Conférence de presse de M. Pierre Moscovici, ministre chargé des affaires européennes, et interview à Europe 1, sur la séance inaugurale de la convention sur l'avenir de l'Europe et ses propositions en matière d'évolution des institutions communautaires, Bruxelles le 28 février 2002.

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Circonstance : Séance inaugurale de la convention européenne sur la réforme des institutions communautaires, Bruxelles le 28 février 2002

Média : Europe 1

Texte intégral

Déclaration de M. Moscovici à la séance inaugurale de la Convention pour l'avenir de l'Europe le 28 février :
Nous sommes peut-être en train de vivre le début d'une grande aventure. Parce que cette Convention peut accoucher, au terme de ces travaux, d'une véritable refondation du projet européen - dire où nous voulons aller, comment nous voulons y aller - refondation aussi des institutions européennes qui doivent maintenant, près de cinquante ans après leur émergence, franchir l'étape de la démocratie. Il faut faire en sorte de créer une sorte d'espace public européen dans lequel les citoyens puissent se reconnaître. Non pas considérer l'Europe comme une contrainte imposée de l'extérieur, mais bel et bien comme un projet partagé qui s'incarne dans des institutions légitimes, proches et lisibles. Donc, c'est peut-être le début d'une grande aventure et je l'aborde avec un certain enthousiasme, avec de l'ambition. Non pas une ambition personnelle, mais une ambition collective, parce que je crois que nous devons entrer dans cette aventure avec la volonté de faire en sorte que l'aboutissement soit le plus élevé possible.
Je l'aborde aussi avec de l'optimisme, parce que je pense que doit se créer, et que peut se créer, dans cette instance un peu particulière, un état d'esprit qui nous permettra de dépasser nos appartenances, qu'elles soient nationales, qu'elle soient institutionnelles ou même politiques, même si en même temps il est important que cette Convention soit politique au sens fort du terme et qu'elle permette donc d'aller vers cette ambition. L'optimisme ne doit pas être béat : j'ai dit "peut-être" au début de mon intervention, parce que nous devons être conscients que si nous retombons dans les travers des dix dernières années, quand nous parlions des institutions, alors le succès risque de ne pas être au rendez-vous. Je suis bien placé pour parler du Traité de Nice, traité que je continue à penser nécessaire, mais pour lequel je n'ai pas de fierté d'auteur. Cela dit, je constate que nous avons eu du mal, beaucoup de mal à produire un traité alors même que nous avions à régler seulement quatre questions. Cette fois-ci, la déclaration de Laeken ne pose pas quatre questions mais près d'une centaine et il nous faudra donc entrer dans le débat avec un état d'esprit différent si nous voulons sortir mieux et plus haut que cela ne fut le cas à Nice.
J'ajoute deux dernières choses. La première, c'est que je crois qu'il y a pour nous tous - représentants des Etats membres, des gouvernements, des parlements, du Parlement européen - un devoir auquel j'aimerais que nous souscrivions pleinement, qui est d'associer complètement les pays candidats. Car ce que nous sommes en train de refonder aujourd'hui, ce n'est pas uniquement l'Europe des Quinze, en offrant ensuite son modèle aux autres, c'est véritablement l'Union européenne élargie. Je ne crois pas que nous puissions refonder l'Union européenne élargie sans les pays candidats ou en les considérant comme des observateurs. Ils sont observateurs en termes statutaires, mais je crois que nous devons les considérer vraiment comme des acteurs à part entière de cette aventure. Ce qui suppose aussi qu'ils s'engagent pour leur part dans cette Convention avec des idées, avec la volonté de contribuer au débat.
Une dernière chose pour dire que ce que je souhaite, c'est que cette Convention, dans ses travaux qui vont durer au moins un an je pense, puisse aller le plus loin possible dans les recommandations. Vous savez que la déclaration de Laeken prévoit deux types "d'output" : des recommandations quand il y a consensus, des options quand il n'y en a pas. Mon souhait est que cette Convention puisse aller le plus loin possible de façon à ce que le travail de la Conférence intergouvernementale qui s'ensuivra nécessairement soit largement préparé, qu'elle puisse être une réussite.
Q - Hier, vous vous êtes prononcé pour les Etats-Unis d'Europe, je voudrais savoir si cette prise de position engage le candidat Lionel Jospin ou si c'est une prise de position qui vous est toute personnelle ?
R - Non, c'était l'expression du représentant de la France à cette Convention. J'en profite pour préciser ce que signifie être le représentant de la France dans une telle Convention. On y est en tant que personnalité, donc on ne se dépouille pas de ses appartenances politiques, de ses préférences ou de ses références européennes, de ses engagements de citoyen. En même temps, je travaillerai bien sûr avec les autorités françaises, légitimes, quelles qu'elles soient, en prenant en compte leurs points de vue et notamment en défendant les intérêts français, parce qu'il ne faut pas être naïf : il y aura des intérêts nationaux à défendre. C'est ainsi que je conçois mon rôle. Pour le reste, je me suis exprimé à titre strictement personnel, mais vous imaginez bien que si j'ai l'occasion d'en parler avec un candidat à l'élection présidentielle, que je peux soutenir, je lui ferai quelques suggestions.
