Texte intégral
Mesdames et Messieurs les ministres,
Mesdames et Messieurs,
L'an dernier, je vous quittais sur l'engagement de conduire avec vous, pour les familles, une action durable. Cet engagement, le délégué interministériel à la famille, M. Pierre-Louis RÉMY, le tient jour après jour. Nombre d'entre vous ont eu avec lui et ses services des contacts réguliers, riches, efficaces. J'ai beaucoup de plaisir à vous retrouver aujourd'hui, avec plusieurs de mes ministres, pour faire le bilan de l'année écoulée autant que pour envisager les axes de notre action à venir.
Aider les familles, c'est d'abord aider les parents à jouer leur rôle.
Etre parent, chacun le sait, est une vraie mission, difficile et délicate. Plus encore, peut-être, aujourd'hui où les repères sont plus fragiles et mouvants, où l'autorité demande toujours plus d'être légitimée. La conférence de 1998 avait, à juste titre, mis l'accent sur la fonction parentale. Non pour montrer du doigt les parents, mais pour reconnaître leur rôle éducatif. Pour conforter cette fonction parentale, nous avons engagé une action continue, volontaire et diversifiée dans les services publics qui accueillent les enfants : à l'école, bien sûr, qui bénéficie d'une priorité, sur laquelle veille notamment Madame Ségolène ROYAL, dans les services de la protection judiciaire de la jeunesse comme auprès des travailleurs sociaux. Sensibiliser, former, expérimenter aussi, parfois changer les habitudes et les méthodes : tout cela est nécessaire dans les services publics.
Il faut aussi diversifier nos instruments. Le ministère de la Justice, le ministère de l'Education nationale, le ministère de l'Emploi et de la Solidarité et la délégation interministérielle à la famille réfléchissent ensemble aux moyens de faciliter l'application, à l'école, des règles de l'autorité parentale partagée. Les contrats de ville sur lesquels travaille particulièrement M. Claude Bartolone comportent désormais un volet famille. Conforter le rôle des parents appelle un aménagement du droit de la famille. La ministre de la Justice, Mme Elisabeth GUIGOU, a amorcé dans ce domaine un travail de fond. Elle l'évoquera tout à l'heure. Enfin, les réseaux d'écoute, d'appui et d'accompagnement des parents se mettent en place, grâce aux caisses d'allocations familiales, aux unions départementales d'associations familiales et aux associations.
Etre parent, c'est avant tout avoir du temps à consacrer à ses enfants. Il faut donc permettre aux parents de mieux articuler vie professionnelle et vie familiale. Aujourd'hui, 80 % des femmes de 25 à 50 ans ont une activité professionnelle. C'est une réalité. C'est aussi un progrès. Pour les hommes comme pour les femmes, l'activité professionnelle est la condition de l'autonomie ; elle a vocation à être aussi un motif d'épanouissement. Homme ou femme, chacun a droit à cette autonomie, à cet épanouissement. En même temps, chacun reconnaît l'importance du partage entre le père et la mère du rôle de parent. Dès lors, la question de l'articulation entre ces deux temps de la vie quotidienne doit être au centre de la politique familiale. Mme Nicole PERY aura à nous faire des propositions à cet égard.
C'est, pour le Gouvernement, un enjeu majeur. Il est au coeur des négociations en cours sur la réduction du temps de travail. Les sujets sont nombreux : la durée du travail, la répartition des horaires et leur prévisibilité. Les horaires décalés compliquent la vie familiale. Ils sont parfois inévitables. Mais lorsqu'on est prévenu au dernier moment d'un changement d'horaires, la vie de famille devient impossible -et la garde d'enfant, une charge supplémentaire presque insupportable pour les plus démunis.
Ces préoccupations inspireront le projet de la seconde loi sur la réduction du temps de travail préparée par Mme Martine AUBRY : préavis pour les modifications d'horaires, conditions de recours au temps partiel, développement de l'épargne-temps. Les salariés doivent obtenir ainsi la maîtrise d'un véritable capital de temps pour répondre à leurs besoins personnels. La vie de famille a en effet ses impératifs : veiller un enfant malade, suivre le travail scolaire, aider un parent âgé. Bâtir une nouvelle organisation du temps, définir un meilleur équilibre entre les intérêts des entreprises et ceux des salariés : c'est là un impératif pour notre société.
