Déclaration de M. Laurent Fabius, ministre de l'économie des finances et de l'industrie, sur les axes principaux du projet de loi de Finances 2002 : la situation économique, le budget de l'Etat, la réforme des impôts, la réforme de l'Etat, Sénat le 22 novembre 2001.

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  • Laurent Fabius - Ministre de l'économie des finances et de l'industrie

Circonstance : Présentation du budget 2001 au Sénat le 22 novembre 2001

Texte intégral


Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,

Lorsque, avec Florence Parly, j'ai présenté le budget 2002 devant l'Assemblée nationale, la France et le monde affrontaient avec effroi des circonstances exceptionnelles. Nous étions meurtris par le choc des attentats du 11 septembre commandités par une organisation criminelle. Nous étions inquiets, instruits par l'histoire et la géographie, de l'évolution de la situation militaire sur le sol Afghan et de la riposte engagée contre la dictature des talibans. Nous étions consternés par la multiplication des attaques biochimiques, anonymes et lâches, lancées contre le peuple américain et ses représentants. Les implications humaines, politiques, diplomatiques, militaires semblaient parfois nous déborder. Nous cherchions à mesurer les conséquences économiques de ces terribles événements.

L'incertitude, le doute, parfois même une forme de défaitisme, avaient gagné beaucoup d'esprits.
Cinq semaines ont passé et, même si le ciel est évidemment assombri, les raisons d'avoir de nouveau confiance sont réelles. Une opération militaire peut se solder par une victoire. Les réseaux terroristes peuvent être démantelés et Ben Laden, actuellement traqué, peut être stoppé. Le droit peut l'emporter sur la force. Sur le terrain, les dernières évolutions vont dans ce sens. C'est ce message, dont chacun prend aujourd'hui conscience, que j'ai rappelé depuis le 11 septembre, animé d'une conviction : le devoir des responsables d'État, celui des parlementaires, est à la fois de tenir un langage de vérité et de faire preuve de courage. Face au terrorisme, notre devoir politique est de résister et de riposter. Notre devoir économique, c'est de réagir face au choc, de favoriser, par les orientations de notre politique économique, un rebond de l'activité, bref de garder confiance dans les capacités de nos concitoyens et de nos entreprises.

C'est pourquoi, avant de vous exposer les principales orientations du budget 2002 préparé avec Florence Parly et sous l'arbitrage de Lionel Jospin, je souhaite vous informer des évolutions les plus récentes de la conjoncture. Il dépend de nous d'éclairer les Français et de les convaincre qu'en période de ralentissement plus encore, seuls les choix durables sont des choix valables.

  • I - Quelles sont les perspectives de notre économie et comment orienter au mieux les évolutions de la conjoncture ?

