Texte intégral
Animateur
Mesdames, Messieurs, bonjour. Ravi de vous retrouver ici, au cœur de l'Entrepôt Solidaire de la Fondation CMA-CGM. Mesdames, Messieurs, Monsieur le président de la République, ravi de vous retrouver pour cette matinée exceptionnelle, ce rendez-vous exceptionnel. On va parler démocratie, réseaux sociaux, éducation en médias, ingérence étrangère. Vous le verrez, de très nombreuses questions vont vous être posées au cours de ces deux prochaines heures qui sont évidemment majeures, qui sont à suivre sur notre site internet www.laprovence.com et évidemment à retrouver dans nos éditions de demain matin. Je vais tout de suite passer la parole à Jean-Christophe Tortora, directeur général de CMA Média.
Jean-Christophe TORTORA
Monsieur le président de la République, Mesdames et Messieurs, chers lecteurs de La Provence, bienvenue tout d'abord à l'Entrepôt Solidaire. Finalement, ici, c'est un lieu qui incarne bien l'esprit de Marseille, Le Marseille en Grand qui vous est si cher, Monsieur le président de la République. Mais c'est surtout ici un Marseille avec un grand cœur, un grand cœur porté par les associations, les bénévoles qui, chaque jour, aident, relient ici, dans ce territoire, en fournissant ici pas moins de 10 millions de repas en 2025, c'est le double de l'année dernière. Je souhaiterais quand même prendre quelques secondes pour applaudir ces associations. Alors on va les applaudir, ces associations qui ont un grand cœur. On va applaudir les Restos du Cœur, le Secours populaire français, le Secours catholique, la Croix-Rouge, et puis l'association des épiceries avec le groupe SOS. Bien entendu, remercier également les pouvoirs publics, l'État qui s'est impliqué dans ce projet, et bien entendu remercier la fondation CMA-CGM, présidée par madame Tanya Saadé.
Alors, vous l'aurez compris, Monsieur le président, pourquoi on a choisi ce lieu qui incarne si bien l'innovation sociale dans ce territoire, un lieu qui nous relie et un lieu, justement, qui va nous permettre de débattre ce matin avec vous sur des sujets très importants : la question de l'information, la question des réseaux sociaux. Bien entendu, on va parler de démocratie. Alors vous, et je m'adresse aux lecteurs de La Provence, vous avez bien changé. C'est difficile de vous suivre chaque jour. Parce que nous, on essaie de vous suivre, à la fois dans vos nouveaux usages, dans vos nouvelles façons de consommer l'information. Pour le jeune groupe que nous sommes, on a pas moins de 3 ans, le groupe CMA Média, c'est vrai que pour nous, c'est très important d'être à votre écoute. Alors, notre présidente Véronique Saadé, chaque jour, nous donne deux missions.
La première mission, c'est celle, bien entendu, d'innover. Nous, on n'a pas le choix dans l'industrie des médias que d'être à votre écoute, répondre à vos besoins, faire évoluer nos formats, justement, à être à la fois dans l'information locale, mais aussi dans l'information internationale. C'est un challenge et un défi pour nous, de tous les jours. La deuxième mission, c'est celle d'expliquer, de faire preuve de chaque jour de pédagogie, de vous accompagner entre l'information de qualité et puis aussi les fake-news.
Alors, pour mener ces deux défis, Monsieur le président de la République, ce n'est pas un hasard si vous avez choisi la presse quotidienne et régionale pour mener ce tour de France. Parce que la presse quotidienne régionale est aux avant-postes aujourd'hui de ce combat que vous menez. Pourquoi ? Parce que d'abord, la presse quotidienne régionale, La Provence, nous sommes les champions de la confiance. Quand on interroge les Français, c'est vrai que la presse quotidienne régionale est devant en matière de confiance, et je salue mes autres confrères, devant la télévision, devant la presse nationale, devant la radio. Pourquoi ? Parce que la presse quotidienne régionale est au cœur de la vie quotidienne des Français, est au cœur des territoires, est au cœur des bassins de vie, et cette confiance, elle est majeure pour le combat que vous menez, Monsieur le Président.
Bien entendu, je voudrais profiter de cette occasion pour saluer tout le travail des équipes de La Provence, son directeur général Jean-Louis Pelé, son directeur de la rédaction Olivier Biscaye, qui, chaque jour, mène cette émission au quotidien ici, dans ce territoire de Marseille et de La Provence. Et puis, je vais vous faire une révélation, Monsieur le Président, ils préparent secrètement une nouvelle formule de La Provence pour le 10 janvier et dans laquelle on trouvera encore plus de proximité et du local. Parce que vous, les lecteurs de La Provence, c'est ce que vous nous demandez, c'est de faire encore plus de local. Pourquoi ? Parce qu'au fond, on ne sait pas ce qui arrive quelquefois dans d'autres pays, on l'a vu aux États-Unis, lorsqu'il y a des déserts de l'information, les conséquences que ça peut avoir pour la démocratie.
Peut-être un mot sur l'intelligence artificielle, vous allez en parler dans quelques instants. L'intelligence artificielle, pour nous, c'est un Pharmakon. C'est à la fois un poison et c'est à la fois le remède. Un poison parce qu'aujourd'hui, ça amplifie la désinformation avec une grande puissance, et à la fois, ça peut être aussi le remède parce que ça peut aider nos lecteurs et nos journalistes à trier, à vérifier l'information et à faire du fact-checking. C'est pour ça que, chez CMA Média, nous investissons beaucoup sur l'IA, vous le savez, au travers de fleurons français, que ce soit Mistral, que ce soit, bien entendu, Kyutai, parce que nous investissons dans la technologie et dans l'excellence française au service des lecteurs et au service de nos journalistes.
Alors, vous voyez, l'information, c'est un combat de tous les jours. J'allais dire, même, Monsieur le Président, c'est un sport de combat, l'information. Vous qui aimez bien mener des matchs, quand on connaît votre passion, comme nous tous, pour l'Olympique de Marseille, on sait qu'un match, c'est deux mi-temps. La première mi-temps, c'est ce que vous êtes en train de faire aujourd'hui, avec les quotidiens régionaux, avec les Français, dans votre dialogue que vous avez initié il y a maintenant quelques semaines, depuis Toulouse, une ville aussi qui m'est chère, c'est ce que vous allez continuer avec l'idée de proposition, vous le direz tout à l'heure, pour le début de l'année 2026. Eh bien, nous, ici, on vous propose une deuxième mi-temps. Cette deuxième mi-temps, après avoir fait ce Tour national, c'est de faire ici un Tour du monde des journaux à travers le monde. Mais je vais rassurer vos collaborateurs, vous n'aurez pas besoin de faire le tour du monde, parce qu'ici, le 1er, 2 et 3 juin, nous accueillerons le Congrès mondial des journaux, 30 ans après ce qui s'était tenu en 1995, avec la présence du président Jacques Chirac. Et je tenais vraiment à remercier Rodolphe Saadé qui nous a soutenus dans cette candidature, parce que c'était le moyen pour nous, pour l'Europe, pour la France d'accueillir ce Congrès mondial, de porter ces sujets, Monsieur le Président, à près de 700 journaux qui seront ici, à Marseille, pendant 3 jours, parce que nous le savons bien, toutes les discussions qui vont se tenir ce matin, elles sont importantes et vous allez prendre des mesures et des décisions pour la France. Mais nous avons besoin de porter aussi ces sujets dans le monde. Et ici, Monsieur le Président, le 1er juin, j'espère que vous serez là pour la deuxième mi-temps qui doit se jouer ici à Marseille. Je salue le directeur général de la WAN-IFRA, qui est l'association mondiale des journaux, Vincent Peyrègne, qui est parmi nous.
Voilà, Monsieur le Président, chers lecteurs, vous voyez, à Marseille, on ne manque pas de ressources, on a l'envie. Merci à vous tous d'avoir consacré votre matinée pour un sujet aussi important. Merci à vous, Monsieur le président de la République, de mener ce combat. Nous sommes là, dans ce combat pour l'information, pour les territoires et au service de la démocratie. Je vous remercie.
Emmanuel MACRON
Merci beaucoup. D'abord, merci pour l'accueil à vos entrepôts solidaires et la fondation CMA-CGM et au groupe La Provence. Merci infiniment à toutes et tous d'être là et d'avoir pris sur votre temps pour cet échange. Vous avez très bien cadré le débat. Au fond, moi, ce qui m'intéresse, c'est qu'on puisse échanger en toute liberté et transparence sur la manière dont on vit cette époque de notre démocratie. On voit bien que depuis 10 ans, parce qu'on a maintenant un recul de 10 ans sur ces réseaux sociaux, ils sont rentrés dans nos vies. Vous l'avez dit en reprenant un terme bien connu de la philosophie antique, en parlant de ce qui est à la fois le médicament, le remède et le poison, le Pharmakon, il y a des très bonnes choses qui sont apportées par nos réseaux sociaux comme par l'intelligence artificielle, qui nous permettent de communiquer, de savoir ce qui se passe au bout du monde, d'alerter, d'échanger du savoir, etc.
Et il y a aussi des choses sur lesquelles il faut reprendre du contrôle. Et pour les plus jeunes, nos enfants, nos adolescents, mais également pour le fonctionnement de nos démocraties, le bon fonctionnement de l'information, d'une presse libre, le bon fonctionnement de nos démocraties dans des temps électoraux, on voit bien qu'il nous faut bouger quelques éléments et prendre pleinement conscience de ce qui, en fait, s'est joué ces dernières années. Quelque chose s'est transformé et ça nous rend aussi plus fragiles, ça a créé des problèmes dans la société, et donc c'est à nous aujourd'hui de nous en saisir. Je crois que c'est pour des démocraties comme les nôtres extrêmement importantes, parce qu'au fond, on est plongé dans une mondialisation où d'un côté, si je puis dire, il y a un modèle chinois qui est le tout contrôle par l'État, et de l'autre côté, il y a un modèle qui est de tout donner au secteur privé, y compris les choix démocratiques. C'est un peu le modèle américain. Nous, on a envie en tant que citoyens de choisir pour nous-mêmes. C'est ça une démocratie. Donc, il faut essayer de comprendre ce qui se joue. Je ne veux pas être plus long. Je veux maintenant surtout répondre à vos questions sur nos réseaux sociaux. Mais surtout, vous m'offrez une formidable opportunité à nouveau d'être à Marseille. Et donc, merci pour cela.
Animateur
Monsieur le Président, vous avez ici des lecteurs de nos trois départements de zone de diffusion, les Bouches-du-Rhône, le Vaucluse et les Alpes-de-Haute-Provence. On va évoquer 4 thèmes : la dépendance aux réseaux sociaux, le cyberharcèlement, la désinformation et les ingérences étrangères, l'éducation aux médias, nouvelles technologies et IA, on en parlait à l'instant, et puis les réseaux sociaux face aux violences et aux phénomènes de criminalité organisée. Une actualité marseillaise ces dernières semaines nous conduit évidemment à aborder ce sujet avec vous et avec l'ensemble de nos lecteurs.
On va ouvrir cette rencontre avec une première thématique, la thématique des dépendances aux réseaux sociaux et du cyberharcèlement.
Intervenant
Bonjour, Monsieur le Président. Je suis élève de Terminale à l'école de Provence, un établissement jésuite. Vous allez aborder la question de la désinformation plus tard. Toutefois, aujourd'hui, nous sommes aussi confrontés à une véritable surabondance de l'information, notamment liée aux réseaux sociaux. Cette exposition permanente à l'information semble être un réel vecteur de stress et d'angoisse pour les jeunes, notamment par rapport à la question de l'incertitude face à l'avenir professionnel. Selon vous, quelles réponses concrètes pourraient nous aider à plus de discernement, mais aussi à trouver un meilleur équilibre ?
Intervenant
Monsieur le Président, bonjour. Elève en terminale au lycée Joliot-Curie à Aubagne. Ayant moi-même désinstallé le réseau social TikTok pour en éviter la dépendance. Ma question est la suivante : à partir de quand peut-on parler d'addiction et que peut-on faire pour la freiner ?
Emmanuel MACRON
Merci beaucoup. La deuxième question, pour commencer par elle, il y a beaucoup de débats, d'ailleurs, chez les spécialistes. Moi, j'avais demandé un rapport qui m'a été remis, il y a un an et demi maintenant à peu près, au printemps 2024, et certains disant : il y a des addictions qu'on peut qualifier, d'autres disant ça se discute, on ne peut pas encore parler d'addiction, il y a des débats chez les spécialistes. Néanmoins, ce qu'on voit à l'œuvre, et ça rejoint la question que vous posez, au fond, l'un et l'autre, c'est qu'on passe de plus en plus de temps devant les écrans et que les jeunes, en particulier sur les réseaux sociaux, y passent de plus en plus de temps. Alors même s'il faut être très prudent parce que ça a des caractéristiques cliniques, on voit qu'il y a une dépendance qui est en train de se faire. Je croise de plus en plus de jeunes comme vous qui, soit demandent à des adultes de la famille, soit finissent eux-mêmes par le retirer parce qu'ils n'arrivent pas à se réguler.
Mais je voudrais juste prendre deux pas de recul pour se dire pourquoi on en est là et quelle est la situation et qu'est-ce qui se passe. Et au fond, quand on parle de réseaux sociaux, qu'est-ce que c'est ? Parce qu'il y a beaucoup d'ambiguïtés sous-jacentes dans le débat. La première ambiguïté, c'est que vous commencez en disant, il y a une surabondance d'informations. J'ai une surabondance de contenus, mais est-ce que c'est à proprement parler de l'information ? C'est déjà ça, la première distinction qu'il faut faire. C'est-à-dire qu'on a accès, à travers nos réseaux sociaux, à plein de choses. Mais dans ces pleins de choses, je ne sais pas forcément dire si c'est du vrai, si c'est du faux, si ce sont des informations ou si ce sont des émotions, si c'est des contenus qui sont transformés ou pas. Le statut est ambigu. Et c'est là où je rejoins la notion de dépendance que vous avez ressentie. C'est qu'il faut bien savoir de quoi on parle. Nos réseaux sociaux, qu'est-ce que c'est exactement ? Ce sont des plateformes dans lesquelles on est connecté, en choisissant d'être sous notre identité ou sous l'anonymat, parce qu'on a ces deux options, on y reviendra peut-être, et qui nous exposent à du contenu.
J'essaie toujours de comprendre et de tirer le fil. Pourquoi il y a des gens qui ont intérêt à nous exposer à ces contenus ? La question qu'il faut toujours se poser, c'est comment ils gagnent leur vie. Parce qu'ils ne le font pas pour nous faire plaisir, ce n'est pas un entrepôt solidaire, les réseaux sociaux, il faut qu'il y ait un modèle d'affaires, ils gagnent leur argent. Quand vous achetez La Provence, vous payez pour avoir de l'information. Donc justement, l'information, parce qu'il y a un travail derrière, je reprends votre première question, je le paye. Les réseaux sociaux, je ne le paie pas. Donc comment ils gagnent de l'argent ? Ils gagnent de l'argent en vendant de la publicité avec moi. Donc les réseaux sociaux, ça nous met en ligne, ça nous expose à des contenus, mais le modèle d'affaires qui est le leur, et ce n'est pas du tout une offense de dire ça, ce n'est pas un reproche, leur modèle d'affaires, ça n'est pas de partager de l'information, c'est de pouvoir vendre à des annonceurs de la publicité la plus individualisée possible chez les bonnes personnes. Ce qui fait d'ailleurs que sur ces 10 dernières années, les journaux qui avaient beaucoup de publicité l'ont perdu parce qu'elle est allée très massivement vers les réseaux sociaux parce qu'elle est plus individualisée. Et donc vous avez de l'abondance en effet, de signaux, d'émotions. Mais tels qu'ils sont structurés ces réseaux sociaux, ils cherchent à faire quoi ? À créer chez vous de l'excitation. C'est là où c'est lié à de l'addiction. Les réseaux sociaux, ils sont faits pour pousser des contenus dont ils vont mesurer eux-mêmes que chez vous, ça crée de la réaction, c'est-à-dire ça va augmenter votre temps d'exposition, ça va vous inciter à aller voir de plus en plus de vidéos, à y passer de plus en plus de temps et à avoir une excitation supplémentaire. C'est ça, le moteur. Parce que plus vous aurez de l'excitation, plus vous allez rester, plus je vais identifier ce sur quoi vous réagissez, plus je pourrai vendre de manière plus adaptée cette publicité. C'est ça dont on parle.
Donc, mon point, c'est qu'il faut déjà clarifier quelque chose. Les réseaux sociaux ne sont pas faits pour nous informer. Vous pouvez accéder à des plateformes d'information, vos titres de presse, mais leur modèle, c'est de vendre de la publicité individualisée sur vous. Peut-être que ça, il faut le clarifier.
La deuxième chose, c'est que du coup, mécaniquement, oui, ils créent de la dépendance. Je serai très prudent, parce que c'est à des cliniciens de le faire, de parler d'addiction, mais ils créent de la dépendance parce que l'émotion négative est plus importante que l'émotion positive, qui est plus importante que l'argument, parce que c'est ce qui va créer chez vous plus d'excitation et plus de temps. Aujourd'hui, chez les plus jeunes, on est à 4h20 par jour. Donc, ça a quand même quelque chose à voir avec une dépendance.
On voit bien qu'il faut freiner tout ça, il faut clarifier le statut, il faut dire à quoi ça sert, pourquoi c'est fait, parce qu'on a un peu perdu le fil de tout ça, et il faut réussir à freiner cette chose parce que y passer trop de temps, c'est renoncer à du temps de lecture pour les plus jeunes, du temps pour construire sa vie. En effet, c'est aussi pour ça, on y reviendra sans doute, que pour les plus jeunes, je souhaite qu'on puisse aller vers des mécanismes même d'interdiction. Mais il est clair aujourd'hui qu'il y a de plus en plus de dépendance, que ça crée de plus en plus de troubles. Et là aussi, sans qu'il y ait un mécanisme de causalité qui soit créé, on a des corrélations qui sont établies maintenant qui montrent que plus on passe de temps sur les réseaux sociaux, plus on a de l'angoisse, plus on a des problèmes de santé mentale, plus on baisse en performance éducative, plus on a des problèmes de troubles du comportement alimentaire, en particulier les jeunes filles, etc. Donc, ça n'est pas séparable des difficultés qu'on a en termes de santé mentale chez les plus jeunes.
Intervenant
Bonjour, Monsieur le Président. Pédopsychiatre, directeur de l'association ASMA, chargée de prévention du suicide de l'adolescent en PACA. La moquerie et le sarcasme ont de tout temps parcouru les cours d'école. Les réseaux sociaux ont transformé cette pratique, en apparence anodine, en cyberharcèlement, catalyseur de drame pour les plus vulnérables. Si les réseaux sont des espaces d'échange et de création, ils sont aussi des espaces de violence. Les plus vulnérables de ces enfants, parfois élevés dans un environnement fragile, précaire, parfois sans parents, je pense aux enfants de l'ASE, ont besoin d'une protection fiable, constante et sécurisante. Le renforcement des compétences psychosociales des plus faibles doit être encouragé. Les plus forts, les GAFAs, doivent être mis à contribution. Quand imposerons-nous une déontologie de ces multiples contenus, Monsieur le Président ? Quand peut-on espérer voir appliquer les recommandations de la commission écrans que vous avez installée l'année dernière ? Les parents, plus que les enfants, en ont impérativement besoin.
Emmanuel MACRON
Merci beaucoup. D'abord, merci et merci pour ce qui est fait par votre association et votre engagement. On a eu l'occasion, quand j'ai réuni plusieurs mois des professionnels sur ces sujets, de se voir. Ce qui est fait est admirable.
Vous l'avez parfaitement dit, le harcèlement, que ce soit harcèlement scolaire ou cyberharcèlement, c'est un continuum. C'est-à-dire qu'on a vu ce continuum émerger ces dernières années, on a collectivement réagi, et je veux vraiment remercier l'ensemble des communautés pédagogiques, les enseignants, mais tous ceux qui les accompagnent, nos enfants et nos adolescents en tant qu'élèves, et maintenant les familles qu'on a besoin d'engager et toutes les associations qui aident. C'est un continuum parce qu'au fond, c'est la chose la plus grégaire et la plus cruelle qu'il y a dans le comportement humain. On voit quelqu'un qui est un peu en situation de faiblesse ou on isole quelqu'un parce que c'est des logiques de groupe et on le fait souffrir. Donc, le harcèlement mène au pire, évidemment, à la déscolarisation, à la grande souffrance, et parfois jusqu'au suicide.
Alors, ces dernières années, on s'était équipé, si je puis dire, c'est-à-dire qu'on s'est levé, puis on a formé les profs, le programme Phare, on a alerté, on a mis en place des plateformes pour le harcèlement et le cyberharcèlement. On a formé les élèves. Maintenant, on forme les familles, ce qui est très important. On éloigne les enfants qui harcèlent. Avant, on disait plutôt aux familles : " pensez à ce que votre enfant quitte l'établissement. " Et puis, on s'est équipés aussi sur le cyberharcèlement en disant : " si vous vous harcelez, on peut vous priver de réseaux sociaux et vous éloigner. " Donc, la société a réagi, mais c'est un combat de tous les jours parce qu'il y a encore des signaux faibles qu'on ne voit pas, des choses qui se passent qui sont inacceptables. Et je le redis ici, on ne doit rien lâcher de ce combat.
Maintenant, derrière ça, le cyberharcèlement, il le continue sous d'autres formes. Vous l'avez dit, il y a en fait deux façons de faire avec les plateformes, soit elles coopèrent, soit on s'aperçoit que ça ne les intéresse pas. Je vais être très direct avec vous. Ma réponse est simple et je parle d'expérience, ça ne les intéresse pas. Depuis 2018, j'ai réuni au moins deux fois par an les plateformes en prenant parfois les patrons mondiaux. On a créé, on a fait des initiatives en européen, en international. Après le terrible attentat de Christchurch, on avait fait cet appel de Christchurch qui nous a permis au moins d'obtenir des choses sur les contenus terroristes. On a essayé de le faire sur les enfants. On a mis ce laboratoire pour protéger les enfants en place. On avait commencé à avoir des engagements de modération, en disant : " oui, oui, on va vous aider sur le cyberharcèlement ou sur les contenus dont il est identifié que ça déstabilise vos jeunes. " Ils ont mis quasiment zéro effectif, ils ne retirent quasiment jamais spontanément des contenus, et s'il n'y a pas recours sur recours, ils ne le font pas, et on a énormément de mal à aller chercher leur responsabilité.
C'est pour ça que je vous le dis, en responsabilité, pour moi, la réponse, c'est que pour les moins de 15 ou 16 ans, il faut interdire les réseaux sociaux. C'est le seul moyen de les protéger. Le seul moyen. Parce qu'aujourd'hui, les gens qui produisent les contenus qu'il y a sur ces réseaux ne sont pas intéressés par la santé affective, mentale de nos enfants et de nos adolescents. Ils ont juste décidé que c'était une matière pour eux. C'est une matière pour vendre quelque chose, pour le monétiser. Donc, on ne peut pas déléguer la santé mentale et affective de nos enfants et nos adolescents à des gens qui ont simplement décidé d'en faire le moyen de faire des revenus. C'est pour ça que je suis arrivé à la conclusion qu'on ne pouvait pas modérer, qu'il fallait couper.
Animateur
Merci, Monsieur le Président. Je signale d'ailleurs dans le journal de ce matin, pardonnez-moi pour la séquence promotion, un très bon dossier sur les réseaux sociaux et qui est dans le prolongement de ce que vous êtes en train d'indiquer.
Intervenant
Bonjour Monsieur le Président, professeure de Vente, Économie et Droit en lycée professionnel. Voilà, vous venez à peu près de répondre, mais je tiens quand même à poser ma question. Les réseaux sociaux peuvent être des vecteurs positifs et je me demandais, est-ce qu'il ne serait pas possible de les obliger sans interdire, mais justement leur mettre plus de contenu positif, c'est-à-dire en disant, par exemple, 10% d'activités sportives, 10% de culture générale, 10% d'actions solidaires pour que ce soit effectivement vraiment des contenus intéressants, sains et diversifiés.
Intervenant
Monsieur le Président. Président de la Chambre de Métiers et de l'Artisanat de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur. Avant tout, je tenais à vous remercier pour le magnifique message vidéo que l'on a pu voir lors de notre Assemblée générale du 2 et 3 décembre dernier à CMA France. Ma question va être assez simple. Nous sommes un réseau, vous connaissez aussi l'artisanat au niveau de la France. Encore plus vrai ici, l'artisanat est la première entreprise en région Provence-Alpes-Côte d'Azur. Nous formons aussi des jeunes, plus de 6 000 apprentis, 10 000 apprenants et nous sommes confrontés au quotidien justement à ces réseaux sociaux. Nous avons une proposition. Ma question est la suivante : seriez-vous prêt à collaborer à nos côtés pour développer un module justement sur ces réseaux sociaux pour que nos jeunes soient attentifs, bien sûr, et de faire attention à l'utilisation de ces réseaux sociaux ? Merci.
Intervenant
Bonjour, Monsieur le Président. Fondatrice de l'application Joy Up. Joy Up est une application basée sur la psychologie positive. J'aime bien rendre les choses joyeuses et positives, il y a des méditations, auto-hypnose et podcasts, notamment sur la communication non violente. Alors ma question est la suivante : est-ce qu'il est prévu, au-delà des mesures restrictives que vous semblez vouloir mettre en place, des mesures positives pour les élèves, les professeurs, les parents, adultes comme jeunes, pour les initier à de la communication non violente, à comment être dans le relationnel avec l'autre, la bienveillance, voilà tous ces sujets-là qu'on n'apprend pas à l'école et pas forcément en famille non plus. Merci beaucoup.
Emmanuel MACRON
Merci beaucoup. Alors, sur la première question, en vérité, on ne contrôle pas ce que les réseaux sociaux font. Ils ne sont pas d'État. Je dirais, le seul endroit où ce que vous semblez vouloir faire existe, c'est la Chine. La Chine qui a créé TikTok et qui nous l'exporte avec beaucoup de contenu, elle ne diffuse pas TikTok dans son pays, elle le limite en nombre d'expositions par jour très fortement et elle met des contenus pédagogiques. Mais nous, on n'a pas de réseau social d'État. Donc je ne peux pas vous donner une telle garantie. Le problème, c'est qu'on rentre dans une jungle, et dans cette jungle, c'est ce que je disais tout à l'heure, ce sont les lois du marché qui fonctionnent, pour le meilleur et pour le pire, et donc c'est l'exposition à des tas de contenus qui vont créer de l'excitation. L'exemple a été fait par des chercheurs indépendants sur TikTok. La quatrième vidéo qui est scrollée, c'est une exposition à des contenus salafistes, parce que ça crée de l'excitation, on l'a vu, et tout de suite, ça nous emmène vers des chemins de traverse. Donc, je ne pense pas que ce soit la bonne méthode. Je dis ça après avoir cherché beaucoup de moyens, comme je disais, de les engager, et après avoir beaucoup écouté la science.
Par contre, ce qu'on sait dire, c'est que quand un jeune passe en moyenne 4h20 par jour sur un écran, il a des problèmes de solitude, de désocialisation, souvent de sommeil, parce que ces 4h20, ça l'amène très tard dans la nuit. Ce sont des jeunes qui ont beaucoup de mal à fixer leur attention, ce que vous retrouvez un peu plus tard. Ce sont des jeunes qui ont de plus en plus de mal à lire, on voit une chute du taux de lecture, chez les jeunes d'ailleurs comme chez les moins jeunes. Ce sont des jeunes qui font de moins en moins de sport parce qu'ils restent sur leur écran. Et donc la bonne réponse, ce n'est pas de chercher des contenus sur les réseaux qui poussent à la lecture et au sport, c'est de s'assurer dans la vie de nos ados et de nos enfants qu'il y a du temps de lecture, qu'il y a du temps de sport, qu'il y a du temps de vie ensemble. Et ça, c'est tout le boulot à l'école, avec les familles, avec le périscolaire, de remettre tout le monde à la lecture, et de le dire d'ailleurs aux jeunes comme aux moins jeunes, la lecture est un formidable levier d'émancipation, quelque chose qui permet de comprendre le monde, de se comprendre soi-même, et aussi d'apprendre à construire du raisonnement, de remettre nos jeunes au sport plutôt que de le chercher par les réseaux.
Voilà l'approche qui est la nôtre. Alors pendant ce temps-là, on forme, et c'est un peu le lien entre vos trois questions, et l'idée n'est pas d'avoir que de l'interdiction. En même temps, c'est de protéger nos jeunes, maintenant qu'on sait un peu plus avec le recul, les impacts que ça a. Parce qu'il faut se dire qu'on a, au fond, 10 ans de recul. Les réseaux sociaux arrivent à l'échelle très large en 2015. Il y a quand même une petite révolution autour de 2020 avec le Covid, où le temps d'écran augmente pour tout le monde. On a vu l'impact. Et là, maintenant, on commence tous à le mesurer. Donc, il faut protéger, mais en même temps, il faut préparer.
Ce qu'on est en train de faire à l'école, c'est d'améliorer la formation des maîtres, c'est de mettre maintenant des cours de bienveillance qui n'existaient pas, en prenant un peu l'exemple sur les modèles scandinaves, qui sont plus en avance que nous sur ce point-là, et c'est de préparer, et donc préparer en transmettant des savoirs à nos enfants, puis de l'esprit critique, et en même temps, les bons comportements, et en même temps favoriser les contenus positifs comme le vôtre, qui permettent ensuite, quand des jeunes qui, quand même, à 16 ans restent jeunes, arrivent sur les réseaux, ils soient aussi accompagnés à cet égard. C'est pour ça que ce que propose CMA France, et merci président, va tout à fait dans la bonne direction, parce que l'idée, c'est de protéger pendant un temps, c'est de préparer à l'école avec les familles, mais ensuite, c'est de pouvoir accompagner nos jeunes quand ils vont arriver sur ces réseaux, avec des contenus qui sont tout à fait positifs et qui créent des synergies avec leur activité professionnelle. Je suis convaincu, en particulier pour des métiers comme ceux auxquels vous formez, et on le mesure, vous le mesurez, les maîtres d'apprentissage me le disent très souvent, quand on a des jeunes qui ont passé des heures et des heures par jour pendant des années sur les réseaux, ils ont beaucoup de mal à les garder en attention derrière qui un établi, qui dans une boulangerie, qui... parce que juste ça dérègle l'organisme. Ça vous met dans une situation où vous êtes constamment habitués à être sur-stimulés. On a même des jeunes qui disent qu'ils ne sont plus capables de regarder un film assis pendant une heure et demie. Et c'est la réalité. Ils sont habitués à avoir des contenus de quelques secondes qui déroulent. Donc les initiatives que vous portez sont très bonnes et on les accompagnera.
Animateur
Si vous permettez, restez avec moi quelques instants pour répondre à une question qui n'était pas tout à fait prévue là. Mais les Français sont favorables à une interdiction aux moins de 15 ans des réseaux sociaux. Dans notre dossier de ce matin, l'Australie a décidé de le faire et l'a annoncé cette semaine. Est-ce qu'on va vers ça ? Est-ce que réellement, en France, on va interdire clairement les réseaux sociaux aux moins de 15 ans ?
Emmanuel MACRON
Alors, je pense qu'on y est prêt maintenant. Vous parlez des sondages. La commission Écran a rendu une recommandation. Il y avait encore des discussions parmi les experts, mais ça s'est consolidé pour dire : ce n'est vraiment pas bon avant 15-16 ans. Et en vrai, on voit bien que le consensus, vous prenez l'Australie, c'est 16 ans, dans beaucoup de pays, parce que je parle sous le contrôle de beaucoup plus expert que moi : avant 16 ans, en fait, la vie affective n'est pas totalement structurée, le cerveau n'est pas mature, il y a encore beaucoup de choses qui sont à fixer, et on les déstabilise en surexposant aux réseaux sociaux.
