoit le projet de loi de financement de la sécurité sociale. La Fédération nationale des organismes institutionnels de tourisme vous a d'ailleurs adressé un courrier en ce sens. Les quatre-vingt-dix stations thermales présentes sur le territoire français, dont soixante-dix dans des communes de moins de cinq mille habitants, sont essentielles à l'activité économique de nos territoires ruraux.
Le thermalisme, c'est environ vingt-cinq mille emplois en France pour 4,8 Md€ de retombées économiques annuelles. Remettre en cause son remboursement, c'est aggraver les inégalités d'accès aux soins, affaiblir le secteur thermal et porter atteinte à la vitalité des commerces, des hébergements, de la restauration et des activités de loisir qui en dépendent. Les acteurs du tourisme et du thermalisme attendent vos réponses à leurs inquiétudes : vous engagez-vous à maintenir le remboursement des cures thermales ?
M. Serge Papin, ministre. Je connais, bien sûr, cette situation – notamment par ma collègue Marina Ferrari, conseillère municipale d'Aix-les-Bains et très sensible à ce sujet – dont nous avons beaucoup parlé et à propos de laquelle j'ai eu aussi des discussions avec les acteurs du tourisme. Je ne peux pas garantir que le budget ne comportera pas de déremboursement. Cela dépend des sénateurs. Toutefois, en prenant le temps de comparer les dépenses et les gains, j'ai constaté que le solde était plutôt positif et il faut donc travailler à mettre en valeur cet argument.
M. Dominique Potier (SOC). Vous n'avez pas tout à fait répondu à la question de notre collègue communiste sur le devoir de vigilance, qui fait l'objet d'un trilogue à l'échelle européenne. Le Gouvernement français va jouer un rôle très important en la matière et je tiens donc à vous alerter, car il vous faut peser, avec Bercy et Matignon, pour maintenir une régulation de l'action des multinationales sur leur chaîne de sous-traitance. C'est là que se situe la vraie racine du mal et là que nous pouvons combattre des entreprises comme Shein.
Le groupe socialiste, notamment par la voix de notre collègue Mélanie Thomin, vous a demandé de confier à l'Inspection générale des finances (IGF), avant toute nouvelle loi " Egalim ", une mission visant à établir la vérité sur la chaîne de valeur dans l'industrie agroalimentaire et dans la grande distribution, par produit et par segment. En effet, malgré les études et les missions parlementaires réalisées, nous sommes encore dans le brouillard et l'Inspection générale des finances peut fournir des bases solides à nos délibérations.
M. Serge Papin, ministre. Nous allons en effet lancer la mission de l'IGF et sommes très conscients de ce que vous décrivez. Un bilan d'Egalim est nécessaire.
M. le président Stéphane Travert. Je soutiens l'idée de faire un bilan !
Mme Christelle Minard (DR). Dans ma circonscription, la Tôlerie industrielle de Brezolles (TIB), PME française spécialisée dans la fabrication d'ambulances qui va bientôt fêter ses cinquante ans, vient de perdre un marché public mutualisé au bénéfice d'un constructeur polonais. Ce marché, qui portait sur trois cents véhicules et représentait 15 M€ sur quatre ans, était notamment lancé par le service départemental d'incendie et de secours (Sdis) de l'Eure, situé à quelques kilomètres seulement du site de production.
L'entreprise compte cent dix salariés et estime que la pondération du critère de prix à 60% dans l'appel d'offres rendait mécaniquement impossible de rivaliser avec un producteur étranger bénéficiant de coûts sociaux et fiscaux plus faibles. À court terme, ce choix pourrait faire perdre près de la moitié des emplois du site, alors que le savoir-faire existe localement et contribue à la souveraineté industrielle que nous appelons tous de nos vœux. Comment pensez-vous protéger durablement nos PME ?
M. Serge Papin, ministre. Il y a là des injonctions contradictoires : les acheteurs publics souhaitent acheter local et, dans le même temps, veillent à la dépense publique. Pour ce qui est de l'idée que nous devons appliquer une dose de protectionnisme et favoriser l'achat local, vous prêchez un convaincu. Le droit européen ne le permet pas mais, en attendant une révision du cadre, les acheteurs ont déjà une certaine liberté dans la fixation des critères de prix et de prescriptions techniques. Ils doivent aussi prendre leurs responsabilités : s'ils le veulent, ils le peuvent.
M. Philippe Bolo (Dem). L'ouverture le dimanche des commerces de bouche hors bourg entraîne une perte de flux et de chiffre d'affaires pour les commerces de centre-ville, le secteur de la boulangerie étant spécialement concerné. Une solution pour aider à la protection du commerce local, particulièrement dans les villes faisant l'objet d'une opération de revitalisation du territoire, consisterait à permettre aux maires de décider au cas par cas dans l'intérêt des commerces, du territoire et des habitants.