Le ralentissement de l'activité mondiale est incontestable. La flambée passée des prix du pétrole et le retour à la raison dans les secteurs de la nouvelle économie ont fait ralentir la croissance aux États-Unis et dans la zone euro dès le second semestre 2000. L'inflexion a été particulièrement accusée dans l'industrie. La production industrielle a baissé aux États-Unis, au Japon et en Allemagne et les échanges extérieurs de biens manufacturés se sont repliés après deux ans d'exubérance. Les attentats ont résonné comme un coup de tonnerre dans ce paysage assombri. Ils ont temporairement perturbé la production aux États-Unis, ralenti encore les échanges, cristallisé les inquiétudes des opérateurs économiques, surtout celles des industriels.
La France ne pouvait évidemment rester à l'abri de ces vents contraires. Elle s'est plutôt mieux accommodée que ses partenaires européens des premiers effets du retournement, notamment grâce à notre politique sociale et fiscale, et notre croissance a totalement résisté jusqu'au début de cette année. Pour autant, depuis l'hiver dernier, la croissance dans notre pays a été moins forte, l'emploi et l'investissement ont ralenti au printemps, la baisse du chômage s'est interrompue à l'été. Comme je vous l'ai dit lors du débat d'orientation budgétaire dès que des résultats clairs ont attesté chez nous la réalité du ralentissement, l'inflexion de l'activité mondiale ne nous épargne pas.
Mais une fois ce diagnostic d'ensemble posé, l'analyse doit se faire plus précise. Face au choc extérieur l'expérience des nombreuses crises que nous avons traversées ces dernières années a montré que les grandes économies européennes ne réagissaient ni exactement selon le même calendrier, ni avec la même ampleur en dépit de taux d'intérêt et de change désormais communs. Structures macro-économiques, marchés du travail, politiques économiques et budgétaires : certaines différences existent entre nos pays, qui expliquent que finalement les chiffres de la croissance soient divers d'un pays à l'autre de la zone euro, même si aucun pays ne peut évidemment être indemne.
Devant vos collègues députés, j'ai indiqué quelques-uns des traits qui devaient assurer à notre pays, au delà des à-coups mensuels, une consommation des ménages plutôt solide et lui épargner un fléchissement trop brutal de son activité économique d'ensemble: modération des prix, maintien d'un flux de créations nettes d'emploi, légère accélération des salaires individuels et baisses des impôts.
Les derniers indicateurs vont dans le sens de cette analyse : les prix n'ont augmenté que de 0,1 % sur les cinq derniers mois, plus de 200 000 emplois ont été créés depuis le début de l'année, et 45 000 au troisième trimestre, le salaire individuel de base a progressé fin septembre de 2,5 % sur douze mois. La consommation des ménages, ralentie en octobre, en produits manufacturés a crû de 1,7 % au troisième trimestre par rapport au précédent. La France devrait finir l'année avec une croissance de l'ordre de 2 %, contre moins de 1 % en Allemagne ou aux États-Unis, et un chiffre négatif au Japon.
Au delà, la prévision dépend étroitement en particulier des conséquences des attentats sur la conjoncture et de l'évolution de la situation diplomatique et militaire. Dès le lendemain, j'avais identifié trois risques, le risque pétrolier, le risque financier, le risque psychologique. Où en sommes-nous aujourd'hui ?
Après de brèves tensions née de la crainte d'un contagion de la crise aux pays producteurs, le prix du pétrole a fortement baissé. C'est une bonne nouvelle pour l'inflation et le pouvoir d'achat des prochains mois. C'est un élément favorable à la croissance.
Les marchés boursiers ont enregistré des pertes sévères dans les jours qui ont suivi l'événement. Ils les ont aujourd'hui plus que rattrapées, en partie grâce à la réaction des autorités monétaires aux États-Unis et en Europe. Les baisses de taux courts ont été amples et rapides, elles aussi sont favorables à l'activité économique pour 2002.
Il y a enfin le risque psychologique. Les anticipations des entrepreneurs et des ménages ont accusé le choc en septembre ou en octobre, et leur pessimisme a été alimenté par des statistiques qui portaient la trace du choc des attentats. Avec les derniers développements militaires et l'espoir d'un dénouement rapide et heureux, le vent peut - je dis bien " peut " - commencer à tourner.
Au total, la probabilité d'une reprise en 2002 est forte, même si on peut en discuter la date. La rapidité de ces évolutions incite à la plus grande prudence dans les prévisions et à la plus grande constance dans l'action.
Agir et réagir, tel est l'objectif du plan de consolidation de la croissance que j'ai présenté au nom du Gouvernement le 16 octobre. Il a été présenté devant votre Commission des Finances par Florence Parly le 8 novembre. Vous aurez l'occasion d'en débattre lorsque vous aurez à examiner le collectif qui traduit dans la loi les orientations qui le composent, mais vous en connaissez l'inspiration générale : conforter la demande des ménages pour préserver l'emploi grâce notamment au doublement de la PPE au titre 2001 ; stimuler l'investissement de nos entreprises - c'est l'objectif de l'amortissement exceptionnel de 30 % des investissements pour les biens acquis entre le 17 octobre 2001 et le 31 mars 2002 ; soutenir les secteurs - je pense en particulier aux transport aériens et à l'assurance - qui ont subi de plein fouet le contre coup économique des attentats ; enfin, favoriser le redémarrage des télécommunications - avec, notamment, la redéfinition des règles concernant l'UMTS qui profitera aux entreprises du secteur et bénéficiera aux consommateurs ainsi qu'à l'aménagement du territoire. Un État responsable, c'est un État qui sait adapter ses décisions à l'évolution de l'environnement, de manière pragmatique. C'est un État qui agit en partenaire avec les acteurs économiques. Opérer des choix durables et favorables à l'emploi et à la croissance, là est l'essentiel.

  • II - Dans ce contexte, pour la croissance, l'emploi et la solidarité, quels sont les choix budgétaires à engager ?