Mais je fais quand même une remarque : au fond, j'ai parlé des Etats-Unis d'Europe pour deux raisons. La première c'est sans doute l'inspiration du bicentenaire de la naissance de Victor Hugo, et la seconde raison c'est que je pense que finalement c'est une formulation plus dynamique, plus ambitieuse, plus positive de ce que nous appelons la fédération d'Etats-nations. Oui, quand on crée des Etats unis, on fédère. C'est ce que nous sommes en train de faire avec la monnaie, avec la défense, avec le mandat d'arrêt européen, avec bien d'autres réalisations encore. Mais en même temps, on fédère en respectant des Etats. Donc oui, l'Union européenne est une union qui fédère des Etats, ce peut donc être des Etats-Unis d'Europe au sens où l'entendait Victor Hugo mais aussi en formulant de façon ambitieuse, positive, cette tension qui doit exister entre la fédération et les Etats-nations qui restent une source de légitimité essentielle. Et c'est d'ailleurs en ceci que les Etats-Unis d'Europe, s'ils voient le jour, seront différents des Etats-Unis d'Amérique. Nous ne sommes pas une nation neuve, nous ne nous créons pas sur un modèle purement fédéral, nous n'avons pas d'unité linguistique, nous sommes dans la diversité culturelle et politique, mais nous devons essayer de nous unir.
Cela dit, je vous renvoie à un discours que le Premier ministre a prononcé lundi soir, à Besançon, pour fêter le deux centième anniversaire de la naissance de Victor Hugo, dans lequel lui aussi a fait ce parallèle entre la fédération des Etats-nations et les Etats-Unis d'Europe, disant que Victor Hugo pourrait sûrement se reconnaître dans ce concept qui est finalement celui d'Habermas. De Hugo à Habermas en passant par Jospin, peut-être y a-t-il là une filiation inattendue.
Q - En quoi les "Etats-Unis d'Europe" seront-ils différents d'une "fédération d'Etats-nations" qui était jusqu'à maintenant l'expression favorite des politiciens français ? Est-ce que cela suppose plus ou moins d'intégration ?
R - La "fédération d'Etats-nations", c'est une expression qui a été beaucoup critiquée bien que je la croie juste. Critiquée pour deux raisons. D'abord parce qu'elle paraît être une association de contraires et ensuite, parce qu'elle semble ainsi dessiner une ambition pauvre. Mais pour moi, ce n'est pas le cas. Donc, encore une fois, ce que j'ai voulu exprimer à travers cette formule, c'est une expression positive de la fédération d'Etats-nations. C'est une ambition. Faire en sorte que nous nous unissions au maximum, faire en sorte que nous fédérions le plus d'énergie, le plus de politique possible, mais en même temps continuer à respecter profondément les Etats qui sont déjà unis dans l'Union européenne. Quand on y réfléchit bien, cette formule d'Etats-Unis d'Europe est formidablement moderne et en même temps, formidablement réaliste. C'est en quoi, d'ailleurs, elle a je crois beaucoup de mérite.
Q - Les petits Etats ont reproché récemment, ouvertement ou pas, aux grands Etats d'avoir déjà le dessein, dans l'Europe de demain, d'envisager notamment la création d'un directoire composé des grands Etats. Que pouvez-vous répondre ?
R - Ce que je peux répondre, c'est ce que j'ai mis deux cent cinquante pages à écrire, à savoir que je récuse toute forme de directoire et même d'avant-garde. Je sais bien que dans l'Europe de demain il faudra de la flexibilité, qu'il faudra de la souplesse, que nous ne pourrons pas tout faire ensemble. Mais je considère, tout de même, que l'Union européenne est une union d'Etats-nations qui sont libres, égaux, qui ont les mêmes droits, et aussi les mêmes devoirs. Bien sûr, il faut tenir compte des réalités, des réalités nationales, des différences de populations, des différences de poids, des volontés politiques qui ne sont pas forcément les mêmes. Il faut aussi offrir un cadre à ceux qui voudraient aller plus vite ou plus loin. C'est, par exemple, le sens des coopérations renforcées. Mais toute idée de directoire est, je crois, une mauvaise idée ; à la fois parce qu'elle rompt cette égalité de droits et parce qu'elle n'a pas de légitimité : ce serait casser la dynamique d'une union élargie. Pour moi, il y a contradiction, au fond, entre le directoire et l'élargissement. Mais, en même temps, il faut conserver les capacités à avancer et nous ne pourrons pas le faire à vingt-sept, à vingt-huit ou à trente demain, de façon tout à fait homogène. Il faut donc combiner l'union et la diversité, l'unité et la souplesse.
Q - Comment réagissez-vous à la demande italienne d'organiser la Conférence intergouvernementale juste après la Convention et de l'achever sous la présidence italienne, en 2003. Est-ce que la France va soutenir cette approche ?
R - C'est à la Convention elle-même d'arrêter son propre calendrier. C'est en fonction de ce calendrier que l'on verra à quel moment nous pourrons conclure. C'est un peu prématuré de répondre à cela. Mais pourquoi pas ?
