Texte intégral
- 1) Comment expliquez-vous l'émoi qui s'est emparé du pays après l'arrêt Perruche, reconnaissant l'indemnisation d'un enfant né handicapé ?
L'arrêt Perruche a permis aux personnes handicapées de sortir de l'ombre, et un espoir de reconnaissance est apparu à travers la contestation de son caractère eugéniste. Malheureusement, les associations, à l'image de l'APF, ont opéré dans une certaine confusion. Car il convient de séparer d'un coté la volonté d'eugénisme, et de l'autre une juste indemnisation de la société envers les personnes handicapées dans l'incapacité de mener une vie professionnelle normale, préalable à une vie sociale dans la dignité.
De plus, de nombreux professionnels, comme les spécialistes de l'écographie, ont diminué leurs prestations, de peur d'être sanctionnés financièrement. Beaucoup de futurs parents n'ont eu droit qu'à des consultations très laconiques sur l'avenir de leurs bébés. Le dernier arbitrage de la commission mixte paritaire du Parlement vise à rassurer ces professionnels, tout en remettant en avant la responsabilité de l'Etat. Mais il n'augmente pas parallèlement les moyens nécessaires, qui restent encore largement insuffisants.
- 2) Qui, aujourd'hui, peut-être qualifié de handicapé ?
Toutes les personnes qui ne peuvent pas exercer une activité professionnelle normalement, celles qui doivent avoir un poste de travail adapté pour exercer au mieux leur activité professionnelle, les victimes de guerre, d'attentats, les personnes qui doivent avoir recours à des aménagements spécifiques dans leur logement et pour accéder aux infrastructures et aux sources d'informations. Nous parlerons donc de trans-handicap (moteur, auditif, visuel, mental), un ensemble de personnes auxquelles nous devons reconnaissance et visibilité. Pour que l'exclusion ne s'ajoute pas au handicap et vienne renforcer la marginalisation de la personne et de son entourage familial.
Précisons que les plus handicapés ne sont pas forcément les mieux suivis. Beaucoup de jeunes handicapées mentaux, de dix-huit ans et plus, sont écartés des centres d'aide par le travail ou des structures d'accueil spécialisées pour laisser la place aux plus jeunes et aux plus performants. Parmi les vingt propositions de Ségolène Royal, le doublement des UPI ne sera guère efficace, vu l'importance de la confusion avec les cas sociaux difficiles.
- 3) Prévoyez-vous de modifier le système de compensation et d'aide financière au handicap ?
Oui, l'A.A.H. doit être transformée en une pension d'invalidité à 100 % du SMIC, soumise à l'impôt sur le revenu au même titre que pour n'importe quel citoyen Français. Des aides à domicile doivent par ailleurs être mises en place. Il faut faire en sorte que les autres surcoûts liés au handicap soient reconnus, comme par exemple l'équipement en matériel informatique adapté d'une personne aveugle pour qu'elle puisse suivre la scolarité de ses enfants au même titre qu'un citoyen valide.
- 4) Quels sont les moyens d'intégration qui vous semblent les plus importants ?
un niveau de vie décent
l'accessibilité des logements, des services publics, des commerces et de la ville en général, des transports publics, de l'éducation et de l'accès à l'information
- 5) Il y a aujourd'hui un consensus autour des idées d'égalité des chances et de non discrimination. Comment cela se décline-t-il très concrètement pour vous au niveau :
- des études secondaires et supérieures ?
Cela passe par l'accessibilité des infrastructures aux personnes handicapées physiques ou à mobilité réduite, par l'accessibilité aux sources d'informations pour les personnes handicapées sensorielles, et par l'emploi des technologies liées à l'informatique, l'internet, les supports audio et les polycopiés pour les personnes malentendantes.
Il faudrait aussi un aménagement moins rigide des examens, plus d'auxiliaires d'intégration scolaire et le bénéfice de l'Allocation Adulte Handicapé dés 18 ans. Faute de résidences universitaires accessibles, beaucoup d'étudiants handicapés doivent renoncer ou stagnent dans leurs études. Chaque rectorat devrait posséder au moins un foyer universitaire spécialement équipé, ou des chambres adaptées dans tous les foyers.
- de l'emploi ?
Au même titre que l'on a imposé la parité dans la vie politique par la discrimination positive, il faut faire en sorte que l'administration respecte réellement le quota d'embauche des personnes handicapées, et que la fonction publique soit sanctionnée pour le non respect de telles embauches.
Le montant du fonds d'insertion professionnelle inter-ministériel est dérisoire (moins de un million d'euros). L'avis préalable des COTOREP "service public" (qui, dans certains départements, ne se réunissent que très rarement) ne doit pas constituer une barrière supplémentaire pour la voie contractuelle.
L'emploi "protégé" exige de trouver des subsides suffisants pour permettre l'engagement de personnes lourdement handicapées, sommes destinées à compenser une productivité moindre. Ces sommes doivent être pondérées, de manière à ne pas constituer une concurrence déloyale. Un système de compensation similaire pourrait être mis en place dans les entreprises ordinaires, comme le recommande un ancien responsable de l'AGEFIPH.
Il faut continuer à creuser des pistes pour trouver une issue à la concurrence allocations/salaires, qui freine souvent une personne handicapée dans son intégration professionnelle.
- de la Cité ?
Il faut rendre obligatoire l'accueil des personnes handicapées dans les lieux publics à travers la recherche de partenariats, afin de financer le personnel qualifié et les équipements requis pour garantir cette accessibilité, et ce quel que soit le type de handicap. Nous attirons notamment l'attention sur les personnes handicapées auditives, qui sont actuellement totalement isolées.
- 6) Prendriez-vous dans votre équipe ministérielle une personne handicapée ?
Oui, bien évidemment. D'ailleurs, au niveau local, plusieurs élus de notre mouvement ont déjà engagé des collaborateurs handicapés. Il est également nécessaire de créer un Secrétariat d'État spécifique aux personnes handicapées.
- 7) Quel rôle pourrait-elle jouer ?
Elle pourrait recenser les besoins des personnes handicapées, avec la Commission Handicap et les diverses associations concernées. Il faudrait aussi qu'elle établisse, toujours en concertation avec les acteurs concernés, un plan pluriannuel chiffré de réalisations, pour que l'on ne reste plus cantonné uniquement aux bonnes intentions. Car ce qui est une nécessité pour les personnes handicapées représente un confort pour tous les citoyens !
(source http://www.noelmamere.eu.org, le 22 mars 2002)