Depuis 1997, vous savez que nous avons redéployé chaque année près de 5 Md , contribuant ainsi à financer les mesures nouvelles élaborées par le Gouvernement et souhaitées par les Français. Ce mouvement sera poursuivi en 2002 avec un redéploiement de 6 Md , ce qui sur la période 1998-2002 représentera au total 26 Md . Au terme de cette gestion active de la dépense, plus de 80 % de la progression du budget de l'État auront pu être affectés aux secteurs prioritaires que sont l'éducation, l'emploi et la lutte contre les exclusions, la sécurité, la justice, la culture, ainsi que l'environnement. Les budgets correspondant à ces secteurs prioritaires ont progressé de 17,2 % en valeur depuis 1997 contre 3,2 % pour les autres. Les collectivités locales verront en 2002 leur dotation globale de fonctionnement augmenter de 4,1.
Un effort exceptionnel sera conduit en faveur de l'emploi et de la lutte contre les exclusions qui constitue notre priorité absolue. Dès que la situation sur le marché du travail s'est dégradée, le Gouvernement a augmenté de 50 000 le nombre de contrats aidés disponibles d'ici la fin de l'année (30 000 contrats emploi-solidarité et 20 000 stages). Afin d'accompagner les personnes les plus en difficulté sur le marché du travail, la Ministre de l'Emploi est chargée de mobiliser les services de l'État pour que les dispositifs - contrats aidés, emplois jeunes, parcours TRACE - soient pleinement et rapidement activés. Allégements de charges sur les bas salaires, suppression de la part salariale de la taxe professionnelle, réduction du temps de travail, emplois jeunes, prime pour l'emploi, réforme de la taxe d'habitation et des allocations logement - les dispositifs destinés à faciliter la reprise d'un emploi ont permis depuis le début de la législature de réduire de près d'1 million le nombre des personnes au chômage. C'est une performance. En dépit des difficultés, en dépit des sinistres industriels qui blessent parfois une région ou un bassin d'activité, le Gouvernement maintient l'objectif du plein emploi.

2.1. En 2002, les dépenses du budget de l'État s'élèveront à 266 milliards d'euros avec une croissance de 0,5 % en volume.
Conformément à la feuille de route que nous nous sommes fixée tout au long de la législature, nous avons retenu 3 priorités principales en 2002.
Nous avons choisi de renforcer et de continuer à moderniser l'Éducation nationale. Pour la première fois, le seuil des 400 Md F sera franchi (61,4 Md ). Cela représente près du quart de nos dépenses. L'importance de ce cap n'est pas tant dans la barre comptable qui est franchie que dans l'utilisation des crédits et les réformes qu'ils rendent possibles. Il s'agit d'une augmentation des crédits de 4 % en 2002 et, depuis 1997, d'une progression de près de 20 %. De tous les choix, couplé à l'important effort en faveur de la culture - qui atteindra pour la première fois 1 % du budget en 2002 -, c'est sans doute celui qui est le plus décisif pour l'avenir de la nation.
Nous voulons aussi renforcer la sécurité et la justice pour les rendre plus efficaces et plus proches de nos concitoyens. S'agissant de la sécurité, nous avons depuis 1997 augmenté les crédits de 18 %. La progression sera de 4,5 % en 2002, soit 3 000 policiers et 1 000 gendarmes supplémentaires. Au total, ce sont 251 000 gendarmes et policiers qui contribueront à assurer la sécurité - près de 9 % de plus qu'en 1997. Il n'y a pas de sécurité renforcée sans une justice rapide et efficace : c'est ce qui rend effective la sanction. En 2002, les crédits de la justice augmenteront de 5,7 %. 930 juges seront recrutés. Sur 5 ans, ce budget aura crû de 25 %. Au-delà des chiffres, il y a une attitude républicaine qui doit prévaloir : la sécurité doit être garantie, les délits doivent être sanctionnés, les causes de l'insécurité doivent être analysées. Ce débat est d'intérêt général. Je m'inquiète parfois de son instrumentalisation à des fins électorales.
Les attentats du 11 septembre et, d'un façon générale, l'instabilité internationale soulèvent des enjeux spécifiques. Les crédits consacrés à la défense en 2002 seront supérieurs à ceux de 2001. Ils permettront l'achèvement de la professionnalisation de nos armées ainsi que la commande ou la livraison des équipements prévus dans le cadre de la loi de programmation. Sur le plan de la sécurité intérieure, le plan Vigipirate renforcé et le plan Biotox ont été activés. Le Gouvernement a décidé d'accroître les moyens du Secrétariat général à la Défense nationale, dont le budget a été consolidé tout au long de la législature, afin qu'il puisse amplifier ses opérations de défense civile.
Notre troisième priorité est de protéger et de valoriser l'environnement. Depuis le début de la législature, c'est le budget qui a bénéficié de l'augmentation la plus forte. L'an prochain, les crédits seront en hausse de 6,3 %. Sur l'ensemble de la législature, la progression avoisine les 60 % et 1000 emplois auront été créés, dont près d'un tiers pour la seule année 2002. La maîtrise des risques en est un aspect essentiel. La tragédie de Toulouse l'a rappelé. C'est pourquoi le contrôle des sites dangereux sera renforcé par la création de 150 postes d'inspecteurs des installations classées. Ces engagements illustrent notre volonté de prendre en compte toutes les dimensions de la sécurité des Français.