Monsieur le ministre, êtes-vous prêt à faire évoluer le cadre législatif et réglementaire pour donner plus de pouvoir aux maires ? En l'occurrence, cela favoriserait le partage de la valeur, auquel vous nous avez dit être attaché.
M. Serge Papin, ministre. Je l'ai proposé dans un courrier au Premier ministre, lorsqu'il a demandé à chaque ministère des idées de mesures structurantes pour la décentralisation. Dans ce domaine, je veux laisser la main aux maires. Nous allons attendre que les choses se décantent, après quoi je pense que le Premier ministre nous sollicitera.
M. Stéphane Buchou (EPR). Ma question concerne particulièrement un département que nous avons en partage. La semaine dernière, vous avez participé au Sénat, comme moi, à une conférence consacrée à l'hôtellerie de plein air face au risque climatique. Ce secteur représente 4 Md€ de chiffre d'affaires, avec 27 millions de clients par an et 7 500 établissements, dont un grand nombre en Vendée. Un livret qui vous a été remis contient dix propositions très concrètes de mesures opérationnelles, attendues et vitales pour préserver une activité qui fait vivre des centaines de milliers d'emplois dans nos territoires. Plusieurs de ces propositions relèvent directement de décisions réglementaires. Comptez-vous vous en saisir dès 2026 et sur lesquelles de ces propositions êtes-vous prêt à vous engager en priorité pour sécuriser l'avenir de l'hôtellerie de plein air face au changement climatique ?
M. Serge Papin, ministre. Je suis très attaché à l'hôtellerie de plein air, en tant que Vendéen et parce que, enfant, j'ai passé quasiment toutes mes vacances dans un camping. La démarche a des implications interministérielles. J'y suis, en tout cas, favorable et nous tiendrons compte des propositions qui m'ont été remises. Elles supposent toutefois des dérogations importantes à la loi " Littoral " et au code de l'urbanisme. J'en discuterai donc avec mes collègues concernés et inscrirai ce sujet dans la feuille de route de la partie « Tourisme » de mon ministère.
L'audition est suspendue de dix-huit heures quinze à dix-huit heures vingt.
M. Thierry Benoit (HOR). Hier, 1er décembre, ont démarré les négociations commerciales, écosystème que vous connaissez mieux que quiconque. Voilà quelques jours, je demandais à M. Michel-Édouard Leclerc, que nous auditionnions, pourquoi, en même temps qu'un produit, la grande distribution négocie aussi des services – on a même parfois l'impression qu'il faut accepter les services pour pouvoir vendre le produit – alors qu'en toute logique, une négociation commerciale devrait porter sur la nature du produit, sa qualité, sa durabilité et les pratiques vertueuses. Pourriez-vous toiletter les négociations commerciales en ce qui concerne les centrales européennes de services et les pénalités dites " logistiques " ?
M. Serge Papin, ministre. C'est un sujet auquel je suis attentif. Les centrales européennes ont pour vocation de négocier avec de très grands groupes mondiaux – quarante au maximum, selon Concordis, qui a publié les noms des grands comptes avec qui il négocie. Elles relèvent du droit européen : la question pourra être abordée sous cet angle, mais je veille, pour ma part, à ce que les PME et ETI françaises ne soient pas concernées par ces centrales, qui sont d'ailleurs souvent des centrales de référencement et doivent se cantonner aux négociations internationales.
Mme Anne-Sophie Ronceret (EPR). Depuis 2018, nous avons posé, avec les lois Egalim, des principes clairs pour mieux partager la valeur, protéger le prix en amont et rééquilibrer les négociations commerciales. Or, une part croissante des négociations commerciales se déroule désormais à l'échelle européenne, par l'intermédiaire de centrales d'achat transnationales qui rendent plus difficile l'application des règles nationales et nourrissent un décalage entre ce que vote le Parlement et ce que vivent les acteurs économiques. Comment garantir que les centrales européennes respectent les règles du pays de mise en marché lorsqu'elles négocient des produits destinés à ce pays, et que les autorités nationales puissent coopérer effectivement pour prévenir et sanctionner les pratiques déloyales ? Parallèlement – et les questions sont liées – êtes-vous favorable à la mise en place d'un " Egalim européen " ?
