Interview de Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité, à Europe 1 le 31 janvier 2002, sur l'évolution du chômage et la croissance économique et la création d'emplois dans les hôpitaux dans le cadre des 35 heures.

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Média : Europe 1

Texte intégral

Vous êtes ministre de l'Emploi et de la Solidarité et doublement en situation aujourd'hui puisque sont tombés les chiffres du chômage pour décembre et que les hôpitaux sont touchés par un mouvement de grève lié à la mise en oeuvre des 35 heures. D'abord le chômage : les auditeurs d'Europe 1 savent bien que ce n'est pas le ministre de l'Emploi qui crée les emplois, en tout cas dans le privé, mais bizarrement, c'est quand même à vous qu'on s'adresse pour commenter les chiffres quand ils tombent. Cette fois, ils sont mauvais, on l'a dit. Vous êtes inquiète ?
- "C'est vrai que le chômage augmente au mois de décembre mais il augmente moins qu'en novembre - trois fois moins vite que le mois précédent . C'est important de se dire que nous sommes dans une mauvaise passe, c'est vrai, mais c'est une mauvaise passe transitoire. Nous savons que le ralentissement économique mondial, que nous avons vu en France à partir du deuxième semestre de l'année dernière, nous secoue, c'est vrai, mais ça repartira à la deuxième moitié de cette année.
On dit ralentissement, mais tout de même, la croissance en 2001 a été de 2 % en France. Beaucoup de partenaires pourraient nous envier un tel taux de croissance ! On n'est pas capable de maintenir le niveau d'emploi avec un taux de croissance de 2 % ?
- "En tout cas, ce que nous avons fait, grâce à ce taux de croissance qui a été soutenu par la consommation des ménages, par les choix de politique économique que nous avons faits depuis quatre ans de soutenir le pouvoir d'achat, en particulier des plus modestes - vous avez vu la prime pour l'emploi -, de mener des politiques volontaristes de lutte contre le chômage - les 35 heures (400 000 emplois), les emplois jeunes (350 000 emplois). C'est grâce à ces politiques que nous avons réussi à avoir 2 % de croissance l'année dernière et donc à amortir mieux que d'autres, mieux que l'Allemagne en particulier, les effets de ce ralentissement économique mondial. Là, nous sommes secoués mais ça va aller mieux à partir du deuxième semestre."
Un petit mot sur les 35 heures : on est de plus en plus nombreux en France à penser qu'elles ont montré leurs limites. Elles étaient prévues pour partager les emplois en période de vaches maigres, les vaches sont maigres et le chômage augmente. Est-ce que finalement, cela a servi à quelque chose ?
- "Ça a servi. Jusqu'à la fin de l'année 2000, nous avons eu un nombre record de créations d'emplois. Souvenez vous : en 2000, nous avons créé - c'est un record historique - 580 000 emplois dans le secteur privé. On n'avait jamais vu ça. "
Avec une croissance de 3 % qui a peut-être joué son rôle !
- "Naturellement que la croissance a joué son rôle. Mais ce que je veux dire, c'est que nous avons enrichi la croissance ; par rapport à nos voisins européens, nous avons fait proportionnellement mieux. Et donc, ça, c'est une politique volontariste que nous avons menée. C'est vrai que depuis le début de l'année 2001, puisque l'essentiel des entreprises de plus de vingt salariés était déjà passé aux 35 heures, nous n'avons plus cet apport des 35 heures à la diminution du chômage ; même chose pour les emplois jeunes, où l'essentiel des emplois avait déjà été créé. Mais c'est la raison pour laquelle j'ai entrepris une mobilisation maximale du service public de l'emploi, parce qu'il n'est pas admissible que dans la situation, dans la mauvaise passe que nous traversons, il y ait des emplois jeunes vacants, il y ait des stages de formation qui ne sont pas utilisés, il y ait des contrats emploi solidarité qui ne soient pas utilisés, parce qu'il y a des personnes qui seraient bien heureuses justement d'occuper ces formations et ces emplois aidés. Donc, je fais deux déplacements par semaine en ce moment - j'avais commencé au mois de septembre - pour mobiliser l'ensemble du service public et dire : "attention, nous avons besoin de pouvoir amortir ce choc et de l'amortir pour les personnes qui sont concernées d'abord en premier lieu, bien entendu, mais aussi pour nous placer en meilleure posture lorsque la reprise interviendra au second semestre."
Pour la suite - parce que ça, c'est du traitement social, ce sont des mesures d'urgence -, on voit fleurir ici ou là des programmes qui tous, peu ou prou, recommandent une reprise des allégements de charges, sociales en particulier. Vous êtes d'accord avec ce principe, qu'il faut aller vers un abaissement du coût du travail pour rendre l'emploi plus flexible en France ?
- "D'abord, ce n'est pas seulement du traitement social et d'urgence puisque chaque fois, nous développons de l'accompagnement personnalisé. Ça, c'est une des clés de la lutte contre le chômage. Pour l'avenir, si nous voulons aller vers le plein emploi - il faut garder le cap vers le plein emploi -, tous les instruments sont utiles. Nous-mêmes, nous avons fait des allégements de charges accrochés aux 35 heures, mais à la condition qu'aux allégements de charges, il y ait des contreparties, soit en terme de création d'emploi, soit en terme de formation et de qualification. Je suis en désaccord avec la proposition du RPR d'allégements de charges seulement pour les jeunes de moins de 25 ans parce qu'il n'y a rien en contrepartie comme formation et qualification, ce qui veut dire substituer des emplois à d'autres, des jeunes à des moins jeunes plutôt que d'augmenter le volume global des emplois.