2.2. Le budget 2002 prolongera le mouvement de baisse et de réforme des impôts.
En août 2000, le Gouvernement avait proposé un plan pluriannuel de baisses d'impôts pour un montant total de 18,3 Md (120 Md F). Pour des raisons structurelles et conjoncturelles, ces baisses d'impôts sont confirmées. L'estimation 2002 prévoit un allégement de 5,95 Md (39 Md F). au total, cela portera la baisse à 18,9 Md (124 Md F).
L'une des plus importantes décisions pour inciter au retour à l'emploi et le maintien dans l'emploi sera le doublement de la Prime pour l'Emploi (PPE). Créée par la loi du 30 mai 2001, la PPE a été perçue pour la première fois lors de cette rentrée. Plus de 8 millions de foyers en ont déjà bénéficié, soit plus du quart des foyers, pour un montant moyen de 144 (950 F). Le nombre des bénéficiaires va augmenter encore avec la prise en compte des personnes qui, malgré les efforts déployés, n'ont pas pu en bénéficier à temps. Au total, ce sont plus de 8,5 millions de foyers qui seront concernés dès cette année par le dispositif. Nous proposons qu'en 2002 le montant de la PPE soit doublé pour atteindre 458 (3 000 F) au niveau d'un SMIC. Les majorations forfaitaires lorsqu'un seul conjoint travaille ou pour enfants à charge seront indexées comme les prix de 2001. Cette mesure représentera 1,1 Md au budget 2002. Elle n'est en rien contradictoire avec les augmentations de salaires. Elle améliorera les conditions de vie de travailleurs modestes. Comme vous le savez, le plan de consolidation de la croissance prévoit en outre de doubler la PPE de 2001 ; cette mesure est présentée dans le collectif qui a été adopté par le conseil des ministres le 14 novembre.
Au cours de l'année 2002, les taux du barème de l'impôt sur le revenu continueront également de baisser : - 0,75 % pour les 4 premières tranches et - 0,5 % pour les 2 dernières. Cela représente 1,98 Md (13 Md F) de baisses. Comme en 2001, l'évolution sera calculée et inscrite sur les avis d'imposition à la fin de l'été, ainsi que le taux d'impôt réellement supporté.
L'impôt sur les sociétés passera, lui, à 34,33 %, grâce à une nouvelle réduction de la surtaxe Juppé. Pour les entreprises qui acquittent la contribution sur les bénéfices des sociétés, le taux de l'impôt sur les sociétés diminuera d'un point.
Le plan de suppression de la part salariale de la taxe professionnelle, lancé par la loi de finances pour 1999, se poursuivra. L'abattement sur cette part passera de 152 444 (1 000 000 F) en 2001 à 914 694 (6 000 000 F) en 2002.
Nous réaffirmons ainsi notre volonté de consolider la consommation des ménages, de favoriser l'investissement et de soutenir l'emploi.
Enfin, nous avons intégré les enjeux environnementaux dans nos choix fiscaux. Depuis 5 ans, plus de 30 mesures favorables ont été prises. Le budget 2002 en propose de nouvelles, à l'initiative du Ministre de l'Environnement Yves Cochet : un crédit d'impôt de 15 % sur les dépenses d'isolation thermique et de régulation du chauffage s'ajoutera à la baisse de TVA en vigueur depuis 1999 ; une amélioration du crédit d'impôt de 1 500 voté en 2000 pour l'achat d'un véhicule propre, que l'Assemblée nationale a opportunément complété en prenant en compte l'équipement en GPL de véhicules à essence ; un meilleur accès des entreprises aux allégement de taxe professionnelle sur les équipements d'économie d'énergie.