M. Serge Papin, ministre. Je suis d'accord avec ce que vous dites. Au niveau de l'Europe, comme je l'ai dit, une quarantaine de groupes seulement sont concernés, dont certains relèvent du non-alimentaire. Pour les groupes négociant des produits alimentaires concernés par les lois Egalim, l'application du droit français est obligatoire et vérifiée – la DGCCRF a procédé à 1 400 contrôles dans ce domaine l'année dernière.
Quant à un " Egalim européen ", j'y suis, en tant qu'auteur d'un rapport sur la mise en œuvre de la loi Egalim, plutôt favorable, et j'ai d'ailleurs été consulté, après l'instauration de ce dispositif, par d'autres pays : l'Allemagne, les Pays-Bas et même le Japon. Porter ce projet au niveau européen aurait du sens.
M. René Pilato (LFI-NFP). Ne pensez-vous pas qu'il faille protéger les TPE-PME de la sous-traitance en cascade, qui finit par faire retomber les difficultés sur le dernier de la liste : l'artisan qui fait les travaux, qui subit des prix très serrés et des retards de paiement mettant sa trésorerie en difficulté ?
Nous constatons comme vous, en Charente et notamment à Angoulême, que les commerces de centre-ville disparaissent. Ne faudrait-il pas tout simplement interdire l'extension de tous les centres commerciaux, qui non seulement grignotent des terres cultivables, mais provoquent aussi la désertification des centres-villes ?
M. Serge Papin, ministre. Les délais de paiement des grands groupes, qui portent sur 15 Md€ de trésorerie, ont des effets très importants sur la sous-traitance. Le projet de loi relatif à la fraude s'accompagne d'une limitation des niveaux de sous-traitance.
Quant aux centres commerciaux, on compte aujourd'hui plus de fermetures que d'ouvertures. Je veux laisser les maires juger s'il y a intérêt à autoriser une ouverture. La loi ZAN concerne évidemment, au premier chef, les centres commerciaux, de telle sorte que l'agrandissement horizontal sera difficile. Toujours est-il que ce sera plutôt aux maires de juger de l'harmonie et de l'attractivité de leurs communes.
Mme Mélanie Thomin (SOC). Les lockers, casiers automatiques de livraison de colis, déferlent dans bon nombre de communes de France sans que les collectivités locales disposent d'outils de régulation pour encadrer ces installations appartenant à de grandes plateformes de la logistique et de l'e-commerce international. Ainsi, dans la circonscription de mon collègue Karim Benbrahim, un locker a été installé en pleine zone pavillonnaire, dans un jardin, au nez et à la barbe du commerce local, des élus et des habitants du quartier.
Pour soutenir le commerce de proximité, j'ai déposé une proposition de loi, signée pour l'instant par une trentaine de députés, qui vise à faire reculer l'installation de ces lockers en redonnant, en premier lieu, du pouvoir aux maires en matière d'aménagement commercial de leurs communes. Quel regard portez-vous sur ces lockers, qui représentent une forme de concurrence déloyale pour le commerce de proximité, en particulier lorsqu'ils remplacent sans contrepartie les points de retrait de colis chez les commerçants en guichet de proximité ? Les multinationales de la logistique et du e-commerce ont une responsabilité en la matière.
M. Serge Papin, ministre. J'ai bien pris connaissance de votre proposition de loi, que mes services sont en train d'expertiser. Je suis évidemment favorable à ce que la livraison des colis reste dans les commerces de proximité, à l'offre desquels elle apporte un complément d'attractivité. Il ne peut pas y avoir des installations n'importe où ! Nous reviendrons vers vous.
M. Jean-Pierre Vigier (DR). Dans ma circonscription, deux personnes ont repris un commerce de village avec pour ambition de maintenir et de développer un lieu de vie et de convivialité. Avant de s'installer, elles ont étudié les conditions liées au statut de micro-entrepreneur et, surtout, de conjoint collaborateur de cette micro-entreprise, en se fondant sur des informations publiques indiquant que le conjoint collaborateur peut bénéficier d'une protection sociale, notamment pour la retraite, et de prestations. Or, l'Urssaf leur a déclaré qu'elle ne pouvait ni calculer ni percevoir de telles cotisations, faute de décret d'application. Le conjoint collaborateur se retrouve ainsi sans droits ouverts et sans visibilité sur sa situation. Où en est la publication de ce décret et quelles sont les mesures transitoires qui peuvent sécuriser les conjoints collaborateurs au sein d'une micro-entreprise ?
M. Serge Papin, ministre. Le sujet est d'autant plus important que le nombre de micro-entrepreneurs augmente au point de susciter l'inquiétude concernant les implications de ce statut pour la retraite. Il faut un statut qui sécurise le travail du conjoint. Je vous propose d'en parler dès demain à mon collègue Jean-Pierre Farandou, ministre du travail, et de revenir ensuite vers vous.