Deuxième chose qu'il nous fallait, parce que ça, c'est au printemps 2024 qu'on a ça, on a fait tout ce travail de consensus scientifique, l'été dernier, donc il y a moins de 6 mois, on a eu la réponse de l'Europe. Parce qu'en fait, c'est très sympathique d'interdire, mais vous allez me dire : comment vous allez faire. Donc, on peut le faire que si on peut contrôler l'âge. Donc on a obtenu de l'Europe, parce que c'est une compétence européenne, ces réseaux sociaux, l'Europe nous a dit : " Oui, vous avez le droit de faire le contrôle, la vérification de l'âge pour les réseaux sociaux ", exactement comme on l'avait obtenu pour les sites pornographiques. Ce combat qu'on a mené il y a quelques années pour dire qu'on ne peut plus avoir des jeunes qui, à 12 ans, peuvent rentrer sur un site pornographique gratuit. On a mis en place ces contrôles où on vérifie avec soit le selfie, soit la carte d'identité, soit un identifiant pour s'assurer qu'on a des majeurs. L'Europe nous a dit : " Vous pouvez le faire pour les réseaux sociaux ". Et c'est une compétence nationale de définir la majorité numérique.
Donc là, l'idée, c'est d'arriver début d'année prochaine avec un texte de loi qui va définir une majorité numérique à 16 ans et qui va dire : vous allez vérifier votre âge, et en dessous de cet âge, vous ne pourrez pas rentrer sur les réseaux sociaux parce qu'on considère qu'ils ne sont pas bons pour vous, vous êtes en minorité numérique.
Intervenant
Bonjour Monsieur le président de la République. Président d'un petit club amateur marseillais, partenaire de votre club de cœur, l'Olympique de Marseille, à jamais les premiers. Je suis obligé de la placer celle-là. Moi, je suis confronté à un nouveau phénomène, comme tous mes collègues présidents de clubs amateurs, qu'on appelle le " projet Mbappé " à savoir des parents fous furieux qui veulent absolument que leur " petit Boutchou " devienne footballeur. Malheureusement, le talent ne suffit pas. Pour cela, ils n'hésitent pas à les exhiber sur les réseaux sociaux, sur toutes les plateformes. Moi, je suis entièrement d'accord avec ce que vous dites, parce qu'ils ne prennent pas compte du danger d'exhiber leurs propres enfants. Et quand malheureusement l'échec, puisqu'il y a très peu qui réussissent, arrive, nous, les clubs, on les récupère complètement détruits. On oublie que c'est des enfants. Je vois des enfants de 7-8 ans, c'est horrible. Et quand on leur dit, ils ne nous écoutent pas. Moi, j'ai écouté très attentivement ce que vous avez dit tout à l'heure, qu'est-ce que l'État peut faire pour y remédier en sachant que ça entraîne aussi des gros dérapages. Moi, j'ai eu un éducateur qui s'était fait poignarder par un parent mécontent. Dans mon club, ça arrivait juste quand vous êtes venu à la cité Benza. D'ailleurs, je vous l'avais présenté et on avait échangé tous les deux. Voilà. Merci, Monsieur le Président.
Emmanuel MACRON
Merci beaucoup. Ce que vous décrivez est beaucoup plus large, mais ça va avec. On est dans une société... D'abord, ça a toujours existé des parents qui rêvent le meilleur pour leurs enfants. Là, simplement, ça passe à la surmultipliée parce que tout le monde peut les voir et tout le monde les met sur les réseaux. C'est ça, le problème. C'est qu'il ne faut pas non plus mettre tout sur le dos des réseaux sociaux. C'est un accélérateur de choses qui ont toujours existé avant.
Mais en fait, tout ça nous ramène sur l'importance du réel et de nos structures de vie. C'est-à-dire qu'on redécouvre l'importance de la famille, de l'école, des associations, c'est-à-dire de ce qui fait qu'on n'est pas juste tout seul avec des millions ou des milliards de gens. Et c'est un peu ça l'effet pervers des réseaux. C'est formidable, c'est galvanisant. Attendez, même quand vous êtes candidat à la présidentielle ou quand vous voulez passer des messages, vous êtes Président, c'est formidable, vous mettez un message, quelques minutes après, vous pouvez dire : des millions de gens m'ont vu. Ils vous ont vu, ils vous ont lu. Est-ce qu'ils vous ont compris ? Vous n'êtes pas toujours sûr ? Parce que chacun peut partir de travers dans tous les sens, je peux vous le dire. Mais parce qu'il n'y a pas ces structures intermédiaires. Donc ça monte à la tête aussi de beaucoup. Donc je pense que l'importance dans ce moment, c'est de refroidir un peu le moteur, si je puis dire et de prendre le temps de former nos jeunes, nos ados, et c'est pour ça qu'il faut les protéger, les éduquer, ça, c'est le rôle des familles, les instruire, ça, c'est le rôle de l'école, et les accompagner, c'est le rôle des clubs de foot, des associations sportives, des associations en sens large, parce que c'est comme ça qu'on arrive à les faire monter.
Donc la clé pour moi, c'est, 1) d'envoyer aujourd'hui un message clair : avant un certain âge, ce n'est pas bon. Ça, c'est pour les jeunes. En même temps, on envoie un message aux familles. Jusqu'à présent, on n'était pas clair avec les familles. On ne savait pas si c'était bon ou pas bon, les réseaux sociaux, s'il fallait y aller ou ne pas y aller. Il faut bien dire les choses. Là, on envoie un message clair. Et 3) de responsabiliser les familles pour dire, laissez vos enfants grandir et prendre le temps de grandir. Au fond, c'est dans le dialogue avec les maîtres, les éducateurs, que vous allez comprendre si vous avez affaire à Mbappé et Mozart ou pas. Et d'ailleurs, je le dis aussi pour beaucoup de familles, ce n'est pas forcément comme ça que votre enfant sera le plus heureux. Mais il faut lui faire faire tout le parcours. Mbappé est un bon exemple, c'est aussi un jeune qui a un talent fou pour le foot, mais qui a été très accompagné par sa famille, par ses premiers clubs, qui a gardé la tête froide et qui a aussi continué ses études très longtemps. Merci d'avoir ce mot pour beaucoup de jeunes, parfois les parents ou l'entourage voudraient les sortir. Voilà. Il faut prendre le temps de grandir et de faire un adulte.
Ce que vous décrivez est encore plus large, mais c'est, au fond, on réapprend à faire société. Je sais que c'est dur, mais c'est grâce à des clubs comme vous et des associations. Notre rôle, c'est ça. Donc le rôle de l'État, c'est, au fond, de donner une norme sur la base de la science, de dire maintenant, on envoie un message clair aux familles, d'être en soutien des familles, des enseignants, des associations, et de vous accompagner dans ce travail qui reste essentiel d'éducation, d'instruction, d'accompagnement.
Animateur
Merci, Monsieur le Président. Je vous propose qu'on ouvre la deuxième thématique de cette rencontre, la désinformation et les ingérences étrangères.
Intervenant
Monsieur le président, bonjour. Je suis étudiant à l'école 42, une école informatique. À côté, j'ai monté ma boîte où j'aide les entreprises à gagner du temps. J'ai une question pour vous. À l'heure où la désinformation et les ingérences étrangères exploitent pleinement nos réseaux sociaux, comment l'État peut-il protéger le débat démocratique sans porter atteinte à la liberté d'expression et aider les citoyens à distinguer plus clairement un fait d'une opinion ?
Ayant personnellement quitté les réseaux sociaux depuis un an, pour me protéger de la désinformation, de la dépendance et de l'influence algorithmique. Je me demande si l'État envisage de renforcer la visibilité de sources d'informations fiables et vérifiées afin d'aider les citoyens, notamment les jeunes, à mieux s'orienter dans le flux d'informations.
Emmanuel MACRON
Elles sont majeures, mais après, je vais essayer de cadrer les choses parce que je pense qu'il y en aura d'autres. Parce qu'en fait, c'est un continuum, on voit bien, même dans le débat public qu'on a eu ces dernières semaines, il y a eu beaucoup de confusion. Vous avez parfaitement raison, le grand risque, c'est de dire, j'ai pu lire avec étonnement que vous disiez que j'étais devenu un grand totalitaire qui allait tout interdire. Non, mais c'est un peu le débat qu'on a depuis tout à l'heure.
Qu'est-ce qui se passe ? D'abord, c'est tout à fait normal que dans les réseaux sociaux, il y ait des informations, des faits, des opinions, ce sont des choses différentes. Mais il y a une grande confusion dans le statut. Je pense qu'il faut qu'on s'accorde sur le fait de dire qu'une information et le fonctionnement d'une démocratie supposent comme sous-jacent d'avoir une circulation libre d'une information forgée librement et de manière indépendante. C'est un métier, c'est un travail. Moi, je ne produis pas de l'information. Je vais produire des positions, je vais pouvoir me référer à de la science. Certains me diront que je fais de la communication, je vais donner des avis.
Mais je crois que l'information, c'est le métier de gens qui sont journalistes. Et ça, c'est le premier point qui est important, qu'il faut bien recadrer, parce qu'au fond, c'est quelque chose qu'on a appris avec la démocratie. On revient un peu comme au XIXe siècle en ce moment. On a mis tout le XIXe siècle à bâtir notre système de presse. Ce sont les lois des années 1880 qui ont créé la presse. Pourquoi ? Parce que tout le long du XIXe, on a des journaux qui se sont créés. Mais ces journaux, souvent, ils informaient, ils donnaient des opinions, ils pouvaient être manipulés, c'était la loi du plus fort ou du plus riche. Mais il n'y avait pas tellement de déontologie. Les lois de la Troisième République dans notre pays, qui d'ailleurs sont celles qui ont permis de créer vos titres dans La Provence et qui ont structuré notre presse quotidienne régionale et nationale, ce sont des lois qui ont garanti l'indépendance des journalistes, mais qui ont créé aussi un système de responsabilité. Ce qui fait que si La Provence dit quelque chose qui est faux, je peux demander un droit de réponse, mais je peux aussi aller chercher sa responsabilité. Il va y avoir un rédacteur en chef, quelqu'un qui a une responsabilité d'éditeur de presse, qui va, devant les tribunaux, pouvoir être mis en cause par moi-même si je considère qu'il a dit quelque chose qui me nuit, il a dit une contre-vérité ou il m'a porté tort. Ça, c'est très important parce qu'il n'y a pas de liberté d'informer sans responsabilité qui va avec et sans déontologie journalistique qui va avec. Je le redis, ça n'est pas l'affaire de l'État. Ce n'est pas l'État qui bâtit cette information, mais c'est ce cadre de la presse libre et indépendante.
Ça, aujourd'hui, ce ne sont pas les réseaux sociaux. Si demain, quelque plateforme que ce soit dit quelque chose qui est totalement faux sur vous, vous crée du tort et autre, elle n'a pas vraiment de responsabilité. Vous ne pouvez pas la mettre au tribunal. Et elle ne produit pas d'informations. Et comme j'ai dit tout à l'heure, d'ailleurs, ce n'est pas son point. Donc ça, c'est le premier élément distinctif qu'il faut faire. Il est fondamental. Et donc si vous voulez vous informer, vous pouvez aller sur les réseaux, mais allez chercher les sites de titres d'informations, c'est-à-dire de journaux connus, parce que c'est comme ça que vous aurez la certitude d'avoir de l'information. Sinon, vous aurez des avis, et je ne sais pas vous dire s'ils sont vrais ou s'ils sont faux.
Ensuite, face à cette complexité, vous l'avez dit tout à l'heure, cette surabondance, des journalistes, de manière indépendante, libre, ont dit qu'il faut mieux distinguer nos titres des autres, et ils ont voulu créer des labels. Et je le redis, et je l'ai déjà dit plusieurs fois, ce ne sont pas des labels d'État, ça ne doit surtout pas être des labels d'État. C'est une initiative qui a été prise par Reporters sans frontières, avec des certificateurs, mais un peu comme, d'ailleurs, il y a des bureaux Veritas ou autres, ils ont dit : on crée une initiative entre journalistes pour dire là, on a vraiment des règles très déontologiques sérieuses. C'est par exemple ce qu'on a appelé le JTI, qui est Journalism Trust Initiative, donc l'initiative pour la confiance dans le journalisme. Et c'est des journalistes qui s'évaluent entre eux pour dire là, c'est vraiment des titres.
Pourquoi ? Parce que vous avez des tas de faux journaux qui se créent. Vous avez des tas de gens qui vous mettent des rossignols en ligne ou qui écrivent une feuille de chou qui n'ont rien à voir avec des journaux, qui n'ont pas déposé, qui n'ont pas le statut et qui font croire qu'ils sont des journaux. Mais ça, si je puis dire, c'est quelque chose qui est géré par les journalistes, c'est pas du tout l'État qui doit le faire.
Ensuite, vous avez la question de la fausse information, qu'on appelle la fake news. C'est un statut très particulier. Vous allez lire quelque chose, ce n'est pas un journal qui l'écrit, ce n'est pas un titre de presse, sur vous, sur quelque chose que vous savez qui est faux. Ça, c'est très difficile à réguler, le vrai du faux. C'est par le débat, la controverse, c'est par la preuve apportée que vous allez pouvoir le démêler. Mais c'est très difficile, y compris pour le juge, d'identifier ce qui est faux. C'est par définition une zone beaucoup plus grise et elle existe dans la vie. Ça peut être la rumeur qu'on colporte, la fausse information. Elle prend une ampleur beaucoup plus grande dans les réseaux sociaux. Mais là, je ne vais pas vous mentir, il n'y a pas de remède miracle face à ça. Il y aura toujours des vraies et des fausses nouvelles comme il y en a dans la vie. Simplement, elles prennent une proportion plus grande. Ce qu'il faut pouvoir établir, c'est simplement quand ces nouvelles prennent une volumétrie, qu'elles sont identifiées et qu'elles créent du tort pour quelqu'un. À ce moment-là, il faut pouvoir identifier quand même une responsabilité des plateformes. Ça, c'est ce qu'on a mis en place au niveau européen avec la directive sur les services numériques. On leur a dit, à partir d'un certain niveau, vous avez quand même une forme de responsabilité sur ce que vous publiez. Et si c'est de manière évidente faux, et si de manière évidente, ça crée du tort à quelqu'un, je peux aller chercher votre responsabilité. Ça, c'est le tout début. L'Europe, c'est le seul endroit où on l'a fait et on doit continuer. Et nous, ce qu'on veut faire là-dessus, c'est renforcer les choses, aller beaucoup plus loin.
Troisième élément, c'est dans les temps électoraux, parce que vous avez parlé des ingérences. On y reviendra peut-être pour les ingérences étrangères, mais pendant les périodes d'élections, vous êtes candidat à la mairie de Marseille, si je dis quelque chose de faux sur vous, ça va vous créer du tort. Je dois pouvoir le freiner. On a mis en place ce qu'on appelle un référé électoral. Simplement, on ne l'utilise pas assez. Et donc là, on va faire ce qu'on appelle une circulaire pénale. Et ça, c'est un frein d'urgence. Je dis un truc qui est totalement faux. Vous le savez, mais pénalement, je ne peux pas tout de suite le faire retirer. Référé électoral, ça va troubler l'élection. Je dois pouvoir le retirer. Sinon, ça vous porte un tort et ça va fausser l'élection. Parce que les réseaux sociaux, par ce fonctionnement, faussent nos élections de manière claire. Et donc là, c'est le référé électoral.
Le dernier point, c'est le contenu manifestement illicite. Un contenu raciste, antisémite ou qui pousse à la haine, celui-ci, on doit pouvoir le retirer. Aujourd'hui, on a une organisation, on a ce qui s'appelle Pharos, qui est une plateforme qu'on a mise en place, qui va chercher justement ces raisons. On a créé des dispositifs d'État. Donc, ce n'est pas une fausse information, c'est une information qui va mettre votre vie en danger ou qui, comme la loi l'interdit depuis des années, a un contenu très clairement ou raciste ou antisémite, etc. À ce moment-là, on doit le retirer, on doit mettre en cause la responsabilité de la plateforme. Est-ce que ça marche ? En théorie, oui. Mais le Président que je suis doit, en toute honnêteté, vous dire, en pratique, moyen. Parce qu'on le fait à la main, ce n'est pas satisfaisant. Le seul moyen de le rendre satisfaisant, c'est d'aller au bout d'une responsabilité pleine et entière de ces plateformes. Parce qu'aujourd'hui, c'est cette plateforme Pharos qui va aller regarder à chaque fois avec des moyens limités, elle va essayer de les faire retirer. Généralement, ça marche. Alors moi, j'ai un mauvais échantillon parce que c'est souvent ce auquel je m'intéresse. On y reviendra peut-être pour les ingérences. Mais il faut que ce soit systématique.
En fait, ce qu'il faut pouvoir dire, c'est tel réseau social, vous ne l'avez pas fait, si vous ne l'avez pas fait, on vous met tant de millions d'euros d'amende. Il n'y a que comme ça que ça peut marcher. Donc, ce qu'on veut maintenant passer au niveau européen, c'est des amendes beaucoup plus immédiates et fortes sur ces réseaux sociaux qui ne coopèrent pas et qui ne retirent pas tout cela. Voilà. Pardon, c'était un peu long, mais parce qu'il faut bien différencier les statuts entre les informations ou ce qu'on lit sur les réseaux.
Animateur
Des amendes sans aller, évidemment, comme certains Français le réclament, à des suppressions de sites, de plateformes et de médias.
Emmanuel MACRON
Mais je pense qu'il faut des escalades. Alors, on parle là de plateformes. Cette directive sur les services numériques, dite DSA, pour Digital Services Act, c'est la France qui l'a poussée sous sa présidence de l'Union européenne en 2022. Elle est finalisée début 2023. Vous imaginez qu'on a fait la première action contre la plateforme X il y a 15 jours. Donc, ça ne marche pas super vite quand même. On l'a fait, les montants sont très limités. On a mis sur 3 ou 4 actions qui étaient poursuivies, ça va faire 120 millions d'euros. Ce n'est pas encore dissuasif. Donc, il faut qu'on ait une escalade que ce soit beaucoup plus dissuasif et qu'après, on vous retire un agrément.
Je vais vous donner une comparaison très simple. C'est exactement pour moi comme les assureurs. Quand vous avez un assureur, on ne peut pas contrôler toutes les opérations d'un assureur. C'est comme pour un réseau social, il y a trop d'opérations. Donc, qu'est-ce qu'on fait ? On a mis des obligations. On dit : « on regardera régulièrement si vous le faites, soit si les gens disent que ça n'a pas bien été fait, ou par des stress tests. Si on s'aperçoit par contre que vous ne l'avez pas fait, faites gaffe, l'amende, elle va être mirobolante ». On l'a fait. Et puis, au bout d'une ou deux amendes, ou si c'est très grave, on vous retire votre agrément. On le fait pour l'argent. Pourquoi on ne le fait pas pour nos cerveaux ? Pourquoi on ne le fait pas pour un fonctionnement démocratique ? Pourquoi on ne le fait pas pour le cerveau de nos jeunes, la vie de nos jeunes ? C'est exactement la même chose.
Donc, on doit faire un système où on dit : on ne va pas pouvoir vous regarder tous les matins, mais voilà les règles, si vous ne les respectez pas, c'est-à-dire vous devez, sur ces contenus racistes antisémites, dans X temps les retirer, vous devez, si on vous a signalé plus d'autant de fois des contenus qui posent problème, vous devez avoir une modération et revenir vers nous. Et donc, il y a un cahier des charges, si vous ne le faites pas, responsabilité avec des amendes très fortes. C'est ça, maintenant, la deuxième étape du combat européen. Ça, c'est européen, ce n'est pas français. L'interdiction mineure, c'est français, on va le faire début d'année prochaine. Ça, c'est le combat européen qu'on lance l'année prochaine.
Intervenannt
Monsieur le Président, bonjour. Nous accueillons et échangeons avec beaucoup de nos clients dans cette période, ce qui m'amène à vous poser la question suivante. Comment la France peut-elle gérer une désinformation et des ingérences étrangères qui ont une influence directe sur notre économie en contribuant à un climat anxiogène malgré cette période de fête ?
Emmanuel MACRON
Vous avez raison et c'est pour ça qu'on est là. Et je vais vous dire, aujourd'hui, ça ne marche pas terrible. Alors, je ne suis pas pour qu'on arrête d'être une démocratie, je vous rassure, parce que beaucoup disent : " il faut y aller, qu'il faut être beaucoup plus dur, etc ". Non, parce qu'en fait, on n'arrive pas à tout couper d'un coup. Il ne faut pas tout couper d'un coup.
La question, c'est comment on arrive ? Alors, on a déjà avancé depuis tout à l'heure en disant qu'il faut créer des systèmes de responsabilité. Il faut faire de la pédagogie collective, redire aux gens, si vous voulez vous informer, mais il faut lire des journaux. Si vous voulez vous informer, il faut accepter de payer pour vous informer. Et je trouve que la chose un peu malsaine dans laquelle, on est rentré ces 10 dernières années, c'est qu'on s'est habitué, comme démocratie, à dire : " l'information n'a plus de coût. " Donc, implicitement, on est en train de dire : " elle n'a plus de valeur. " Ce n'est pas possible. Voyez bien, ça veut dire qu'on est en train de s'habituer à quelque chose qui est : ce n'est pas vraiment de l'information qu'on est prêt à ne pas payer pour. Ce n'est pas ça. Si on veut qu'il y ait des gens qui fassent le travail d'informer, il faut accepter d'avoir un modèle économique qui marche derrière et donc de payer. C'est modique. Ou alors de dire, c'est un vrai débat qu'on va lancer aussi dans les prochains mois, si vous ne voulez pas le payer par numéro, on dit que c'est un bien commun, alors ce bien commun, on doit le financer comme citoyen. Vrai débat. Il y a d'ailleurs des accords et des désaccords. Vous avez beaucoup de journalistes qui vous diront " jamais de la vie ". Moi, je ne veux pas de ça. Ça, c'est une fonctionnarisation. Mais aujourd'hui, c'est le pire des systèmes. On dit au fond : " l'information, ça ne vaut rien, donc je ne la paye pas et on ne fait plus le distinguo. "
Alors néanmoins, au-delà de ce que j'ai déjà dit tout à l'heure sur la responsabilité et la clarification entre ce qui est un titre d'info et ce qui ne l'est pas, il y a des choses qui, aujourd'hui, ne vont pas, qu'on doit clarifier, sur lesquelles les démocraties ouvertes que nous sommes sont beaucoup trop faibles et qui créent des ingérences étrangères.
La première, c'est l'existence de faux comptes. Aujourd'hui, vous pouvez avoir des gens qui activent des faux comptes, des fermes à trolls, etc., et qui vont pousser des contenus pour vous affaiblir. Aujourd'hui, le paradoxe, c'est que ces grandes plateformes généralement américaines, parfois chinoises, dans les périodes électorales ou les périodes où c'est difficile, ont parmi leurs plus beaux clients, les Russes, qui leur achètent des faux comptes par centaines de milliers ou millions pour pousser massivement des contenus et réussir à pousser des fausses informations ou amplifier des informations qui étaient en train d'émerger. Ça vaut dans les deux cas. Aujourd'hui, quand vous ouvrez un message, que vous regardez et qu'on dit que c'est vu 12 millions de fois, c'est retweeté ou liké, vous ne savez pas dire s'il y a des personnes physiques derrière ou si ce sont des faux comptes.
Alors, tout le monde y trouve son compte, si je puis dire, avec ces plateformes, parce qu'ils gagnent de l'argent par ses achats. Ça, on doit l'interdire. En tout cas, on doit exiger des plateformes que derrière chaque compte, il y a bien une personne physique et pas potentiellement un faux compte ou un troll, parce que ça, ça fausse tout. Premier point.
Le deuxième point qui est fondamental, à mes yeux, c'est la transparence des algorithmes. Aujourd'hui, les contenus, ils sont poussés. Quand c'est la Provence, vous avez un rédacteur en chef qui pousse ses contenus, qui décide de la une, de ce qu'il va mettre en page 2, en page 3. Vous pouvez être d'accord, pas d'accord. Il y a une responsabilité. Généralement, c'est collectif, c'est un choix éditorial. Quand vous allez sur un réseau social, qui pousse les contenus que vous allez voir ? Ce n'est pas vous qui allez les chercher librement. Ils ne sont pas poussés par des gens qui ont discuté, qui vous disent " voilà ma ligne ". Ils sont poussés par un algorithme dont les finalités sont généralement économiques, c'est-à-dire, il a repéré ce qui créait de l'excitation chez vous. D'ailleurs, vous en avez tous fait l'expérience. Vous avez posé une question sur tel appareil, et bizarrement, une heure après, deux heures après ou le lendemain, on vous pousse un contenu sur ce type d'appareil ou une publicité, la vie est bien faite. Bon, il vous pousse les contenus, c'est son algorithme. Mais cet algorithme, il peut aussi être utilisé politiquement. Et il se trouve que certains propriétaires aujourd'hui des réseaux sociaux, ils ont des combats politiques. Deuxième élément, on doit avoir la transparence des algorithmes et pouvoir les contrôler. Supprimons les faux comptes, demandons la transparence des algorithmes pour les contrôler.
Le dernier point, nous voulons pouvoir obtenir le retrait beaucoup plus rapide des comptes qui sont de manière manifeste des ingérences, manifeste. Pour vous dire qu'on est très loin d'y être, je vais vous donner une expérience réelle toute récente. Dimanche, là, on m'envoie depuis l'étranger, un de mes collègues africains, pour tout vous dire, un message Facebook. Et il me dit, " cher Président, qu'est-ce qui se passe chez vous ? Je suis très inquiet ". Il m'envoie un message Facebook ; crise agricole, etc., on voit une journaliste qui est à côté de l'Élysée, etc., qui dit, il y a eu un coup d'État en France, un colonel a pris le pouvoir. Alors, nous, ça nous fait marrer. 12 millions de vues. Moi, président de la République, comme auraient dit certains, je demande à mon équipe, quand même ce truc-là, ce n'est pas possible, en plus dans cette période, demandez tout de suite à la plateforme de le retirer. La plateforme Pharos appelle Facebook. Elle dit, il faut retirer ce truc. Regardez, de manière évidente, ça crée le chaos. C'est exactement ce que vous dites, c'est inquiétant. Et votre client qui vient vous voir ce jour il se dit qu'il y a un coup d'État à l'Élysée avec un colonel qui a pris le pouvoir, etc., peut être inquiet. Réponse de Facebook : " Ça ne contrevient pas à nos règles d'utilisation ". Refus de retrait. J'ai tendance à penser que j'ai plus de moyens de pression que qui que ce soit, en tout cas, c'est peut-être plus simple pour leur dire que c'est grave si c'est moi qui appelle, mais ça ne marche pas.
Donc, vous voyez qu'on n'est pas équipé comme il faut. Donc, je suis pour un débat libre, ouvert, mais ces gens-là se moquent de nous. Ils se foutent de la sérénité des débats publics, ils se moquent de la souveraineté des démocraties, Et donc, ils nous mettent en danger. C'est pour ça qu'il faut réussir quand on a, et il ne faut pas du tout que ce soit le fait du prince, avec une procédure votée par le législateur, mais au niveau français et européen, quand on a des contenus manifestement faux qui mettent en danger la sécurité publique par des fausses informations qui déstabilisent, il faut pouvoir les faire retirer. Merci beaucoup.
Intervenant
Monsieur le Président, bonjour. Je suis président de Kiro, entreprise française de la French Tech 2030, dont la mission, c'est d'assurer justement une information de qualité pour le patient, mais aussi pertinente pour le professionnel de santé, et le tout grâce à l'intelligence artificielle qu'on construit en France. On est aujourd'hui leader sur ce sujet en Europe avec 3 millions d'utilisateurs. Et pourtant, à cause de la réglementation et à cause du principe de précaution, nos projets sont complètement bloqués en France alors qu'ils bénéficient d'un financement de l'État et qu'on travaille avec des établissements publics. La conséquence, elle est simple. En trois mois, notre technologie a avancé plus vite aux Émirats arabes unis qu'en un an et demi en France. Ça veut dire que si Kiro ne veut pas perdre la bataille de la concurrence étrangère et notamment de nos concurrents chinois ou américains, on va probablement devoir entraîner nos algorithmes à l'étranger avec des biais d'autres pays. On va devoir former des ingénieurs et des médecins là-bas. Ça veut dire aussi qu'on risque d'importer notre technologie ensuite plus cher, avec un risque de biais qui va être inhérent à la vision du monde de ces pays, alors même qu'on est une entreprise française. C'est paradoxal, mais aujourd'hui, le principe de précaution risque de tuer le principe d'innovation. Je reste un optimiste. On se bat pour le système français, mais il faut qu'on lève certains freins et qu'on agisse pour l'innovation française et l'accès à une information fiable.
Ma question, elle est simple, Monsieur le Président, dans ce contexte de désinformation, le principal danger, est-ce que ce n'est pas finalement celui d'une ingérence discrète, un peu plus pernicieuse ? Celles qui nous condamnent, faute d'innovation rapide en France et d'excès de réglementation, à devoir développer des technologies hors de France, avec un risque immédiat d'intégrer la vision du monde d'autres pays, des biais qui pourront avoir un impact sur la qualité des informations, sur la santé des patients et, plus généralement, sur l'intérêt général de notre pays.
Emmanuel MACRON
Merci beaucoup. Alors, moi, je suis prêt à regarder peut-être de manière plus spécifique, ce qui bloque, si c'est des tests cliniques ou l'utilisation de l'IA pour certaines cohortes, parce que c'est un sujet qui est un peu décalé par rapport au reste, et je pense d'ailleurs qu'il ne faut pas les opposer. Moi, vous savez le combat que je mène depuis 9 ans pour l'innovation dans le pays, pour qu'on avance et qu'on lève les freins. On les a levés parce qu'on est le pays d'Europe qui crée le plus de start-up et qui, en Europe continentale, est très clairement en tête sur l'IA. Après, sur IA et santé, vous avez tout à fait raison. En vrai, ce n'est pas que IA d'ailleurs. On a un sujet sur les tests cliniques, la rapidité de nos procédures qui aujourd'hui nous paralysent et fait que le cas malheureusement que vous décrivez n'est pas isolé. On a beaucoup de startups qui sont en train de se créer, parfois même dans nos structures publiques, qui, par la lenteur de nos tests cliniques ou de nos procédures, vont faire leur première cohorte et enregistrer hors d'Europe, parce que c'est, au fond, un sujet européen, et on perd, du coup, de l'opportunité. Je n'opposerai pas les deux. On a besoin de protéger nos jeunes, on a besoin de protéger notre démocratie, et en même temps, on a besoin, en effet, d'être très innovants parce qu'on ne veut pas d'ingérence, mais on veut réduire nos dépendances. C'est tout le combat européen qu'on mène. Demain, j'aurai l'occasion encore de m'exprimer sur ce sujet au Conseil européen. On a besoin d'une Europe qui innove et qui innove plus vite et plus fort.
Alors, est-ce qu'il faut forcément opposer le principe de précaution ? En tout cas, si le principe de précaution, il n'a pas en face de lui un principe aussi fort d'innovation, il inhibe tout. Et la réalité, c'est ce que vous dites, et on le voit en vrai dans tous les secteurs. C'est un peu ça qui rend tout le monde très nerveux. C'est l'incohérence d'une action publique qui vient demander aux producteurs dans notre pays de respecter de plus en plus de normes avec des tas de bonnes raisons, mais qui, en même temps, est ouverte à tous les vents et permet de réimporter des produits qui sont faits à l'étranger qui ne respectent pas du tout les mêmes normes. Donc, on est en train de recréer des dépendances. Ça, c'est fou. Donc, il faut qu'on resynchronise les obligations qu'on donne à nos producteurs et celles qu'on impose aux gens qui importent chez nous. Beaucoup de débats qu'on a, sont là-dessus. Donc nous, la mère des batailles au niveau français européen, c'est de simplifier les règles, c'est un des gros agendas qu'on a et qu'on pousse d'ailleurs en franco-allemand, pour pouvoir en effet innover beaucoup plus vite.
Sur votre cas particulier, je suis tout à fait prêt à le regarder et à voir comment on peut vous aider, en particulier sur le sujet santé, mais de manière plus large, tout ce qu'on se dit pour lutter contre les ingérences va avec une politique redoublée de souveraineté numérique et technologique. Qu'est-ce que ça veut dire ? Permettre d'innover, de développer, de créer ou de rapatrier des blocs de technologie dans notre pays. C'est ce qu'on fait et c'est ce qu'on fait à Marseille, d'ailleurs, avec des data centers, avec des modèles de calcul, etc, parce que c'est un des points sur lesquels on a été très dépendants, et c'est ce qu'on doit faire tout le long de la chaîne de valeur. Donc, je vous promets qu'on va regarder de très près votre cas pour pouvoir rattraper nos amis Émiratis et, surtout, vous garder à la maison.
Animateur
On va ouvrir le troisième point qui est aussi très important, l'éducation aux médias. On va parler de nouvelles technologies et d'intelligence artificielle.
