Déclaration de M. François Bayrou, président de l'UDF et candidat à l'élection présidentielle de 2002, sur le climat politique de la campagne en l'attente des candidatures et sur les propositions de "changement du pouvoir par la relève", à Paris le 26 janvier 2002.

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Circonstance : Réunion du Conseil national de l'UDF à Paris le 26 janvier 2002

Texte intégral

Mes chers amis,
Le sondage CSA-Le Parisien d'hier. Les deux tiers des Français disent " on se moque de nous ".
Nous avons officiellement un premier ministre qui n'est pas candidat et un président de la République qui ne l'est pas non plus !
Mais pour la première fois dans l'histoire, les sortants qui ne sont pas candidats ont nommé un directeur de campagne et choisi un local de campagne !
Il y en marre qu'on nous prenne pour des imbéciles. Quand on nomme des directeurs de campagne, quand on loue des locaux, quand on réunit des généraux et des caporaux, alors c'est qu'on est candidat et si on a un minimum de respect pour les Français, on l'assume devant eux !
Les Français ont besoin de sortir de la duplicité et des faux-semblants !
Les Français, eux, n'ont pas été jugés dignes d'en être informés. Pour les Français, les " gens d'en bas ", comme on dit dans certains milieux, la mascarade est bien suffisante !
Pour les Français, ça suffira bien fin février, début mars !
En revanche, les peaux de banane, les petites saloperies ordinaires, les dossiers plus ou moins bien ficelés jaillissent des tiroirs et des coffres-forts comme jonquilles au printemps. On peut dire que les officines ne chôment pas ! " Endroit où se trame quelque chose de secret, de nuisible, de mauvais " (Larousse). Les officines balancent à qui mieux mieux ! Je te sors l'affaire Schuller ! Je te balance la maison de l'île de Ré ! Je t'envoie la rançon détournée des otages du Liban ! Je te ressors l'affaire Destrade et le financement du PS ! En attendant la suite, qui ne saurait manquer de venir !
Et cela montre une France obscure, une France qui fait honte.
Tout cela montre le vrai visage, le visage derrière les masques du pouvoir en France depuis vingt ans ! Le pouvoir haineux, espionnant, écoutant, pour avoir des " billes " contre ceux qu'il faut abattre à tout prix, non pas le chômage, ou l'insécurité, ou la pauvreté, mais l'autre camp, le PS pour l'État RPR, et le RPR pour l'État PS !
Qu'importe si, sur les 3/4 des sujets, les deux pensent la même chose, qu'importe si les problèmes ne sont pas réglés par les uns plus que par les autres ! Qu'importe qu'ils gouvernent ensemble depuis cinq ans, les uns signant les lois que les autres votent, et que l'on délibère ensemble ! Ce qui compte, c'est les règlements de compte ! Et les problèmes des Français n'ont qu'à attendre !
Vous voyez ce qui est absent depuis vingt ans ! C'est l'éthique, c'est l'honneur, c'est l'éducation civique ! C'est l'idée qu'un gouvernant, qu'un homme d'État s'honore lorsqu'il respecte son adversaire ! C'est l'idée que les Français de l'autre camp, même s'ils n'ont pas les mêmes idées que nous, ce sont d'abord des Français, estimables ! Que les élus de l'autre camp, ce sont d'abord des élus de la République ! Que nous sommes comptables ensemble de l'image que nous donnons de notre pays à l'étranger et de la République à nos enfants !
Lequel de ces animateurs de cabinet noir pourrait avouer à ses enfants, les yeux dans les yeux, les turpitudes, le chantage à demi-mot, l'argent noir, les rendez-vous clandestins avec les journalistes à qui l'on donne le dossier
Et pourtant, on peut gouverner autrement !