M. Julien Dive (DR). Vous avez déclaré, dans un entretien à LSA, que le sens de l'histoire est de tendre vers des négociations commerciales au fil de l'eau, comme cela se pratique dans d'autres pays. De ce fait, vous remettez en question la date-butoir que nous connaissons depuis plusieurs années. Est-ce là le début d'une révision des lois Egalim ou comptez-vous seulement tenir compte des propositions qui ont été faites par notre collègue Thierry Benoit sur les centrales d'achat et des préconisations formulées dans d'autres missions parlementaires ? À défaut, êtes-vous prêt à relancer les " États généraux de l'alimentation ", qui avaient été un franc succès et ne se sont pas tenus depuis 2017 ?
M. Serge Papin, ministre. Il n'est pas envisageable de remettre tout de suite une loi sur le métier. Une tentative avait été faite par ma prédécesseure avec ma collègue Annie Genevard et celle-ci, quand j'en ai discuté avec elle, m'a dit que le moment n'était pas le bon. Nous verrons en 2026. Toutefois, il n'y a pas besoin de loi pour lancer des négociations tripartites et pluriannuelles. Nous ne pouvons pas faire la décarbonation sans changer les chaînes de production pour substituer du carton au plastique dans les emballages. Il faut du temps pour renouer le dialogue afin d'aller vers une alimentation plus saine. Voilà ce que j'ai voulu dire.
M. Jean-Luc Fugit (EPR). Vous avez été un acteur important de la grande distribution et êtes donc un expert en négociations commerciales. Quels conseils donneriez-vous en la matière aux patrons de PME et de TPE et aux acteurs de l'artisanat, notamment pour répondre à leurs attentes en matière de transparence ? Comment comptez-vous les aider ?
Je profite d'avoir la parole pour vous inviter à venir dans le sud du département du Rhône, en milieu rural, pour rencontrer des PME et des TPE dans le cadre des clubs d'entreprises. Ils auraient de nombreux sujets à évoquer avec vous. Il ne faut pas oublier ces territoires.
M. Serge Papin, ministre. J'irai avec plaisir à la rencontre des entreprises de votre circonscription.
Je n'ai pas besoin de me forcer pour m'intéresser aux PME : la première personne que j'ai rencontrée après ma nomination était M. Léonard Prunier, le patron de la Fédération des entreprises et entrepreneurs de France (FEEF), avec laquelle j'ai toujours travaillé main dans la main quand j'étais président de Système U. J'ai été l'un des premiers à conclure des accords tripartites avec les PME.
Nous avons signé un accord de bonnes pratiques avec tout le monde et un accord spécifique, différencié, pour sauvegarder une relation bienveillante avec les PME en faisant passer celles-ci en premier dans le référencement : cela n'a l'air de rien, mais cela veut dire qu'elles négocient en premier la place sur les étagères. L'accord prévoit aussi de raccourcir la durée des négociations à cinq rendez-vous, car elles n'ont pas les mêmes ressources que les grands groupes. Il faut le saluer.
M. Jean-Luc Bourgeaux (DR). La région Bretagne souhaite instaurer une taxe de séjour. Pourtant, une taxe similaire est déjà prélevée par les communautés de communes, les agglomérations et, chez moi, par le département d'Ille-et-Vilaine. Si l'on continue d'additionner les taxes, elles seront bientôt supérieures au coût du séjour lui-même, surtout dans les territoires ruraux. Qu'en pensez-vous ?
M. Serge Papin, ministre. Je suis entièrement d'accord avec vous. Je ne souhaite pas toucher à la taxe de séjour pour l'instant, sauf si les acteurs du tourisme me font eux-mêmes des propositions. J'ai dit la même chose lors de la réunion qui s'est tenue au Sénat sous l'égide du sénateur Jean-Baptiste Lemoyne. C'est la position du Gouvernement.
M. Maxime Laisney (LFI-NFP). Je suis surpris de ne pas vous avoir entendu parler du prix de l'électricité. Nous savons qu'au 1er janvier prochain, le très mauvais mécanisme qui prendra la suite de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (Arenh) exposera presque totalement les PME aux aléas du marché. Des mécanismes ont été pensés pour les électro-intensifs, qui ne paieront que 50 centimes sur l'accise, quand les PME paient 26 euros par mégawattheure. Le ministre Roland Lescure a fait une annonce sur l'accise. Pouvez-vous apporter des précisions ? Ne pensez-vous pas qu'il faudrait revoir la méthodologie de calcul du tarif réglementé de vente (TRV) dont les PME peuvent bénéficier, afin que celui-ci reflète les coûts de production du système électrique français plutôt que les aléas du marché européen et les frais de transaction ?
