Texte intégral
R. Elkrief.- Plus de quatre millions de crimes et délits en 2001 : c'est un cap dans les chiffres de la délinquance. Je parle au gouvernement Jospin que vous représentez à ce poste : est-ce que vous n'avez pas laissé l'idéologie, l'angélisme - comme disait J.-P. Chevènement, assis à votre place hier - guider vos pas, au lieu de la recherche de l'efficacité et du pragmatisme ?
- "Très franchement, je pense que J.-P. Chevènement n'était pas angélique. Il a été ministre de 1997 à septembre 2000. Je ne le suis pas et tout le monde le sait. Cela m'est d'ailleurs reproché. Parfois, on me dit que je suis sécuritaire. Je ne crois pas que ce soit l'affaire du Gouvernement ou du ministre de l'Intérieur. Peut-être que J.-P. Chevènement a ressenti comme une forme de frustration de ne pas avoir obtenu ou su convaincre suffisamment pour qu'il y ait plus de policiers, qu'il y ait la loi sur la sécurité quotidienne, ou que la loi sur la présomption d'innocence soit corrigée comme elle l'est maintenant."
Il dit que L. Jospin n'a pas su arbitrer à temps et ne lui a pas donné les moyens, par exemple, d'avoir un plan sur la délinquance des jeunes.
- "J'ai obtenu un plan pluriannuel pour la police nationale, avec le budget que vous savez - 6 % d'augmentation, c'est sans précédent -, des effectifs - des milliers de policiers supplémentaires. Je crois que nous mettons en oeuvre la politique qui convient en matière de police. On ne fait jamais suffisamment, mais je crois que l'on fait là beaucoup. D'ailleurs, tout le monde le reconnaît. On n'attaque peu la police, parce qu'on sait bien que la police fait son travail. Notamment parce qu'il y a la police de proximité."
Vous dites que c'est la justice qui ne fait pas son travail ?
- "Non. On met des moyens supplémentaires dans la justice, pour que la justice puisse faire le travail derrière la police concernant la dimension répressive, la réparation pour les victimes et la réinsertion des délinquants. Tout cela monte en puissance, même si c'est long. Je peux vous dire que la chaîne pénale doit être sous tension permanente pour aller dans le sens de la sanction. Il ne doit pas y avoir d'impunité. De bas en haut, dans la société, il ne peut pas y avoir d'impunité. En même temps, quatre millions de délits, la montée de la violence dans la société, notamment des jeunes de plus en plus jeunes, c'est un échec pour nous tous. Est-ce qu'il ne faut pas se poser la question de la chaîne éducative, du rôle des parents, de l'autorité des parents, de la transmission des valeurs, du rôle des médias ? La valeur de l'exemple, l'enseignement de la discipline, voilà des sujets sur lesquels je voudrais que nous revenions."
Vous êtes ministre de l'Intérieur et cela fait partie de vos responsabilités. Vous n'êtes pas le seul bien sûr...
- "J'assume pleinement et la police doit être en première ligne pour faire son travail, pour prévenir, dissuader et réprimer la délinquance. Mais il va bien falloir quand même que les uns et les autres - et d'ailleurs, pour ne rien vous cacher, on voit les déclarations d'un certain nombre de responsables politiques de l'opposition - : il n'y a pas de vrais débats entre gens de bonne foi, parce que les convictions sont les mêmes. La sécurité est nécessaire à l'accomplissement de la liberté de chacun. Pour moi, ce n'est pas un débat idéologique."
Néanmoins, est-ce qu'il n'y a pas d'idéologie ? Si on prend deux ou trois exemples : la délinquance des jeunes de moins de 13 ans augmente. Il y a le livre d'un chercheur qui explique que dès 9 ou 10 ans, si le premier délit n'est pas sanctionné, il ouvre la porte à de nombreux délits par la suite. Pourquoi finalement, à gauche, on a cette impression qu'il faut beaucoup prévenir, mais pas tellement sanctionner ? Dans ce cadre-là, on a l'impression que pour les jeunes, ce n'est pas assez clairement assumé. Il y a d'autres exemples. Les centres d'éducation renforcée : le système n'est apparemment pas assez bien mis au point. Les jeunes gens ne sont pas assez éloignés de leur cité et cela ne fonctionne pas très bien. On a le sentiment qu'il y a des mots, mais pas d'actions fermes derrière.