Raymond Barre ne gouvernait pas ainsi. Et Jacques Delors n'aurait pas gouverné ainsi. Mais on a abattu l'un et on a découragé l'autre, en multipliant les petites trahisons. Eh bien, moi qui suis dans leur lignée, moi qui me place dans leur sillon, je vous le dis : nous allons assainir le pouvoir en France, chasser les officines, et jeter les saloperies ordinaires au caniveau qu'elles n'auraient jamais dû quitter !
Ce n'est pas une croisade, nous ne sommes pas des chevaliers blancs, nous ne sommes pas des donneurs de leçons de morale ! Nous sommes simplement fidèles, comme on n'aurait jamais dû cesser de l'être, à la vieille leçon d'éducation civique de Montesquieu : " il n'y a pas de démocratie sans un minimum de vertu ! "
Dans le langage politique, la vertu, qui est un grand mot, a un synonyme plus simple : la loyauté.
Je le dis à l'usage de l'opposition. Ma conviction est celle-ci : sans loyauté, il n'y a pas de pluralisme. Sans loyauté, il n'y a pas d'union. Celui qui a la trahison dans son jeu est sûr de perdre.
II- C'est le pouvoir qu'il faut changer !
Certains croiront peut-être que c'est un mauvais moment à passer ! Que les campagnes électorales, c'est forcément cela.
Je crois le contraire : je crois que c'est un révélateur. Je crois que c'est là que les masques s'arrachent. Je crois que depuis vingt ans, on gouverne la France comme cela, tous les jours.
Je crois que le pouvoir concentré au sommet, et l'opacité du pouvoir, le pouvoir absolu en haut, et les citoyens méprisés en bas, c'est une seule et même chose !
Je crois que la surdité absolue des gouvernants face aux attentes des citoyens, l'impossibilité de parler vrai, c'est la même chose que le manque de transparence !
Quand on croit que le pouvoir est une forteresse, on lève le pont-levis et l'on est prêt à tout pour la défendre, parce qu'on se sent assiégé.
Nulle part dans le monde, la concentration du pouvoir, dans aucun régime, n'a débouché sur la considération pour le citoyen, ni sur l'honnêteté, ni sur l'efficacité. La transparence, l'honnêteté, la prise en compte du citoyen, le partage des responsabilités dans un pouvoir nouveau, c'est la même chose !
Je prends quelques exemples récents : médecins, infirmières, gendarmes, policiers, etc.
Qu'il faille l'épreuve de force avant d'être simplement reçu, ou entendu !
Regardez bien ces deux équipes ! Ceux qui sont réunis aujourd'hui à l'Élysée et ceux qui se réunissent deux fois par semaine à Matignon. Ils ont un point commun : il y a vingt ans qu'ils sont au pouvoir, et qu'ils gouvernent pas toujours dans la même direction, mais toujours selon les mêmes méthodes !
Il n'y a qu'une chose nécessaire ! Il faut une équipe nouvelle ! Si se retrouve au pouvoir une des deux équipes anciennes, les mêmes réseaux, les mêmes habitudes, les mêmes concessions. Nous, nous n'avons pas ces pratiques.
III- Le changement par la relève.
Au fond, il y a deux questions : pour changer le pouvoir, il faut changer son organisation. Et pour changer le pouvoir, il faut changer son esprit.
Je commence par l'organisation. L'exemple cité ce matin par Adrien Zeller est particulièrement frappant. Toutes les régions frontalières de la France se trouvent aujourd'hui distancées par les régions frontalières de nos voisins.
Pourquoi ? Parce que la responsabilité exercée de près est plus efficace, plus réactive, plus prospective que le pouvoir exercé de loin.
Il y a un combat des jacobins contre les girondins. Ce combat, non seulement n'est pas gagné, mais il reste à mener. Dans tous les comportements.
Il faut une nouvelle distribution des pouvoirs. Il faut des régions puissantes, fédérant les départements, qui assument ensemble, départements et régions, la mission d'équipement, d'aménagement et de développement.