Q - Pouvez-vous nous dire ce que vous pensez des propositions formulées par MM. Blair et Schroeder dans leur lettre conjointe au Conseil européen, notamment de l'idée de passer au vote à la majorité qualifiée au niveau du Conseil européen pour tous les sujets qui sont traités de cette manière-là au niveau du Conseil des ministres ?
R - Je ne vais pas entrer dans le détail de ces propositions qui devront être examinées plus avant, celle-ci comme les autres. Je ferais toutefois observer que le Conseil européen n'est pas un législateur, qu'il est autre chose que cela. Il est l'organe qui donne l'impulsion politique d'une manière générale. Mais pour le reste c'est un texte intéressant, qui traite de sujets qui sont importants, concrets, qui peut permettre d'aider à mieux décider dans l'Union européenne. Je crois que la réforme du Conseil est nécessaire. La réaffirmation du Conseil européen comme organe d'impulsion est également nécessaire. Cela dit, j'inviterais volontiers M. Blair à aller encore plus loin, c'est-à-dire à accroître le nombre des matières sur lesquelles on décide à la majorité qualifiée, par exemple tout ce qui concerne l'harmonisation fiscale ou sociale.
Q - Vous préparez une déclaration commune avec M. Peter Hain. Pouvez-vous nous dire ce que vous allez y mettre ?
R - C'est une intention que nous avons depuis un certain temps. Je considère que ce que fait Tony Blair pour l'Europe est tout à fait positif. La Grande-Bretagne n'est plus un "outsider" qui critique de l'extérieur l'Union européenne, elle est un "insider" qui cherche à y affirmer un leadership. Ceci ne m'empêche pas d'avoir des différences fondamentales de vues avec nos amis britanniques. Dans mon livre, je décris une "Europe puissance" contre une "Europe espace". Je suis partisan d'une "Europe puissance". Néanmoins, il est très important d'essayer de voir avec ce partenaire fondamental dans l'Union européenne qu'est la Grande-Bretagne, jusqu'où nous pouvons aller ensemble et c'est ce que nous allons chercher à faire. Mais il y a encore du travail, c'est vrai.
Q - Monsieur le Ministre, vous venez de dire à propos de la Convention que dans cette affaire, je vous cite "la France a bien sûr des intérêts à défendre". Vous pourriez préciser ?
R - Non, c'était un simple rappel. C'est-à-dire que l'on ne peut pas rentrer dans la Convention détaché de toute contingence. La France, comme les autres, a des intérêts à défendre. Par exemple : je ne souhaite pas, nous ne souhaitons pas que la Convention, que la Conférence intergouvernementale qui la suit, soient l'occasion de démanteler les politiques communes, qu'il s'agisse de la politique agricole commune ou des politiques régionales. J'estime que ce sont des intérêts qui ne sont d'ailleurs pas que des intérêts nationaux, mais sur lesquels la France sera extrêmement vigilante. Je sais que cette tentation peut exister ici ou là
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 4 mars 2002)
Interview à Europe 1 le 28 :
"La Convention pour l'avenir de l'Union européenne peut être effectivement un moment historique, cela peut être une formidable réussite. Cette réussite, ce serait une constitution européenne qui donnerait enfin un cadre politique à l'Union européenne. Ce peut aussi être une refondation du projet européen : pourquoi sommes-nous ensemble, que voulons nous faire ensemble ? Donc, je crois que cette convention démarre avec un niveau d'ambition extrêmement élevé. Il s'agit au fond de bâtir les Etats unis d'Europe, comme le voulait V. Hugo, mais en même temps, on sait que la tâche est extrêmement ardue, parce que nous avons échoué au cours des années récentes à réformer profondément nos institutions sur des sujets beaucoup plus mineurs. Mais je crois que la formule choisie - c'est-à-dire des gens qui représentent leur Etat et pas seulement leur gouvernement, des parlementaires européens, des parlementaires, le tout ouvert sur la société civile - [est] originale [et] peut permettre de transcender les intérêts nationaux, d'aider à dépasser les petites querelles dans lesquelles nous nous sommes trop souvent englués. Cette journée, c'est le lancement de l'aventure. Mais si j'utilise la formule "Etats unis d'Europe", c'est bien sûr la référence un peu obligée à V. Hugo en cette année de bicentenaire. Mais comment dire mieux qu'en parlant d' "Etats unis d'Europe" que nous voulons bâtir un ensemble plus unitaire, une union, mais que cette union va demeurer une union d'Etats ? C'est-à-dire, qu'elle ne va pas raser ou effacer nos identités nationales, ignorer la source de la légitimité que sont les gouvernements. Si nous bâtissons aujourd'hui les Etats unis, ce sera sur le socle de nos vieilles nations ; la France restera la France, mais dans l'Europe. C'est pour cela que cette formule - je sais qu'elle va provoquer un peu - illustre bien ce qu'est l'enjeu de cette Convention : c'est une refondation du projet européen. C'est la première fois que les Européens ne partiront pas de l'économique ou du social mais de la volonté politique de chercher ce qui unit, de chercher ce qui fonde."
(Source :Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 1e mars 2002)