- "Je crois qu'il y a des mots et des actions. Ceci étant : un enfant de neuf ans, dix ou onze ans qui est en situation de délinquance, qui est livré à lui-même, dont les parents ne peuvent plus ou ne veulent pas contrôler son éducation, l'aimer en l'éduquant et en en prenant la responsabilité : c'est bien une situation d'échec qui est posée à l'ensemble des acteurs de la société. Chacun a sa part de responsabilité. En tant que ministre de l'Intérieur et en tant que Garde des Sceaux, nous prenons la nôtre. Est-ce que la réponse, quand il s'agit d'enfants de moins de 13 ans, est de nature policière, voire judiciaire ?"
Peut-être, puisque les autres ont échoué. Est-ce que vous vous posez la question ?
- "On n'a peut-être pas la même appréciation du mot "prévention". La prévention, ce ne sont pas seulement des éducateurs de rue. Ils peuvent être utiles, bien évidemment. La prévention, c'est qu'il ne faut pas que des enfants de moins de 13 ans ou de 14 ou 15 ans en soient amenés à faire des actes de délinquance, voire de violence gratuite. Il faut dire un mot sur ces statistiques : on y mesure un peu tout et n'importe quoi."
Cela va changer ?
- "Il y a MM. Pandraud, député RPR, ancien ministre, et Carresche, député socialiste, qui ont remis un rapport au Premier ministre. L'objectif est d'avoir un instrument qui permette, après les élections, de mesurer la délinquance réelle dans ce pays et de mesurer ces évolutions, pour ne pas livrer à la polémique politicienne, à l'exploitation électoraliste ces chiffres de la délinquance."
Si L. Jospin est élu, vous mettrez en place cet observatoire national ?
- "J'ai obtenu du Premier ministre qu'il aille dans ce sens. Je crois que c'est une bonne chose, encore une fois pour que nous mesurions de manière objective les choses. Il suffit de voir à l'étranger. Si la délinquance était un mal français, on pourrait faire un mea culpa et essayer de trouver d'autres solutions. Mais comme par hasard, la délinquance est encore plus forte chez nos voisins, tout prêt - en Allemagne etc., les chiffres sont encore moins bons."
Ce n'est pas un lot de consolation quand même ?
- "Non, ce n'est pas un lot de consolation, mais en même temps, la montée de la violence n'est pas une exception française. Il y a la délinquance pour voler, pour s'approprier des biens qui ne vous appartienne pas, et il y a cette montée de la violence gratuite : faire brûler des voitures, s'en prendre physiquement à des gens."
Concrètement, face à cela, qu'est-ce que vous proposez et qu'est-ce qui peut changer ?
- "Peut-être est-ce l'occasion de mener le débat de manière sereine, pour qu'il y ait une prise de conscience, mais aussi pour que les Français puissent décider le moment venu - au moment de l'élection présidentielle notamment - en fonction des discours et des propositions ? Bref c'est ce que disait L. Jospin à la Mutualité : "Il nous faut une société de la règle". Il doit y avoir de la discipline et elle ne doit pas coûter aux jeunes. Cela doit leur être enseigné. C'est la responsabilité des parents et pas uniquement la responsabilité financière. Il faut des peines éducatives. Je pense qu'il faut avoir une autre vision de la société. Il faut que les départements, qui sont en charge de la politique sociale depuis les lois de décentralisation, soient plus performants à mon avis dans la détection des difficultés sociales. Il faut intervenir à temps et éloigner les enfants, pour organiser les ruptures nécessaires, pour éduquer dans des centres, soit à l'internat, soit dans des centres d'éducation renforcée ou ailleurs. Il faut peut-être envisager que l'exécution des peines éducatives se fasse bien sûr sous l'autorité des magistrats, mais peut-être par d'autres acteurs. Je pense aux maires notamment."
D. Schuller est en République dominicaine : est-ce qu'il y a des policiers français qui sont sur place, comme pour A. Sirven, pour le ramener ?
- "Nous agissons dans le droit et le respect du droit. A partir du moment où la justice demande des moyens à la police pour arrêter les gens qu'elle recherche, tous les moyens sont mis à la disposition de la justice, mais dans le respect du droit international. Et je vous rappelle que des policiers français ne peuvent pas intervenir sur un territoire extérieur. Ce serait une négation du droit international. Nous restons donc conforme au droit, mais tout doit être fait pour rechercher tous ceux, sans exception, qui sont recherchés par la justice de notre pays pour être jugés."