M. Serge Papin, ministre. J'étais chez Smoby, dans le Jura, samedi dernier, et nous n'avons parlé que de cela. L'électricité représente 10 % du budget des ménages : c'est un vrai enjeu de pouvoir d'achat. Pour les entreprises, c'est aussi un sujet, surtout pour celles qui ont signé des contrats post-covid, quand les prix étaient au plus haut, et qui ne peuvent pas en sortir maintenant que les prix ont baissé, à moins de verser des indemnités énormes.
Je suis d'accord avec vous pour dire qu'il faut simplifier les contrats. Le Premier ministre s'y est engagé et j'attends avec impatience les propositions du ministre de l'énergie Roland Lescure. C'est important pour le pouvoir d'achat.
M. Karim Benbrahim (SOC). Il y a un an, l'Assemblée nationale votait la prorogation pour deux ans de la possibilité, absolument nécessaire pour de nombreux Français, d'utiliser les titres-restaurants pour réaliser des courses alimentaires. Le Gouvernement prenait aussi l'engagement de se saisir de ce délai pour moderniser le dispositif. Il faut pérenniser cette possibilité, adapter le dispositif aux nouveaux modes de travail et de consommation – je pense notamment au télétravail – et rééquilibrer un système qui penche nettement en faveur des grandes sociétés émettrices de titres et des grandes surfaces, au détriment des petits commerces et des restaurateurs.
Votre Gouvernement a cherché à introduire une taxe de 8% sur les titres-restaurants, fort heureusement repoussée par les députés. Pouvez-vous garantir que la réforme à venir ne portera pas un mauvais coup au pouvoir d'achat des travailleurs ? Instaurerez-vous un double plafond quotidien d'utilisation pour soutenir les restaurateurs et les commerçants ?
M. Serge Papin, ministre. Il faut en effet moderniser les titres-restaurants pour les adapter aux pratiques d'aujourd'hui. En revanche, le Gouvernement n'est pas favorable au double plafond. Celui-ci entraînerait une injonction paradoxale : on ne peut pas à la fois dire aux Français qu'ils peuvent utiliser librement les titres-restaurants et restreindre ainsi cette liberté. Je comprends les restaurateurs et je défends le « fait maison », mais il y a aussi des gens qui ne vont pas au restaurant et souhaitent utiliser leurs titres-restaurants pour améliorer leur pouvoir d'achat.
M. Frédéric Weber (RN). Nous sommes en 2025 et le Gouvernement découvre le protectionnisme face à Shein. Cela fait vingt-cinq ans que le RN défend un protectionnisme économique pour sauver nos usines, nos ateliers, mais aussi notre agriculture et notre savoir-faire ; pour cela, nous avons été traités de nationalistes dangereux, archaïques et obscurantistes. Et vous voilà à reprendre nos mots, bien tard, au moment où il n'y a presque plus rien à protéger dans le secteur. Comment protéger le textile quand la politique menée depuis des décennies, et plus encore depuis 2017, a laissé disparaître cette industrie ? Les ateliers ont fermé, les emplois et les compétences sont partis tandis que nous continuons d'importer des produits fabriqués selon des méthodes interdites en France. Oui, le protectionnisme est nécessaire. Pour cela, il faut une véritable stratégie : fiscalité de production attractive, énergie compétitive, interdiction d'importer ce qu'il est interdit de produire chez nous, dans le textile comme dans l'agriculture, contrairement à ce que prévoit le Mercosur.
Monsieur le ministre, après huit ans de macronisme, quelle personne sensée demanderait à ceux qui ont créé le problème de le résoudre ?
M. Serge Papin, ministre. L'intérêt général n'est pas le monopole d'un parti. Je suis le ministre du commerce, de l'artisanat et du pouvoir d'achat et, en tant que tel, je m'attache à ce que je crois devoir faire pour les commerçants. Il existe un dispositif législatif, je m'en sers ; il n'est pas besoin d'inventer autre chose. Nous devons nous donner les moyens de ce combat, avec la DGCCRF et les douanes, et activer nos relais au niveau de l'Europe. J'ai l'impression de " faire mon job ", ni plus, ni moins.
M. le président Stéphane Travert. Monsieur le ministre, vous êtes libre de revenir quand vous le souhaitez pour répondre à nos questions. Nous ne manquerons pas de vous interpeller sur les sujets qui font le cœur de l'action de notre commission.
Source https://www.assemblee-nationale.fr, le 16 décembre 2025