  • III - Le financement de nos priorités et les allégements d'impôts doivent participer d'une gestion publique modernisée et d'une volonté de réformer l'État

Réformer la fiscalité, c'est bien sûr notamment baisser les impôts - le Gouvernement a supprimé en 4 ans plus de 60 impôts ou taxes - mais c'est aussi les simplifier. C'est pourquoi le Gouvernement a décidé de poursuivre l'harmonisation des durées et des délais d'option des petites entreprises pour les régimes fiscaux simplifiés. C'est aussi le but des mesures de simplification du paiement des impôts, notamment la dispense de constituer des garanties pour faire valoir une réclamation si elle porte sur un montant inférieur à 3 000 . je me félicite que les débats à l'Assemblée nationale aient permis d'élargir aussi le régime très simplifié du micro-foncier.
Pour réussir, la réforme de l'État suppose des actions concrètes et une méthode : la concertation. C'est celle que j'ai retenue pour mener à bien la réforme-modernisation du Minéfi. C'est également l'impératif qui a permis trois autres avancées.
D'abord, un nouveau code des marchés publics a été élaboré dont l'impact sera important dès 2002 sur la modernisation de la commande publique et les relations entre les administrations et leurs fournisseurs. Les enjeux ne sont pas minces : 250 000 marchés publics sont passés chaque année dont 190 000 pour les seules collectivités locales. Procédures clarifiées, sécurité juridique renforcée, substitution de la règle du " mieux disant " au rite du " moins disant ", ouverture plus large aux PME, réduction des délais de paiement - cette réforme dont on parlait, en particulier au Sénat, depuis une dizaine d'années a enfin vu le jour et elle sera positive.
Autre arlésienne enfin démentie : l'adoption de notre nouvelle " constitution budgétaire ". La réforme de l'ordonnance organique de 1959 promulguée le 1er août 2001 constitue, vous le savez pour l'avoir permise avec vos collègues députés et je vous en remercie à nouveau, une double avancée : elle renforce les droits du Parlement - droit d'amendement et contrôle de l'exécution du budget -, elle contribue à l'amélioration de la gestion publique par une plus grande liberté accordée aux gestionnaires en contrepartie d'une plus grande responsabilité. Accompagnés d'indicateurs, des " programmes " reflétant nos grandes politiques publiques renforceront la lisibilité des choix que le Gouvernement proposera au Parlement et structureront l'action de l'administration. Cette loi aura une première traduction concrète dans le budget 2002, puisque j'aurais l'occasion de vous présenter, dès la semaine prochaine, un " programme " au sens de la loi organique de gestion de la dette. La représentation nationale disposera pour la 1re fois en 2002 des indicateurs synthétiques lui permettant d'autoriser en pleine connaissance de cause la politique d'émission de la dette de l'État français et de contrôler sa mise en uvre. Il s'agit d'une sorte de révolution depuis longtemps demandée par la Haute Assemblée. Là aussi, notre démocratie aura progressé.
Dans une démarche comparable vers davantage de transparence, vous aurez à vous prononcer, comme l'a fait l'Assemblée nationale en première lecture, sur la réforme des fonds spéciaux. De quoi s'agit-il ? De mettre fin à une pratique ancrée dans notre histoire administrative et politique. Notre République ne pouvait plus s'accommoder de cette situation. La part des fonds spéciaux qui complétaient les crédits indemnitaires et de fonctionnement courant a été répartie dans les budgets ministériels. Si le Parlement approuve cette réforme, ces crédits seront désormais soumis au droit commun, qu'il s'agisse de l'assujettissement des indemnités aux contributions fiscales et sociales, ou plus généralement des procédures de contrôle parlementaire ou administratif. Par ailleurs, l'Assemblée nationale a voté une rénovation du contrôle des fonds spéciaux dont la confidentialité reste nécessaire, parce que liés à des actions de sécurité. Aux lieux et place d'un contrôle purement administratif, datant de 1947, elle a instauré une commission de contrôle composée majoritairement de parlementaires, et présidée par l'un d'eux.
Enfin, nous préparons activement le passage au 1er janvier 2002 à l'euro fiduciaire et le budget que nous vous présentons est le premier totalement présenté en euros. Cette réforme est sans doute la plus importante innovation économique et financière des 50 dernières années. Elle sera, je le crois, un succès. Pouvoirs publics, chefs d'entreprises, associations, élus, citoyens : tous, nous nous mobilisons pour que la préparation et l'information soient les meilleures possibles. A J-40, les enquêtes démontrent que la montée en régime s'opère d'une façon satisfaisante partout dans le pays. Dès la mi-décembre, grâce aux 50 millions de sachets de premiers euros, nos concitoyens se familiariseront avec la monnaie unique avant de la partager avec 250 millions d'autres Européens. Réussir le passage à l'euro est un projet collectif sans précédent. On évoque souvent, et à juste titre, ses avantages économiques, déjà acquis. Son rôle de bouclier contre les diverses crises, asiatique, russe et latino-américaine et, contre le choc d'incertitude que nous connaissons depuis le 11 septembre. Son cadre approprié aux défis de la globalisation. Sa fonction de stabilisateur financier et de référent commercial qui dote l'Union européenne d'une visibilité économique renforcée. Sa stabilité qui est positive pour le pouvoir d'achat. Tout cela est vrai. Mais tout cela serait incomplet si l'on ne mentionnait pas le fait que son introduction en pièces et en billets constitue l'acte de naissance d'une Europe référence. Pour ma part, je souhaite qu'on ne sépare pas l'Europe et l'euro.