Etre parent, c'est aussi disposer des moyens d'accueillir l'enfant. La prise en charge de la petite enfance est une intervention essentielle de la branche famille et des collectivités locales. Les moyens mis en oeuvre sont très importants : près de 50 milliards de francs. Les employer au mieux, développer -dans leur diversité, en s'adaptant aux besoins de toutes les familles- les services d'accueil des petits enfants, offrir aux parents le temps nécessaire pour accueillir l'enfant à sa naissance, éviter que des femmes ne s'éloignent du marché du travail et n'éprouvent de grandes difficultés à y revenir, favoriser l'implication des pères dans la prise en charge des enfants : tels sont les objectifs que poursuit le Gouvernement.
Il propose dès cette année quelques mesures : l'amélioration des conditions du recours aux assistantes maternelles pour la garde des enfants ; l'offre d'une formation aux femmes qui ont quitté leur emploi pour élever des enfants et qui veulent de nouveau travailler. Au-delà, une vaste réflexion doit s'engager, dont le thème touche la vie quotidienne des femmes et des hommes de notre pays, les mentalités et des questions financières difficiles. C'est pourquoi je demande au délégué interministériel à la famille d'effectuer, avec vous et les administrations concernées, ce nécessaire travail de remise à plat des prestations de la petite enfance. Lors de la prochaine conférence de la famille, nous débattrons de vos propositions pour bâtir de nouveaux projets.
Parmi ceux-ci, la question du temps libre -je pense en particulier aux vacances- auxquelles s'intéresse particulièrement Mme Michèle DEMESSINE à travers le tourisme- mérite l'attention. Les caisses d'allocations familiales y consacrent des moyens importants. L'Etat mène, dans ces domaines, des politiques ambitieuses, notamment à travers les contrats éducatifs locaux. Les collectivités locales sont en première ligne. Avec raison, car le temps libre est, pour l'enfant, une occasion d'éveil de ses compétences créatives et sensorielles, d'apprentissage de la vie en société et du respect de l'autre. C'est donc là un temps déterminant pour les enfants. Comment articuler ce temps avec celui de l'école ; quelles ambitions éducatives poursuivre ; quel rôle pour les parents ; quelle fonction pour les divers acteurs publics ? De ces questions très importantes, la prochaine conférence de la famille devrait, je pense, débattre.
Mesdames et Messieurs,
Aider les familles, c'est aussi offrir aux jeunes plus d'autonomie.
Les jeunes, et notamment les jeunes adultes, sont une priorité de notre politique. La société française ne leur a pas jusqu'ici accordé cette priorité. Dans les décennies récentes, marquées par la montée du chômage, les jeunes ont payé un tribut plus lourd que d'autres générations. Je me réjouis que le chômage des jeunes diminue de façon importante depuis deux ans. Les jeunes forment une population très hétérogène. Car la jeunesse, cet âge où l'on va vers la pleine autonomie, voit ses frontières se déplacer. Majorité électorale, service national, permis de conduire, fin des études, premier emploi, premier emploi " stable ", premier appartement : ces rituels, ces seuils que l'on franchissait il y a trente ans à des âges prévisibles et rapprochés ne coïncident plus entre eux. Certains sont retardés par l'allongement de la durée des études.
Ces changements culturels doivent être pris en compte pour une plus grande justice. Le prolongement indéfini des allocations familiales, qui s'adressent à la famille et dépendent de sa situation, ne constitue pas, à mes yeux, une réponse satisfaisante. Il reste que la baisse du revenu familial, lorsqu'un jeune à sa charge atteint vingt ans, est lourde, surtout pour les familles modestes. Outre les allocations familiales, c'est l'allocation logement qui diminue ; le complément familial disparaît pour les familles de trois enfants. Pour atténuer cette rupture brutale, le Gouvernement a décidé de prolonger à 21 ans l'âge limite pour le calcul de ces prestations, au 1er janvier 2000.
Mais rendre les jeunes plus autonomes, ce n'est pas leur verser une allocation. La ministre de l'Emploi et de la Solidarité, Mme Martine AUBRY, et moi-même l'avons déjà expliqué : un " RMI jeunes " n'aiderait pas les intéressés à se prendre en charge et à devenir pleinement adultes. Accompagner les jeunes vers l'autonomie, c'est les aider à franchir le seuil du marché du travail : en créant des emplois, en proposant des formations. C'est ce que nous faisons, notamment avec le programme " Nouveaux services - Emplois-jeunes ". A ce jour, 200.000 jeunes peuvent ainsi fabriquer eux-mêmes les outils de leur autonomie, se construire ou, pour certains, se reconstruire.