Vous le savez, pour les prochaines échéances aussi, nous avons des propositions sur la formation continue tout au long de la vie : ça, c'est un élément-clé parce que c'est la condition pour pouvoir mieux résister tout au long d'une vie aux restructurations qui adviennent dans le secteur industriel et puis, pour pouvoir aussi faciliter l'emploi des jeunes, l'emploi des femmes - et là, les 35 heures nous aident parce que les femmes seront d'autant plus nombreuses à travailler qu'elles auront un meilleur équilibre entre vie personnelle et vie au travail, y compris pour leurs compagnons - et troisièmement, pour les salariés les plus âgés, parce qu'il n'est pas admissible que nous soyons le pays de l'Union européenne dans lequel il y a le plus faible taux d'emploi des salariés âgés parce que les entreprises préfèrent se débarrasser de ces salariés âgés pour payer des jeunes qui leur coûtent moins cher. Là, nous avons une politique où j'ai réduit les aides publiques à ces systèmes : les pré-retraites, il faut en conserver un volant parce que dans les sinistres comme Moulinex, on en a besoin, mais pour les entreprises qui vont bien, ce ne sont pas des procédés.
Il faut qu'on parle un peu de la santé, Mme Guigou, parce que c'est aussi dans vos attributions. L'hôpital : il y a une grève aujourd'hui de ceux qui ne sont pas d'accord avec votre protocole sur les 35 heures. Ils manifestent aujourd'hui. "45 000 créations d'emplois, disent-ils, c'est insuffisant" C'est raisonnable ?
- "45 000 créations d'emplois, c'est sans équivalent et sans précédent et je précise que ce sont les syndicats non signataires qui sont ceux qui appellent à manifester aujourd'hui. Ce que je veux dire aujourd'hui c'est que les accords avancent bien. J'ai signé un protocole national le 27 septembre avec 4 organisations syndicales ; il faut que les accords locaux, établissement par établissement, hôpital par hôpital, se mettent en place. Ça avance bien : nous avons 185 accords à ce jour qui sont signés, qui concernent plus de 200 000 agents, plus du tiers de la fonction publique hospitalière, la moitié des CHU - ça va un peu plus lentement dans les plus petits hôpitaux. D'ailleurs une forte proportion de ces accords locaux sont signés par les organisations qui n'étaient pas signataires du protocole national et par conséquent, c'est vrai que c'est difficile, c'est vrai que c'est tendu, parce que le plus difficile dans les 35 heures, c'est la période transitoire pendant laquelle on les négocie, on les installe, avant de les avoir."
Il faut dire qu'on ne s'y est pas pris très tôt non plus. Cet accord a été tardif et aujourd'hui, les recrutements qui vont venir sont difficiles...
- Moi, j'ai ouvert les négociations dès que je suis arrivée puisque je les ai ouvertes le 15 janvier 2001 ; elles se sont conclues le 27 septembre. Maintenant, nous ne tardons pas et je pense qu'il faut tenir l'échéance de fin février pour que la quasi-totalité de ces accords - il y a toujours des exceptions - en principe puissent être signés. Je pense que nous n'avons pas intérêt à faire durer cette période transitoire et les agents verront des bénéfices concrets : jusqu'à 20 jours de congés supplémentaires, un dimanche sur deux garanti, ce qui n'était pas le cas, les temps de pause intégrés dans le temps de travail, le travail de nuit à 32h30 au lieu de 35 heures ; je crois que ce sont des améliorations concrètes qu'il faut valoriser."
Un mot sur les généralistes : l'UNOF, le syndicat majoritaire, refuse toujours de discuter sur le programme que vous lui aviez proposé. Il joue la montre, il attend les élections selon vous ?
- "L'UNOF n'est pas un syndicat majoritaire. Il est moins minoritaire que MG-France, il ne fait que 40 %. Il y a donc deux syndicats représentatifs, ne l'oublions pas. Ce que je veux dire, c'est que l'accord qui a été signé avec la Cnam est un accord substantiel qui, en termes de rémunération immédiate, accorde une augmentation de 350 euros, soit 2300 francs par mois d'honoraires. Au bout de trois ans, puisque c'est un accord triennal, l'équivalent d'un Smic d'augmentation d'honoraires, ce n'est pas rien. Plus, avec des rémunérations très conséquentes pour les actes contraignants. Par exemple, la visite de nuit peut être rémunérée jusqu'à 60 euros."
Donc, vous les appelez à la raison ?
- "Les astreintes, un forfait de 50 euros plus une rémunération des actes. Je crois donc que c'est un accord qui, sans doute, ne rencontre pas les revendications de l'Unof, mais qui représente une réelle avancée. De plus, grâce au Grenelle de la santé, nous avons travaillé pendant un an. J'ai déjà fait voter et B. Kouchner aussi, par le Parlement, des mesures sur les conditions de travail des médecins pour aider à l'installation là où il n'y a pas assez de médecins, pour organiser des gardes, pour organiser des réseaux de soins, pour s'attaquer aux problèmes de la démographie médicale, pour s'attaquer aux problèmes de la sécurité, pour s'attaquer à l'amélioration des relations avec les caisses d'assurance maladie. Il y a là beaucoup à faire. Tout ceci est voté par le Parlement. Nous sommes maintenant à l'application sur le terrain. C'est un ensemble de choses qui, je crois était très nécessaire parce que le malaise est ancien et profond et que nous sommes en train de les mettre en place. J'espère que les médecins voudront bien considérer les progrès qui ont déjà été faits et qui sont en cours."
Vous n'allez pas à Porto Alegre ou à New York ce week-end ?
"Non, je vais au Salon des entrepreneurs demain soir, pour saluer les créateurs d'entreprise."
(Source http://Sig.premier-ministre.gouv.fr, le 1e février 2002)