Intervenant
Bonjour, Monsieur le Président. En tant que principale d'un collège REP+ à Marseille 14ème, je mesure chaque jour l'engagement des équipes de l'Éducation nationale face au cyberharcèlement, à l'intelligence artificielle et l'usage des réseaux sociaux. Nous agissons donc dans un cadre fixé par l'Institution qui relève de la prévention, des sanctions lorsque c'est nécessaire, d'un accompagnement éducatif des élèves et des familles. Cet engagement a été mis à l'épreuve récemment. Le décès d'un jeune de 14 ans du quartier a profondément marqué nos élèves. Les réseaux sociaux ont largement diffusé et commenté ce drame, allant jusqu'à mettre en scène l'agonie de ce jeune à travers des images répétées. L'impact émotionnel a été immédiat.En responsabilité, nous avons ouvert une cellule d'écoute en appui avec les équipes mobiles académiques de sécurité et engagé un travail pédagogique sur les images, leur transformation et leur circulation.
Cependant, 15 jours plus tard, nous avons été confrontés à une autre situation. Des élèves ont utilisé, via les réseaux sociaux, le compte Fisha, pour ne pas le citer, pour transformer numériquement des photographies d'élèves et d'adultes de l'établissement. Nous avons appliqué les sanctions prévues, mais surtout renforcé l'accompagnement éducatif en lien étroit avec les familles et nos partenaires. Ces situations, Monsieur le Président, montrent combien les usages numériques évoluent vite, très vite, notamment avec l'intelligence artificielle, et combien ils rendent les élèves plus vulnérables.
Ma question est donc la suivante : Comment l'État entend-il renforcer concrètement les moyens de l'Éducation nationale en formations, en outils opérationnels et en cadres réglementaires clairs pour permettre aux établissements, en particulier en REP+, de faire face à ces nouvelles formes de cyberharcèlement et de mieux protéger les élèves ? Je vous remercie.
Emmanuel MACRON
Merci beaucoup, merci pour votre engagement et ce que vous venez de décrire. D'abord, vous venez d'illustrer parfaitement, je crois, pourquoi il faut en arriver à l'interdiction. Je dirais, la première chose, c'est qu'on doit donner une norme, vous protéger et permettre de mettre à distance aussi ces instruments quand ils ne peuvent pas être régulés et qu'ils produisent le pire.
Je fais une remarque d'ailleurs adjacente. Il n'y a rien à voir avec de la liberté d'expression quand il s'agit de laisser des contenus qui choquent et qui montrent le pire. Je le dis parce que c'est toujours dans le débat qu'on a, et vous le voyez bien, on dit : on nous parle de free speech. Ça n'a rien à voir avec le free speech de montrer l'indécence. Ce n'est pas vrai. Nous pratiquons là aujourd'hui, on pratique chaque jour la liberté d'expression, on la connaît bien dans notre pays, ce n'est pas être indécent, la liberté d'expression, parce qu'avec elle va, justement, une décence publique qui consiste à ne pas choquer l'autre, à ne pas l'insulter. Je ferme cette parenthèse.
Ce qu'on veut faire pour l'école, nous, c'est d'abord la protéger. Votre rôle n'est pas de tout faire et de prendre tous les maux de la société. Or, aujourd'hui, vous êtes un peu confrontés à ça parce qu'on a laissé trop de choses se faire autour. Je veux ici redire comment on va scander les choses un petit peu dans le temps. Premier élément, je ne l'ai pas rappelé tout à l'heure, mais pour moi, c'est peut-être la base. Maintenant, on sait que les écrans avant 3 ans, c'est mauvais. Et donc la norme, ce n'est pas d'écran avant 3 ans. Enfin, ce n'est pas une grande loi qui va régler cette affaire, mais c'est de le mettre dans tous les services d'État qui ont les enfants de moins de 3 ans à gérer, mais c'est que nous tous, on ait conscience de ça, dans la pression qu'on exerce quotidiennement, dans les transports en public ou autre, à l'égard des familles qui ont des jeunes enfants à accompagner. Ensuite, entre 3 à 6 ans, pas trop d'écran, le moins possible. Et puis ensuite, dans la vie pédagogique, il faut limiter le rapport à l'écran. Il ne s'agit pas de passer au zéro écran, mais on voit bien que tous ceux qui étaient passés au tout écran reviennent en arrière.
À côté de ça, on a le portable. Beaucoup de vos jeunes dont vous parlez sont des jeunes qui ont le portable, qui l'ont en cours, etc. On a fait des expérimentations ces dernières années. Les retours ont été bons. En fait, pour protéger, accompagner les enseignants, la communauté pédagogique, moi, la leçon que j'ai tirée de ces dernières années, il faut donner une norme nationale derrière laquelle vous pouvez, en quelque sorte, pas vous réfugier, mais que vous pouvez opposer aux familles et aux élèves. Sinon, toute la pression vous revient à vous, et c'est là qu'on a les problèmes. La norme nationale, maintenant, c'est de dire, évidemment, à l'école et au collège, depuis septembre dernier, plus de portables, de la cloche à la cloche, dans le casier, dans le cartable, plus de portable de la cloche à la cloche, partout en France, zéro exception. Septembre prochain, dans tous les lycées, les lycées pros. De la cloche à la cloche, du début à la fin, dans l'établissement, il n'y a pas de portable. Ça, c'est quelque chose qui va beaucoup protéger, les enseignants, la communauté pédagogique. Ça, plus l'interdiction des réseaux sociaux sur les moins de 15 ans, c'est un vrai changement parce que vous ne serez plus confrontés à ces types de situations.
En parallèle, dans la formation des enseignants, on est en train de mettre des modules, justement, de formation à l'éducation, aux médias, aux réseaux sociaux. Avec les rectorats, le ministre de l'Éducation nationale, qui est très engagé sur ce sujet, va mettre en place des modules, justement, de formation. Mais en fait, on doit faire les deux. On ne peut pas vous demander de tout faire aujourd'hui alors que vous êtes exposés à tout. C'est pour ça qu'il faut refroidir, si je puis dire les choses, protéger nos enfants et nos adolescents, recréer une norme nationale qui était trop ambiguë, voire qui n'existait pas jusqu'alors, responsabiliser les familles qui doivent jouer leur rôle — L'éducation, c'est les familles. L'instruction, c'est vous. — et engager avec le périscolaire. Ce qu'on va devoir faire dans les prochains mois, c'est aussi pour ça que je fais tous ces débats, avec les associations, avec la communauté pédagogique, c'est de passer le message aux familles et de les responsabiliser, parce que ce n'est pas vous qui pouvez tout gérer. Voilà.
Intervenant
Bonjour Monsieur le Président. Je viens d'être diplômé d'HEC. Je suis membre des South Winners, donc le groupe de supporters de l'OM dans le virage Sud du Stade Vélodrome. Et je suis le fondateur du Protis Club, qui est une association qui recrute des jeunes dans tous les milieux sociaux de Marseille, quartiers Nord et Sud, pour leur permettre d'unir leur force au-delà des fractures, de révéler leur potentiel et de s'accomplir sur le plan personnel et professionnel.
Ma question, elle va porter sur la réussite des jeunes, parce que les réseaux sociaux, ils sont capables de créer le pire comme le meilleur. Mais un jeune qui les maîtrise, il peut mettre en lumière ses idées et ses projets pour, justement, fédérer des soutiens, renforcer son impact et même être une source d'inspiration pour tous les autres. Ma question, c'est est-ce que votre engagement sur ce sujet, qui est important, et aussi votre engagement pour Marseille, peut être l'occasion de repenser le modèle d'éducation et d'enseignement supérieur pour intégrer cet aspect et apprendre aux jeunes à faire des réseaux sociaux aussi un tremplin de leur rayonnement et des projets qu'ils pourront entreprendre ?
Emmanuel MACRON
Oui, mais ça, vous l'avez parfaitement dit. Aujourd'hui, d'ailleurs, il y a beaucoup d'innovation dans nos réseaux sociaux. Ce sont des relais aussi, mais parce que depuis tout à l'heure, on parle, c'est normal, c'est un peu le débat, des difficultés qu'on peut voir et de ce qu'il faut réguler. Mais je l'ai dit dès le début, ça peut être le meilleur aussi à côté du pire. Ce sont des réseaux qui permettent de connecter des talents entre eux, qui permettent à des jeunes, parfois moins jeunes, très inspirants, de trouver des relais, de partager leurs projets, de leur donner beaucoup plus d'impact. Tout ça, évidemment qu'on veut le développer. Aujourd'hui, on a d'abord des formations qui se sont, ces dernières années, structurées. Dans les différents plans qu'on a mis en place, on a encouragé nos écoles d'ingénieurs, nos universités à développer ces projets et développer ces formations, qui sur l'intelligence artificielle et les métiers qui y sont liés, qui, évidemment, sur la partie plus marketing, parce qu'au fond, on voit bien, il y a deux leviers : il y a le levier très technique et il y a le levier très marketing sur les réseaux sociaux. Il faut développer les deux compétences. Ceux qui réussissent très bien, souvent, ont les deux catégories de compétences.
Evidemment, qu'en même temps, qu'on veut protéger nos jeunes et nos ados, qu'on veut les préparer en les protégeant. On veut ensuite qu'ils aient un rapport le plus positif possible et le plus critique, au bon sens du terme, sur ces réseaux sociaux. On veut qu'ils puissent les utiliser pour des projets positifs, qu'ils soient entrepreneuriaux, qu'ils soient sportifs. C'est aujourd'hui largement le cas. Je dirais qu'ils sont pollués par une négativité qu'il y a encore sur ces messages, qu'il faut pouvoir, justement pousser. Je pense que, notre objectif à tous, c'est de réussir, au fond, à remettre de la civilité dans ces réseaux sociaux, c'est-à-dire permettre à des jeunes ou des moins jeunes d'y pousser leurs projets, de faire connaître leurs projets, leurs ambitions, leurs talents, d'en inspirer d'autres, et de remettre à sa juste place la parole négative. Qu'il y ait de la critique, qu'il y ait du doute qui s'exprime, oui. Que ce soit de la négativité permanente, que ce soit de la défiance, voire de la violence désinhibée, non. Et ça, ça ne se fait pas naturellement, pour les raisons que j'évoquais tout à l'heure, parce que les réseaux vont vous pousser aux extrêmes si on les laisse faire tout seuls. Donc ça ne marche que s'il y a une discipline de groupe.
Cette discipline de groupe, ça s'appelle faire société et faire nation. C'est celle qu'on a aujourd'hui. Si on se laisse aller de manière grégaire tous ensemble aujourd'hui, on va se crier dessus et se taper dessus très vite. On a une discipline de groupe, on se regarde face à face, nous voyons nos visages. On a décidé d'avoir une discussion pendant deux heures de temps, on a décidé ensemble d'avoir un même modérateur, on s'est donné des règles et on s'est dit : on va être peut-être d'accord, pas d'accord, mais on va essayer d'avancer ensemble. Pourquoi on ne peut pas faire ça sur les réseaux ? Bien sûr qu'on peut le faire. Simplement, il faut que les gens qui décident de se ré-attacher à cette règle soient collectivement plus nombreux et qu'ils retrouvent en quelque sorte la majorité. Donc, je suis très favorable à ce que vous venez de dire. C'est à nous de nous remobiliser.
Animateur
Pardon, Monsieur le Président, sur certains réseaux, X, par exemple, il est impossible de faire ce que nous pourrions imaginer là, ce matin : discuter tranquillement sans être totalement d'accord et partager complètement ce qui est dit. Vous avez annoncé que vous pourriez quitter X. Est-ce que, finalement, ce n'est pas un mouvement global qu'il faut lancer sur ces plateformes-là ? Ou faut-il y rester pour observer ce qui s'y passe et réguler ?
Emmanuel MACRON
D'abord, je ne sais pas dire, et ce n'est pas à moi de donner une norme aux uns aux autres, mais je voudrais faire une distinction. D'abord, ça permet à des jeunes, des moins jeunes, de faire connaître ou de connaître. Donc, il y a des intérêts, il y a un aspect positif. Ça permet à des gens de lancer des alertes, de partager. Donc je ne mettrai pas tout dans le même sac. Ce qu'on fait depuis tout à l'heure est très différent. De la même manière que j'ai fait une distinction entre tous les contenus qu'on a sur un réseau social et l'information, être sur un réseau social, envoyer des messages, les lire, scroller des contenus, ça n'est pas la même chose que mener un débat ou faire une délibération. Ça, c'est très important aussi de mesurer, ça ne fait pas démocratie les réseaux sociaux. Parce que c'est un avec la multitude, mais il n'y a pas quelque chose de discursif, d'une part, et de respectueux, d'autre part. Ça, c'est deux points très importants.
La délibération, qui est constitutive de la démocratie, c'est sur la place publique, c'est ce que fait aussi une mairie. C'est ce qu'on fait dans des moments importants de la démocratie, dans nos débats télévisés, dans nos débats aussi sur les places publiques. Nous sommes des femmes et des hommes : on ne va peut-être pas être d'accord, on est à visage découvert, on se donne des règles de parole, on va essayer d'avancer sur des questions, des réponses, on va opposer des opinions de manière respectueuse. Ça n'est pas ce que fait un réseau social et il n'est pas fait pour cela, je le disais tout à l'heure. Donc il ne faut pas déléguer la délibération démocratique aux réseaux sociaux, ce serait une erreur. Par contre, on voit bien qu'on a sans doute un besoin de réinventer ces cadres délibératifs. Je dis ça avec beaucoup d'humilité, du grand débat en passant par les conventions citoyennes, ce qu'on est en train de faire. C'est ce que j'essaie de faire. On a besoin de ces endroits de délibération. Sinon, il n'y a rien entre la solitude et la colère qui explose.
La deuxième chose, c'est que le paradoxe des réseaux sociaux, c'est qu'ils accroissent la solitude. Ça, on ne l'a sans doute pas mesuré, parce que les gens vont du coup moins dans des lieux communs. Ce n'est pas un hasard, si ça prend 4h20 en moyenne par jour, on va moins au café, on va moins dans les associations, on lit moins, on va moins dans les clubs sportifs. Tout ce qui remet du commun, remet de la libération. Quand on va faire du sport dans un club, on rencontre des gens qui viennent d'autres milieux sociaux qui ne pensent pas comme nous. C'est là qu'on confronte les idées. On a une délibération dans le vestiaire. On a une délibération dans le moment de convivialité après le match. C'est une délibération démocratique. On est d'accord, pas d'accord. On en a au café, on en a sur la place publique, on en a dans l'association portant telle ou telle cause dans laquelle on est engagé. Tous ces espaces de vie qui sont la trame d'une vie en société, qui nous sortent de la solitude, ils permettent de construire du commun. Ils sont vitaux pour une démocratie. Les réseaux sociaux, ils nous renvoient à une solitude.
J'ai peut-être des millions d'amis, je les connais très peu. Mais en fait, quelle structure ils ont ? Ce sont plutôt des gens qui me suivent ou que je suis. C'est-à-dire qu'il y a un énorme biais, c'est généralement des gens qui pensent comme moi. Donc, j'ai très peu de délibérations, de controverses. J'ai sélectionné les gens qui pensaient comme moi. Les gens qui sont venus me voir, c'est des gens qui pensaient déjà comme moi. On n'a pas beaucoup de délibérations. Donc, vous avez constamment un biais de confirmation. C'est-à-dire que vous allez, dans les réseaux sociaux, avoir tendance à être surexposés à des contenus qui pensent comme vous, puisque c'est des gens qui vous suivent. Ça, on ne le mesure pas assez. Et donc, si vous êtes un peu sceptique, par exemple sur le vaccin, c'est des gens qui sont un peu sceptiques comme vous qui vont se mettre à vous suivre, puis ils vont vous partager tous les contenus des gens un peu sceptiques comme eux. Très rapidement, on va se retrouver à 3 000 sceptiques sur le vaccin. Assez rapidement, on devient complotiste. C'est exactement ce qu'il se passe. Bilan des courses, vous avez, dans beaucoup de catégories de la société, un recul, par exemple, du taux de vaccination, parce qu'il y a des gens qui croient très sincèrement que c'est dangereux. Alors qu'ils allaient au café, ils parlaient à la sortie d'école ou dans leur association, ils étaient confrontés à d'autres gens qui leur disaient : " Là, tu dis n'importe quoi, je t'assure. Tu as été voir ? Tu connais quelque chose, toi ? Tu as fait de la virologie, tu as vu un toubib ? " Il y avait une contradiction.
Les réseaux sociaux, on sait qu'ils vous enferment dans une solitude, et entre la solitude et la multitude des réseaux, il n'y a pas cette mixité. Il y a ces bulles cognitives. Il y a l'algorithme et la bulle. Ça vous enferme dans un biais. Je crois très profondément qu'on a besoin de recréer des lieux de délibération, mais de considérer qu'on doit aussi discipliner notre rapport au réel qui ne peut pas passer que par ces réseaux.
Animateur
Vous dites en creux de quitter X, quand même ?
Emmanuel MACRON
Non, parce que je crois à la liberté. Je crois que tout ce qu'on fait là, je vais vous dire, c'est la force des démocraties. C'est d'être libre, transparente et d'avoir l'esprit critique. Un régime autoritaire ou totalitaire, il interdit ces réseaux. La Russie, régime autoritaire, elle interdit ces réseaux. Elle les utilise pour nous rendre fous. Nous, on doit pouvoir interdire des choses quand c'est très grave, mais il faut définir les règles conformément à notre Constitution. Je dis les jeunes, c'est très grave. Je dis quand c'est totalement faux ou c'est un contenu illicite, c'est très grave. Pour le reste, c'est quoi le pari de la République ? C'est l'éducation, l'esprit critique. Donc, moi, je crois que collectivement, on doit avoir l'intelligence ensemble, de se dire d'abord, de prendre le recul, de se dire : peut-être que c'est bien ces réseaux sociaux pour telle et telle chose, mais je vais leur donner moins de temps de ma vie. Je vais remettre du temps à la lecture, je vais remettre du temps dans les associations, remettre du temps dans du commun différemment, et puis peut-être les gens vont décider de sortir. Mais je préfère que ce soit le choix libre de nos concitoyens qu'une injonction qui vient d'en haut. Le travail qui consiste à éclairer, comme on est en train de le faire, à réveiller l'esprit critique, c'est ça, je crois, le travail de la République.
Intervenant
Bonjour, Monsieur le Président. Je suis le dirigeant de " Mailinblack ", une société de cybersécurité, leader en France sur les PME qui est basée à Marseille. Notre mission est de développer des intelligences artificielles pour protéger 2,5 millions d'européens aujourd'hui contre des milliards d'attaques par an venant de l'email, du web, des mots de passe usurpés, des comportements des utilisateurs, de leur éducation. Alors, avant la French Tech, j'ai eu le bénéfice de pouvoir avoir aujourd'hui deux perspectives. Avant la French Tech, j'étais GAFAM. À l'époque de Microsoft, j'ai pu voir de l'intérieur le niveau de sérieux de la politique industrielle américaine quant au numérique. On en parle depuis tout à l'heure sous différentes dimensions. Ce que j'ai pu observer, c'est une détermination qui n'a rien à voir avec du libre-échange, du libéralisme et qui est totalement caractérisée par une volonté de construire un leader mondial. Je ne parle pas ici seulement des appuis en recherche et développement, de la commande publique, des lois extraterritoriales que vous avez évoquées tout à l'heure, également du patriotisme judiciaire qui fait que j'ai pu voir des acteurs français concurrents se retrouver exposés.
Ma question est donc simple, aujourd'hui dans ce dispositif-là, dans cette arène mondiale-là : pourquoi ne joue-t-on pas à armes égales finalement avec les États-Unis ? L'État a fait énormément déjà, et je tiens à le souligner, et je vous en remercie, grand défi cybersécurité, France 2030, France relance 2030, etc, énormément de choses ont été faites, et il faut être très reconnaissant. Toutefois, mon observation est que je sens une détermination très forte des États-Unis. Je pourrais dire la même chose de la Chine aujourd'hui quant à la constitution de leader mondial en cybersécurité.
Emmanuel MACRON
Oui, mais je vais vous dire. Le pire pour moi du combat européen, on ne s'est pas construit comme ça au début, c'est la mue qu'on est en train de faire. L'Europe, c'est une invention géniale des 7 dernières décennies. On l'a fait d'abord pour ne plus faire la guerre, ça a marché. Ce n'était jamais arrivé aussi longtemps. Ensuite, on l'a fait pour créer un marché commun, ça a marché. On a créé de la prospérité. On ne s'est jamais pensé comme une puissance. On a mis le consommateur au centre et on est une puissance ouverte. Mais je vais vous dire : ça ne marche plus. Moi, c'est le combat que je mène depuis quelques années, et je dirais encore plus depuis 2020, parce qu'on s'est pris des coups de boutoir massifs des Américains et des Chinois. Les Américains, ils ont mis l'Inflation Reduction Act, ils ont dit : " on va aider les boîtes qui viennent chez nous, on s'en fout si les Européens réussissent ou pas ". Ce n'était pas le président actuel, c'est le prédécesseur. Là, maintenant, ils nous ont mis des tarifs terribles parce qu'ils disent : " nous, on est une puissance. " Les Chinois, ils surproduisent, ils ferment leurs marchés domestiques et ils disent : " on arrive chez vous. " Bilan des courses, ils ont explosé leurs excédents commerciaux avec nous. Nous, on est au milieu, on est les seuls à être une puissance ouverte. Plutôt à être un marché ouvert, on n'est pas une puissance.
Si on veut avoir la détermination que vous décrivez, qui est celle que je partage totalement, pour moi, la clé de la bataille économique et industrielle qu'on doit mener pour l'Europe dans les années à venir, mais ça commence maintenant, c'est simplification. Ça rejoint ce que disait Monsieur. Les règles sont trop complexes et surtout, elles sont trop différentes. La simplification, c'est tout ce qui entrave l'innovation, il faut l'alléger et surtout, il faut enfin créer un marché unique. Vous, quand vous créez votre entreprise de cyber, vous avez un marché de 68 millions d'habitants, la France. Puis, vous vous battez avec 27 régulations. Le marché unique, c'est vous donner un marché domestique de 450 millions d'habitants, comme aux États-Unis. Ce n'est pas le cas aujourd'hui. Donc l'intégration du marché unique est clé.
2) C'est l'innovation. Les Américains mettent beaucoup plus d'argent public et privé sur l'innovation. Donc avoir un budget européen beaucoup plus fort en termes d'innovation et un marché des capitaux européens, enfin intégré, qui permet de financer l'innovation, ce qui n'est pas du tout le cas chez nous. Ça, c'est le cœur de la réforme des 6 prochains mois. Et 3) ça paraît être un gros mot, mais la protection. Aujourd'hui, il n'y a aucune protection en Europe de ces acteurs, ce que vous avez très bien dit. C'est pour ça, c'est une bataille qui est complètement actuelle. On est en train, nous, de se battre, la France, pour avoir une préférence européenne ou un contenu européen. Par exemple, dans l'automobile et dans différents secteurs. Beaucoup en Europe sont encore contre parce qu'ils préfèrent acheter des sous-traitants chinois, c'est moins cher. Mais c'est une vue court terme, de courte durée. Si on n'a pas une préférence européenne, un contenu européen, comme l'ont les Américains sur le marché NAFTA. L'Amérique du Nord, il n'y a pas, dans les grands secteurs, un seul de ces secteurs qui n'a pas défini un contenu régional. Après, vous pouvez rentrer parfois quand vous êtes non-NAFTA ou non-ALENA, c'est-à-dire Canada, Mexique, États-Unis.
Mais si le contenu a été respecté chez nous, ce n'est pas du tout le cas. Donc, on a commencé sur l'industrie de défense à le faire et on a réussi à imposer des règles. Là, on veut le faire sur l'automobile et on veut le faire sur tous les secteurs. Sur les secteurs numériques et IA, on se bat pour une préférence européenne. S'il n'y a pas de solution européenne qui existe, d'accord, pour acheter non européen. Si ça existe en européen, les acheteurs publics comme les acheteurs privés doivent favoriser les solutions européennes et avoir un contenu européen qui est protégé. Sinon, on n'arrivera jamais à être une puissance. Voilà la clé de la bataille, mais vous avez parfaitement raison. Simplement, c'est un peu un réveil géopolitique qu'on est en train d'opérer. Ça, il faut le faire à marche forcée, parce qu'en fait, la situation économique a aujourd'hui une pression maximale.
Intervenant
Bonjour Monsieur le Président. On parle beaucoup de souveraineté en matière d'intelligence artificielle. Mais la vraie souveraineté, ce n'est pas seulement la maîtrise de la technologie, c'est leur appropriation par le plus grand nombre. Or, vous le savez, aujourd'hui, une large part de la population ne connaît pas l'IA et cette fracture numérique va alimenter mécaniquement la fracture sociale. L'école ne pourra pas former tout le monde, ou pas assez vite. Alors, j'ai une idée que je vous soumets. Je propose la création d'un campus urbain ouvert à tous, porté par les acteurs locaux, avec des formations très courtes, pas pour créer des ingénieurs, il y a des écoles pour ça, mais pour sensibiliser, pour désinhiber, pour expliquer et pour montrer au plus grand nombre, à toute la population et surtout à la population la plus défavorisée, que l'IA n'est pas magique et qu'elle n'est pas réservée à une élite.
Ma question est simple. Que pensez-vous de cette vision ? Et l'État est-il prêt à accompagner et soutenir ce type de projets territoriaux pour faire de Marseille la capitale, au moins méditerranéenne, de l'IA inclusive, d'une IA performante et populaire ?
Emmanuel MACRON
Oui, vous avez parfaitement raison. Tout est important. Il faut des capacités de calcul, des infrastructures, il faut des acteurs. Ensuite, de l'intelligence artificielle, il faut des secteurs dans lesquels ça va se diffuser. Mais la question de ce qu'on appelle l'adoption de l'intelligence artificielle, elle est clé. Elle est clé d'un point de vue économique et social. On a tenu, il y a quelques semaines, au Grand Palais, le premier sommet " Adopt IA ", en la matière. Elle est clé parce qu'on peut avoir les meilleurs champions de l'IA. Le premier point sur le plan économique, c'est que nos entreprises, et d'ailleurs ça va de nos artisans à nos grands groupes, l'adoptent, c'est-à-dire en tirent les bénéfices en termes de productivité, d'amélioration de leur performance. C'est fondamental pour avoir une économie qui produit plus vite et plus fort. La première distinction entre les pays, c'est clé pour les Européens, elle se fera là-dessus. Il y a des pays qui peuvent avoir des champions. Si vous n'avez pas de marché, les champions partiront. Donc l'adoption en termes d'IA, elle est fondamentale, mais elle est aussi fondamentale pour qu'on améliore notre productivité, notre compétitivité, qu'on crée plus de richesses.
Ça, ça suppose de former des artisans, des patrons et des collaborateurs de PME, TPE, et là, nos réseaux consulaires jouent un rôle très important, les services de l'État, nos Carrefours de l'Entrepreneuriat, comme on a à Marseille développé, c'est absolument fondamental. À côté de ça, vous avez la fracture sociale. Vous avez parfaitement raison. Il en est de l'IA comme des réseaux sociaux et de l'accès au numérique. Les plus âgés, les plus défavorisés sont souvent plus loin de ces pratiques. Il faut pouvoir, on l'a fait ces dernières années avec des médiateurs, avec des actions, aller vers et encourager toutes les initiatives qui permettent de former. L'école est un levier, mais il ne faut pas tout mettre sur le dos de l'école. L'école, elle doit permettre de sensibiliser. Elle doit d'abord transmettre des savoirs fondamentaux, un esprit critique, une confiance en soi et, justement, une bienveillance. Pour le reste, c'est à tout le reste de la société de faire. Donc, oui, dans la stratégie IA qui est la nôtre, il y a tout un volet adoption avec une partie sociale qui est d'encourager des initiatives comme la vôtre, donc banco !
On a, à Marseille, ces dernières années, fait beaucoup. J'évoquais nos Carrefours de l'Entrepreneuriat. Je veux remercier tous les acteurs qui sont là, qui ont fait beaucoup. On a été prendre beaucoup de jeunes, d'ailleurs souvent des quartiers les plus défavorisés. On les a amenés vers des formations, vers l'entrepreneuriat, et très souvent vers des métiers numériques. Il se trouve qu'on arrive vers les métiers numériques et les compétences numériques, à amener beaucoup de jeunes qui, parfois, d'ailleurs, n'avaient pas de compétences académiques. C'est aussi un élément de rattrapage, d'accélération. Donc, sur ce volet-là, toutes les initiatives, et l'École 42 à laquelle vous êtes, je crois que c'est un formidable exemple de ça, parce que c'est un test, il est non académique, entre guillemets, c'est la piscine, si je me souviens bien. On sélectionne, comme ça, sur des compétences propres, et puis chacun peut y aller. Toutes ces initiatives-là sont très bonnes. Donc, sur le volet économique comme social, l'adoption, la diffusion de l'IA, c'est une bataille aussi importante et à mener en parallèle que celle de la super innovation.
Animateur
Merci Monsieur le Président. On va ouvrir la quatrième et dernière partie de cette rencontre. Elle nous paraissait évidente, pertinente, un mois après l'exécution de Mehdi Kessaci. Alors même que Marseille est confrontée, plus que jamais, aux dérives du narcotrafic, vous avez beaucoup échangé et êtes beaucoup intervenu sur le sujet. Notre quatrième partie s'appelle " L'impact des réseaux sociaux face aux violences et aux phénomènes de criminalité organisée ". Vous êtes très attendu, Monsieur le Président, sur ce sujet ici à Marseille, avec nos questions.
Intervenante
Bonjour, je suis associative, j'habite dans les quartiers Nord de Marseille, dans le quatorzième arrondissement. On s'est déjà rencontré lors de votre visite. On avait échangé, malheureusement, toujours sur ces thèmes-là. Aujourd'hui, je vais vous poser ma question concernant les réseaux et le lien entre les réseaux et le narcotrafic. Aujourd'hui, il est évident que les réseaux sociaux jouent un rôle aussi central que les points de deal traditionnels pour les trafiquants. Le recrutement via les applis, les moyens semblent insuffisants, pourtant il faut des moyens pour lutter contre la DZ Mafia et autres réseaux, sur les réseaux autant que dans les quartiers. Dans les 13ème et 14ème arrondissements, seuls 22 à 23 policiers seraient déployés sur le terrain pour une population de 140 000 habitants. Comment vouloir que la police soit efficace sur les réseaux et sur le terrain dans de telles conditions sans se mettre elle-même en danger ?
Emmanuel MACRON
Merci beaucoup. Merci, Madame. Vous l'avez dit, on a tous une pensée pour la famille Kessaci, sa maman, ses frères et sœurs, après le drame qui s'est passé. Je veux ici vous dire qu'en ayant cette pensée, c'est aussi une pensée de combat que j'ai. Et je sais l'engagement que j'ai pris à l'égard de sa famille. Si vous me le permettez, je voudrais avoir une réponse un peu complète sur la lutte contre le narco. D'abord, elle n'a pas commencé hier. Quand on s'est vus, on avait déjà commencé le combat et j'essaie de tenir les engagements que j'ai pris. Il y a quelques années, on a lancé une mobilisation générale contre le narco parce qu'on a vu que les trafiquants s'organisaient et que ça prenait une autre dimension. On a créé ce qu'on a appelé l'OFAST, qui a été un organisme national, qui a permis de mettre des moyens qui étaient jusqu'alors complètement séparés : police, gendarmerie, pour aller traquer les réseaux partout sur le territoire national. Dans le 13ème et 14ème que vous évoquiez, j'étais là en 2021 au Commissariat, j'ai pris un engagement. Tout à l'heure, dès que je vous aurai quitté, je serai dans le même Commissariat parce qu'on a investi, on a créé, on a réinvesti.