Il faut des communes se fédérant en intercommunalité qui assument ensemble, toutes les missions de proximité qui tiennent à la vie quotidienne.
Et pour les deux, il faut des moyens financiers autonomes !
La question européenne. Hommage à Giscard.
Un idéal européen. Les pouvoirs locaux.
Mais il ne s'agit pas seulement d'une nouvelle organisation du pouvoir. Il s'agit d'un nouvel esprit.
Je crois au nouveau modèle français. C'est une nouvelle organisation et un nouvel esprit.
Je me suis longtemps demandé pourquoi la réforme était impossible en France.
C'est parce que les Français pensent que le pouvoir ne leur dit jamais la vérité. Et ils ont raison !
Et ils pensent que les choix du pouvoir ne sont pas des choix de justice, que ce sont des choix orientés, que les uns y gagnent, et les autres y perdent. Et souvent, quand l'idéologie est aux commandes, ils ont raison !
Regardez, la loi dite de " modernisation sociale ".
La vérité est une idée neuve ! La justice est une idée neuve ! La vérité comme arme, la justice comme horizon.
L'injustice et le mensonge se tiennent par la barbichette. Si les Français savaient,
La jeune fille qui a peur dans le RER,
La femme âgée qui se fait arracher son sac, et faire un bras d'honneur, et insulter quand elle passe,
Le chauffeur de bus qui prend un coup de poing et se fait traiter d'enculé par dessus le marché,
Le jeune d'origine maghrébine qui se heurte à son vingtième ou trentième refus de stage ou refus d'emploi qui s'use les poings à frapper aux portes,
Le couvreur, ou le manutentionnaire, qui travaille dehors par tous les temps, et qui gagne à 55 ans tout juste 6000 F., 900 par mois.
L'artisan qui perd tout parce qu'un marché ne lui a pas été payé,
S'ils connaissaient tout cela, ils ne le permettraient pas. Ils n'accepteraient pas que cela continue.
Or la vérité et la justice, dire la vérité, et gouverner avec justice, ce sont les deux conditions de la réforme ! Les Français sont prêts à accepter de grands efforts pour que leur pays aille mieux. Mais ils veulent que ces efforts soient équitablement répartis et ils attendent qu'on leur dise la vérité sur les raisons de ces efforts.
La vérité et la justice rassemblent. On peut dépasser son camp. On peut imaginer des conquêtes nouvelles.
IV- Concrètement, la relève.
Nouveau pouvoir, vérité et justice.
Les Français n'entendront que si, non contents d'évoquer des principes, nous parlons la langue des réalités concrètes.
C'est pourquoi, chaque lundi, je propose des solutions concrètes qui forment l'ossature de la relève.
Je voudrais aborder devant vous trois grands chapitres qui concernent vérité et justice : la vérité comme arme, concrète, la justice comme horizon, concret, de l'action politique.
Article du Parisien sur la violence à l'école. Étude sur le chômage en France. Illettrisme.
Je veux une autorité indépendante de tous les pouvoirs, dont la seule mission sera de porter à la connaissance des citoyens, les données irréfutables de la violence, du chômage sous toutes ses formes, officielle et déguisée, de la pauvreté, de l'illettrisme.
Les membres de cette autorité ne pourraient pas exercer de mandat public. Et pour s'assurer de leur impartialité, ils devraient être désignés ou confirmés par le Parlement, à une majorité des deux-tiers qui oblige à un accord entre majorité et opposition.
Je pense d'ailleurs, ouvrant ici une parenthèse, que toutes nos hautes autorités, Conseil constitutionnel, CSA, gagneraient en autorité, si elles étaient désignées selon un tel système, et non pas selon le système actuel, chacun des pouvoirs désignant les siens.
Droit de saisir. 50 % d'une profession ou d'une communauté, dialogue ouvert de droit. Ne signifie pas qu'on s'entendra. Mais au moins droit de discuter. Ex : chauffeurs de bus, profs de philo, médecins, gendarmes.