(Source http://Sig.premier-ministre.gouv.fr, le 29 janvier 2002)
- "Très franchement, je pense que J.-P. Chevènement n'était pas angélique. Il a été ministre de 1997 à septembre 2000. Je ne le suis pas et tout le monde le sait. Cela m'est d'ailleurs reproché. Parfois, on me dit que je suis sécuritaire. Je ne crois pas que ce soit l'affaire du Gouvernement ou du ministre de l'Intérieur. Peut-être que J.-P. Chevènement a ressenti comme une forme de frustration de ne pas avoir obtenu ou su convaincre suffisamment pour qu'il y ait plus de policiers, qu'il y ait la loi sur la sécurité quotidienne, ou que la loi sur la présomption d'innocence soit corrigée comme elle l'est maintenant."
Il dit que L. Jospin n'a pas su arbitrer à temps et ne lui a pas donné les moyens, par exemple, d'avoir un plan sur la délinquance des jeunes.
- "J'ai obtenu un plan pluriannuel pour la police nationale, avec le budget que vous savez - 6 % d'augmentation, c'est sans précédent -, des effectifs - des milliers de policiers supplémentaires. Je crois que nous mettons en oeuvre la politique qui convient en matière de police. On ne fait jamais suffisamment, mais je crois que l'on fait là beaucoup. D'ailleurs, tout le monde le reconnaît. On n'attaque peu la police, parce qu'on sait bien que la police fait son travail. Notamment parce qu'il y a la police de proximité."
Vous dites que c'est la justice qui ne fait pas son travail ?
- "Non. On met des moyens supplémentaires dans la justice, pour que la justice puisse faire le travail derrière la police concernant la dimension répressive, la réparation pour les victimes et la réinsertion des délinquants. Tout cela monte en puissance, même si c'est long. Je peux vous dire que la chaîne pénale doit être sous tension permanente pour aller dans le sens de la sanction. Il ne doit pas y avoir d'impunité. De bas en haut, dans la société, il ne peut pas y avoir d'impunité. En même temps, quatre millions de délits, la montée de la violence dans la société, notamment des jeunes de plus en plus jeunes, c'est un échec pour nous tous. Est-ce qu'il ne faut pas se poser la question de la chaîne éducative, du rôle des parents, de l'autorité des parents, de la transmission des valeurs, du rôle des médias ? La valeur de l'exemple, l'enseignement de la discipline, voilà des sujets sur lesquels je voudrais que nous revenions."
Vous êtes ministre de l'Intérieur et cela fait partie de vos responsabilités. Vous n'êtes pas le seul bien sûr...
- "J'assume pleinement et la police doit être en première ligne pour faire son travail, pour prévenir, dissuader et réprimer la délinquance. Mais il va bien falloir quand même que les uns et les autres - et d'ailleurs, pour ne rien vous cacher, on voit les déclarations d'un certain nombre de responsables politiques de l'opposition - : il n'y a pas de vrais débats entre gens de bonne foi, parce que les convictions sont les mêmes. La sécurité est nécessaire à l'accomplissement de la liberté de chacun. Pour moi, ce n'est pas un débat idéologique."
Néanmoins, est-ce qu'il n'y a pas d'idéologie ? Si on prend deux ou trois exemples : la délinquance des jeunes de moins de 13 ans augmente. Il y a le livre d'un chercheur qui explique que dès 9 ou 10 ans, si le premier délit n'est pas sanctionné, il ouvre la porte à de nombreux délits par la suite. Pourquoi finalement, à gauche, on a cette impression qu'il faut beaucoup prévenir, mais pas tellement sanctionner ? Dans ce cadre-là, on a l'impression que pour les jeunes, ce n'est pas assez clairement assumé. Il y a d'autres exemples. Les centres d'éducation renforcée : le système n'est apparemment pas assez bien mis au point. Les jeunes gens ne sont pas assez éloignés de leur cité et cela ne fonctionne pas très bien. On a le sentiment qu'il y a des mots, mais pas d'actions fermes derrière.