Je veux vous dire que, surtout, on a remis des moyens. Le préfet pourra vous donner les chiffres, mais ce n'est pas du tout cela. On a, sur ces dernières années, conformément aux engagements que j'ai pris, mis 500 policiers en net en plus sur Marseille. Ce qui, prenant en compte les départs, fait 300 policiers en net en plus. 500 en plus, 200 départs. Il y a plus 300 fonctionnaires de police sur la plaque marseillaise. Avec une action de harcèlement permanente, on a mobilisé, mobilisé, mobilisé. On a d'ailleurs dit à chaque fois, point de deal par point de deal, on les a diminués par deux, les points de deal physiques. Le taux de suivi, il s'est multiplié par 3. Donc, c'est très dur à entendre quand on a vécu ce qu'on a vécu là. Vous avez évoqué un drame récent aussi, madame la proviseure, tout à l'heure. Mais on ne lâche rien, et je veux saluer la mobilisation des préfets, de l'ensemble des équipes de sécurité, des magistrats qui sont là. Là, on est passé à une deuxième étape. On a fait la loi narcotrafic et on a dit : on met en place un état-major national, un parquet national qui sera installé le 5 janvier. On remet des moyens et là, on remet sur Marseille des moyens parce qu'en fait, plus on crée, plus on poursuit.
Plus on poursuit, plus on en a qui arrivent dans les tribunaux. Donc là, on remet des salles d'audience, on remet des magistrats. On en a déjà créé, ces dernières années, plusieurs dizaines. Donc on ne va rien lâcher, on doit pilonner. Maintenant, on doit s'adapter aussi à la pratique. Soyons clairs. Vous avez parfaitement raison, les réseaux sociaux sont devenus, au fond, des lieux de trafic. Donc, qu'est-ce qu'on veut faire ? 1) on va les chercher, on met leurs responsabilités en cause, nous, on engage le dialogue. Aujourd'hui, on a des moyens qui sont très limités. On va les chercher, on va leur dire là-dessus : vous êtes en train de recruter des jeunes, vous mettez en danger la vie des autres. Une fois sur deux, on arrive à faire le retrait, une fois sur deux, ils nous disent : c'est dans nos conditions de vente. Donc, on va changer la norme européenne pour pouvoir les poursuivre, mettre en cause leurs responsabilités et les attaquer, ce qui est aujourd'hui très difficile pour nous. Premier point.
Le deuxième point qui est absolument fondamental, c'est les têtes de réseau. C'est ce qu'on est en train de bouger. C'est que vous avez fait référence à quelques réseaux bien connus. On est aujourd'hui en train de tout secouer. Le garde des Sceaux a fait plusieurs visites diplomatiques, le directeur national de la police judiciaire, moi-même, j'en ferai dans les prochains jours, pour aller chercher dans les pays où sont les têtes de réseau, de la coopération pour pouvoir saisir leurs biens, pour pouvoir arrêter les têtes de réseau, nous les restituer. C'est la clé de tout ça. Nous, on a durci notre position en faisant quoi ? Ces quartiers de lutte contre la criminalité organisée, en les mettant justement dans des quartiers super sécurisés où on s'assure qu'il n'y ait plus aucun portable, plus aucun contact et où il y a un niveau de sécurité d'encadrement qui est absolument inédit dans les prisons françaises. C'est ce que le garde des Sceaux a annoncé il y a quelques mois. Donc, le dispositif, on resserre, on resserre, on resserre. Mais il faut être clair, à mesure qu'on serre, ils vont continuer de réagir. À mesure qu'on serre, ils vont continuer d'intimider. C'est ce qu'ils ont fait avec Mehdi.
Ils ont voulu faire peur. La route sera longue, mais on ne doit rien lâcher. On a des résultats. C'est parce qu'on est en train de pilonner. Et laissez-moi juste avoir un dernier point, parce qu'il y a souvent un absent dans ces discussions. Je le dis ici pour tous ceux qui sont là et pour les lecteurs. Rien de tout ça n'arriverait s'il n'y avait pas des gens qui, gentiment, achètent de la cocaïne, du hash, etc. Moi, j'en ai ras-le-bol d'avoir des jeunes qu'on pleure, et dans des quartiers d'avoir d'autres gens qui considèrent que c'est festif d'aller acheter de la drogue et qui ne sont généralement pas des mêmes milieux sociaux. Alors, il y a quelques années, on disait qu'il faut qu'il y ait une poursuite pénale. Comme on n'arrivait pas à faire une poursuite pénale, ça prenait un temps fou, parce qu'il fallait ramener au poste, etc. On a mis en place, c'est une innovation des dernières années, une amende forfaitaire délictuelle. Tout de suite, on pouvait mettre l'amende. Ça a permis de commencer à avancer les choses.
Maintenant, on va changer drastiquement sur deux trucs. 1) Les procédures de recouvrement. On va mettre des commissaires de la République pour aider les finances publiques et la justice à les recouvrer, parce qu'on a des taux de recouvrement qui ne sont pas satisfaisants. 2) On va le passer à 500 euros l'amende. 500 euros, parce qu'il faut taper au portefeuille ceux qu'on attrape avec de la drogue en ville, parce que ça n'est pas festif de se droguer. Ce n'est pas la même chose que des choses qui sont licites. Il y a ce qui est licite et illicite dans une démocratie. Il faut juste que toute personne qui consomme de la drogue se dise bien qu'elle alimente aujourd'hui le narcotrafic qui fout nos villes et nos quartiers en l'air. Si on ne dit pas ça clairement aux gens, on se trompe de cible.
Intervenante
Je rebondis sur la deuxième question. Le volet judiciaire et le volet répressif c'est très important mais on voit les budgets des services publics diminuer drastiquement ; les centres sociaux, les missions locales qui sont une part importante voire essentielle de la lutte contre le trafic, perdent beaucoup. Sur la ville de Marseille, on a de la chance avec la ville qui ajoute un million et demi de plus par an, mais on a la Métropole et la région qui diminuent voire suppriment leur aide.
Monsieur le Président, nous n'avons pas besoin de vous rappeler l'importance du service public dans les quartiers populaires, donc pourquoi pas, dans le cadre de Marseille en Grand, ne pas inclure le financement des centres sociaux et tous les autres services publics qui souffrent dans les quartiers et des associations qui œuvrent à mettre en place la politique que vous voulez pour nos quartiers ? Je sais que Marseille vous est chère. Vous êtes venu nous voir dans des quartiers où les Présidents ne venaient pas, où personne ne se déplaçait, mais les services publics souffrent. Je suis administratrice d'un centre social qui voit ses subventions diminuer d'année en année alors qu'on est censé être représentatif de la France et de toute sa force.
Emmanuel MACRON
Alors, vous avez raison qu'à côté de l'aspect répressif, il y a le côté préventif et éducatif. Il est très important. C'est aussi pour ça que j'ai demandé qu'on mette en place des campagnes massives de prévention pour expliquer aux jeunes et aux moins jeunes les ravages de la drogue et pour sensibiliser, comme on a su le faire sur la sécurité routière, sur la question de la drogue et du narco. Ensuite, je vais me permettre de vous dire que sur Marseille, je vais rendre beaucoup de jaloux, mais Marseille en Grand, c'est un plan qui n'a pas d'équivalent. Il n'y a aucune ville qu'on a accompagnée de la même manière. À Marseille, on a déployé les deux tiers des montants auxquels on s'était engagés. C'est-à-dire qu'il y a plus de 3 milliards d'euros, en plus de tous les fonds des financements normaux qui ont été mis sur Marseille. Plus de 3 milliards d'euros. Et sur des compétences qui ne sont pas du tout des compétences de l'État normalement. C'est-à-dire les écoles, on en a déjà plus de 87 qui sont engagées. Il n'y a pas une autre ville de France où l'État finance des écoles qu'à Marseille. Pas une autre.
Après, je ne suis pas là pour faire le procès de vos collectivités locales, mais l'État ne peut pas se substituer aux associations municipales, départementales ou régionales. C'est à vos collectivités de le faire. Je peux vous dire une chose. On a mis sur l'école à Marseille pour la prévention et l'éducation un montant inédit, pédagogique et bâtimentaire. Mais aussi et surtout, puisque vous me parlez de la prévention, quand on a lancé Marseille en Grand, il y avait un besoin cruel de services de santé dans les quartiers Nord. Sur la santé à Marseille, pas que sur les quartiers Nord, mais partout, on met, État, plus de 800 millions d'euros. On change un hôpital militaire, qu'on va remettre Laveran, qui va être ouvert à tous. La Timone, c'est une révolution, et toutes les collectivités sont là, votre département et votre région aussi, à côté de la ville. La Maison des Femmes, ouverte. Et on a ouvert 7 dispensaires, en particulier sur les quartiers Nord et en centre-ville, 7 dispensaires. Il n'y a aucune ville où on a fait ça. Donc cette politique, l'État est bien derrière, y compris sur le volet prévention.
Animateur
Merci. Une petite question, Monsieur le Président, peut-être sur la collaboration entre les plateformes et la justice. On a évoqué tout à l'heure certaines plateformes qui sont les supports de nombreux trafics de drogue, est-ce que la justice peut aller beaucoup plus loin et contraindre à cette collaboration ? Parce qu'on sait que, on l'a dit, des jeunes sont recrutés sur les réseaux sociaux, la prostitution des jeunes aussi sur les réseaux sociaux, liée au trafic de drogue. Comment la justice peut aller un peu plus loin, plus loin encore que ce que vous avez indiqué à l'instant ?
Emmanuel MACRON
Alors, c'est un sujet très compliqué parce qu'il n'est pas que réseaux sociaux, et c'est pour ça aussi que je ne veux pas faire de caricatures. C'est un sujet qui est réseaux sociaux et messagerie cryptée. Aujourd'hui, ce qui est vrai, c'est que les trafiquants utilisent certains réseaux sociaux, certains en particulier qui ont des messageries plus instantanées avec des messages effaçables, pour vendre à leurs clients. Là, on n'a pas des dispositifs qui sont assez efficaces, c'est ce qu'on est en train de bouger. On peut avoir leur coopération pour lever les identités et aller chercher les gens en judiciaire, mais le temps du judiciaire, vous le savez bien, il est très lent. Ça vient des mois, parfois des années après, parce que tout ça est engorgé. On n'a pas de l'immédiateté aujourd'hui, et ce qu'on est en train de changer, c'est de pouvoir activer beaucoup plus vite et surtout de pouvoir couper. Ça, il faut pouvoir durcir les règles, c'est un combat en cours.
À côté, il y a le recrutement. Le recrutement, c'est beaucoup plus insidieux. C'est très dur, parce qu'ils passent parfois par des codes de dire : c'est totalement interdit ou pas, parce que c'est des messages qui sont beaucoup moins clairs, beaucoup plus gris, mais surtout, si on les chasse de certains réseaux sociaux, ils vont aller sur des messageries cryptées. Et les messageries cryptées, c'est totalement autre chose. Donc, ce qu'on est en train de faire, là, c'est de bâtir d'abord des protocoles de coopération, mais aussi, c'est tout un dialogue qu'il y a entre nos services de renseignement, avec les juristes, parce qu'évidemment, il faut protéger les libertés publiques et les libertés individuelles. Vous n'avez pas envie d'être dans une société du 100 % de contrôle. Mais pour pouvoir, en effet, aller observer ces comportements, voir les messageries qui ne coopèrent pas et aller repérer ceux qui se font recruter, mais surtout les recruteurs. Donc ça, c'est un point sur lequel on s'est amélioré. C'est un point sur lequel, grâce à nos services enquêteurs, et je veux rendre hommage au travail de la police judiciaire, de tous nos services de police, des services de renseignement qui opèrent sur le sol national et à l'international, et de nos magistrats. On a fait beaucoup de progrès, mais on a un problème de rapidité d'action et d'immédiateté. Pour ça, on doit changer les règles et on doit aller beaucoup plus vite à la source.
Animateur
Merci beaucoup. Il y a encore deux questions pour terminer. Vous avez parlé tout à l'heure du PNACO, le parquet national qui va s'installer. Beaucoup ici réclament une antenne marseillaise. Est-ce que vous pourriez nous l'annoncer aujourd'hui ?
Emmanuel MACRON
Non, mais je vais vous dire, vous savez, la priorité, on veut de l'efficacité, et donc c'est un parquet national. Il est à côté de l'État-major national de la lutte contre la criminalité organisée qui a été mise en place, ça marche s'ils sont proches. Il y a une très forte antenne marseillaise, il y a une tradition d'une très forte PJ marseillaise. Ce qu'il faut que vous compreniez, c'est qu'en fait, l'efficacité, pour filer la métaphore footballistique, « il faut que la balle circule, il faut que le ballon circule ». Il faut du harcèlement sur le trait local, c'est-à-dire qu'il faut casser du point de vue de deal très local dès qu'il s'installe. Il faut de la présence policière, c'est pour ça qu'on a remis des effectifs de policiers et de magistrats, il faut du suivi local. Mais il faut, tout de suite, surtout que l'affaire soit reliée à du national et de l'international, s'il y a du sens. Il se trouve que Marseille, c'est ce qui fait tant souffrir cette ville, parce que c'est un port, parce que c'est une ville ouverte sur le monde, elle est l'épicentre de réseaux internationaux, qui ont leur tête de réseau dans plusieurs pays méditerranéens.
Certaines de leurs têtes de réseau, ils sont dans nos prisons et dans nos quartiers de lutte contre la criminalité organisée. Après, ils ont des victimes qui sont dans nos quartiers, ils vont les chercher. Et parfois, ils vont les recruter même dans des villes à l'extérieur. Donc la clé, c'est la rapidité, l'interconnexion entre tous. On a une seule équipe. Et ne vous inquiétez pas, qu'elle soit à Marseille, qu'elle soit à Paris, qu'elle soit déployée d'ailleurs dans les postes qu'on a à l'étranger sur les différentes capitales des pays concernés, on agit tous ensemble pour, très vite, démanteler ces réseaux. Là, on a une bataille, et il faut bien le dire, il y a une guerre qui a été lancée contre ces réseaux qui, aujourd'hui, tuent des jeunes innocents pour intimider, veulent faire peur, tout simplement parce qu'ils veulent remplacer l'ordre public. Ils veulent la loi du plus fort. Ils veulent la loi des narcos. Il n'y a aucune chance qu'elle gagne.
Intervenant
Bonjour, Monsieur le président de la République, je suis médiateur de rue pour l'association APIS. Mon travail, il consiste à aller directement sur le terrain, de jour comme de nuit, dans les quartiers sensibles, en pied d'immeuble, sur des points de revente de trafic de stupéfiants, de créer du lien, du dialogue avec les jeunes, les habitants, afin de les dissuader, pour certains, de basculer dans la délinquance, et pour les habitants, régler les tracas du quotidien. Nous nous étions rencontrés le premier septembre 2021 à la cité Bassens. Je vous avais préconisé deux choses Monsieur le Président : le suivi du plan Marseille en Grand et l'éducation. C'est sur l'éducation que je veux revenir. Pourquoi ? Janvier 2024, je suis avec un groupe d'adolescents à la cité du Parc Corot, je décide de les faire visiter le musée de la Moto. En sortant du musée de la Moto, nous tombons sur le corps d'une jeune femme calcinée.
Quelle a été la réaction de ces jeunes-là ? Sortir instantanément leurs smartphones, filmer et diffuser sur les réseaux sociaux. Diffuser sur les réseaux sociaux le corps carbonisé d'une jeune femme. Pas plus tard qu'hier soir, j'étais avec le papa d'Abderrahim, qui souhaiterait vous rencontrer. Il me disait : est-ce qu'il y a d'autres vidéos de mon fils qui circulent sur les réseaux sociaux ? Ma question, elle est toute simple : Monsieur le Président de la République, aujourd'hui, je suis sur le terrain, j'ai créé un projet « Médiation Nomade » qui est peu suivi. Quels sont les moyens alloués pour la prévention ? On a très peu de moyens, je vous l'affirme, pour la prévention de la délinquance aujourd'hui à Marseille, Monsieur le Président.
Emmanuel MACRON
Merci beaucoup et merci à vos associations une fois encore. Vous avez dit, et c'est par des associations comme la vôtre que j'ai vu à chaque fois que je suis passé à Marseille et qui ont été au cœur d'ailleurs de l'édification de Marseille en Grand, qu'on arrive à reconquérir. Ça ne se fera pas du jour au lendemain. Je sais qu'il y a parfois de la fatigue, vous l'avez dit tout à l'heure, c'est dur, c'est long, mais on ne doit absolument rien lâcher dans ce combat. Ce combat, il commence dans les familles. C'est tout ce qu'on continue de porter avec les mille premiers jours. Si on lâche les trois premières années de la vie d'un enfant, c'est absolument terrible. Donc, le combat, l'accompagnement des familles, la parentalité, c'est clé.
Ensuite, c'est l'école. C'est pour ça aussi qu'on veut protéger nos écoles du portable, des réseaux sociaux. C'est les dispositions qu'on est en train de prendre et qui sont clés. Parce que les jeunes que vous décriviez, si on les avait habitués à ne pas avoir un portable tout le temps, à ne pas être sur les réseaux sociaux tout le temps, ils n'auraient pas ce réflexe. Donc, l'école qu'on doit consolider, la formation de nos profs, l'accompagnement, les moyens qu'on leur donne. Le troisième, c'est l'accompagnement avec la ville, la Métropole, le département, la région, tous les acteurs de tout le tissu associatif pour pouvoir, du sport à l'éducation à la prévention, comme d'ailleurs le disait madame, avec les centres sociaux, se dire que la vie d'un jeune, elle ne s'arrête pas aux portes de l'école. Moi, c'est pour ça que je crois énormément à nos comités locaux de la fondation, nos CNR locaux qu'on avait mis en place ces dernières années. Je regrette d'ailleurs qu'ils n'aient pas été suffisamment mobilisés. Ils ont super bien marché à Marseille.
Ce qu'on a fait avec Marseille en Grand sur l'école, vous vous souvenez peut-être, j'avais dit septembre 2021 : on y va, je voudrais 50 écoles. On a largement dépassé les 50. Ça, c'est sur le plan pédagogique. On a plus de 80 écoles qui sont en train d'être rebâties, refaites. Ça, c'est la rénovation. Mais surtout, on a lancé des projets pédagogiques. Ces projets pédagogiques, c'est formidable, c'est-à-dire qu'on a des enseignants avec des directrices et directeurs d'établissements, les parents d'élèves, les associations, qui bossent ensemble, qui se sont mis autour de la table pour construire des actions pédagogiques communes et faire de la prévention. C'est du tri, si je peux dire, à tricoter chaque jour. Donc, on ne lâchera pas dans le cadre de Marseille en Grand, le volet éducation. C'est un des 7 volets clés. Il peut être suivi en toute transparence. Tous ces volets, on a mis un site en ligne qui est maintenant public. Vous pouvez y aller. C'est sur le site de l'Élysée. On a Marseille en Grand. Vous pouvez suivre, il y a toutes les actions. D'ailleurs, vous pouvez écrire pour corriger, donner votre avis. Mais ce qui est hyper important, c'est de ne rien lâcher. Donc, sur l'éducation, on va continuer de mettre les moyens parce que, comme vous l'avez dit, la prévention est clé. Donc, accompagner les associations comme la vôtre et, en lien avec la ville, pouvoir vous donner les moyens de reprendre ces jeunes, d'occuper ces jeunes, d'avoir du temps et de leur apprendre les bons comportements.
J'insiste sur le site, il est très important parce qu'on a constitué, là, les données qui sont toutes publiques. Vous pouvez voir, sur les différents volets, l'école, la santé, la sécurité. Donc, il y a 7 piliers. C'est sur le site l'Élysée.fr. Vous avez un item Marseille en Grand, et vous pouvez faire ce suivi. Et s'il y a des remarques, des questions, des choses, on améliorera.
Intervenante
Bonjour, Monsieur le Président. Merci de nous permettre ce temps d'échange, de nous l'avoir permis, dans cette ville que vous aimez, et merci de l'aimer, et qui représente un peu ce que la France a de meilleur et aussi ce qu'elle a de pire, malheureusement. Je suis experte comptable, je suis spécialisée dans l'accompagnement des entreprises innovantes, et donc, c'est aussi l'occasion pour moi, très rapidement, de vous remercier pour tout ce que vous avez fait pour cet écosystème de l'innovation qui n'était pas le même avant vous. Merci. Je suis à l'initiative du collectif " Marseille au pluriel ", qui est porté par des citoyens, des chefs d'entreprise, des journalistes, dont Philippe Pujol, que vous connaissez, mais aussi l'université et la Chambre de commerce, dont je salue le président. Nous œuvrons pour recréer du lien, ça devrait vous parler, entre les Marseillaises et les Marseillais, en utilisant les outils de l'interculturel. Nous le faisons par le faire ensemble, avec des méthodes simples et efficaces, en créant des ponts entre le monde associatif et les entreprises qui sont un levier puissant et à mon avis sous-estimé pour refaire cohésion et refaire société comme vous le disiez. Notre approche est pragmatique, elle est fondée sur la réciprocité et l'affirmation d'un cadre commun, clair, reconnu et accepté dans lequel les différences peuvent exprimer toute leur richesse. Notre obsession, vraiment, de tous les jours, c'est la cohésion.
Nous pensons qu'une autre voie est encore possible pour nous éviter d'avoir à choisir entre la peste et le choléra en 2027, en ralliant la majorité silencieuse autour d'une vision commune de notre société à écrire, loin des clivages politiques. Pour nous, cette troisième voie, c'est l'interculturel. J'en viens à ma question. Les réseaux sociaux sont devenus un outil stratégique pour la criminalité organisée, notamment chez les jeunes, on l'a vu pendant tout cet échange. Le problème n'est pas seulement sécuritaire, il est aussi culturel, identitaire et symbolique. Là où l'État répond souvent par la répression seule, et il n'a pas le choix, les réseaux sociaux proposent aux jeunes un récit, une reconnaissance et un sentiment d'appartenance. Ils sont donc des amplificateurs culturels. C'est précisément ici que l'interculturel a toute sa place.
Voici ma question : face à l'impact croissant des réseaux sociaux dans le recrutement et la normalisation de la criminalité organisée chez les jeunes, pourquoi ne pas explorer la voie de l'interculturel comme matrice de nos politiques publiques pour construire, et notamment sur les réseaux sociaux, mais pas que, des contre-récits forts, des repères communs et un sentiment d'appartenance républicain, plutôt que de laisser le terrain symbolique à ceux qui prospèrent sur la facture ? Je ne finirai pas en disant qu'on est à jamais les premiers, même si j'en suis absolument convaincue, mais moi, ce que j'aimerais, c'est nous permettre de venir, nous, universités, nous, Chambres de commerce, vous rencontrer pour vous montrer ce qu'on sait faire ici de concret, parce que ça marche. Si on nous en donne les moyens, on pense que, peut-être, on pourrait faire monter cette expérimentation un petit peu plus loin dans le pays et refaire société. Merci.
Emmanuel MACRON
Merci pour ces initiatives et ce que vous portez. Dans le fond, bien sûr, il faut encourager exactement ce que vous dites. Je ne sais pas s'il y a un seul contre-récit, mais dans ce que vous avez dit, il y a une chose qui est très juste, c'est que si on a des jeunes qui sont emmenés vers des projets du pire. Ce qu'on a dit sur le narco a été vrai à un moment et peut être encore vrai de projets, par exemple, islamo-terroristes, qui ont pu exister sur ces mêmes réseaux. C'est qu'ils donnent, en quelque sorte, le sentiment qu'il y a un avenir possible et des perspectives, pour les uns financiers, pour les autres de sens. Donc, vous avez raison, il y a un récit derrière. En tout cas, il y a le sentiment qu'il y a un possible futur. C'est ça, la catastrophe. Nous, dans notre combat, on doit montrer d'abord que c'est d'abord un récit de mort que ces réseaux proposent.
Et ils exploitent de la chair à canon. Ils exploitent des jeunes qu'ils emmènent dans des situations d'extrême danger pour se faire sacrifier, se faire tuer ici ou là. C'est un projet de mort. Il y a un cynisme terrible. Mais derrière, et plus largement, c'est un peu en toile de fond du débat qu'on a depuis tout à l'heure, ce que vous décrivez. C'est qu'on a une crise du commun dans nos démocraties, qui vient de loin, je ne veux pas finir par des propos trop philosophiques, mais on a des sociétés qui se sont sécularisées, c'est-à-dire la religion s'est progressivement reculée, qui donnait un cadre ; les familles se sont désagrégées. En tout cas, il y a une crise du modèle familial, on le voit bien. On a de plus en plus de familles qu'on appelle « monoparentales ». On a aussi beaucoup de jeunes qui ont des structures familiales éclatées. On a un individualisme qui a augmenté, ce qui crée une vision de la société, un isolement beaucoup plus fort. Les réseaux sociaux, ils n'ont pas toute la responsabilité, mais ils sont venus comme un accélérateur de ces transformations de nos sociétés. Ils ont accéléré une individualisation, et je dirais une solitude qui va avec, que je décrivais tout à l'heure. C'est une réalité. Cette solitude, elle donne un très grand vertige, parce que j'ai l'impression d'être constamment seul dans quelque chose qui est inexpliqué, incompris des autres, et en même temps, face à une multitude sans filtre, qui peut être le message du bout du monde, la volumétrie de ces messages, leur répétition, l'entrechoc.
Et je suis exposé, ça a été la première question, votre mot m'a frappé, à une « surabondance ». Et ça, ça crée quoi ? Ça crée de l'incertitude permanente. On est dans une société où les repères qu'on avait ont été un peu bousculés, où il y a de plus en plus de solitude et où il y a une surabondance de messages. Tout ça, ça crée une forme de perte de règles et de repères communs. Les sociologues appelaient ça avant « l'anomie ». C'est un vieux concept de DURKHEIM. On pourrait dire un peu le dérèglement, mais c'est ça, ce qu'on vit. Du coup, ça crée des mécanismes de grandes angoisses qu'on voit encore sur les questions climatiques chez nos jeunes ou nos moins jeunes, qu'on voit sur les questions technologiques en rapport à celles-ci, ou qu'on voit, dès que la société s'échauffe, a un emballement. Nous sommes dans des sociétés qui ont changé à cause de tout cela. Donc, face à ça, nous devons absolument recréer ce qui a été le cœur du combat républicain, qui nous a fait individus, libres et rationnels que nous sommes, différents. C'est-à-dire recréer, préserver les individualités que nous sommes, mais en remettant de l'esprit critique et de la rationalité. C'est pour ça que le cœur de la bataille, c'est de protéger et d'éduquer les plus jeunes, de remettre de l'esprit critique pour prendre de la distance, et ça, ça s'éduque à tous les âges, et donc réapprendre, redistinguer les notions, réguler.
Puis, il faut réussir à remettre du commun, c'est indispensable. Donc redonner, je le disais, à la famille, à l'école, aux associations, à la commune, aux entreprises, à ce qui nous rassemble dans un projet collectif, du sens et du temps. Beaucoup de ces réseaux nous ont volé beaucoup de temps. Et redonner du temps à ce commun, c'est s'apercevoir aussi que nous ne sommes pas que des individus qui vivent entre leur solitude et ce qu'ils en font avec leur famille ou les choix qui sont les leurs, et un travail. Il y a quelque chose au milieu de ça qui est une vie en société qui, parfois, dans le lieu du travail ou dans un espace commun qui est civique, fait qu'on construit quelque chose ensemble. C'est exactement ça, faire république. C'est très important, chaque jour, de recommencer ces projets, même si ça peut paraître épuisant, et surtout de leur donner une importance et une reconnaissance. En étant là et en vous disant cela, je vous le dis avec beaucoup d'importance. Ce n'est pas le million de gens qui vont voir quelque chose qu'ils oublieront à la seconde d'après. C'est peut-être les dizaines de vies que vous allez changer avec un projet, parce que vous aurez pris les gens par la main pendant des mois, des années, que vous aurez du sens à votre propre vie.
A cet égard, le cadre de la République peut être celui de la compréhension et du croisement des cultures. Il se fait dans un cadre qui est celui de l'universalisme. La République, elle, repose sur le fait que nous sommes citoyennes, citoyens, et qu'on vient avec des convictions, des religions, des origines, qu'on va apprendre à se connaître, mais qu'on appartient à un récit qui est plus grand que nous et qu'on a envie encore de l'écrire. Être une nation, c'est cela. Ce n'est jamais figé. C'est de se dire qu'on a encore des grands combats à mener, parce que ce qui nous tient, ce sont les grands combats qu'on a menés ensemble. C'est la grande histoire qui nous a faites, et c'est exactement ce que vous avez décrit.
Animateur
Merci beaucoup, Monsieur le Président. Il me semblait qu'il y avait un peu de conclusion dans votre propos. Si vous voulez dire un mot pour conclure, peut-être, et pour nous parler de la suite. Je voulais vous remercier pour votre présence ce matin. Au nom des équipes de La Provence, des équipes événementielles qui ont organisé cette rencontre, vous remercier pour les échanges que nous venons d'avoir avec l'ensemble de nos équipes et ces 280 lecteurs qui sont ici de nos territoires et qui avaient aussi besoin de porter ce message.
Emmanuel MACRON
Merci beaucoup. Merci à La Provence pour cet échange. Pour le bilan, moi, je vais, là, continuer à Marseille pour aller sur le terrain, voir les réalisations et ce qu'il reste à faire pour Marseille en Grand. Je continuerai, moi, de rendre compte et puis de continuer le travail collectif pour Marseille en Grand. Vous pouvez compter sur moi. Ce que je voulais vous dire, c'est qu'au-delà de ce débat, des décisions seront prises. Dès le début de l'année prochaine, j'annoncerai pour les plus jeunes des décisions très concrètes. On en a déjà parlé sur le fond. On va mettre en œuvre, en France, ces décisions pour protéger nos enfants et nos adolescents, à l'école et en dehors de l'école. Ensuite, on va lancer la bataille européenne, nouvelle étape, pour mieux protéger nos démocraties face aux ingérences, mais aussi mieux protéger face au narcotrafic, face à la mauvaise utilisation des réseaux. Troisième combat, il va y avoir un combat national qui va se faire sur la presse. Il y a eu les États généraux de l'information. Il y a très clairement un modèle économique qui est en crise et qui a suscité des travaux, et donc il y aura un travail pour se dire comment on arrive à ce que le modèle économique d'une information libre soit préservé.
Puis, il y a un quatrième combat, c'est le vôtre. C'est un combat civique de tous les jours. Ce dont on parle depuis le début, c'est le combat de la République, je vous l'ai dit à l'instant. Quand la République s'est faite, elle a dit : je cherche des hussards noirs, les enseignants, pour aller chercher les enfants dans toutes les campagnes et m'assurer qu'ils orthographieront, parleront et écriront la même langue, connaîtront les mêmes auteurs et connaîtront les mêmes poèmes. Les uns les aimeront, les autres non. Mais ils appartiendront à la même histoire pour pouvoir faire des choses ensemble. C'est exactement le combat qu'on est en train de retrouver. Ces mêmes combattants du début de la Troisième République ont dit je ne veux plus d'un espace public, d'une démocratie de faux semblants où l'information peut être accaparée par quelques-uns, manipulée. Je veux des gens qui puissent organiser la controverse de manière libre, vous donner des faits, des opinions, et vous les échangerez. Ce sont ces grandes lois de la presse.
C'est exactement ce qu'on doit retrouver. Le combat de la République, ça a été de préserver, de toutes les interventions étrangères, de tous les risques, de toutes les lois du plus fort, la loi de tous qui est la nôtre. C'est exactement ce qu'on doit recréer. La seule chose qui affaiblit nos démocraties, ce n'est pas d'oser des débats difficiles, ce n'est pas de mettre en place des choses. La seule chose, et c'est vrai dans tous les domaines, c'est l'inefficacité et la lenteur. Et croyez-moi, il m'est arrivé très souvent de faire des erreurs. Mais mes pires erreurs, ça a été le " à quoi bon ". C'est quand on m'a dit, n'allons pas trop vite, ne faites pas ceci ou cela. Quand on a identifié qu'il y avait un problème, il faut foncer. La seule chose qui crée de la défiance et qui fait qu'il y a beaucoup de gens qui se disent : " ah, finalement, un régime autoritaire serait mieux qu'en démocratie ", parce que les mêmes fadas qui nous disent qu'on est totalitaire dès qu'on veut réguler quelque chose pour les jeunes sont ceux qui vous disent qu'il faudrait un bon régime autoritaire quand la loi, elle, ne les arrange plus. Non !
La démocratie est exigeante pour tout le monde. Elle suppose la délibération, la transparence, mais elle doit retrouver le sens de l'efficacité. Donc, oui, on doit retrouver une démocratie qui, quand elle se saisit d'un problème, prend les bonnes décisions et agit. Vous l'avez compris, de nos enfants jusqu'au fonctionnement démocratique, on a encore plein de choses à faire, mais on va y arriver.
Animateur
Merci beaucoup Monsieur le Président et merci à toutes et à tous.