Un autre seuil est parfois très difficile à franchir : celui du logement. Il est normal que les jeunes souhaitent vivre dans un logement indépendant, puis fonder un foyer. Mais, trop souvent, ce souhait légitime se heurte à des demandes de caution et de garanties hors de leur portée. Ne pouvant entrer dans le logement, les jeunes ne peuvent non plus bénéficier des aides existantes. La convention que le secrétaire d'Etat au Logement, M. Louis BESSON, a signé avec les partenaires du 1 % logement, tout comme l'aménagement des mécanismes d'évaluation forfaitaire pour les moins de 25 ans en situation précaire : voilà une réponse de justice à ces difficultés des jeunes adultes.
Mesdames et Messieurs,
Aider les familles, en définitive, c'est approfondir la justice sociale.
La conférence de l'an dernier a montré la voie. Elle a permis de clarifier la question des allocations familiales et du quotient familial, comme d'annoncer un certain nombre de mesures de justice sociale. Tous les engagements pris l'an dernier ont été tenus : nous sommes revenus à l'universalité des allocations familiales, le bénéfice de l'allocation de rentrée scolaire a été étendu aux familles d'un enfant, les prestations familiales ont été généralisées à tous les enfants à charge de moins de vingt ans, le budget du fond national d'action social des caisses d'allocations familiales a été abondé pour améliorer la prestation crèche et alléger la charge des communes démunies. Cette dernière mesure n'a pu encore être adoptée par le conseil d'administration de la CNAF. J'espère qu'elle le sera dans les meilleurs délais. Enfin, au 1er juillet, la première étape de l'alignement en trois ans de l'allocation logement sur l'APL a été réalisée. Nous continuerons en 2000 et 2001.
Parce que le foyer est essentiel à la vie familiale, les aides au logement doivent être plus justes. Dans ce domaine, la perspective débattue l'année dernière est claire : simplification, harmonisation, amélioration. Un pas a été fait avec l'alignement progressif des loyers plafonds, dont la première étape est intervenue au 1er juillet. Il nous faut poursuivre dans deux directions complémentaires : rendre plus cohérentes les bases ressources, car il est anormal qu'à revenu équivalent un salarié perçoive une aide moindre qu'un titulaire de minima sociaux ; aller vers un barème harmonisé pour les différentes aides au logement.
Un travail important d'analyse a été engagé dans ce domaine par les administrations. Il faut maintenant le concrétiser. Je souhaite que le secrétariat d'Etat au Logement, en coopération étroite avec les ministères concernés et la délégation interministérielle à la famille, élabore dans l'année qui vient des propositions chiffrées et programmées.
La priorité que le Gouvernement attache à la politique familiale suppose une meilleure lisibilité des ressources de la branche famille. Le prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale déterminera, après concertation avec le mouvement familial et la CNAF, les modalités de garantie des ressources de la branche famille, au regard de la richesse nationale. Se pose aussi la question du périmètre des dépenses financées par la branche famille. Prenons le cas de l'allocation de rentrée scolaire. En 1998, comme en 1997, le Gouvernement a décidé de la majorer, pour la porter à 1.600 Frs. Mais, aujourd'hui, cette majoration est discrétionnaire. Jusqu'au dernier moment, les familles restent dans l'incertitude sur son montant.
Il est clair que cette allocation de rentrée scolaire, ainsi majorée, répond à un réel besoin. Je souhaite qu'elle soit pérennisée. La majoration de l'ARS a donc vocation à devenir une prestation familiale. De ce fait, son financement sera pris en charge par la branche famille, selon un calendrier à définir. Parallèlement, l'Etat reprendra à sa charge le financement du Fonds d'Action Sociale pour les Travailleurs Immigrés et leurs Familles, répondant ainsi à une demande exprimée depuis longtemps par le mouvement familial et le Conseil d'administration de la CNAF. Une première étape débutera avec le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2000.
A terme, la pérennisation de l'allocation de rentrée scolaire permettra de repenser ses modalités. Beaucoup envisagent par exemple de moduler cette aide en fonction de l'âge des enfants. Il nous faut y réfléchir. Dans l'immédiat, je le confirme, les familles recevront une allocation de 1.600 Frs pour la rentrée scolaire de 1999.
Mesdames et Messieurs,
Dégager plus de liberté dans l'usage du temps, offrir plus d'autonomie aux personnes qui composent la famille, garantir plus de justice dans la répartition des financements publics : vous le voyez, les perspectives d'action que nous nous fixons restent nombreuses et riches. C'est avec vous, avec votre travail, vos réflexions et vos propositions, nourris de votre dialogue quotidien avec nos concitoyens, que le Gouvernement pourra donner corps à la politique familiale que les Français attendent.
(Source http://www. premier-ministre.gouv.fr le 8 juillet 1999)