- "Je crois qu'il y a des mots et des actions. Ceci étant : un enfant de neuf ans, dix ou onze ans qui est en situation de délinquance, qui est livré à lui-même, dont les parents ne peuvent plus ou ne veulent pas contrôler son éducation, l'aimer en l'éduquant et en en prenant la responsabilité : c'est bien une situation d'échec qui est posée à l'ensemble des acteurs de la société. Chacun a sa part de responsabilité. En tant que ministre de l'Intérieur et en tant que Garde des Sceaux, nous prenons la nôtre. Est-ce que la réponse, quand il s'agit d'enfants de moins de 13 ans, est de nature policière, voire judiciaire ?"
Peut-être, puisque les autres ont échoué. Est-ce que vous vous posez la question ?
- "On n'a peut-être pas la même appréciation du mot "prévention". La prévention, ce ne sont pas seulement des éducateurs de rue. Ils peuvent être utiles, bien évidemment. La prévention, c'est qu'il ne faut pas que des enfants de moins de 13 ans ou de 14 ou 15 ans en soient amenés à faire des actes de délinquance, voire de violence gratuite. Il faut dire un mot sur ces statistiques : on y mesure un peu tout et n'importe quoi."
Cela va changer ?
- "Il y a MM. Pandraud, député RPR, ancien ministre, et Carresche, député socialiste, qui ont remis un rapport au Premier ministre. L'objectif est d'avoir un instrument qui permette, après les élections, de mesurer la délinquance réelle dans ce pays et de mesurer ces évolutions, pour ne pas livrer à la polémique politicienne, à l'exploitation électoraliste ces chiffres de la délinquance."
Si L. Jospin est élu, vous mettrez en place cet observatoire national ?
- "J'ai obtenu du Premier ministre qu'il aille dans ce sens. Je crois que c'est une bonne chose, encore une fois pour que nous mesurions de manière objective les choses. Il suffit de voir à l'étranger. Si la délinquance était un mal français, on pourrait faire un mea culpa et essayer de trouver d'autres solutions. Mais comme par hasard, la délinquance est encore plus forte chez nos voisins, tout prêt - en Allemagne etc., les chiffres sont encore moins bons."
Ce n'est pas un lot de consolation quand même ?
- "Non, ce n'est pas un lot de consolation, mais en même temps, la montée de la violence n'est pas une exception française. Il y a la délinquance pour voler, pour s'approprier des biens qui ne vous appartienne pas, et il y a cette montée de la violence gratuite : faire brûler des voitures, s'en prendre physiquement à des gens."
Concrètement, face à cela, qu'est-ce que vous proposez et qu'est-ce qui peut changer ?
- "Peut-être est-ce l'occasion de mener le débat de manière sereine, pour qu'il y ait une prise de conscience, mais aussi pour que les Français puissent décider le moment venu - au moment de l'élection présidentielle notamment - en fonction des discours et des propositions ? Bref c'est ce que disait L. Jospin à la Mutualité : "Il nous faut une société de la règle". Il doit y avoir de la discipline et elle ne doit pas coûter aux jeunes. Cela doit leur être enseigné. C'est la responsabilité des parents et pas uniquement la responsabilité financière. Il faut des peines éducatives. Je pense qu'il faut avoir une autre vision de la société. Il faut que les départements, qui sont en charge de la politique sociale depuis les lois de décentralisation, soient plus performants à mon avis dans la détection des difficultés sociales. Il faut intervenir à temps et éloigner les enfants, pour organiser les ruptures nécessaires, pour éduquer dans des centres, soit à l'internat, soit dans des centres d'éducation renforcée ou ailleurs. Il faut peut-être envisager que l'exécution des peines éducatives se fasse bien sûr sous l'autorité des magistrats, mais peut-être par d'autres acteurs. Je pense aux maires notamment."
D. Schuller est en République dominicaine : est-ce qu'il y a des policiers français qui sont sur place, comme pour A. Sirven, pour le ramener ?
- "Nous agissons dans le droit et le respect du droit. A partir du moment où la justice demande des moyens à la police pour arrêter les gens qu'elle recherche, tous les moyens sont mis à la disposition de la justice, mais dans le respect du droit international. Et je vous rappelle que des policiers français ne peuvent pas intervenir sur un territoire extérieur. Ce serait une négation du droit international. Nous restons donc conforme au droit, mais tout doit être fait pour rechercher tous ceux, sans exception, qui sont recherchés par la justice de notre pays pour être jugés."
(Source http://Sig.premier-ministre.gouv.fr, le 29 janvier 2002)