16 décembre 2025 - Seul le prononcé fait foi
Face aux lecteurs de La Provence à Marseille.
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Animateur
Mesdames, Messieurs, bonjour. Ravi de vous retrouver ici, au cœur de l'Entrepôt Solidaire de la Fondation CMA-CGM. Mesdames, Messieurs, Monsieur le président de la République, ravi de vous retrouver pour cette matinée exceptionnelle, ce rendez-vous exceptionnel. On va parler démocratie, réseaux sociaux, éducation en médias, ingérence étrangère. Vous le verrez, de très nombreuses questions vont vous être posées au cours de ces deux prochaines heures qui sont évidemment majeures, qui sont à suivre sur notre site internet www.laprovence.com et évidemment à retrouver dans nos éditions de demain matin. Je vais tout de suite passer la parole à Jean-Christophe Tortora, directeur général de CMA Média.
Jean-Christophe TORTORA
Monsieur le président de la République, Mesdames et Messieurs, chers lecteurs de La Provence, bienvenue tout d'abord à l'Entrepôt Solidaire. Finalement, ici, c'est un lieu qui incarne bien l'esprit de Marseille, Le Marseille en Grand qui vous est si cher, Monsieur le président de la République. Mais c'est surtout ici un Marseille avec un grand cœur, un grand cœur porté par les associations, les bénévoles qui, chaque jour, aident, relient ici, dans ce territoire, en fournissant ici pas moins de 10 millions de repas en 2025, c'est le double de l'année dernière. Je souhaiterais quand même prendre quelques secondes pour applaudir ces associations. Alors on va les applaudir, ces associations qui ont un grand cœur. On va applaudir les Restos du Cœur, le Secours populaire français, le Secours catholique, la Croix-Rouge, et puis l'association des épiceries avec le groupe SOS. Bien entendu, remercier également les pouvoirs publics, l'État qui s'est impliqué dans ce projet, et bien entendu remercier la fondation CMA-CGM, présidée par madame Tanya Saadé.
Alors, vous l'aurez compris, Monsieur le président, pourquoi on a choisi ce lieu qui incarne si bien l'innovation sociale dans ce territoire, un lieu qui nous relie et un lieu, justement, qui va nous permettre de débattre ce matin avec vous sur des sujets très importants : la question de l'information, la question des réseaux sociaux. Bien entendu, on va parler de démocratie. Alors vous, et je m'adresse aux lecteurs de La Provence, vous avez bien changé. C'est difficile de vous suivre chaque jour. Parce que nous, on essaie de vous suivre, à la fois dans vos nouveaux usages, dans vos nouvelles façons de consommer l'information. Pour le jeune groupe que nous sommes, on a pas moins de 3 ans, le groupe CMA Média, c'est vrai que pour nous, c'est très important d'être à votre écoute. Alors, notre présidente Véronique Saadé, chaque jour, nous donne deux missions.
La première mission, c'est celle, bien entendu, d'innover. Nous, on n'a pas le choix dans l'industrie des médias que d'être à votre écoute, répondre à vos besoins, faire évoluer nos formats, justement, à être à la fois dans l'information locale, mais aussi dans l'information internationale. C'est un challenge et un défi pour nous, de tous les jours. La deuxième mission, c'est celle d'expliquer, de faire preuve de chaque jour de pédagogie, de vous accompagner entre l'information de qualité et puis aussi les fake-news.
Alors, pour mener ces deux défis, Monsieur le président de la République, ce n'est pas un hasard si vous avez choisi la presse quotidienne et régionale pour mener ce tour de France. Parce que la presse quotidienne régionale est aux avant-postes aujourd'hui de ce combat que vous menez. Pourquoi ? Parce que d'abord, la presse quotidienne régionale, La Provence, nous sommes les champions de la confiance. Quand on interroge les Français, c'est vrai que la presse quotidienne régionale est devant en matière de confiance, et je salue mes autres confrères, devant la télévision, devant la presse nationale, devant la radio. Pourquoi ? Parce que la presse quotidienne régionale est au cœur de la vie quotidienne des Français, est au cœur des territoires, est au cœur des bassins de vie, et cette confiance, elle est majeure pour le combat que vous menez, Monsieur le Président.
Bien entendu, je voudrais profiter de cette occasion pour saluer tout le travail des équipes de La Provence, son directeur général Jean-Louis Pelé, son directeur de la rédaction Olivier Biscaye, qui, chaque jour, mène cette émission au quotidien ici, dans ce territoire de Marseille et de La Provence. Et puis, je vais vous faire une révélation, Monsieur le Président, ils préparent secrètement une nouvelle formule de La Provence pour le 10 janvier et dans laquelle on trouvera encore plus de proximité et du local. Parce que vous, les lecteurs de La Provence, c'est ce que vous nous demandez, c'est de faire encore plus de local. Pourquoi ? Parce qu'au fond, on ne sait pas ce qui arrive quelquefois dans d'autres pays, on l'a vu aux États-Unis, lorsqu'il y a des déserts de l'information, les conséquences que ça peut avoir pour la démocratie.
Peut-être un mot sur l'intelligence artificielle, vous allez en parler dans quelques instants. L'intelligence artificielle, pour nous, c'est un Pharmakon. C'est à la fois un poison et c'est à la fois le remède. Un poison parce qu'aujourd'hui, ça amplifie la désinformation avec une grande puissance, et à la fois, ça peut être aussi le remède parce que ça peut aider nos lecteurs et nos journalistes à trier, à vérifier l'information et à faire du fact-checking. C'est pour ça que, chez CMA Média, nous investissons beaucoup sur l'IA, vous le savez, au travers de fleurons français, que ce soit Mistral, que ce soit, bien entendu, Kyutai, parce que nous investissons dans la technologie et dans l'excellence française au service des lecteurs et au service de nos journalistes.
Alors, vous voyez, l'information, c'est un combat de tous les jours. J'allais dire, même, Monsieur le Président, c'est un sport de combat, l'information. Vous qui aimez bien mener des matchs, quand on connaît votre passion, comme nous tous, pour l'Olympique de Marseille, on sait qu'un match, c'est deux mi-temps. La première mi-temps, c'est ce que vous êtes en train de faire aujourd'hui, avec les quotidiens régionaux, avec les Français, dans votre dialogue que vous avez initié il y a maintenant quelques semaines, depuis Toulouse, une ville aussi qui m'est chère, c'est ce que vous allez continuer avec l'idée de proposition, vous le direz tout à l'heure, pour le début de l'année 2026. Eh bien, nous, ici, on vous propose une deuxième mi-temps. Cette deuxième mi-temps, après avoir fait ce Tour national, c'est de faire ici un Tour du monde des journaux à travers le monde. Mais je vais rassurer vos collaborateurs, vous n'aurez pas besoin de faire le tour du monde, parce qu'ici, le 1er, 2 et 3 juin, nous accueillerons le Congrès mondial des journaux, 30 ans après ce qui s'était tenu en 1995, avec la présence du président Jacques Chirac. Et je tenais vraiment à remercier Rodolphe Saadé qui nous a soutenus dans cette candidature, parce que c'était le moyen pour nous, pour l'Europe, pour la France d'accueillir ce Congrès mondial, de porter ces sujets, Monsieur le Président, à près de 700 journaux qui seront ici, à Marseille, pendant 3 jours, parce que nous le savons bien, toutes les discussions qui vont se tenir ce matin, elles sont importantes et vous allez prendre des mesures et des décisions pour la France. Mais nous avons besoin de porter aussi ces sujets dans le monde. Et ici, Monsieur le Président, le 1er juin, j'espère que vous serez là pour la deuxième mi-temps qui doit se jouer ici à Marseille. Je salue le directeur général de la WAN-IFRA, qui est l'association mondiale des journaux, Vincent Peyrègne, qui est parmi nous.
Voilà, Monsieur le Président, chers lecteurs, vous voyez, à Marseille, on ne manque pas de ressources, on a l'envie. Merci à vous tous d'avoir consacré votre matinée pour un sujet aussi important. Merci à vous, Monsieur le président de la République, de mener ce combat. Nous sommes là, dans ce combat pour l'information, pour les territoires et au service de la démocratie. Je vous remercie.
Emmanuel MACRON
Merci beaucoup. D'abord, merci pour l'accueil à vos entrepôts solidaires et la fondation CMA-CGM et au groupe La Provence. Merci infiniment à toutes et tous d'être là et d'avoir pris sur votre temps pour cet échange. Vous avez très bien cadré le débat. Au fond, moi, ce qui m'intéresse, c'est qu'on puisse échanger en toute liberté et transparence sur la manière dont on vit cette époque de notre démocratie. On voit bien que depuis 10 ans, parce qu'on a maintenant un recul de 10 ans sur ces réseaux sociaux, ils sont rentrés dans nos vies. Vous l'avez dit en reprenant un terme bien connu de la philosophie antique, en parlant de ce qui est à la fois le médicament, le remède et le poison, le Pharmakon, il y a des très bonnes choses qui sont apportées par nos réseaux sociaux comme par l'intelligence artificielle, qui nous permettent de communiquer, de savoir ce qui se passe au bout du monde, d'alerter, d'échanger du savoir, etc.
Et il y a aussi des choses sur lesquelles il faut reprendre du contrôle. Et pour les plus jeunes, nos enfants, nos adolescents, mais également pour le fonctionnement de nos démocraties, le bon fonctionnement de l'information, d'une presse libre, le bon fonctionnement de nos démocraties dans des temps électoraux, on voit bien qu'il nous faut bouger quelques éléments et prendre pleinement conscience de ce qui, en fait, s'est joué ces dernières années. Quelque chose s'est transformé et ça nous rend aussi plus fragiles, ça a créé des problèmes dans la société, et donc c'est à nous aujourd'hui de nous en saisir. Je crois que c'est pour des démocraties comme les nôtres extrêmement importantes, parce qu'au fond, on est plongé dans une mondialisation où d'un côté, si je puis dire, il y a un modèle chinois qui est le tout contrôle par l'État, et de l'autre côté, il y a un modèle qui est de tout donner au secteur privé, y compris les choix démocratiques. C'est un peu le modèle américain. Nous, on a envie en tant que citoyens de choisir pour nous-mêmes. C'est ça une démocratie. Donc, il faut essayer de comprendre ce qui se joue. Je ne veux pas être plus long. Je veux maintenant surtout répondre à vos questions sur nos réseaux sociaux. Mais surtout, vous m'offrez une formidable opportunité à nouveau d'être à Marseille. Et donc, merci pour cela.
Animateur
Monsieur le Président, vous avez ici des lecteurs de nos trois départements de zone de diffusion, les Bouches-du-Rhône, le Vaucluse et les Alpes-de-Haute-Provence. On va évoquer 4 thèmes : la dépendance aux réseaux sociaux, le cyberharcèlement, la désinformation et les ingérences étrangères, l'éducation aux médias, nouvelles technologies et IA, on en parlait à l'instant, et puis les réseaux sociaux face aux violences et aux phénomènes de criminalité organisée. Une actualité marseillaise ces dernières semaines nous conduit évidemment à aborder ce sujet avec vous et avec l'ensemble de nos lecteurs.
On va ouvrir cette rencontre avec une première thématique, la thématique des dépendances aux réseaux sociaux et du cyberharcèlement.
Intervenant
Bonjour, Monsieur le Président. Je suis élève de Terminale à l'école de Provence, un établissement jésuite. Vous allez aborder la question de la désinformation plus tard. Toutefois, aujourd'hui, nous sommes aussi confrontés à une véritable surabondance de l'information, notamment liée aux réseaux sociaux. Cette exposition permanente à l'information semble être un réel vecteur de stress et d'angoisse pour les jeunes, notamment par rapport à la question de l'incertitude face à l'avenir professionnel. Selon vous, quelles réponses concrètes pourraient nous aider à plus de discernement, mais aussi à trouver un meilleur équilibre ?
Intervenant
Monsieur le Président, bonjour. Elève en terminale au lycée Joliot-Curie à Aubagne. Ayant moi-même désinstallé le réseau social TikTok pour en éviter la dépendance. Ma question est la suivante : à partir de quand peut-on parler d'addiction et que peut-on faire pour la freiner ?
Emmanuel MACRON
Merci beaucoup. La deuxième question, pour commencer par elle, il y a beaucoup de débats, d'ailleurs, chez les spécialistes. Moi, j'avais demandé un rapport qui m'a été remis, il y a un an et demi maintenant à peu près, au printemps 2024, et certains disant : il y a des addictions qu'on peut qualifier, d'autres disant ça se discute, on ne peut pas encore parler d'addiction, il y a des débats chez les spécialistes. Néanmoins, ce qu'on voit à l'œuvre, et ça rejoint la question que vous posez, au fond, l'un et l'autre, c'est qu'on passe de plus en plus de temps devant les écrans et que les jeunes, en particulier sur les réseaux sociaux, y passent de plus en plus de temps. Alors même s'il faut être très prudent parce que ça a des caractéristiques cliniques, on voit qu'il y a une dépendance qui est en train de se faire. Je croise de plus en plus de jeunes comme vous qui, soit demandent à des adultes de la famille, soit finissent eux-mêmes par le retirer parce qu'ils n'arrivent pas à se réguler.
Mais je voudrais juste prendre deux pas de recul pour se dire pourquoi on en est là et quelle est la situation et qu'est-ce qui se passe. Et au fond, quand on parle de réseaux sociaux, qu'est-ce que c'est ? Parce qu'il y a beaucoup d'ambiguïtés sous-jacentes dans le débat. La première ambiguïté, c'est que vous commencez en disant, il y a une surabondance d'informations. J'ai une surabondance de contenus, mais est-ce que c'est à proprement parler de l'information ? C'est déjà ça, la première distinction qu'il faut faire. C'est-à-dire qu'on a accès, à travers nos réseaux sociaux, à plein de choses. Mais dans ces pleins de choses, je ne sais pas forcément dire si c'est du vrai, si c'est du faux, si ce sont des informations ou si ce sont des émotions, si c'est des contenus qui sont transformés ou pas. Le statut est ambigu. Et c'est là où je rejoins la notion de dépendance que vous avez ressentie. C'est qu'il faut bien savoir de quoi on parle. Nos réseaux sociaux, qu'est-ce que c'est exactement ? Ce sont des plateformes dans lesquelles on est connecté, en choisissant d'être sous notre identité ou sous l'anonymat, parce qu'on a ces deux options, on y reviendra peut-être, et qui nous exposent à du contenu.
J'essaie toujours de comprendre et de tirer le fil. Pourquoi il y a des gens qui ont intérêt à nous exposer à ces contenus ? La question qu'il faut toujours se poser, c'est comment ils gagnent leur vie. Parce qu'ils ne le font pas pour nous faire plaisir, ce n'est pas un entrepôt solidaire, les réseaux sociaux, il faut qu'il y ait un modèle d'affaires, ils gagnent leur argent. Quand vous achetez La Provence, vous payez pour avoir de l'information. Donc justement, l'information, parce qu'il y a un travail derrière, je reprends votre première question, je le paye. Les réseaux sociaux, je ne le paie pas. Donc comment ils gagnent de l'argent ? Ils gagnent de l'argent en vendant de la publicité avec moi. Donc les réseaux sociaux, ça nous met en ligne, ça nous expose à des contenus, mais le modèle d'affaires qui est le leur, et ce n'est pas du tout une offense de dire ça, ce n'est pas un reproche, leur modèle d'affaires, ça n'est pas de partager de l'information, c'est de pouvoir vendre à des annonceurs de la publicité la plus individualisée possible chez les bonnes personnes. Ce qui fait d'ailleurs que sur ces 10 dernières années, les journaux qui avaient beaucoup de publicité l'ont perdu parce qu'elle est allée très massivement vers les réseaux sociaux parce qu'elle est plus individualisée. Et donc vous avez de l'abondance en effet, de signaux, d'émotions. Mais tels qu'ils sont structurés ces réseaux sociaux, ils cherchent à faire quoi ? À créer chez vous de l'excitation. C'est là où c'est lié à de l'addiction. Les réseaux sociaux, ils sont faits pour pousser des contenus dont ils vont mesurer eux-mêmes que chez vous, ça crée de la réaction, c'est-à-dire ça va augmenter votre temps d'exposition, ça va vous inciter à aller voir de plus en plus de vidéos, à y passer de plus en plus de temps et à avoir une excitation supplémentaire. C'est ça, le moteur. Parce que plus vous aurez de l'excitation, plus vous allez rester, plus je vais identifier ce sur quoi vous réagissez, plus je pourrai vendre de manière plus adaptée cette publicité. C'est ça dont on parle.
Donc, mon point, c'est qu'il faut déjà clarifier quelque chose. Les réseaux sociaux ne sont pas faits pour nous informer. Vous pouvez accéder à des plateformes d'information, vos titres de presse, mais leur modèle, c'est de vendre de la publicité individualisée sur vous. Peut-être que ça, il faut le clarifier.
La deuxième chose, c'est que du coup, mécaniquement, oui, ils créent de la dépendance. Je serai très prudent, parce que c'est à des cliniciens de le faire, de parler d'addiction, mais ils créent de la dépendance parce que l'émotion négative est plus importante que l'émotion positive, qui est plus importante que l'argument, parce que c'est ce qui va créer chez vous plus d'excitation et plus de temps. Aujourd'hui, chez les plus jeunes, on est à 4h20 par jour. Donc, ça a quand même quelque chose à voir avec une dépendance.
On voit bien qu'il faut freiner tout ça, il faut clarifier le statut, il faut dire à quoi ça sert, pourquoi c'est fait, parce qu'on a un peu perdu le fil de tout ça, et il faut réussir à freiner cette chose parce que y passer trop de temps, c'est renoncer à du temps de lecture pour les plus jeunes, du temps pour construire sa vie. En effet, c'est aussi pour ça, on y reviendra sans doute, que pour les plus jeunes, je souhaite qu'on puisse aller vers des mécanismes même d'interdiction. Mais il est clair aujourd'hui qu'il y a de plus en plus de dépendance, que ça crée de plus en plus de troubles. Et là aussi, sans qu'il y ait un mécanisme de causalité qui soit créé, on a des corrélations qui sont établies maintenant qui montrent que plus on passe de temps sur les réseaux sociaux, plus on a de l'angoisse, plus on a des problèmes de santé mentale, plus on baisse en performance éducative, plus on a des problèmes de troubles du comportement alimentaire, en particulier les jeunes filles, etc. Donc, ça n'est pas séparable des difficultés qu'on a en termes de santé mentale chez les plus jeunes.
Intervenant
Bonjour, Monsieur le Président. Pédopsychiatre, directeur de l'association ASMA, chargée de prévention du suicide de l'adolescent en PACA. La moquerie et le sarcasme ont de tout temps parcouru les cours d'école. Les réseaux sociaux ont transformé cette pratique, en apparence anodine, en cyberharcèlement, catalyseur de drame pour les plus vulnérables. Si les réseaux sont des espaces d'échange et de création, ils sont aussi des espaces de violence. Les plus vulnérables de ces enfants, parfois élevés dans un environnement fragile, précaire, parfois sans parents, je pense aux enfants de l'ASE, ont besoin d'une protection fiable, constante et sécurisante. Le renforcement des compétences psychosociales des plus faibles doit être encouragé. Les plus forts, les GAFAs, doivent être mis à contribution. Quand imposerons-nous une déontologie de ces multiples contenus, Monsieur le Président ? Quand peut-on espérer voir appliquer les recommandations de la commission écrans que vous avez installée l'année dernière ? Les parents, plus que les enfants, en ont impérativement besoin.
Emmanuel MACRON
Merci beaucoup. D'abord, merci et merci pour ce qui est fait par votre association et votre engagement. On a eu l'occasion, quand j'ai réuni plusieurs mois des professionnels sur ces sujets, de se voir. Ce qui est fait est admirable.
Vous l'avez parfaitement dit, le harcèlement, que ce soit harcèlement scolaire ou cyberharcèlement, c'est un continuum. C'est-à-dire qu'on a vu ce continuum émerger ces dernières années, on a collectivement réagi, et je veux vraiment remercier l'ensemble des communautés pédagogiques, les enseignants, mais tous ceux qui les accompagnent, nos enfants et nos adolescents en tant qu'élèves, et maintenant les familles qu'on a besoin d'engager et toutes les associations qui aident. C'est un continuum parce qu'au fond, c'est la chose la plus grégaire et la plus cruelle qu'il y a dans le comportement humain. On voit quelqu'un qui est un peu en situation de faiblesse ou on isole quelqu'un parce que c'est des logiques de groupe et on le fait souffrir. Donc, le harcèlement mène au pire, évidemment, à la déscolarisation, à la grande souffrance, et parfois jusqu'au suicide.
Alors, ces dernières années, on s'était équipé, si je puis dire, c'est-à-dire qu'on s'est levé, puis on a formé les profs, le programme Phare, on a alerté, on a mis en place des plateformes pour le harcèlement et le cyberharcèlement. On a formé les élèves. Maintenant, on forme les familles, ce qui est très important. On éloigne les enfants qui harcèlent. Avant, on disait plutôt aux familles : " pensez à ce que votre enfant quitte l'établissement. " Et puis, on s'est équipés aussi sur le cyberharcèlement en disant : " si vous vous harcelez, on peut vous priver de réseaux sociaux et vous éloigner. " Donc, la société a réagi, mais c'est un combat de tous les jours parce qu'il y a encore des signaux faibles qu'on ne voit pas, des choses qui se passent qui sont inacceptables. Et je le redis ici, on ne doit rien lâcher de ce combat.
Maintenant, derrière ça, le cyberharcèlement, il le continue sous d'autres formes. Vous l'avez dit, il y a en fait deux façons de faire avec les plateformes, soit elles coopèrent, soit on s'aperçoit que ça ne les intéresse pas. Je vais être très direct avec vous. Ma réponse est simple et je parle d'expérience, ça ne les intéresse pas. Depuis 2018, j'ai réuni au moins deux fois par an les plateformes en prenant parfois les patrons mondiaux. On a créé, on a fait des initiatives en européen, en international. Après le terrible attentat de Christchurch, on avait fait cet appel de Christchurch qui nous a permis au moins d'obtenir des choses sur les contenus terroristes. On a essayé de le faire sur les enfants. On a mis ce laboratoire pour protéger les enfants en place. On avait commencé à avoir des engagements de modération, en disant : " oui, oui, on va vous aider sur le cyberharcèlement ou sur les contenus dont il est identifié que ça déstabilise vos jeunes. " Ils ont mis quasiment zéro effectif, ils ne retirent quasiment jamais spontanément des contenus, et s'il n'y a pas recours sur recours, ils ne le font pas, et on a énormément de mal à aller chercher leur responsabilité.
C'est pour ça que je vous le dis, en responsabilité, pour moi, la réponse, c'est que pour les moins de 15 ou 16 ans, il faut interdire les réseaux sociaux. C'est le seul moyen de les protéger. Le seul moyen. Parce qu'aujourd'hui, les gens qui produisent les contenus qu'il y a sur ces réseaux ne sont pas intéressés par la santé affective, mentale de nos enfants et de nos adolescents. Ils ont juste décidé que c'était une matière pour eux. C'est une matière pour vendre quelque chose, pour le monétiser. Donc, on ne peut pas déléguer la santé mentale et affective de nos enfants et nos adolescents à des gens qui ont simplement décidé d'en faire le moyen de faire des revenus. C'est pour ça que je suis arrivé à la conclusion qu'on ne pouvait pas modérer, qu'il fallait couper.
Animateur
Merci, Monsieur le Président. Je signale d'ailleurs dans le journal de ce matin, pardonnez-moi pour la séquence promotion, un très bon dossier sur les réseaux sociaux et qui est dans le prolongement de ce que vous êtes en train d'indiquer.
Intervenant
Bonjour Monsieur le Président, professeure de Vente, Économie et Droit en lycée professionnel. Voilà, vous venez à peu près de répondre, mais je tiens quand même à poser ma question. Les réseaux sociaux peuvent être des vecteurs positifs et je me demandais, est-ce qu'il ne serait pas possible de les obliger sans interdire, mais justement leur mettre plus de contenu positif, c'est-à-dire en disant, par exemple, 10% d'activités sportives, 10% de culture générale, 10% d'actions solidaires pour que ce soit effectivement vraiment des contenus intéressants, sains et diversifiés.
Intervenant
Monsieur le Président. Président de la Chambre de Métiers et de l'Artisanat de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur. Avant tout, je tenais à vous remercier pour le magnifique message vidéo que l'on a pu voir lors de notre Assemblée générale du 2 et 3 décembre dernier à CMA France. Ma question va être assez simple. Nous sommes un réseau, vous connaissez aussi l'artisanat au niveau de la France. Encore plus vrai ici, l'artisanat est la première entreprise en région Provence-Alpes-Côte d'Azur. Nous formons aussi des jeunes, plus de 6 000 apprentis, 10 000 apprenants et nous sommes confrontés au quotidien justement à ces réseaux sociaux. Nous avons une proposition. Ma question est la suivante : seriez-vous prêt à collaborer à nos côtés pour développer un module justement sur ces réseaux sociaux pour que nos jeunes soient attentifs, bien sûr, et de faire attention à l'utilisation de ces réseaux sociaux ? Merci.
Intervenant
Bonjour, Monsieur le Président. Fondatrice de l'application Joy Up. Joy Up est une application basée sur la psychologie positive. J'aime bien rendre les choses joyeuses et positives, il y a des méditations, auto-hypnose et podcasts, notamment sur la communication non violente. Alors ma question est la suivante : est-ce qu'il est prévu, au-delà des mesures restrictives que vous semblez vouloir mettre en place, des mesures positives pour les élèves, les professeurs, les parents, adultes comme jeunes, pour les initier à de la communication non violente, à comment être dans le relationnel avec l'autre, la bienveillance, voilà tous ces sujets-là qu'on n'apprend pas à l'école et pas forcément en famille non plus. Merci beaucoup.
Emmanuel MACRON
Merci beaucoup. Alors, sur la première question, en vérité, on ne contrôle pas ce que les réseaux sociaux font. Ils ne sont pas d'État. Je dirais, le seul endroit où ce que vous semblez vouloir faire existe, c'est la Chine. La Chine qui a créé TikTok et qui nous l'exporte avec beaucoup de contenu, elle ne diffuse pas TikTok dans son pays, elle le limite en nombre d'expositions par jour très fortement et elle met des contenus pédagogiques. Mais nous, on n'a pas de réseau social d'État. Donc je ne peux pas vous donner une telle garantie. Le problème, c'est qu'on rentre dans une jungle, et dans cette jungle, c'est ce que je disais tout à l'heure, ce sont les lois du marché qui fonctionnent, pour le meilleur et pour le pire, et donc c'est l'exposition à des tas de contenus qui vont créer de l'excitation. L'exemple a été fait par des chercheurs indépendants sur TikTok. La quatrième vidéo qui est scrollée, c'est une exposition à des contenus salafistes, parce que ça crée de l'excitation, on l'a vu, et tout de suite, ça nous emmène vers des chemins de traverse. Donc, je ne pense pas que ce soit la bonne méthode. Je dis ça après avoir cherché beaucoup de moyens, comme je disais, de les engager, et après avoir beaucoup écouté la science.
Par contre, ce qu'on sait dire, c'est que quand un jeune passe en moyenne 4h20 par jour sur un écran, il a des problèmes de solitude, de désocialisation, souvent de sommeil, parce que ces 4h20, ça l'amène très tard dans la nuit. Ce sont des jeunes qui ont beaucoup de mal à fixer leur attention, ce que vous retrouvez un peu plus tard. Ce sont des jeunes qui ont de plus en plus de mal à lire, on voit une chute du taux de lecture, chez les jeunes d'ailleurs comme chez les moins jeunes. Ce sont des jeunes qui font de moins en moins de sport parce qu'ils restent sur leur écran. Et donc la bonne réponse, ce n'est pas de chercher des contenus sur les réseaux qui poussent à la lecture et au sport, c'est de s'assurer dans la vie de nos ados et de nos enfants qu'il y a du temps de lecture, qu'il y a du temps de sport, qu'il y a du temps de vie ensemble. Et ça, c'est tout le boulot à l'école, avec les familles, avec le périscolaire, de remettre tout le monde à la lecture, et de le dire d'ailleurs aux jeunes comme aux moins jeunes, la lecture est un formidable levier d'émancipation, quelque chose qui permet de comprendre le monde, de se comprendre soi-même, et aussi d'apprendre à construire du raisonnement, de remettre nos jeunes au sport plutôt que de le chercher par les réseaux.
Voilà l'approche qui est la nôtre. Alors pendant ce temps-là, on forme, et c'est un peu le lien entre vos trois questions, et l'idée n'est pas d'avoir que de l'interdiction. En même temps, c'est de protéger nos jeunes, maintenant qu'on sait un peu plus avec le recul, les impacts que ça a. Parce qu'il faut se dire qu'on a, au fond, 10 ans de recul. Les réseaux sociaux arrivent à l'échelle très large en 2015. Il y a quand même une petite révolution autour de 2020 avec le Covid, où le temps d'écran augmente pour tout le monde. On a vu l'impact. Et là, maintenant, on commence tous à le mesurer. Donc, il faut protéger, mais en même temps, il faut préparer.
Ce qu'on est en train de faire à l'école, c'est d'améliorer la formation des maîtres, c'est de mettre maintenant des cours de bienveillance qui n'existaient pas, en prenant un peu l'exemple sur les modèles scandinaves, qui sont plus en avance que nous sur ce point-là, et c'est de préparer, et donc préparer en transmettant des savoirs à nos enfants, puis de l'esprit critique, et en même temps, les bons comportements, et en même temps favoriser les contenus positifs comme le vôtre, qui permettent ensuite, quand des jeunes qui, quand même, à 16 ans restent jeunes, arrivent sur les réseaux, ils soient aussi accompagnés à cet égard. C'est pour ça que ce que propose CMA France, et merci président, va tout à fait dans la bonne direction, parce que l'idée, c'est de protéger pendant un temps, c'est de préparer à l'école avec les familles, mais ensuite, c'est de pouvoir accompagner nos jeunes quand ils vont arriver sur ces réseaux, avec des contenus qui sont tout à fait positifs et qui créent des synergies avec leur activité professionnelle. Je suis convaincu, en particulier pour des métiers comme ceux auxquels vous formez, et on le mesure, vous le mesurez, les maîtres d'apprentissage me le disent très souvent, quand on a des jeunes qui ont passé des heures et des heures par jour pendant des années sur les réseaux, ils ont beaucoup de mal à les garder en attention derrière qui un établi, qui dans une boulangerie, qui... parce que juste ça dérègle l'organisme. Ça vous met dans une situation où vous êtes constamment habitués à être sur-stimulés. On a même des jeunes qui disent qu'ils ne sont plus capables de regarder un film assis pendant une heure et demie. Et c'est la réalité. Ils sont habitués à avoir des contenus de quelques secondes qui déroulent. Donc les initiatives que vous portez sont très bonnes et on les accompagnera.
Animateur
Si vous permettez, restez avec moi quelques instants pour répondre à une question qui n'était pas tout à fait prévue là. Mais les Français sont favorables à une interdiction aux moins de 15 ans des réseaux sociaux. Dans notre dossier de ce matin, l'Australie a décidé de le faire et l'a annoncé cette semaine. Est-ce qu'on va vers ça ? Est-ce que réellement, en France, on va interdire clairement les réseaux sociaux aux moins de 15 ans ?
Emmanuel MACRON
Alors, je pense qu'on y est prêt maintenant. Vous parlez des sondages. La commission Écran a rendu une recommandation. Il y avait encore des discussions parmi les experts, mais ça s'est consolidé pour dire : ce n'est vraiment pas bon avant 15-16 ans. Et en vrai, on voit bien que le consensus, vous prenez l'Australie, c'est 16 ans, dans beaucoup de pays, parce que je parle sous le contrôle de beaucoup plus expert que moi : avant 16 ans, en fait, la vie affective n'est pas totalement structurée, le cerveau n'est pas mature, il y a encore beaucoup de choses qui sont à fixer, et on les déstabilise en surexposant aux réseaux sociaux.