Droit de participer à la discussion d'un projet. Calendrier. Publicité assurée. Rapporteur du débat public désigné par le Parlement.
Institutions de la vérité et de la justice.
Le travail. J'approuve ceux de nos rapporteurs qui ont dit ce matin que la différence entre notre projet et ceux des autres mouvements politiques était dans la valorisation du travail !
Il y a beaucoup d'injustice dans la situation faite au travail dans la France d'aujourd'hui !
Beaucoup, et de plus en plus hélas ! en demeurent exclus. Beaucoup bossent dur pour une rémunération modeste. Beaucoup de ceux qui bossent dur considèrent à juste titre comme une injustice que les revenus puissent être les mêmes pour ceux qui travaillent et pour ceux qui ne travaillent pas !
Je veux m'attaquer à ces trois injustices.
Les emplois francs.
Le Smic à 1000 nets sans charges supplémentaires pour l'entreprise.
Le RMI devenu RMA.
Le civisme. Insécurité et incivisme. Les insultes dans la rue, les bras d'honneur, les insultes, quand on " traite " quelqu'un, une femme, une jeune fille, un prof, c'est autant et plus dans le sentiment d'insécurité que les casses de banque. On dit : ce sont des incivilités. Moi je dis, ce sont des délits, punis comme tels par le code pénal, mais que nous sommes dans l'impuissance d'appliquer, faute par exemple, de pouvoir offrir la sanction de travaux d'intérêt général, dûment respectés !
La lutte commence à l'école. Et il faut prendre le taureau par les cornes.
Je propose qu'à l'école, plus spécialement au collège, on enseigne pas seulement l'éducation civique comme je l'ai voulu quand j'avais la charge de l'éducation nationale, mais en allant plus loin, qu'on enseigne les rudiments de la loi. En tout cas la partie de la loi qui concerne ces délits de la vie quotidienne et qu'on se donne les moyens de sanctionner au premier manquement ! Si l'on sanctionne au premier manquement, peut-être n'y aura-t-il jamais de second !
Et je propose la création d'un service civique universel, concernant les garçons et les filles, qui amèneraient chacun d'entre eux à donner un moment de leur vie aux autres, aux plus fragiles, sur notre sol ou à l'extérieur.
Le civisme, ce ne sont pas seulement des droits, mais des devoirs. Le civisme, ce n'est pas seulement de recevoir, c'est aussi de donner.
Conclusion : le serment de la relève.
En fait, il y a un seul choix à faire pour les Français. Continuer avec les mêmes ou changer vraiment ? Ceux qui à Matignon, ceux qui à l'Elysée réunissent aujourd'hui leurs généraux, leurs colonels et leurs caporaux, ils ont à mes yeux un trait commun : ils ne changeront rien en profondeur.
Il y a vingt ans que cela dure. Si on réélit les mêmes, on aura les mêmes résultats et le même climat ! Ils sont là depuis vingt ans. Ce qu'ils nous proposent, c'est simplement de prolonger le bail et de rester vingt-cinq ans !
Et ce qui apparaît ces jours-ci, ce climat qui a imperceptiblement changé, c'est que les Français ne veulent pas prolonger leur bail.
Nous, nous portons une autre espérance.
Je veux faire un serment devant vous. Ce sera le serment de la relève.
Je fais le serment de rendre aux Français la fierté de leur vie publique. Ils veulent un pouvoir honnête et propre. Ils l'auront. Ils veulent un pouvoir impartial. Ils l'auront. Ils veulent un pouvoir qui dit la vérité. Je l'y forcerai. Ils veulent l'esprit de justice. Il soufflera. J'en fais le serment. Je jure devant vous, je jure devant les Français, que rien ne nous arrêtera, et que nous avons un objectif, un seul, je le dis aujourd'hui, gagner.

(Source http://www.Bayrou.net, le 20 février 2002)