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les sénateurs,
Le budget que nous vous présentons est tout entier orienté vers les priorités des Français pour concilier développement économique et solidarité durable. Il a pour objectif de favoriser le rebond de notre économie grâce à des choix budgétaires et fiscaux qui soutiennent l'activité, consolident le pouvoir d'achat des ménages et l'investissement des entreprises. C'est en mobilisant tous les leviers dont nous disposons que notre pays pourra renouer avec un sentier de croissance soutenu et avec la marche vers le plein emploi.

Depuis le 11 septembre, le choc a été rude. L'alliance tragique de l'argent et du fanatisme, l'intention barbare de faire entrer en conflit les civilisations et les religions, a constitué la pire des entrées dans le nouveau siècle. La réaction non pas de l'Occident, mais de tous ceux qui cherchent à construire un monde de liberté et de dialogue entre les cultures était légitime. Les succès enregistrés ces derniers jours, sur le terrain militaire et sur le plan diplomatique, sont autant de points marqués contre le terrorisme et la régression, même si beaucoup reste à faire sur le plan politique et de la lutte contre la pauvreté. Rude aussi, la bourrasque, largement extra-économique, qui a touché nos économies. Huit semaines après les attentats, on doit constater un ralentissement, ralentissement d'ensemble mais ralentissement différencié. Depuis 1997, la politique économique du Gouvernement a permis à notre pays de renforcer les fondamentaux - qu'il s'agisse du rythme moyen de la croissance, de la maîtrise de l'inflation, du dynamisme de nos entreprises - et aux Français de profiter mieux que d'autres des fruits de la croissance. Garder le cap du sérieux et le sens du long terme doit nous permettre de sortir, je l'espère le plus vite possible, de l'épreuve du ralentissement.
Éclairer, décider, agir : c'est le devoir des responsables. Au cours de ce débat, certains, si j'ai bien lu, évoqueront, pas seulement sans doute par amour du cinéma, " La Grande illusion ". De la filmographie de Jean Renoir, je leur suggère plutôt de retenir " La Règle du jeu ". À mes yeux, la règle du jeu qui doit s'imposer à tous les responsables consiste à tenir un langage de vérité. La règle du jeu, c'est que notre tâche ne peut pas consister à prévoir à une décimale près l'évolution de nos économies dans un an ou deux. La règle du jeu, c'est que la France dispose de ressources et d'atouts qui rendent possible le rebond dans les prochains trimestres. La règle du jeu, c'est qu'on ne peut reprocher trop de dépenses ou trop de déficit, tout en suggérant par ailleurs plus de dépenses, donc plus de déficits. La règle du jeu, c'est que le dogmatisme et le court termisme, plus forts à mesure que se rapproche l'air printanier des élections, doivent être combattus car ils sont deux obstacles à la croissance et à la confiance. La règle du jeu, c'est que c'est dans un esprit de sérieux et de soutien à l'activité économique et à la solidarité que j'ai l'honneur au nom du Gouvernement de vous présenter le budget 2002.

(Source http://www.minefi.gouv.fr, le 27 novembre 2001)