Deuxième chose qu'il nous fallait, parce que ça, c'est au printemps 2024 qu'on a ça, on a fait tout ce travail de consensus scientifique, l'été dernier, donc il y a moins de 6 mois, on a eu la réponse de l'Europe. Parce qu'en fait, c'est très sympathique d'interdire, mais vous allez me dire : comment vous allez faire. Donc, on peut le faire que si on peut contrôler l'âge. Donc on a obtenu de l'Europe, parce que c'est une compétence européenne, ces réseaux sociaux, l'Europe nous a dit : " Oui, vous avez le droit de faire le contrôle, la vérification de l'âge pour les réseaux sociaux ", exactement comme on l'avait obtenu pour les sites pornographiques. Ce combat qu'on a mené il y a quelques années pour dire qu'on ne peut plus avoir des jeunes qui, à 12 ans, peuvent rentrer sur un site pornographique gratuit. On a mis en place ces contrôles où on vérifie avec soit le selfie, soit la carte d'identité, soit un identifiant pour s'assurer qu'on a des majeurs. L'Europe nous a dit : " Vous pouvez le faire pour les réseaux sociaux ". Et c'est une compétence nationale de définir la majorité numérique.
Donc là, l'idée, c'est d'arriver début d'année prochaine avec un texte de loi qui va définir une majorité numérique à 16 ans et qui va dire : vous allez vérifier votre âge, et en dessous de cet âge, vous ne pourrez pas rentrer sur les réseaux sociaux parce qu'on considère qu'ils ne sont pas bons pour vous, vous êtes en minorité numérique.
Intervenant
Bonjour Monsieur le président de la République. Président d'un petit club amateur marseillais, partenaire de votre club de cœur, l'Olympique de Marseille, à jamais les premiers. Je suis obligé de la placer celle-là. Moi, je suis confronté à un nouveau phénomène, comme tous mes collègues présidents de clubs amateurs, qu'on appelle le " projet Mbappé " à savoir des parents fous furieux qui veulent absolument que leur " petit Boutchou " devienne footballeur. Malheureusement, le talent ne suffit pas. Pour cela, ils n'hésitent pas à les exhiber sur les réseaux sociaux, sur toutes les plateformes. Moi, je suis entièrement d'accord avec ce que vous dites, parce qu'ils ne prennent pas compte du danger d'exhiber leurs propres enfants. Et quand malheureusement l'échec, puisqu'il y a très peu qui réussissent, arrive, nous, les clubs, on les récupère complètement détruits. On oublie que c'est des enfants. Je vois des enfants de 7-8 ans, c'est horrible. Et quand on leur dit, ils ne nous écoutent pas. Moi, j'ai écouté très attentivement ce que vous avez dit tout à l'heure, qu'est-ce que l'État peut faire pour y remédier en sachant que ça entraîne aussi des gros dérapages. Moi, j'ai eu un éducateur qui s'était fait poignarder par un parent mécontent. Dans mon club, ça arrivait juste quand vous êtes venu à la cité Benza. D'ailleurs, je vous l'avais présenté et on avait échangé tous les deux. Voilà. Merci, Monsieur le Président.
Emmanuel MACRON
Merci beaucoup. Ce que vous décrivez est beaucoup plus large, mais ça va avec. On est dans une société... D'abord, ça a toujours existé des parents qui rêvent le meilleur pour leurs enfants. Là, simplement, ça passe à la surmultipliée parce que tout le monde peut les voir et tout le monde les met sur les réseaux. C'est ça, le problème. C'est qu'il ne faut pas non plus mettre tout sur le dos des réseaux sociaux. C'est un accélérateur de choses qui ont toujours existé avant.
Mais en fait, tout ça nous ramène sur l'importance du réel et de nos structures de vie. C'est-à-dire qu'on redécouvre l'importance de la famille, de l'école, des associations, c'est-à-dire de ce qui fait qu'on n'est pas juste tout seul avec des millions ou des milliards de gens. Et c'est un peu ça l'effet pervers des réseaux. C'est formidable, c'est galvanisant. Attendez, même quand vous êtes candidat à la présidentielle ou quand vous voulez passer des messages, vous êtes Président, c'est formidable, vous mettez un message, quelques minutes après, vous pouvez dire : des millions de gens m'ont vu. Ils vous ont vu, ils vous ont lu. Est-ce qu'ils vous ont compris ? Vous n'êtes pas toujours sûr ? Parce que chacun peut partir de travers dans tous les sens, je peux vous le dire. Mais parce qu'il n'y a pas ces structures intermédiaires. Donc ça monte à la tête aussi de beaucoup. Donc je pense que l'importance dans ce moment, c'est de refroidir un peu le moteur, si je puis dire et de prendre le temps de former nos jeunes, nos ados, et c'est pour ça qu'il faut les protéger, les éduquer, ça, c'est le rôle des familles, les instruire, ça, c'est le rôle de l'école, et les accompagner, c'est le rôle des clubs de foot, des associations sportives, des associations en sens large, parce que c'est comme ça qu'on arrive à les faire monter.
Donc la clé pour moi, c'est, 1) d'envoyer aujourd'hui un message clair : avant un certain âge, ce n'est pas bon. Ça, c'est pour les jeunes. En même temps, on envoie un message aux familles. Jusqu'à présent, on n'était pas clair avec les familles. On ne savait pas si c'était bon ou pas bon, les réseaux sociaux, s'il fallait y aller ou ne pas y aller. Il faut bien dire les choses. Là, on envoie un message clair. Et 3) de responsabiliser les familles pour dire, laissez vos enfants grandir et prendre le temps de grandir. Au fond, c'est dans le dialogue avec les maîtres, les éducateurs, que vous allez comprendre si vous avez affaire à Mbappé et Mozart ou pas. Et d'ailleurs, je le dis aussi pour beaucoup de familles, ce n'est pas forcément comme ça que votre enfant sera le plus heureux. Mais il faut lui faire faire tout le parcours. Mbappé est un bon exemple, c'est aussi un jeune qui a un talent fou pour le foot, mais qui a été très accompagné par sa famille, par ses premiers clubs, qui a gardé la tête froide et qui a aussi continué ses études très longtemps. Merci d'avoir ce mot pour beaucoup de jeunes, parfois les parents ou l'entourage voudraient les sortir. Voilà. Il faut prendre le temps de grandir et de faire un adulte.
Ce que vous décrivez est encore plus large, mais c'est, au fond, on réapprend à faire société. Je sais que c'est dur, mais c'est grâce à des clubs comme vous et des associations. Notre rôle, c'est ça. Donc le rôle de l'État, c'est, au fond, de donner une norme sur la base de la science, de dire maintenant, on envoie un message clair aux familles, d'être en soutien des familles, des enseignants, des associations, et de vous accompagner dans ce travail qui reste essentiel d'éducation, d'instruction, d'accompagnement.
Animateur
Merci, Monsieur le Président. Je vous propose qu'on ouvre la deuxième thématique de cette rencontre, la désinformation et les ingérences étrangères.
Intervenant
Monsieur le président, bonjour. Je suis étudiant à l'école 42, une école informatique. À côté, j'ai monté ma boîte où j'aide les entreprises à gagner du temps. J'ai une question pour vous. À l'heure où la désinformation et les ingérences étrangères exploitent pleinement nos réseaux sociaux, comment l'État peut-il protéger le débat démocratique sans porter atteinte à la liberté d'expression et aider les citoyens à distinguer plus clairement un fait d'une opinion ?
Ayant personnellement quitté les réseaux sociaux depuis un an, pour me protéger de la désinformation, de la dépendance et de l'influence algorithmique. Je me demande si l'État envisage de renforcer la visibilité de sources d'informations fiables et vérifiées afin d'aider les citoyens, notamment les jeunes, à mieux s'orienter dans le flux d'informations.
Emmanuel MACRON
Elles sont majeures, mais après, je vais essayer de cadrer les choses parce que je pense qu'il y en aura d'autres. Parce qu'en fait, c'est un continuum, on voit bien, même dans le débat public qu'on a eu ces dernières semaines, il y a eu beaucoup de confusion. Vous avez parfaitement raison, le grand risque, c'est de dire, j'ai pu lire avec étonnement que vous disiez que j'étais devenu un grand totalitaire qui allait tout interdire. Non, mais c'est un peu le débat qu'on a depuis tout à l'heure.
Qu'est-ce qui se passe ? D'abord, c'est tout à fait normal que dans les réseaux sociaux, il y ait des informations, des faits, des opinions, ce sont des choses différentes. Mais il y a une grande confusion dans le statut. Je pense qu'il faut qu'on s'accorde sur le fait de dire qu'une information et le fonctionnement d'une démocratie supposent comme sous-jacent d'avoir une circulation libre d'une information forgée librement et de manière indépendante. C'est un métier, c'est un travail. Moi, je ne produis pas de l'information. Je vais produire des positions, je vais pouvoir me référer à de la science. Certains me diront que je fais de la communication, je vais donner des avis.
Mais je crois que l'information, c'est le métier de gens qui sont journalistes. Et ça, c'est le premier point qui est important, qu'il faut bien recadrer, parce qu'au fond, c'est quelque chose qu'on a appris avec la démocratie. On revient un peu comme au XIXe siècle en ce moment. On a mis tout le XIXe siècle à bâtir notre système de presse. Ce sont les lois des années 1880 qui ont créé la presse. Pourquoi ? Parce que tout le long du XIXe, on a des journaux qui se sont créés. Mais ces journaux, souvent, ils informaient, ils donnaient des opinions, ils pouvaient être manipulés, c'était la loi du plus fort ou du plus riche. Mais il n'y avait pas tellement de déontologie. Les lois de la Troisième République dans notre pays, qui d'ailleurs sont celles qui ont permis de créer vos titres dans La Provence et qui ont structuré notre presse quotidienne régionale et nationale, ce sont des lois qui ont garanti l'indépendance des journalistes, mais qui ont créé aussi un système de responsabilité. Ce qui fait que si La Provence dit quelque chose qui est faux, je peux demander un droit de réponse, mais je peux aussi aller chercher sa responsabilité. Il va y avoir un rédacteur en chef, quelqu'un qui a une responsabilité d'éditeur de presse, qui va, devant les tribunaux, pouvoir être mis en cause par moi-même si je considère qu'il a dit quelque chose qui me nuit, il a dit une contre-vérité ou il m'a porté tort. Ça, c'est très important parce qu'il n'y a pas de liberté d'informer sans responsabilité qui va avec et sans déontologie journalistique qui va avec. Je le redis, ça n'est pas l'affaire de l'État. Ce n'est pas l'État qui bâtit cette information, mais c'est ce cadre de la presse libre et indépendante.
Ça, aujourd'hui, ce ne sont pas les réseaux sociaux. Si demain, quelque plateforme que ce soit dit quelque chose qui est totalement faux sur vous, vous crée du tort et autre, elle n'a pas vraiment de responsabilité. Vous ne pouvez pas la mettre au tribunal. Et elle ne produit pas d'informations. Et comme j'ai dit tout à l'heure, d'ailleurs, ce n'est pas son point. Donc ça, c'est le premier élément distinctif qu'il faut faire. Il est fondamental. Et donc si vous voulez vous informer, vous pouvez aller sur les réseaux, mais allez chercher les sites de titres d'informations, c'est-à-dire de journaux connus, parce que c'est comme ça que vous aurez la certitude d'avoir de l'information. Sinon, vous aurez des avis, et je ne sais pas vous dire s'ils sont vrais ou s'ils sont faux.
Ensuite, face à cette complexité, vous l'avez dit tout à l'heure, cette surabondance, des journalistes, de manière indépendante, libre, ont dit qu'il faut mieux distinguer nos titres des autres, et ils ont voulu créer des labels. Et je le redis, et je l'ai déjà dit plusieurs fois, ce ne sont pas des labels d'État, ça ne doit surtout pas être des labels d'État. C'est une initiative qui a été prise par Reporters sans frontières, avec des certificateurs, mais un peu comme, d'ailleurs, il y a des bureaux Veritas ou autres, ils ont dit : on crée une initiative entre journalistes pour dire là, on a vraiment des règles très déontologiques sérieuses. C'est par exemple ce qu'on a appelé le JTI, qui est Journalism Trust Initiative, donc l'initiative pour la confiance dans le journalisme. Et c'est des journalistes qui s'évaluent entre eux pour dire là, c'est vraiment des titres.
Pourquoi ? Parce que vous avez des tas de faux journaux qui se créent. Vous avez des tas de gens qui vous mettent des rossignols en ligne ou qui écrivent une feuille de chou qui n'ont rien à voir avec des journaux, qui n'ont pas déposé, qui n'ont pas le statut et qui font croire qu'ils sont des journaux. Mais ça, si je puis dire, c'est quelque chose qui est géré par les journalistes, c'est pas du tout l'État qui doit le faire.
Ensuite, vous avez la question de la fausse information, qu'on appelle la fake news. C'est un statut très particulier. Vous allez lire quelque chose, ce n'est pas un journal qui l'écrit, ce n'est pas un titre de presse, sur vous, sur quelque chose que vous savez qui est faux. Ça, c'est très difficile à réguler, le vrai du faux. C'est par le débat, la controverse, c'est par la preuve apportée que vous allez pouvoir le démêler. Mais c'est très difficile, y compris pour le juge, d'identifier ce qui est faux. C'est par définition une zone beaucoup plus grise et elle existe dans la vie. Ça peut être la rumeur qu'on colporte, la fausse information. Elle prend une ampleur beaucoup plus grande dans les réseaux sociaux. Mais là, je ne vais pas vous mentir, il n'y a pas de remède miracle face à ça. Il y aura toujours des vraies et des fausses nouvelles comme il y en a dans la vie. Simplement, elles prennent une proportion plus grande. Ce qu'il faut pouvoir établir, c'est simplement quand ces nouvelles prennent une volumétrie, qu'elles sont identifiées et qu'elles créent du tort pour quelqu'un. À ce moment-là, il faut pouvoir identifier quand même une responsabilité des plateformes. Ça, c'est ce qu'on a mis en place au niveau européen avec la directive sur les services numériques. On leur a dit, à partir d'un certain niveau, vous avez quand même une forme de responsabilité sur ce que vous publiez. Et si c'est de manière évidente faux, et si de manière évidente, ça crée du tort à quelqu'un, je peux aller chercher votre responsabilité. Ça, c'est le tout début. L'Europe, c'est le seul endroit où on l'a fait et on doit continuer. Et nous, ce qu'on veut faire là-dessus, c'est renforcer les choses, aller beaucoup plus loin.
Troisième élément, c'est dans les temps électoraux, parce que vous avez parlé des ingérences. On y reviendra peut-être pour les ingérences étrangères, mais pendant les périodes d'élections, vous êtes candidat à la mairie de Marseille, si je dis quelque chose de faux sur vous, ça va vous créer du tort. Je dois pouvoir le freiner. On a mis en place ce qu'on appelle un référé électoral. Simplement, on ne l'utilise pas assez. Et donc là, on va faire ce qu'on appelle une circulaire pénale. Et ça, c'est un frein d'urgence. Je dis un truc qui est totalement faux. Vous le savez, mais pénalement, je ne peux pas tout de suite le faire retirer. Référé électoral, ça va troubler l'élection. Je dois pouvoir le retirer. Sinon, ça vous porte un tort et ça va fausser l'élection. Parce que les réseaux sociaux, par ce fonctionnement, faussent nos élections de manière claire. Et donc là, c'est le référé électoral.
Le dernier point, c'est le contenu manifestement illicite. Un contenu raciste, antisémite ou qui pousse à la haine, celui-ci, on doit pouvoir le retirer. Aujourd'hui, on a une organisation, on a ce qui s'appelle Pharos, qui est une plateforme qu'on a mise en place, qui va chercher justement ces raisons. On a créé des dispositifs d'État. Donc, ce n'est pas une fausse information, c'est une information qui va mettre votre vie en danger ou qui, comme la loi l'interdit depuis des années, a un contenu très clairement ou raciste ou antisémite, etc. À ce moment-là, on doit le retirer, on doit mettre en cause la responsabilité de la plateforme. Est-ce que ça marche ? En théorie, oui. Mais le Président que je suis doit, en toute honnêteté, vous dire, en pratique, moyen. Parce qu'on le fait à la main, ce n'est pas satisfaisant. Le seul moyen de le rendre satisfaisant, c'est d'aller au bout d'une responsabilité pleine et entière de ces plateformes. Parce qu'aujourd'hui, c'est cette plateforme Pharos qui va aller regarder à chaque fois avec des moyens limités, elle va essayer de les faire retirer. Généralement, ça marche. Alors moi, j'ai un mauvais échantillon parce que c'est souvent ce auquel je m'intéresse. On y reviendra peut-être pour les ingérences. Mais il faut que ce soit systématique.
En fait, ce qu'il faut pouvoir dire, c'est tel réseau social, vous ne l'avez pas fait, si vous ne l'avez pas fait, on vous met tant de millions d'euros d'amende. Il n'y a que comme ça que ça peut marcher. Donc, ce qu'on veut maintenant passer au niveau européen, c'est des amendes beaucoup plus immédiates et fortes sur ces réseaux sociaux qui ne coopèrent pas et qui ne retirent pas tout cela. Voilà. Pardon, c'était un peu long, mais parce qu'il faut bien différencier les statuts entre les informations ou ce qu'on lit sur les réseaux.
Animateur
Des amendes sans aller, évidemment, comme certains Français le réclament, à des suppressions de sites, de plateformes et de médias.
Emmanuel MACRON
Mais je pense qu'il faut des escalades. Alors, on parle là de plateformes. Cette directive sur les services numériques, dite DSA, pour Digital Services Act, c'est la France qui l'a poussée sous sa présidence de l'Union européenne en 2022. Elle est finalisée début 2023. Vous imaginez qu'on a fait la première action contre la plateforme X il y a 15 jours. Donc, ça ne marche pas super vite quand même. On l'a fait, les montants sont très limités. On a mis sur 3 ou 4 actions qui étaient poursuivies, ça va faire 120 millions d'euros. Ce n'est pas encore dissuasif. Donc, il faut qu'on ait une escalade que ce soit beaucoup plus dissuasif et qu'après, on vous retire un agrément.
Je vais vous donner une comparaison très simple. C'est exactement pour moi comme les assureurs. Quand vous avez un assureur, on ne peut pas contrôler toutes les opérations d'un assureur. C'est comme pour un réseau social, il y a trop d'opérations. Donc, qu'est-ce qu'on fait ? On a mis des obligations. On dit : « on regardera régulièrement si vous le faites, soit si les gens disent que ça n'a pas bien été fait, ou par des stress tests. Si on s'aperçoit par contre que vous ne l'avez pas fait, faites gaffe, l'amende, elle va être mirobolante ». On l'a fait. Et puis, au bout d'une ou deux amendes, ou si c'est très grave, on vous retire votre agrément. On le fait pour l'argent. Pourquoi on ne le fait pas pour nos cerveaux ? Pourquoi on ne le fait pas pour un fonctionnement démocratique ? Pourquoi on ne le fait pas pour le cerveau de nos jeunes, la vie de nos jeunes ? C'est exactement la même chose.
Donc, on doit faire un système où on dit : on ne va pas pouvoir vous regarder tous les matins, mais voilà les règles, si vous ne les respectez pas, c'est-à-dire vous devez, sur ces contenus racistes antisémites, dans X temps les retirer, vous devez, si on vous a signalé plus d'autant de fois des contenus qui posent problème, vous devez avoir une modération et revenir vers nous. Et donc, il y a un cahier des charges, si vous ne le faites pas, responsabilité avec des amendes très fortes. C'est ça, maintenant, la deuxième étape du combat européen. Ça, c'est européen, ce n'est pas français. L'interdiction mineure, c'est français, on va le faire début d'année prochaine. Ça, c'est le combat européen qu'on lance l'année prochaine.
Intervenannt
Monsieur le Président, bonjour. Nous accueillons et échangeons avec beaucoup de nos clients dans cette période, ce qui m'amène à vous poser la question suivante. Comment la France peut-elle gérer une désinformation et des ingérences étrangères qui ont une influence directe sur notre économie en contribuant à un climat anxiogène malgré cette période de fête ?
Emmanuel MACRON
Vous avez raison et c'est pour ça qu'on est là. Et je vais vous dire, aujourd'hui, ça ne marche pas terrible. Alors, je ne suis pas pour qu'on arrête d'être une démocratie, je vous rassure, parce que beaucoup disent : « il faut y aller, qu'il faut être beaucoup plus dur, etc ». Non, parce qu'en fait, on n'arrive pas à tout couper d'un coup. Il ne faut pas tout couper d'un coup.
La question, c'est comment on arrive ? Alors, on a déjà avancé depuis tout à l'heure en disant qu'il faut créer des systèmes de responsabilité. Il faut faire de la pédagogie collective, redire aux gens, si vous voulez vous informer, mais il faut lire des journaux. Si vous voulez vous informer, il faut accepter de payer pour vous informer. Et je trouve que la chose un peu malsaine dans laquelle, on est rentré ces 10 dernières années, c'est qu'on s'est habitué, comme démocratie, à dire : " l'information n'a plus de coût. " Donc, implicitement, on est en train de dire : " elle n'a plus de valeur. " Ce n'est pas possible. Voyez bien, ça veut dire qu'on est en train de s'habituer à quelque chose qui est : ce n'est pas vraiment de l'information qu'on est prêt à ne pas payer pour. Ce n'est pas ça. Si on veut qu'il y ait des gens qui fassent le travail d'informer, il faut accepter d'avoir un modèle économique qui marche derrière et donc de payer. C'est modique. Ou alors de dire, c'est un vrai débat qu'on va lancer aussi dans les prochains mois, si vous ne voulez pas le payer par numéro, on dit que c'est un bien commun, alors ce bien commun, on doit le financer comme citoyen. Vrai débat. Il y a d'ailleurs des accords et des désaccords. Vous avez beaucoup de journalistes qui vous diront " jamais de la vie ". Moi, je ne veux pas de ça. Ça, c'est une fonctionnarisation. Mais aujourd'hui, c'est le pire des systèmes. On dit au fond : " l'information, ça ne vaut rien, donc je ne la paye pas et on ne fait plus le distinguo. "
Alors néanmoins, au-delà de ce que j'ai déjà dit tout à l'heure sur la responsabilité et la clarification entre ce qui est un titre d'info et ce qui ne l'est pas, il y a des choses qui, aujourd'hui, ne vont pas, qu'on doit clarifier, sur lesquelles les démocraties ouvertes que nous sommes sont beaucoup trop faibles et qui créent des ingérences étrangères.
La première, c'est l'existence de faux comptes. Aujourd'hui, vous pouvez avoir des gens qui activent des faux comptes, des fermes à trolls, etc., et qui vont pousser des contenus pour vous affaiblir. Aujourd'hui, le paradoxe, c'est que ces grandes plateformes généralement américaines, parfois chinoises, dans les périodes électorales ou les périodes où c'est difficile, ont parmi leurs plus beaux clients, les Russes, qui leur achètent des faux comptes par centaines de milliers ou millions pour pousser massivement des contenus et réussir à pousser des fausses informations ou amplifier des informations qui étaient en train d'émerger. Ça vaut dans les deux cas. Aujourd'hui, quand vous ouvrez un message, que vous regardez et qu'on dit que c'est vu 12 millions de fois, c'est retweeté ou liké, vous ne savez pas dire s'il y a des personnes physiques derrière ou si ce sont des faux comptes.
Alors, tout le monde y trouve son compte, si je puis dire, avec ces plateformes, parce qu'ils gagnent de l'argent par ses achats. Ça, on doit l'interdire. En tout cas, on doit exiger des plateformes que derrière chaque compte, il y a bien une personne physique et pas potentiellement un faux compte ou un troll, parce que ça, ça fausse tout. Premier point.
Le deuxième point qui est fondamental, à mes yeux, c'est la transparence des algorithmes. Aujourd'hui, les contenus, ils sont poussés. Quand c'est la Provence, vous avez un rédacteur en chef qui pousse ses contenus, qui décide de la une, de ce qu'il va mettre en page 2, en page 3. Vous pouvez être d'accord, pas d'accord. Il y a une responsabilité. Généralement, c'est collectif, c'est un choix éditorial. Quand vous allez sur un réseau social, qui pousse les contenus que vous allez voir ? Ce n'est pas vous qui allez les chercher librement. Ils ne sont pas poussés par des gens qui ont discuté, qui vous disent " voilà ma ligne ". Ils sont poussés par un algorithme dont les finalités sont généralement économiques, c'est-à-dire, il a repéré ce qui créait de l'excitation chez vous. D'ailleurs, vous en avez tous fait l'expérience. Vous avez posé une question sur tel appareil, et bizarrement, une heure après, deux heures après ou le lendemain, on vous pousse un contenu sur ce type d'appareil ou une publicité, la vie est bien faite. Bon, il vous pousse les contenus, c'est son algorithme. Mais cet algorithme, il peut aussi être utilisé politiquement. Et il se trouve que certains propriétaires aujourd'hui des réseaux sociaux, ils ont des combats politiques. Deuxième élément, on doit avoir la transparence des algorithmes et pouvoir les contrôler. Supprimons les faux comptes, demandons la transparence des algorithmes pour les contrôler.
Le dernier point, nous voulons pouvoir obtenir le retrait beaucoup plus rapide des comptes qui sont de manière manifeste des ingérences, manifeste. Pour vous dire qu'on est très loin d'y être, je vais vous donner une expérience réelle toute récente. Dimanche, là, on m'envoie depuis l'étranger, un de mes collègues africains, pour tout vous dire, un message Facebook. Et il me dit, " cher Président, qu'est-ce qui se passe chez vous ? Je suis très inquiet ". Il m'envoie un message Facebook ; crise agricole, etc., on voit une journaliste qui est à côté de l'Élysée, etc., qui dit, il y a eu un coup d'État en France, un colonel a pris le pouvoir. Alors, nous, ça nous fait marrer. 12 millions de vues. Moi, président de la République, comme auraient dit certains, je demande à mon équipe, quand même ce truc-là, ce n'est pas possible, en plus dans cette période, demandez tout de suite à la plateforme de le retirer. La plateforme Pharos appelle Facebook. Elle dit, il faut retirer ce truc. Regardez, de manière évidente, ça crée le chaos. C'est exactement ce que vous dites, c'est inquiétant. Et votre client qui vient vous voir ce jour il se dit qu'il y a un coup d'État à l'Élysée avec un colonel qui a pris le pouvoir, etc., peut être inquiet. Réponse de Facebook : " Ça ne contrevient pas à nos règles d'utilisation ". Refus de retrait. J'ai tendance à penser que j'ai plus de moyens de pression que qui que ce soit, en tout cas, c'est peut-être plus simple pour leur dire que c'est grave si c'est moi qui appelle, mais ça ne marche pas.
Donc, vous voyez qu'on n'est pas équipé comme il faut. Donc, je suis pour un débat libre, ouvert, mais ces gens-là se moquent de nous. Ils se foutent de la sérénité des débats publics, ils se moquent de la souveraineté des démocraties, Et donc, ils nous mettent en danger. C'est pour ça qu'il faut réussir quand on a, et il ne faut pas du tout que ce soit le fait du prince, avec une procédure votée par le législateur, mais au niveau français et européen, quand on a des contenus manifestement faux qui mettent en danger la sécurité publique par des fausses informations qui déstabilisent, il faut pouvoir les faire retirer. Merci beaucoup.
Intervenant
Monsieur le Président, bonjour. Je suis président de Kiro, entreprise française de la French Tech 2030, dont la mission, c'est d'assurer justement une information de qualité pour le patient, mais aussi pertinente pour le professionnel de santé, et le tout grâce à l'intelligence artificielle qu'on construit en France. On est aujourd'hui leader sur ce sujet en Europe avec 3 millions d'utilisateurs. Et pourtant, à cause de la réglementation et à cause du principe de précaution, nos projets sont complètement bloqués en France alors qu'ils bénéficient d'un financement de l'État et qu'on travaille avec des établissements publics. La conséquence, elle est simple. En trois mois, notre technologie a avancé plus vite aux Émirats arabes unis qu'en un an et demi en France. Ça veut dire que si Kiro ne veut pas perdre la bataille de la concurrence étrangère et notamment de nos concurrents chinois ou américains, on va probablement devoir entraîner nos algorithmes à l'étranger avec des biais d'autres pays. On va devoir former des ingénieurs et des médecins là-bas. Ça veut dire aussi qu'on risque d'importer notre technologie ensuite plus cher, avec un risque de biais qui va être inhérent à la vision du monde de ces pays, alors même qu'on est une entreprise française. C'est paradoxal, mais aujourd'hui, le principe de précaution risque de tuer le principe d'innovation. Je reste un optimiste. On se bat pour le système français, mais il faut qu'on lève certains freins et qu'on agisse pour l'innovation française et l'accès à une information fiable.
Ma question, elle est simple, Monsieur le Président, dans ce contexte de désinformation, le principal danger, est-ce que ce n'est pas finalement celui d'une ingérence discrète, un peu plus pernicieuse ? Celles qui nous condamnent, faute d'innovation rapide en France et d'excès de réglementation, à devoir développer des technologies hors de France, avec un risque immédiat d'intégrer la vision du monde d'autres pays, des biais qui pourront avoir un impact sur la qualité des informations, sur la santé des patients et, plus généralement, sur l'intérêt général de notre pays.
Emmanuel MACRON
Merci beaucoup. Alors, moi, je suis prêt à regarder peut-être de manière plus spécifique, ce qui bloque, si c'est des tests cliniques ou l'utilisation de l'IA pour certaines cohortes, parce que c'est un sujet qui est un peu décalé par rapport au reste, et je pense d'ailleurs qu'il ne faut pas les opposer. Moi, vous savez le combat que je mène depuis 9 ans pour l'innovation dans le pays, pour qu'on avance et qu'on lève les freins. On les a levés parce qu'on est le pays d'Europe qui crée le plus de start-up et qui, en Europe continentale, est très clairement en tête sur l'IA. Après, sur IA et santé, vous avez tout à fait raison. En vrai, ce n'est pas que IA d'ailleurs. On a un sujet sur les tests cliniques, la rapidité de nos procédures qui aujourd'hui nous paralysent et fait que le cas malheureusement que vous décrivez n'est pas isolé. On a beaucoup de startups qui sont en train de se créer, parfois même dans nos structures publiques, qui, par la lenteur de nos tests cliniques ou de nos procédures, vont faire leur première cohorte et enregistrer hors d'Europe, parce que c'est, au fond, un sujet européen, et on perd, du coup, de l'opportunité. Je n'opposerai pas les deux. On a besoin de protéger nos jeunes, on a besoin de protéger notre démocratie, et en même temps, on a besoin, en effet, d'être très innovants parce qu'on ne veut pas d'ingérence, mais on veut réduire nos dépendances. C'est tout le combat européen qu'on mène. Demain, j'aurai l'occasion encore de m'exprimer sur ce sujet au Conseil européen. On a besoin d'une Europe qui innove et qui innove plus vite et plus fort.
Alors, est-ce qu'il faut forcément opposer le principe de précaution ? En tout cas, si le principe de précaution, il n'a pas en face de lui un principe aussi fort d'innovation, il inhibe tout. Et la réalité, c'est ce que vous dites, et on le voit en vrai dans tous les secteurs. C'est un peu ça qui rend tout le monde très nerveux. C'est l'incohérence d'une action publique qui vient demander aux producteurs dans notre pays de respecter de plus en plus de normes avec des tas de bonnes raisons, mais qui, en même temps, est ouverte à tous les vents et permet de réimporter des produits qui sont faits à l'étranger qui ne respectent pas du tout les mêmes normes. Donc, on est en train de recréer des dépendances. Ça, c'est fou. Donc, il faut qu'on resynchronise les obligations qu'on donne à nos producteurs et celles qu'on impose aux gens qui importent chez nous. Beaucoup de débats qu'on a, sont là-dessus. Donc nous, la mère des batailles au niveau français européen, c'est de simplifier les règles, c'est un des gros agendas qu'on a et qu'on pousse d'ailleurs en franco-allemand, pour pouvoir en effet innover beaucoup plus vite.
Sur votre cas particulier, je suis tout à fait prêt à le regarder et à voir comment on peut vous aider, en particulier sur le sujet santé, mais de manière plus large, tout ce qu'on se dit pour lutter contre les ingérences va avec une politique redoublée de souveraineté numérique et technologique. Qu'est-ce que ça veut dire ? Permettre d'innover, de développer, de créer ou de rapatrier des blocs de technologie dans notre pays. C'est ce qu'on fait et c'est ce qu'on fait à Marseille, d'ailleurs, avec des data centers, avec des modèles de calcul, etc, parce que c'est un des points sur lesquels on a été très dépendants, et c'est ce qu'on doit faire tout le long de la chaîne de valeur. Donc, je vous promets qu'on va regarder de très près votre cas pour pouvoir rattraper nos amis Émiratis et, surtout, vous garder à la maison.
Animateur
On va ouvrir le troisième point qui est aussi très important, l'éducation aux médias. On va parler de nouvelles technologies et d'intelligence artificielle.
Intervenant
Bonjour, Monsieur le Président. En tant que principale d'un collège REP+ à Marseille 14ème, je mesure chaque jour l'engagement des équipes de l'Éducation nationale face au cyberharcèlement, à l'intelligence artificielle et l'usage des réseaux sociaux. Nous agissons donc dans un cadre fixé par l'Institution qui relève de la prévention, des sanctions lorsque c'est nécessaire, d'un accompagnement éducatif des élèves et des familles. Cet engagement a été mis à l'épreuve récemment. Le décès d'un jeune de 14 ans du quartier a profondément marqué nos élèves. Les réseaux sociaux ont largement diffusé et commenté ce drame, allant jusqu'à mettre en scène l'agonie de ce jeune à travers des images répétées. L'impact émotionnel a été immédiat.En responsabilité, nous avons ouvert une cellule d'écoute en appui avec les équipes mobiles académiques de sécurité et engagé un travail pédagogique sur les images, leur transformation et leur circulation.
Cependant, 15 jours plus tard, nous avons été confrontés à une autre situation. Des élèves ont utilisé, via les réseaux sociaux, le compte Fisha, pour ne pas le citer, pour transformer numériquement des photographies d'élèves et d'adultes de l'établissement. Nous avons appliqué les sanctions prévues, mais surtout renforcé l'accompagnement éducatif en lien étroit avec les familles et nos partenaires. Ces situations, Monsieur le Président, montrent combien les usages numériques évoluent vite, très vite, notamment avec l'intelligence artificielle, et combien ils rendent les élèves plus vulnérables.
Ma question est donc la suivante : Comment l'État entend-il renforcer concrètement les moyens de l'Éducation nationale en formations, en outils opérationnels et en cadres réglementaires clairs pour permettre aux établissements, en particulier en REP+, de faire face à ces nouvelles formes de cyberharcèlement et de mieux protéger les élèves ? Je vous remercie.
Emmanuel MACRON
Merci beaucoup, merci pour votre engagement et ce que vous venez de décrire. D'abord, vous venez d'illustrer parfaitement, je crois, pourquoi il faut en arriver à l'interdiction. Je dirais, la première chose, c'est qu'on doit donner une norme, vous protéger et permettre de mettre à distance aussi ces instruments quand ils ne peuvent pas être régulés et qu'ils produisent le pire.
Je fais une remarque d'ailleurs adjacente. Il n'y a rien à voir avec de la liberté d'expression quand il s'agit de laisser des contenus qui choquent et qui montrent le pire. Je le dis parce que c'est toujours dans le débat qu'on a, et vous le voyez bien, on dit : on nous parle de free speech. Ça n'a rien à voir avec le free speech de montrer l'indécence. Ce n'est pas vrai. Nous pratiquons là aujourd'hui, on pratique chaque jour la liberté d'expression, on la connaît bien dans notre pays, ce n'est pas être indécent, la liberté d'expression, parce qu'avec elle va, justement, une décence publique qui consiste à ne pas choquer l'autre, à ne pas l'insulter. Je ferme cette parenthèse.
Ce qu'on veut faire pour l'école, nous, c'est d'abord la protéger. Votre rôle n'est pas de tout faire et de prendre tous les maux de la société. Or, aujourd'hui, vous êtes un peu confrontés à ça parce qu'on a laissé trop de choses se faire autour. Je veux ici redire comment on va scander les choses un petit peu dans le temps. Premier élément, je ne l'ai pas rappelé tout à l'heure, mais pour moi, c'est peut-être la base. Maintenant, on sait que les écrans avant 3 ans, c'est mauvais. Et donc la norme, ce n'est pas d'écran avant 3 ans. Enfin, ce n'est pas une grande loi qui va régler cette affaire, mais c'est de le mettre dans tous les services d'État qui ont les enfants de moins de 3 ans à gérer, mais c'est que nous tous, on ait conscience de ça, dans la pression qu'on exerce quotidiennement, dans les transports en public ou autre, à l'égard des familles qui ont des jeunes enfants à accompagner. Ensuite, entre 3 à 6 ans, pas trop d'écran, le moins possible. Et puis ensuite, dans la vie pédagogique, il faut limiter le rapport à l'écran. Il ne s'agit pas de passer au zéro écran, mais on voit bien que tous ceux qui étaient passés au tout écran reviennent en arrière.
À côté de ça, on a le portable. Beaucoup de vos jeunes dont vous parlez sont des jeunes qui ont le portable, qui l'ont en cours, etc. On a fait des expérimentations ces dernières années. Les retours ont été bons. En fait, pour protéger, accompagner les enseignants, la communauté pédagogique, moi, la leçon que j'ai tirée de ces dernières années, il faut donner une norme nationale derrière laquelle vous pouvez, en quelque sorte, pas vous réfugier, mais que vous pouvez opposer aux familles et aux élèves. Sinon, toute la pression vous revient à vous, et c'est là qu'on a les problèmes. La norme nationale, maintenant, c'est de dire, évidemment, à l'école et au collège, depuis septembre dernier, plus de portables, de la cloche à la cloche, dans le casier, dans le cartable, plus de portable de la cloche à la cloche, partout en France, zéro exception. Septembre prochain, dans tous les lycées, les lycées pros. De la cloche à la cloche, du début à la fin, dans l'établissement, il n'y a pas de portable. Ça, c'est quelque chose qui va beaucoup protéger, les enseignants, la communauté pédagogique. Ça, plus l'interdiction des réseaux sociaux sur les moins de 15 ans, c'est un vrai changement parce que vous ne serez plus confrontés à ces types de situations.
En parallèle, dans la formation des enseignants, on est en train de mettre des modules, justement, de formation à l'éducation, aux médias, aux réseaux sociaux. Avec les rectorats, le ministre de l'Éducation nationale, qui est très engagé sur ce sujet, va mettre en place des modules, justement, de formation. Mais en fait, on doit faire les deux. On ne peut pas vous demander de tout faire aujourd'hui alors que vous êtes exposés à tout. C'est pour ça qu'il faut refroidir, si je puis dire les choses, protéger nos enfants et nos adolescents, recréer une norme nationale qui était trop ambiguë, voire qui n'existait pas jusqu'alors, responsabiliser les familles qui doivent jouer leur rôle — L'éducation, c'est les familles. L'instruction, c'est vous. — et engager avec le périscolaire. Ce qu'on va devoir faire dans les prochains mois, c'est aussi pour ça que je fais tous ces débats, avec les associations, avec la communauté pédagogique, c'est de passer le message aux familles et de les responsabiliser, parce que ce n'est pas vous qui pouvez tout gérer. Voilà.
Intervenant
Bonjour Monsieur le Président. Je viens d'être diplômé d'HEC. Je suis membre des South Winners, donc le groupe de supporters de l'OM dans le virage Sud du Stade Vélodrome. Et je suis le fondateur du Protis Club, qui est une association qui recrute des jeunes dans tous les milieux sociaux de Marseille, quartiers Nord et Sud, pour leur permettre d'unir leur force au-delà des fractures, de révéler leur potentiel et de s'accomplir sur le plan personnel et professionnel.
Ma question, elle va porter sur la réussite des jeunes, parce que les réseaux sociaux, ils sont capables de créer le pire comme le meilleur. Mais un jeune qui les maîtrise, il peut mettre en lumière ses idées et ses projets pour, justement, fédérer des soutiens, renforcer son impact et même être une source d'inspiration pour tous les autres. Ma question, c'est est-ce que votre engagement sur ce sujet, qui est important, et aussi votre engagement pour Marseille, peut être l'occasion de repenser le modèle d'éducation et d'enseignement supérieur pour intégrer cet aspect et apprendre aux jeunes à faire des réseaux sociaux aussi un tremplin de leur rayonnement et des projets qu'ils pourront entreprendre ?
Emmanuel MACRON
Oui, mais ça, vous l'avez parfaitement dit. Aujourd'hui, d'ailleurs, il y a beaucoup d'innovation dans nos réseaux sociaux. Ce sont des relais aussi, mais parce que depuis tout à l'heure, on parle, c'est normal, c'est un peu le débat, des difficultés qu'on peut voir et de ce qu'il faut réguler. Mais je l'ai dit dès le début, ça peut être le meilleur aussi à côté du pire. Ce sont des réseaux qui permettent de connecter des talents entre eux, qui permettent à des jeunes, parfois moins jeunes, très inspirants, de trouver des relais, de partager leurs projets, de leur donner beaucoup plus d'impact. Tout ça, évidemment qu'on veut le développer. Aujourd'hui, on a d'abord des formations qui se sont, ces dernières années, structurées. Dans les différents plans qu'on a mis en place, on a encouragé nos écoles d'ingénieurs, nos universités à développer ces projets et développer ces formations, qui sur l'intelligence artificielle et les métiers qui y sont liés, qui, évidemment, sur la partie plus marketing, parce qu'au fond, on voit bien, il y a deux leviers : il y a le levier très technique et il y a le levier très marketing sur les réseaux sociaux. Il faut développer les deux compétences. Ceux qui réussissent très bien, souvent, ont les deux catégories de compétences.
Evidemment, qu'en même temps, qu'on veut protéger nos jeunes et nos ados, qu'on veut les préparer en les protégeant. On veut ensuite qu'ils aient un rapport le plus positif possible et le plus critique, au bon sens du terme, sur ces réseaux sociaux. On veut qu'ils puissent les utiliser pour des projets positifs, qu'ils soient entrepreneuriaux, qu'ils soient sportifs. C'est aujourd'hui largement le cas. Je dirais qu'ils sont pollués par une négativité qu'il y a encore sur ces messages, qu'il faut pouvoir, justement pousser. Je pense que, notre objectif à tous, c'est de réussir, au fond, à remettre de la civilité dans ces réseaux sociaux, c'est-à-dire permettre à des jeunes ou des moins jeunes d'y pousser leurs projets, de faire connaître leurs projets, leurs ambitions, leurs talents, d'en inspirer d'autres, et de remettre à sa juste place la parole négative. Qu'il y ait de la critique, qu'il y ait du doute qui s'exprime, oui. Que ce soit de la négativité permanente, que ce soit de la défiance, voire de la violence désinhibée, non. Et ça, ça ne se fait pas naturellement, pour les raisons que j'évoquais tout à l'heure, parce que les réseaux vont vous pousser aux extrêmes si on les laisse faire tout seuls. Donc ça ne marche que s'il y a une discipline de groupe.
Cette discipline de groupe, ça s'appelle faire société et faire nation. C'est celle qu'on a aujourd'hui. Si on se laisse aller de manière grégaire tous ensemble aujourd'hui, on va se crier dessus et se taper dessus très vite. On a une discipline de groupe, on se regarde face à face, nous voyons nos visages. On a décidé d'avoir une discussion pendant deux heures de temps, on a décidé ensemble d'avoir un même modérateur, on s'est donné des règles et on s'est dit : on va être peut-être d'accord, pas d'accord, mais on va essayer d'avancer ensemble. Pourquoi on ne peut pas faire ça sur les réseaux ? Bien sûr qu'on peut le faire. Simplement, il faut que les gens qui décident de se ré-attacher à cette règle soient collectivement plus nombreux et qu'ils retrouvent en quelque sorte la majorité. Donc, je suis très favorable à ce que vous venez de dire. C'est à nous de nous remobiliser.
Animateur
Pardon, Monsieur le Président, sur certains réseaux, X, par exemple, il est impossible de faire ce que nous pourrions imaginer là, ce matin : discuter tranquillement sans être totalement d'accord et partager complètement ce qui est dit. Vous avez annoncé que vous pourriez quitter X. Est-ce que, finalement, ce n'est pas un mouvement global qu'il faut lancer sur ces plateformes-là ? Ou faut-il y rester pour observer ce qui s'y passe et réguler ?
Emmanuel MACRON
D'abord, je ne sais pas dire, et ce n'est pas à moi de donner une norme aux uns aux autres, mais je voudrais faire une distinction. D'abord, ça permet à des jeunes, des moins jeunes, de faire connaître ou de connaître. Donc, il y a des intérêts, il y a un aspect positif. Ça permet à des gens de lancer des alertes, de partager. Donc je ne mettrai pas tout dans le même sac. Ce qu'on fait depuis tout à l'heure est très différent. De la même manière que j'ai fait une distinction entre tous les contenus qu'on a sur un réseau social et l'information, être sur un réseau social, envoyer des messages, les lire, scroller des contenus, ça n'est pas la même chose que mener un débat ou faire une délibération. Ça, c'est très important aussi de mesurer, ça ne fait pas démocratie les réseaux sociaux. Parce que c'est un avec la multitude, mais il n'y a pas quelque chose de discursif, d'une part, et de respectueux, d'autre part. Ça, c'est deux points très importants.
La délibération, qui est constitutive de la démocratie, c'est sur la place publique, c'est ce que fait aussi une mairie. C'est ce qu'on fait dans des moments importants de la démocratie, dans nos débats télévisés, dans nos débats aussi sur les places publiques. Nous sommes des femmes et des hommes : on ne va peut-être pas être d'accord, on est à visage découvert, on se donne des règles de parole, on va essayer d'avancer sur des questions, des réponses, on va opposer des opinions de manière respectueuse. Ça n'est pas ce que fait un réseau social et il n'est pas fait pour cela, je le disais tout à l'heure. Donc il ne faut pas déléguer la délibération démocratique aux réseaux sociaux, ce serait une erreur. Par contre, on voit bien qu'on a sans doute un besoin de réinventer ces cadres délibératifs. Je dis ça avec beaucoup d'humilité, du grand débat en passant par les conventions citoyennes, ce qu'on est en train de faire. C'est ce que j'essaie de faire. On a besoin de ces endroits de délibération. Sinon, il n'y a rien entre la solitude et la colère qui explose.
La deuxième chose, c'est que le paradoxe des réseaux sociaux, c'est qu'ils accroissent la solitude. Ça, on ne l'a sans doute pas mesuré, parce que les gens vont du coup moins dans des lieux communs. Ce n'est pas un hasard, si ça prend 4h20 en moyenne par jour, on va moins au café, on va moins dans les associations, on lit moins, on va moins dans les clubs sportifs. Tout ce qui remet du commun, remet de la libération. Quand on va faire du sport dans un club, on rencontre des gens qui viennent d'autres milieux sociaux qui ne pensent pas comme nous. C'est là qu'on confronte les idées. On a une délibération dans le vestiaire. On a une délibération dans le moment de convivialité après le match. C'est une délibération démocratique. On est d'accord, pas d'accord. On en a au café, on en a sur la place publique, on en a dans l'association portant telle ou telle cause dans laquelle on est engagé. Tous ces espaces de vie qui sont la trame d'une vie en société, qui nous sortent de la solitude, ils permettent de construire du commun. Ils sont vitaux pour une démocratie. Les réseaux sociaux, ils nous renvoient à une solitude.
J'ai peut-être des millions d'amis, je les connais très peu. Mais en fait, quelle structure ils ont ? Ce sont plutôt des gens qui me suivent ou que je suis. C'est-à-dire qu'il y a un énorme biais, c'est généralement des gens qui pensent comme moi. Donc, j'ai très peu de délibérations, de controverses. J'ai sélectionné les gens qui pensaient comme moi. Les gens qui sont venus me voir, c'est des gens qui pensaient déjà comme moi. On n'a pas beaucoup de délibérations. Donc, vous avez constamment un biais de confirmation. C'est-à-dire que vous allez, dans les réseaux sociaux, avoir tendance à être surexposés à des contenus qui pensent comme vous, puisque c'est des gens qui vous suivent. Ça, on ne le mesure pas assez. Et donc, si vous êtes un peu sceptique, par exemple sur le vaccin, c'est des gens qui sont un peu sceptiques comme vous qui vont se mettre à vous suivre, puis ils vont vous partager tous les contenus des gens un peu sceptiques comme eux. Très rapidement, on va se retrouver à 3 000 sceptiques sur le vaccin. Assez rapidement, on devient complotiste. C'est exactement ce qu'il se passe. Bilan des courses, vous avez, dans beaucoup de catégories de la société, un recul, par exemple, du taux de vaccination, parce qu'il y a des gens qui croient très sincèrement que c'est dangereux. Alors qu'ils allaient au café, ils parlaient à la sortie d'école ou dans leur association, ils étaient confrontés à d'autres gens qui leur disaient : " Là, tu dis n'importe quoi, je t'assure. Tu as été voir ? Tu connais quelque chose, toi ? Tu as fait de la virologie, tu as vu un toubib ? " Il y avait une contradiction.
Les réseaux sociaux, on sait qu'ils vous enferment dans une solitude, et entre la solitude et la multitude des réseaux, il n'y a pas cette mixité. Il y a ces bulles cognitives. Il y a l'algorithme et la bulle. Ça vous enferme dans un biais. Je crois très profondément qu'on a besoin de recréer des lieux de délibération, mais de considérer qu'on doit aussi discipliner notre rapport au réel qui ne peut pas passer que par ces réseaux.
Animateur
Vous dites en creux de quitter X, quand même ?
Emmanuel MACRON
Non, parce que je crois à la liberté. Je crois que tout ce qu'on fait là, je vais vous dire, c'est la force des démocraties. C'est d'être libre, transparente et d'avoir l'esprit critique. Un régime autoritaire ou totalitaire, il interdit ces réseaux. La Russie, régime autoritaire, elle interdit ces réseaux. Elle les utilise pour nous rendre fous. Nous, on doit pouvoir interdire des choses quand c'est très grave, mais il faut définir les règles conformément à notre Constitution. Je dis les jeunes, c'est très grave. Je dis quand c'est totalement faux ou c'est un contenu illicite, c'est très grave. Pour le reste, c'est quoi le pari de la République ? C'est l'éducation, l'esprit critique. Donc, moi, je crois que collectivement, on doit avoir l'intelligence ensemble, de se dire d'abord, de prendre le recul, de se dire : peut-être que c'est bien ces réseaux sociaux pour telle et telle chose, mais je vais leur donner moins de temps de ma vie. Je vais remettre du temps à la lecture, je vais remettre du temps dans les associations, remettre du temps dans du commun différemment, et puis peut-être les gens vont décider de sortir. Mais je préfère que ce soit le choix libre de nos concitoyens qu'une injonction qui vient d'en haut. Le travail qui consiste à éclairer, comme on est en train de le faire, à réveiller l'esprit critique, c'est ça, je crois, le travail de la République.
Intervenant
Bonjour, Monsieur le Président. Je suis le dirigeant de " Mailinblack ", une société de cybersécurité, leader en France sur les PME qui est basée à Marseille. Notre mission est de développer des intelligences artificielles pour protéger 2,5 millions d'européens aujourd'hui contre des milliards d'attaques par an venant de l'email, du web, des mots de passe usurpés, des comportements des utilisateurs, de leur éducation. Alors, avant la French Tech, j'ai eu le bénéfice de pouvoir avoir aujourd'hui deux perspectives. Avant la French Tech, j'étais GAFAM. À l'époque de Microsoft, j'ai pu voir de l'intérieur le niveau de sérieux de la politique industrielle américaine quant au numérique. On en parle depuis tout à l'heure sous différentes dimensions. Ce que j'ai pu observer, c'est une détermination qui n'a rien à voir avec du libre-échange, du libéralisme et qui est totalement caractérisée par une volonté de construire un leader mondial. Je ne parle pas ici seulement des appuis en recherche et développement, de la commande publique, des lois extraterritoriales que vous avez évoquées tout à l'heure, également du patriotisme judiciaire qui fait que j'ai pu voir des acteurs français concurrents se retrouver exposés.
Ma question est donc simple, aujourd'hui dans ce dispositif-là, dans cette arène mondiale-là : pourquoi ne joue-t-on pas à armes égales finalement avec les États-Unis ? L'État a fait énormément déjà, et je tiens à le souligner, et je vous en remercie, grand défi cybersécurité, France 2030, France relance 2030, etc, énormément de choses ont été faites, et il faut être très reconnaissant. Toutefois, mon observation est que je sens une détermination très forte des États-Unis. Je pourrais dire la même chose de la Chine aujourd'hui quant à la constitution de leader mondial en cybersécurité.
Emmanuel MACRON
Oui, mais je vais vous dire. Le pire pour moi du combat européen, on ne s'est pas construit comme ça au début, c'est la mue qu'on est en train de faire. L'Europe, c'est une invention géniale des 7 dernières décennies. On l'a fait d'abord pour ne plus faire la guerre, ça a marché. Ce n'était jamais arrivé aussi longtemps. Ensuite, on l'a fait pour créer un marché commun, ça a marché. On a créé de la prospérité. On ne s'est jamais pensé comme une puissance. On a mis le consommateur au centre et on est une puissance ouverte. Mais je vais vous dire : ça ne marche plus. Moi, c'est le combat que je mène depuis quelques années, et je dirais encore plus depuis 2020, parce qu'on s'est pris des coups de boutoir massifs des Américains et des Chinois. Les Américains, ils ont mis l'Inflation Reduction Act, ils ont dit : " on va aider les boîtes qui viennent chez nous, on s'en fout si les Européens réussissent ou pas ". Ce n'était pas le président actuel, c'est le prédécesseur. Là, maintenant, ils nous ont mis des tarifs terribles parce qu'ils disent : " nous, on est une puissance. " Les Chinois, ils surproduisent, ils ferment leurs marchés domestiques et ils disent : " on arrive chez vous. " Bilan des courses, ils ont explosé leurs excédents commerciaux avec nous. Nous, on est au milieu, on est les seuls à être une puissance ouverte. Plutôt à être un marché ouvert, on n'est pas une puissance.
Si on veut avoir la détermination que vous décrivez, qui est celle que je partage totalement, pour moi, la clé de la bataille économique et industrielle qu'on doit mener pour l'Europe dans les années à venir, mais ça commence maintenant, c'est simplification. Ça rejoint ce que disait Monsieur. Les règles sont trop complexes et surtout, elles sont trop différentes. La simplification, c'est tout ce qui entrave l'innovation, il faut l'alléger et surtout, il faut enfin créer un marché unique. Vous, quand vous créez votre entreprise de cyber, vous avez un marché de 68 millions d'habitants, la France. Puis, vous vous battez avec 27 régulations. Le marché unique, c'est vous donner un marché domestique de 450 millions d'habitants, comme aux États-Unis. Ce n'est pas le cas aujourd'hui. Donc l'intégration du marché unique est clé.
2) C'est l'innovation. Les Américains mettent beaucoup plus d'argent public et privé sur l'innovation. Donc avoir un budget européen beaucoup plus fort en termes d'innovation et un marché des capitaux européens, enfin intégré, qui permet de financer l'innovation, ce qui n'est pas du tout le cas chez nous. Ça, c'est le cœur de la réforme des 6 prochains mois. Et 3) ça paraît être un gros mot, mais la protection. Aujourd'hui, il n'y a aucune protection en Europe de ces acteurs, ce que vous avez très bien dit. C'est pour ça, c'est une bataille qui est complètement actuelle. On est en train, nous, de se battre, la France, pour avoir une préférence européenne ou un contenu européen. Par exemple, dans l'automobile et dans différents secteurs. Beaucoup en Europe sont encore contre parce qu'ils préfèrent acheter des sous-traitants chinois, c'est moins cher. Mais c'est une vue court terme, de courte durée. Si on n'a pas une préférence européenne, un contenu européen, comme l'ont les Américains sur le marché NAFTA. L'Amérique du Nord, il n'y a pas, dans les grands secteurs, un seul de ces secteurs qui n'a pas défini un contenu régional. Après, vous pouvez rentrer parfois quand vous êtes non-NAFTA ou non-ALENA, c'est-à-dire Canada, Mexique, États-Unis.
Mais si le contenu a été respecté chez nous, ce n'est pas du tout le cas. Donc, on a commencé sur l'industrie de défense à le faire et on a réussi à imposer des règles. Là, on veut le faire sur l'automobile et on veut le faire sur tous les secteurs. Sur les secteurs numériques et IA, on se bat pour une préférence européenne. S'il n'y a pas de solution européenne qui existe, d'accord, pour acheter non européen. Si ça existe en européen, les acheteurs publics comme les acheteurs privés doivent favoriser les solutions européennes et avoir un contenu européen qui est protégé. Sinon, on n'arrivera jamais à être une puissance. Voilà la clé de la bataille, mais vous avez parfaitement raison. Simplement, c'est un peu un réveil géopolitique qu'on est en train d'opérer. Ça, il faut le faire à marche forcée, parce qu'en fait, la situation économique a aujourd'hui une pression maximale.
Intervenant
Bonjour Monsieur le Président. On parle beaucoup de souveraineté en matière d'intelligence artificielle. Mais la vraie souveraineté, ce n'est pas seulement la maîtrise de la technologie, c'est leur appropriation par le plus grand nombre. Or, vous le savez, aujourd'hui, une large part de la population ne connaît pas l'IA et cette fracture numérique va alimenter mécaniquement la fracture sociale. L'école ne pourra pas former tout le monde, ou pas assez vite. Alors, j'ai une idée que je vous soumets. Je propose la création d'un campus urbain ouvert à tous, porté par les acteurs locaux, avec des formations très courtes, pas pour créer des ingénieurs, il y a des écoles pour ça, mais pour sensibiliser, pour désinhiber, pour expliquer et pour montrer au plus grand nombre, à toute la population et surtout à la population la plus défavorisée, que l'IA n'est pas magique et qu'elle n'est pas réservée à une élite.
Ma question est simple. Que pensez-vous de cette vision ? Et l'État est-il prêt à accompagner et soutenir ce type de projets territoriaux pour faire de Marseille la capitale, au moins méditerranéenne, de l'IA inclusive, d'une IA performante et populaire ?
Emmanuel MACRON
Oui, vous avez parfaitement raison. Tout est important. Il faut des capacités de calcul, des infrastructures, il faut des acteurs. Ensuite, de l'intelligence artificielle, il faut des secteurs dans lesquels ça va se diffuser. Mais la question de ce qu'on appelle l'adoption de l'intelligence artificielle, elle est clé. Elle est clé d'un point de vue économique et social. On a tenu, il y a quelques semaines, au Grand Palais, le premier sommet " Adopt IA ", en la matière. Elle est clé parce qu'on peut avoir les meilleurs champions de l'IA. Le premier point sur le plan économique, c'est que nos entreprises, et d'ailleurs ça va de nos artisans à nos grands groupes, l'adoptent, c'est-à-dire en tirent les bénéfices en termes de productivité, d'amélioration de leur performance. C'est fondamental pour avoir une économie qui produit plus vite et plus fort. La première distinction entre les pays, c'est clé pour les Européens, elle se fera là-dessus. Il y a des pays qui peuvent avoir des champions. Si vous n'avez pas de marché, les champions partiront. Donc l'adoption en termes d'IA, elle est fondamentale, mais elle est aussi fondamentale pour qu'on améliore notre productivité, notre compétitivité, qu'on crée plus de richesses.
Ça, ça suppose de former des artisans, des patrons et des collaborateurs de PME, TPE, et là, nos réseaux consulaires jouent un rôle très important, les services de l'État, nos Carrefours de l'Entrepreneuriat, comme on a à Marseille développé, c'est absolument fondamental. À côté de ça, vous avez la fracture sociale. Vous avez parfaitement raison. Il en est de l'IA comme des réseaux sociaux et de l'accès au numérique. Les plus âgés, les plus défavorisés sont souvent plus loin de ces pratiques. Il faut pouvoir, on l'a fait ces dernières années avec des médiateurs, avec des actions, aller vers et encourager toutes les initiatives qui permettent de former. L'école est un levier, mais il ne faut pas tout mettre sur le dos de l'école. L'école, elle doit permettre de sensibiliser. Elle doit d'abord transmettre des savoirs fondamentaux, un esprit critique, une confiance en soi et, justement, une bienveillance. Pour le reste, c'est à tout le reste de la société de faire. Donc, oui, dans la stratégie IA qui est la nôtre, il y a tout un volet adoption avec une partie sociale qui est d'encourager des initiatives comme la vôtre, donc banco !
On a, à Marseille, ces dernières années, fait beaucoup. J'évoquais nos Carrefours de l'Entrepreneuriat. Je veux remercier tous les acteurs qui sont là, qui ont fait beaucoup. On a été prendre beaucoup de jeunes, d'ailleurs souvent des quartiers les plus défavorisés. On les a amenés vers des formations, vers l'entrepreneuriat, et très souvent vers des métiers numériques. Il se trouve qu'on arrive vers les métiers numériques et les compétences numériques, à amener beaucoup de jeunes qui, parfois, d'ailleurs, n'avaient pas de compétences académiques. C'est aussi un élément de rattrapage, d'accélération. Donc, sur ce volet-là, toutes les initiatives, et l'École 42 à laquelle vous êtes, je crois que c'est un formidable exemple de ça, parce que c'est un test, il est non académique, entre guillemets, c'est la piscine, si je me souviens bien. On sélectionne, comme ça, sur des compétences propres, et puis chacun peut y aller. Toutes ces initiatives-là sont très bonnes. Donc, sur le volet économique comme social, l'adoption, la diffusion de l'IA, c'est une bataille aussi importante et à mener en parallèle que celle de la super innovation.
Animateur
Merci Monsieur le Président. On va ouvrir la quatrième et dernière partie de cette rencontre. Elle nous paraissait évidente, pertinente, un mois après l'exécution de Mehdi Kessaci. Alors même que Marseille est confrontée, plus que jamais, aux dérives du narcotrafic, vous avez beaucoup échangé et êtes beaucoup intervenu sur le sujet. Notre quatrième partie s'appelle " L'impact des réseaux sociaux face aux violences et aux phénomènes de criminalité organisée ". Vous êtes très attendu, Monsieur le Président, sur ce sujet ici à Marseille, avec nos questions.
Intervenante
Bonjour, je suis associative, j'habite dans les quartiers Nord de Marseille, dans le quatorzième arrondissement. On s'est déjà rencontré lors de votre visite. On avait échangé, malheureusement, toujours sur ces thèmes-là. Aujourd'hui, je vais vous poser ma question concernant les réseaux et le lien entre les réseaux et le narcotrafic. Aujourd'hui, il est évident que les réseaux sociaux jouent un rôle aussi central que les points de deal traditionnels pour les trafiquants. Le recrutement via les applis, les moyens semblent insuffisants, pourtant il faut des moyens pour lutter contre la DZ Mafia et autres réseaux, sur les réseaux autant que dans les quartiers. Dans les 13ème et 14ème arrondissements, seuls 22 à 23 policiers seraient déployés sur le terrain pour une population de 140 000 habitants. Comment vouloir que la police soit efficace sur les réseaux et sur le terrain dans de telles conditions sans se mettre elle-même en danger ?
Emmanuel MACRON
Merci beaucoup. Merci, Madame. Vous l'avez dit, on a tous une pensée pour la famille Kessaci, sa maman, ses frères et sœurs, après le drame qui s'est passé. Je veux ici vous dire qu'en ayant cette pensée, c'est aussi une pensée de combat que j'ai. Et je sais l'engagement que j'ai pris à l'égard de sa famille. Si vous me le permettez, je voudrais avoir une réponse un peu complète sur la lutte contre le narco. D'abord, elle n'a pas commencé hier. Quand on s'est vus, on avait déjà commencé le combat et j'essaie de tenir les engagements que j'ai pris. Il y a quelques années, on a lancé une mobilisation générale contre le narco parce qu'on a vu que les trafiquants s'organisaient et que ça prenait une autre dimension. On a créé ce qu'on a appelé l'OFAST, qui a été un organisme national, qui a permis de mettre des moyens qui étaient jusqu'alors complètement séparés : police, gendarmerie, pour aller traquer les réseaux partout sur le territoire national. Dans le 13ème et 14ème que vous évoquiez, j'étais là en 2021 au Commissariat, j'ai pris un engagement. Tout à l'heure, dès que je vous aurai quitté, je serai dans le même Commissariat parce qu'on a investi, on a créé, on a réinvesti.
Je veux vous dire que, surtout, on a remis des moyens. Le préfet pourra vous donner les chiffres, mais ce n'est pas du tout cela. On a, sur ces dernières années, conformément aux engagements que j'ai pris, mis 500 policiers en net en plus sur Marseille. Ce qui, prenant en compte les départs, fait 300 policiers en net en plus. 500 en plus, 200 départs. Il y a plus 300 fonctionnaires de police sur la plaque marseillaise. Avec une action de harcèlement permanente, on a mobilisé, mobilisé, mobilisé. On a d'ailleurs dit à chaque fois, point de deal par point de deal, on les a diminués par deux, les points de deal physiques. Le taux de suivi, il s'est multiplié par 3. Donc, c'est très dur à entendre quand on a vécu ce qu'on a vécu là. Vous avez évoqué un drame récent aussi, madame la proviseure, tout à l'heure. Mais on ne lâche rien, et je veux saluer la mobilisation des préfets, de l'ensemble des équipes de sécurité, des magistrats qui sont là. Là, on est passé à une deuxième étape. On a fait la loi narcotrafic et on a dit : on met en place un état-major national, un parquet national qui sera installé le 5 janvier. On remet des moyens et là, on remet sur Marseille des moyens parce qu'en fait, plus on crée, plus on poursuit.
Plus on poursuit, plus on en a qui arrivent dans les tribunaux. Donc là, on remet des salles d'audience, on remet des magistrats. On en a déjà créé, ces dernières années, plusieurs dizaines. Donc on ne va rien lâcher, on doit pilonner. Maintenant, on doit s'adapter aussi à la pratique. Soyons clairs. Vous avez parfaitement raison, les réseaux sociaux sont devenus, au fond, des lieux de trafic. Donc, qu'est-ce qu'on veut faire ? 1) on va les chercher, on met leurs responsabilités en cause, nous, on engage le dialogue. Aujourd'hui, on a des moyens qui sont très limités. On va les chercher, on va leur dire là-dessus : vous êtes en train de recruter des jeunes, vous mettez en danger la vie des autres. Une fois sur deux, on arrive à faire le retrait, une fois sur deux, ils nous disent : c'est dans nos conditions de vente. Donc, on va changer la norme européenne pour pouvoir les poursuivre, mettre en cause leurs responsabilités et les attaquer, ce qui est aujourd'hui très difficile pour nous. Premier point.
Le deuxième point qui est absolument fondamental, c'est les têtes de réseau. C'est ce qu'on est en train de bouger. C'est que vous avez fait référence à quelques réseaux bien connus. On est aujourd'hui en train de tout secouer. Le garde des Sceaux a fait plusieurs visites diplomatiques, le directeur national de la police judiciaire, moi-même, j'en ferai dans les prochains jours, pour aller chercher dans les pays où sont les têtes de réseau, de la coopération pour pouvoir saisir leurs biens, pour pouvoir arrêter les têtes de réseau, nous les restituer. C'est la clé de tout ça. Nous, on a durci notre position en faisant quoi ? Ces quartiers de lutte contre la criminalité organisée, en les mettant justement dans des quartiers super sécurisés où on s'assure qu'il n'y ait plus aucun portable, plus aucun contact et où il y a un niveau de sécurité d'encadrement qui est absolument inédit dans les prisons françaises. C'est ce que le garde des Sceaux a annoncé il y a quelques mois. Donc, le dispositif, on resserre, on resserre, on resserre. Mais il faut être clair, à mesure qu'on serre, ils vont continuer de réagir. À mesure qu'on serre, ils vont continuer d'intimider. C'est ce qu'ils ont fait avec Mehdi.
Ils ont voulu faire peur. La route sera longue, mais on ne doit rien lâcher. On a des résultats. C'est parce qu'on est en train de pilonner. Et laissez-moi juste avoir un dernier point, parce qu'il y a souvent un absent dans ces discussions. Je le dis ici pour tous ceux qui sont là et pour les lecteurs. Rien de tout ça n'arriverait s'il n'y avait pas des gens qui, gentiment, achètent de la cocaïne, du hash, etc. Moi, j'en ai ras-le-bol d'avoir des jeunes qu'on pleure, et dans des quartiers d'avoir d'autres gens qui considèrent que c'est festif d'aller acheter de la drogue et qui ne sont généralement pas des mêmes milieux sociaux. Alors, il y a quelques années, on disait qu'il faut qu'il y ait une poursuite pénale. Comme on n'arrivait pas à faire une poursuite pénale, ça prenait un temps fou, parce qu'il fallait ramener au poste, etc. On a mis en place, c'est une innovation des dernières années, une amende forfaitaire délictuelle. Tout de suite, on pouvait mettre l'amende. Ça a permis de commencer à avancer les choses.
Maintenant, on va changer drastiquement sur deux trucs. 1) Les procédures de recouvrement. On va mettre des commissaires de la République pour aider les finances publiques et la justice à les recouvrer, parce qu'on a des taux de recouvrement qui ne sont pas satisfaisants. 2) On va le passer à 500 euros l'amende. 500 euros, parce qu'il faut taper au portefeuille ceux qu'on attrape avec de la drogue en ville, parce que ça n'est pas festif de se droguer. Ce n'est pas la même chose que des choses qui sont licites. Il y a ce qui est licite et illicite dans une démocratie. Il faut juste que toute personne qui consomme de la drogue se dise bien qu'elle alimente aujourd'hui le narcotrafic qui fout nos villes et nos quartiers en l'air. Si on ne dit pas ça clairement aux gens, on se trompe de cible.
Intervenante
Je rebondis sur la deuxième question. Le volet judiciaire et le volet répressif c'est très important mais on voit les budgets des services publics diminuer drastiquement ; les centres sociaux, les missions locales qui sont une part importante voire essentielle de la lutte contre le trafic, perdent beaucoup. Sur la ville de Marseille, on a de la chance avec la ville qui ajoute un million et demi de plus par an, mais on a la Métropole et la région qui diminuent voire suppriment leur aide.
Monsieur le Président, nous n'avons pas besoin de vous rappeler l'importance du service public dans les quartiers populaires, donc pourquoi pas, dans le cadre de Marseille en Grand, ne pas inclure le financement des centres sociaux et tous les autres services publics qui souffrent dans les quartiers et des associations qui œuvrent à mettre en place la politique que vous voulez pour nos quartiers ? Je sais que Marseille vous est chère. Vous êtes venu nous voir dans des quartiers où les Présidents ne venaient pas, où personne ne se déplaçait, mais les services publics souffrent. Je suis administratrice d'un centre social qui voit ses subventions diminuer d'année en année alors qu'on est censé être représentatif de la France et de toute sa force.
Emmanuel MACRON
Alors, vous avez raison qu'à côté de l'aspect répressif, il y a le côté préventif et éducatif. Il est très important. C'est aussi pour ça que j'ai demandé qu'on mette en place des campagnes massives de prévention pour expliquer aux jeunes et aux moins jeunes les ravages de la drogue et pour sensibiliser, comme on a su le faire sur la sécurité routière, sur la question de la drogue et du narco. Ensuite, je vais me permettre de vous dire que sur Marseille, je vais rendre beaucoup de jaloux, mais Marseille en Grand, c'est un plan qui n'a pas d'équivalent. Il n'y a aucune ville qu'on a accompagnée de la même manière. À Marseille, on a déployé les deux tiers des montants auxquels on s'était engagés. C'est-à-dire qu'il y a plus de 3 milliards d'euros, en plus de tous les fonds des financements normaux qui ont été mis sur Marseille. Plus de 3 milliards d'euros. Et sur des compétences qui ne sont pas du tout des compétences de l'État normalement. C'est-à-dire les écoles, on en a déjà plus de 87 qui sont engagées. Il n'y a pas une autre ville de France où l'État finance des écoles qu'à Marseille. Pas une autre.
Après, je ne suis pas là pour faire le procès de vos collectivités locales, mais l'État ne peut pas se substituer aux associations municipales, départementales ou régionales. C'est à vos collectivités de le faire. Je peux vous dire une chose. On a mis sur l'école à Marseille pour la prévention et l'éducation un montant inédit, pédagogique et bâtimentaire. Mais aussi et surtout, puisque vous me parlez de la prévention, quand on a lancé Marseille en Grand, il y avait un besoin cruel de services de santé dans les quartiers Nord. Sur la santé à Marseille, pas que sur les quartiers Nord, mais partout, on met, État, plus de 800 millions d'euros. On change un hôpital militaire, qu'on va remettre Laveran, qui va être ouvert à tous. La Timone, c'est une révolution, et toutes les collectivités sont là, votre département et votre région aussi, à côté de la ville. La Maison des Femmes, ouverte. Et on a ouvert 7 dispensaires, en particulier sur les quartiers Nord et en centre-ville, 7 dispensaires. Il n'y a aucune ville où on a fait ça. Donc cette politique, l'État est bien derrière, y compris sur le volet prévention.
Animateur
Merci. Une petite question, Monsieur le Président, peut-être sur la collaboration entre les plateformes et la justice. On a évoqué tout à l'heure certaines plateformes qui sont les supports de nombreux trafics de drogue, est-ce que la justice peut aller beaucoup plus loin et contraindre à cette collaboration ? Parce qu'on sait que, on l'a dit, des jeunes sont recrutés sur les réseaux sociaux, la prostitution des jeunes aussi sur les réseaux sociaux, liée au trafic de drogue. Comment la justice peut aller un peu plus loin, plus loin encore que ce que vous avez indiqué à l'instant ?
Emmanuel MACRON
Alors, c'est un sujet très compliqué parce qu'il n'est pas que réseaux sociaux, et c'est pour ça aussi que je ne veux pas faire de caricatures. C'est un sujet qui est réseaux sociaux et messagerie cryptée. Aujourd'hui, ce qui est vrai, c'est que les trafiquants utilisent certains réseaux sociaux, certains en particulier qui ont des messageries plus instantanées avec des messages effaçables, pour vendre à leurs clients. Là, on n'a pas des dispositifs qui sont assez efficaces, c'est ce qu'on est en train de bouger. On peut avoir leur coopération pour lever les identités et aller chercher les gens en judiciaire, mais le temps du judiciaire, vous le savez bien, il est très lent. Ça vient des mois, parfois des années après, parce que tout ça est engorgé. On n'a pas de l'immédiateté aujourd'hui, et ce qu'on est en train de changer, c'est de pouvoir activer beaucoup plus vite et surtout de pouvoir couper. Ça, il faut pouvoir durcir les règles, c'est un combat en cours.
À côté, il y a le recrutement. Le recrutement, c'est beaucoup plus insidieux. C'est très dur, parce qu'ils passent parfois par des codes de dire : c'est totalement interdit ou pas, parce que c'est des messages qui sont beaucoup moins clairs, beaucoup plus gris, mais surtout, si on les chasse de certains réseaux sociaux, ils vont aller sur des messageries cryptées. Et les messageries cryptées, c'est totalement autre chose. Donc, ce qu'on est en train de faire, là, c'est de bâtir d'abord des protocoles de coopération, mais aussi, c'est tout un dialogue qu'il y a entre nos services de renseignement, avec les juristes, parce qu'évidemment, il faut protéger les libertés publiques et les libertés individuelles. Vous n'avez pas envie d'être dans une société du 100 % de contrôle. Mais pour pouvoir, en effet, aller observer ces comportements, voir les messageries qui ne coopèrent pas et aller repérer ceux qui se font recruter, mais surtout les recruteurs. Donc ça, c'est un point sur lequel on s'est amélioré. C'est un point sur lequel, grâce à nos services enquêteurs, et je veux rendre hommage au travail de la police judiciaire, de tous nos services de police, des services de renseignement qui opèrent sur le sol national et à l'international, et de nos magistrats. On a fait beaucoup de progrès, mais on a un problème de rapidité d'action et d'immédiateté. Pour ça, on doit changer les règles et on doit aller beaucoup plus vite à la source.
Animateur
Merci beaucoup. Il y a encore deux questions pour terminer. Vous avez parlé tout à l'heure du PNACO, le parquet national qui va s'installer. Beaucoup ici réclament une antenne marseillaise. Est-ce que vous pourriez nous l'annoncer aujourd'hui ?
Emmanuel MACRON
Non, mais je vais vous dire, vous savez, la priorité, on veut de l'efficacité, et donc c'est un parquet national. Il est à côté de l'État-major national de la lutte contre la criminalité organisée qui a été mise en place, ça marche s'ils sont proches. Il y a une très forte antenne marseillaise, il y a une tradition d'une très forte PJ marseillaise. Ce qu'il faut que vous compreniez, c'est qu'en fait, l'efficacité, pour filer la métaphore footballistique, « il faut que la balle circule, il faut que le ballon circule ». Il faut du harcèlement sur le trait local, c'est-à-dire qu'il faut casser du point de vue de deal très local dès qu'il s'installe. Il faut de la présence policière, c'est pour ça qu'on a remis des effectifs de policiers et de magistrats, il faut du suivi local. Mais il faut, tout de suite, surtout que l'affaire soit reliée à du national et de l'international, s'il y a du sens. Il se trouve que Marseille, c'est ce qui fait tant souffrir cette ville, parce que c'est un port, parce que c'est une ville ouverte sur le monde, elle est l'épicentre de réseaux internationaux, qui ont leur tête de réseau dans plusieurs pays méditerranéens.
Certaines de leurs têtes de réseau, ils sont dans nos prisons et dans nos quartiers de lutte contre la criminalité organisée. Après, ils ont des victimes qui sont dans nos quartiers, ils vont les chercher. Et parfois, ils vont les recruter même dans des villes à l'extérieur. Donc la clé, c'est la rapidité, l'interconnexion entre tous. On a une seule équipe. Et ne vous inquiétez pas, qu'elle soit à Marseille, qu'elle soit à Paris, qu'elle soit déployée d'ailleurs dans les postes qu'on a à l'étranger sur les différentes capitales des pays concernés, on agit tous ensemble pour, très vite, démanteler ces réseaux. Là, on a une bataille, et il faut bien le dire, il y a une guerre qui a été lancée contre ces réseaux qui, aujourd'hui, tuent des jeunes innocents pour intimider, veulent faire peur, tout simplement parce qu'ils veulent remplacer l'ordre public. Ils veulent la loi du plus fort. Ils veulent la loi des narcos. Il n'y a aucune chance qu'elle gagne.
Intervenant
Bonjour, Monsieur le président de la République, je suis médiateur de rue pour l'association APIS. Mon travail, il consiste à aller directement sur le terrain, de jour comme de nuit, dans les quartiers sensibles, en pied d'immeuble, sur des points de revente de trafic de stupéfiants, de créer du lien, du dialogue avec les jeunes, les habitants, afin de les dissuader, pour certains, de basculer dans la délinquance, et pour les habitants, régler les tracas du quotidien. Nous nous étions rencontrés le premier septembre 2021 à la cité Bassens. Je vous avais préconisé deux choses Monsieur le Président : le suivi du plan Marseille en Grand et l'éducation. C'est sur l'éducation que je veux revenir. Pourquoi ? Janvier 2024, je suis avec un groupe d'adolescents à la cité du Parc Corot, je décide de les faire visiter le musée de la Moto. En sortant du musée de la Moto, nous tombons sur le corps d'une jeune femme calcinée.
Quelle a été la réaction de ces jeunes-là ? Sortir instantanément leurs smartphones, filmer et diffuser sur les réseaux sociaux. Diffuser sur les réseaux sociaux le corps carbonisé d'une jeune femme. Pas plus tard qu'hier soir, j'étais avec le papa d'Abderrahim, qui souhaiterait vous rencontrer. Il me disait : est-ce qu'il y a d'autres vidéos de mon fils qui circulent sur les réseaux sociaux ? Ma question, elle est toute simple : Monsieur le Président de la République, aujourd'hui, je suis sur le terrain, j'ai créé un projet " Médiation Nomade " qui est peu suivi. Quels sont les moyens alloués pour la prévention ? On a très peu de moyens, je vous l'affirme, pour la prévention de la délinquance aujourd'hui à Marseille, Monsieur le Président.
Emmanuel MACRON
Merci beaucoup et merci à vos associations une fois encore. Vous avez dit, et c'est par des associations comme la vôtre que j'ai vu à chaque fois que je suis passé à Marseille et qui ont été au cœur d'ailleurs de l'édification de Marseille en Grand, qu'on arrive à reconquérir. Ça ne se fera pas du jour au lendemain. Je sais qu'il y a parfois de la fatigue, vous l'avez dit tout à l'heure, c'est dur, c'est long, mais on ne doit absolument rien lâcher dans ce combat. Ce combat, il commence dans les familles. C'est tout ce qu'on continue de porter avec les mille premiers jours. Si on lâche les trois premières années de la vie d'un enfant, c'est absolument terrible. Donc, le combat, l'accompagnement des familles, la parentalité, c'est clé.
Ensuite, c'est l'école. C'est pour ça aussi qu'on veut protéger nos écoles du portable, des réseaux sociaux. C'est les dispositions qu'on est en train de prendre et qui sont clés. Parce que les jeunes que vous décriviez, si on les avait habitués à ne pas avoir un portable tout le temps, à ne pas être sur les réseaux sociaux tout le temps, ils n'auraient pas ce réflexe. Donc, l'école qu'on doit consolider, la formation de nos profs, l'accompagnement, les moyens qu'on leur donne. Le troisième, c'est l'accompagnement avec la ville, la Métropole, le département, la région, tous les acteurs de tout le tissu associatif pour pouvoir, du sport à l'éducation à la prévention, comme d'ailleurs le disait madame, avec les centres sociaux, se dire que la vie d'un jeune, elle ne s'arrête pas aux portes de l'école. Moi, c'est pour ça que je crois énormément à nos comités locaux de la fondation, nos CNR locaux qu'on avait mis en place ces dernières années. Je regrette d'ailleurs qu'ils n'aient pas été suffisamment mobilisés. Ils ont super bien marché à Marseille.
Ce qu'on a fait avec Marseille en Grand sur l'école, vous vous souvenez peut-être, j'avais dit septembre 2021 : on y va, je voudrais 50 écoles. On a largement dépassé les 50. Ça, c'est sur le plan pédagogique. On a plus de 80 écoles qui sont en train d'être rebâties, refaites. Ça, c'est la rénovation. Mais surtout, on a lancé des projets pédagogiques. Ces projets pédagogiques, c'est formidable, c'est-à-dire qu'on a des enseignants avec des directrices et directeurs d'établissements, les parents d'élèves, les associations, qui bossent ensemble, qui se sont mis autour de la table pour construire des actions pédagogiques communes et faire de la prévention. C'est du tri, si je peux dire, à tricoter chaque jour. Donc, on ne lâchera pas dans le cadre de Marseille en Grand, le volet éducation. C'est un des 7 volets clés. Il peut être suivi en toute transparence. Tous ces volets, on a mis un site en ligne qui est maintenant public. Vous pouvez y aller. C'est sur le site de l'Élysée. On a Marseille en Grand. Vous pouvez suivre, il y a toutes les actions. D'ailleurs, vous pouvez écrire pour corriger, donner votre avis. Mais ce qui est hyper important, c'est de ne rien lâcher. Donc, sur l'éducation, on va continuer de mettre les moyens parce que, comme vous l'avez dit, la prévention est clé. Donc, accompagner les associations comme la vôtre et, en lien avec la ville, pouvoir vous donner les moyens de reprendre ces jeunes, d'occuper ces jeunes, d'avoir du temps et de leur apprendre les bons comportements.
J'insiste sur le site, il est très important parce qu'on a constitué, là, les données qui sont toutes publiques. Vous pouvez voir, sur les différents volets, l'école, la santé, la sécurité. Donc, il y a 7 piliers. C'est sur le site l'Élysée.fr. Vous avez un item Marseille en Grand, et vous pouvez faire ce suivi. Et s'il y a des remarques, des questions, des choses, on améliorera.
Intervenante
Bonjour, Monsieur le Président. Merci de nous permettre ce temps d'échange, de nous l'avoir permis, dans cette ville que vous aimez, et merci de l'aimer, et qui représente un peu ce que la France a de meilleur et aussi ce qu'elle a de pire, malheureusement. Je suis experte comptable, je suis spécialisée dans l'accompagnement des entreprises innovantes, et donc, c'est aussi l'occasion pour moi, très rapidement, de vous remercier pour tout ce que vous avez fait pour cet écosystème de l'innovation qui n'était pas le même avant vous. Merci. Je suis à l'initiative du collectif " Marseille au pluriel ", qui est porté par des citoyens, des chefs d'entreprise, des journalistes, dont Philippe Pujol, que vous connaissez, mais aussi l'université et la Chambre de commerce, dont je salue le président. Nous œuvrons pour recréer du lien, ça devrait vous parler, entre les Marseillaises et les Marseillais, en utilisant les outils de l'interculturel. Nous le faisons par le faire ensemble, avec des méthodes simples et efficaces, en créant des ponts entre le monde associatif et les entreprises qui sont un levier puissant et à mon avis sous-estimé pour refaire cohésion et refaire société comme vous le disiez. Notre approche est pragmatique, elle est fondée sur la réciprocité et l'affirmation d'un cadre commun, clair, reconnu et accepté dans lequel les différences peuvent exprimer toute leur richesse. Notre obsession, vraiment, de tous les jours, c'est la cohésion.
Nous pensons qu'une autre voie est encore possible pour nous éviter d'avoir à choisir entre la peste et le choléra en 2027, en ralliant la majorité silencieuse autour d'une vision commune de notre société à écrire, loin des clivages politiques. Pour nous, cette troisième voie, c'est l'interculturel. J'en viens à ma question. Les réseaux sociaux sont devenus un outil stratégique pour la criminalité organisée, notamment chez les jeunes, on l'a vu pendant tout cet échange. Le problème n'est pas seulement sécuritaire, il est aussi culturel, identitaire et symbolique. Là où l'État répond souvent par la répression seule, et il n'a pas le choix, les réseaux sociaux proposent aux jeunes un récit, une reconnaissance et un sentiment d'appartenance. Ils sont donc des amplificateurs culturels. C'est précisément ici que l'interculturel a toute sa place.
Voici ma question : face à l'impact croissant des réseaux sociaux dans le recrutement et la normalisation de la criminalité organisée chez les jeunes, pourquoi ne pas explorer la voie de l'interculturel comme matrice de nos politiques publiques pour construire, et notamment sur les réseaux sociaux, mais pas que, des contre-récits forts, des repères communs et un sentiment d'appartenance républicain, plutôt que de laisser le terrain symbolique à ceux qui prospèrent sur la facture ? Je ne finirai pas en disant qu'on est à jamais les premiers, même si j'en suis absolument convaincue, mais moi, ce que j'aimerais, c'est nous permettre de venir, nous, universités, nous, Chambres de commerce, vous rencontrer pour vous montrer ce qu'on sait faire ici de concret, parce que ça marche. Si on nous en donne les moyens, on pense que, peut-être, on pourrait faire monter cette expérimentation un petit peu plus loin dans le pays et refaire société. Merci.
Emmanuel MACRON
Merci pour ces initiatives et ce que vous portez. Dans le fond, bien sûr, il faut encourager exactement ce que vous dites. Je ne sais pas s'il y a un seul contre-récit, mais dans ce que vous avez dit, il y a une chose qui est très juste, c'est que si on a des jeunes qui sont emmenés vers des projets du pire. Ce qu'on a dit sur le narco a été vrai à un moment et peut être encore vrai de projets, par exemple, islamo-terroristes, qui ont pu exister sur ces mêmes réseaux. C'est qu'ils donnent, en quelque sorte, le sentiment qu'il y a un avenir possible et des perspectives, pour les uns financiers, pour les autres de sens. Donc, vous avez raison, il y a un récit derrière. En tout cas, il y a le sentiment qu'il y a un possible futur. C'est ça, la catastrophe. Nous, dans notre combat, on doit montrer d'abord que c'est d'abord un récit de mort que ces réseaux proposent.
Et ils exploitent de la chair à canon. Ils exploitent des jeunes qu'ils emmènent dans des situations d'extrême danger pour se faire sacrifier, se faire tuer ici ou là. C'est un projet de mort. Il y a un cynisme terrible. Mais derrière, et plus largement, c'est un peu en toile de fond du débat qu'on a depuis tout à l'heure, ce que vous décrivez. C'est qu'on a une crise du commun dans nos démocraties, qui vient de loin, je ne veux pas finir par des propos trop philosophiques, mais on a des sociétés qui se sont sécularisées, c'est-à-dire la religion s'est progressivement reculée, qui donnait un cadre ; les familles se sont désagrégées. En tout cas, il y a une crise du modèle familial, on le voit bien. On a de plus en plus de familles qu'on appelle « monoparentales ». On a aussi beaucoup de jeunes qui ont des structures familiales éclatées. On a un individualisme qui a augmenté, ce qui crée une vision de la société, un isolement beaucoup plus fort. Les réseaux sociaux, ils n'ont pas toute la responsabilité, mais ils sont venus comme un accélérateur de ces transformations de nos sociétés. Ils ont accéléré une individualisation, et je dirais une solitude qui va avec, que je décrivais tout à l'heure. C'est une réalité. Cette solitude, elle donne un très grand vertige, parce que j'ai l'impression d'être constamment seul dans quelque chose qui est inexpliqué, incompris des autres, et en même temps, face à une multitude sans filtre, qui peut être le message du bout du monde, la volumétrie de ces messages, leur répétition, l'entrechoc.
Et je suis exposé, ça a été la première question, votre mot m'a frappé, à une " surabondance ". Et ça, ça crée quoi ? Ça crée de l'incertitude permanente. On est dans une société où les repères qu'on avait ont été un peu bousculés, où il y a de plus en plus de solitude et où il y a une surabondance de messages. Tout ça, ça crée une forme de perte de règles et de repères communs. Les sociologues appelaient ça avant " l'anomie ". C'est un vieux concept de DURKHEIM. On pourrait dire un peu le dérèglement, mais c'est ça, ce qu'on vit. Du coup, ça crée des mécanismes de grandes angoisses qu'on voit encore sur les questions climatiques chez nos jeunes ou nos moins jeunes, qu'on voit sur les questions technologiques en rapport à celles-ci, ou qu'on voit, dès que la société s'échauffe, a un emballement. Nous sommes dans des sociétés qui ont changé à cause de tout cela. Donc, face à ça, nous devons absolument recréer ce qui a été le cœur du combat républicain, qui nous a fait individus, libres et rationnels que nous sommes, différents. C'est-à-dire recréer, préserver les individualités que nous sommes, mais en remettant de l'esprit critique et de la rationalité. C'est pour ça que le cœur de la bataille, c'est de protéger et d'éduquer les plus jeunes, de remettre de l'esprit critique pour prendre de la distance, et ça, ça s'éduque à tous les âges, et donc réapprendre, redistinguer les notions, réguler.
Puis, il faut réussir à remettre du commun, c'est indispensable. Donc redonner, je le disais, à la famille, à l'école, aux associations, à la commune, aux entreprises, à ce qui nous rassemble dans un projet collectif, du sens et du temps. Beaucoup de ces réseaux nous ont volé beaucoup de temps. Et redonner du temps à ce commun, c'est s'apercevoir aussi que nous ne sommes pas que des individus qui vivent entre leur solitude et ce qu'ils en font avec leur famille ou les choix qui sont les leurs, et un travail. Il y a quelque chose au milieu de ça qui est une vie en société qui, parfois, dans le lieu du travail ou dans un espace commun qui est civique, fait qu'on construit quelque chose ensemble. C'est exactement ça, faire république. C'est très important, chaque jour, de recommencer ces projets, même si ça peut paraître épuisant, et surtout de leur donner une importance et une reconnaissance. En étant là et en vous disant cela, je vous le dis avec beaucoup d'importance. Ce n'est pas le million de gens qui vont voir quelque chose qu'ils oublieront à la seconde d'après. C'est peut-être les dizaines de vies que vous allez changer avec un projet, parce que vous aurez pris les gens par la main pendant des mois, des années, que vous aurez du sens à votre propre vie.
A cet égard, le cadre de la République peut être celui de la compréhension et du croisement des cultures. Il se fait dans un cadre qui est celui de l'universalisme. La République, elle, repose sur le fait que nous sommes citoyennes, citoyens, et qu'on vient avec des convictions, des religions, des origines, qu'on va apprendre à se connaître, mais qu'on appartient à un récit qui est plus grand que nous et qu'on a envie encore de l'écrire. Être une nation, c'est cela. Ce n'est jamais figé. C'est de se dire qu'on a encore des grands combats à mener, parce que ce qui nous tient, ce sont les grands combats qu'on a menés ensemble. C'est la grande histoire qui nous a faites, et c'est exactement ce que vous avez décrit.
Animateur
Merci beaucoup, Monsieur le Président. Il me semblait qu'il y avait un peu de conclusion dans votre propos. Si vous voulez dire un mot pour conclure, peut-être, et pour nous parler de la suite. Je voulais vous remercier pour votre présence ce matin. Au nom des équipes de La Provence, des équipes événementielles qui ont organisé cette rencontre, vous remercier pour les échanges que nous venons d'avoir avec l'ensemble de nos équipes et ces 280 lecteurs qui sont ici de nos territoires et qui avaient aussi besoin de porter ce message.
Emmanuel MACRON
Merci beaucoup. Merci à La Provence pour cet échange. Pour le bilan, moi, je vais, là, continuer à Marseille pour aller sur le terrain, voir les réalisations et ce qu'il reste à faire pour Marseille en Grand. Je continuerai, moi, de rendre compte et puis de continuer le travail collectif pour Marseille en Grand. Vous pouvez compter sur moi. Ce que je voulais vous dire, c'est qu'au-delà de ce débat, des décisions seront prises. Dès le début de l'année prochaine, j'annoncerai pour les plus jeunes des décisions très concrètes. On en a déjà parlé sur le fond. On va mettre en œuvre, en France, ces décisions pour protéger nos enfants et nos adolescents, à l'école et en dehors de l'école. Ensuite, on va lancer la bataille européenne, nouvelle étape, pour mieux protéger nos démocraties face aux ingérences, mais aussi mieux protéger face au narcotrafic, face à la mauvaise utilisation des réseaux. Troisième combat, il va y avoir un combat national qui va se faire sur la presse. Il y a eu les États généraux de l'information. Il y a très clairement un modèle économique qui est en crise et qui a suscité des travaux, et donc il y aura un travail pour se dire comment on arrive à ce que le modèle économique d'une information libre soit préservé.
Puis, il y a un quatrième combat, c'est le vôtre. C'est un combat civique de tous les jours. Ce dont on parle depuis le début, c'est le combat de la République, je vous l'ai dit à l'instant. Quand la République s'est faite, elle a dit : je cherche des hussards noirs, les enseignants, pour aller chercher les enfants dans toutes les campagnes et m'assurer qu'ils orthographieront, parleront et écriront la même langue, connaîtront les mêmes auteurs et connaîtront les mêmes poèmes. Les uns les aimeront, les autres non. Mais ils appartiendront à la même histoire pour pouvoir faire des choses ensemble. C'est exactement le combat qu'on est en train de retrouver. Ces mêmes combattants du début de la Troisième République ont dit je ne veux plus d'un espace public, d'une démocratie de faux semblants où l'information peut être accaparée par quelques-uns, manipulée. Je veux des gens qui puissent organiser la controverse de manière libre, vous donner des faits, des opinions, et vous les échangerez. Ce sont ces grandes lois de la presse.
C'est exactement ce qu'on doit retrouver. Le combat de la République, ça a été de préserver, de toutes les interventions étrangères, de tous les risques, de toutes les lois du plus fort, la loi de tous qui est la nôtre. C'est exactement ce qu'on doit recréer. La seule chose qui affaiblit nos démocraties, ce n'est pas d'oser des débats difficiles, ce n'est pas de mettre en place des choses. La seule chose, et c'est vrai dans tous les domaines, c'est l'inefficacité et la lenteur. Et croyez-moi, il m'est arrivé très souvent de faire des erreurs. Mais mes pires erreurs, ça a été le " à quoi bon ". C'est quand on m'a dit, n'allons pas trop vite, ne faites pas ceci ou cela. Quand on a identifié qu'il y avait un problème, il faut foncer. La seule chose qui crée de la défiance et qui fait qu'il y a beaucoup de gens qui se disent : " ah, finalement, un régime autoritaire serait mieux qu'en démocratie ", parce que les mêmes fadas qui nous disent qu'on est totalitaire dès qu'on veut réguler quelque chose pour les jeunes sont ceux qui vous disent qu'il faudrait un bon régime autoritaire quand la loi, elle, ne les arrange plus. Non !
La démocratie est exigeante pour tout le monde. Elle suppose la délibération, la transparence, mais elle doit retrouver le sens de l'efficacité. Donc, oui, on doit retrouver une démocratie qui, quand elle se saisit d'un problème, prend les bonnes décisions et agit. Vous l'avez compris, de nos enfants jusqu'au fonctionnement démocratique, on a encore plein de choses à faire, mais on va y arriver.
Animateur
Merci beaucoup Monsieur le Président et merci à toutes et à tous.