Interview de M. Philippe Douste-Blazy, président du groupe parlementaire UDF à l'Assemblée nationale, à France 2 le 25 avril 2002, sur la montée de l'extrême-droite au premier tour de l'élection présidentielle et sur l'Union pour la majorité présidentielle (UMP).

Prononcé le

Circonstance : Election présidentielle 2002 : premier tour le 21 avril (Jacques Chirac contre Jean-Marie Le Pen), deuxième tour le 5 mai 2002

Média : France 2 - Télévision

Texte intégral

F. Laborde Comment se présentent les meetings ? Beaucoup de mobilisation, beaucoup de gens, y compris peut-être des gens qui n'avaient pas voté pour J. Chirac au premier tour ?
- "Bien sûr, il faut que nous nous mobilisions, il faut que le score de J.-M. Le Pen soit le plus bas possible. La France n'est pas le pays de la haine, de l'intolérance, de la honte. La France, c'est avant tout la République. Cela fait deux siècles que les mots "Liberté, Egalité, Fraternité" se conjuguent en français ; cela fait deux siècles que tous les pays opprimés rêvent de leur liberté avec ces mots en français. Aujourd'hui, il faut comprendre ce qui s'est passé, il faut entendre, comprendre et répondre. Le temps de l'inaction a amené l'extrémisme. C'est parce que les socialistes n'ont pas agi, n'ont pas réformé que les extrêmes sont montés. Le temps de l'action est venu."
Cela veut dire qu'à partir du moment où J. Chirac est élu président de la République, et à partir du moment où vous avez une majorité à l'Assemblée - si tout cela se réalise -, vous allez expliquer dans cette campagne ce que vous allez faire dans les 30 jours qui viennent ?
- "Bien sûr. Il faut que les 30 premiers jours soient parfaitement définis puis les 100 premiers aussi, c'est-à-dire les grands messages et les grandes réformes concrètes."
C'est quoi, dans les 30 jours ?
- "D'abord, une grande loi sur la sécurité et sur la justice. Je suis maire de Toulouse, s'il y a bien une seule chose que je vois, c'est qu'il y a bien une peur collective dans les grandes villes. J'ai aussi vu que c'était vrai dans les villages. C'est le problème de la sécurité. Donc, il faut dire que tout délit mérite une sanction. Cela veut dire que toute personne multirécidiviste sera envoyée, éloignée des quartiers, des villes et envoyée dans des centres d'éducation renforcée fermés pour un ou deux ans. Il faudra augmenter le nombre de magistrats pour avoir une justice rapide et efficace, augmenter la comparution..."
L'insécurité est le premier thème...
- " Et la justice..."
Quel est le deuxième ?
- "La fiscalité. Il faudra que dans les premiers mois, immédiatement, on baisse de 5 % l'impôt sur le revenu."
Cela veut dire qu'en septembre, les Français qui paient normalement le dernier tiers provisionnel pourront dès septembre en bénéficier ?
- "Exactement. Par l'intermédiaire d'un collectif budgétaire, il y aura dès le mois de septembre une diminution de 5 % de l'impôt sur le revenu. Une diminution des charges sociales sur les bas salaires entre un et deux Smic. pour quelqu'un qui gagne 1,4 Smic, si vous baissez les cotisations des 7 %, c'est 560 francs de plus dans le salaire direct. Vous donnez un message clair : vous dites à la personne qu'on augmente d'abord le pouvoir d'achat, ce qui augmente la croissance par la consommation. Mais surtout, vous lui dites qu'elle a plutôt intérêt à travailler qu'à cumuler les revenus sociaux. Vous passez d'une culture du non-travail et de l'assistanat à une culture du travail et du mérite. C'est important."
Donc : sécurité, fiscalité et les 35 heures, peut-être une grande conférence sociale ?
- "Bien sûr, une grande conférence sociale. Il faut faire très attention aujourd'hui, parce qu'on voit très bien qu'il y a un problème de sécurité et il faudra beaucoup de fermeté à ce gouvernement. Mais il faudra aussi beaucoup d'écoute et de dialogue social, une capacité de main tendue. Dans ce deuxième tour, il y aura beaucoup de jeunes, beaucoup de personnes qui ont des petits salaires, qui vont, avec J. Chirac, faire un barrage à l'extrême droite. Ces gens-là, il ne faut pas les décevoir le lendemain de l'élection présidentielle."
Vous êtes plutôt satisfait dans l'ensemble de la réaction de l'électorat de gauche, qui, avec un certain nombre de ténors, dit massivement qu'il faut voter pour J. Chirac, même si ce n'est pas forcément sa famille politique ?
- "Très franchement, si l'électorat - certes, j'ai entendu monsieur Strauss-Kahn ou madame Aubry - ne préférait pas monsieur Chirac à monsieur Le Pen, je ne comprendrais plus !"
Et le silence de L. Jospin ?
- "Pour moi, il est choquant. Il s'agit des valeurs de la République !"
Vous pensez que L. Jospin aurait dû, avant de quitter Matignon, dire qu'il appelle à voter pour J. Chirac ?
- "En tout cas, il faut faire barrage à l'extrême droite, il s'agit de l'avenir de ce pays, des valeurs républicaines. J. Chirac, A. Juppé et moi aussi d'ailleurs, nous n'avons jamais flanché devant ces valeurs. Nous avons compris ce qui s'est passé : c'est vrai que sur la sécurité, la justice, il faut faire plus qu'un effort, il faut être ferme ! Je suis maire de Toulouse et il y a un Toulousain sur quatre qui a moins de 25 ans. Je vois cette jeunesse qui n'est ni à droite ni à gauche, elle vient avec nous, elle sent que J. Chirac peut être le héros de cette République pour faire barrage à l'extrême droite. Ceux-là, il faut s'en occuper, il faut les écouter. Il faut beaucoup de fermeté, mais il ne faut pas les trahir."
L'Union pour la majorité présidentielle, pour dire les choses simplement, ça chauffe un peu ! Bayrou et Madelin n'en veulent pas. Est-ce bien le moment de créer des disputes internes ?
- "Au moment où le FN est élevé, au moment où tous les partis de gauche ont décidé d'avoir un seul candidat aux élections législatives, il faut à tout prix que ceux qui pensent la même chose - puisque aujourd'hui le RPR, l'UDF et DL pensent la même chose : nous sommes allés à Toulouse présenter 24 propositions pour faire ce gouvernement d'alternance -, pourquoi continuer à faire des petites querelles, des petites divisions qui aboutissent à des élections municipales comme celle qu'on a connue à Lyon ou à Paris ? Je n'ai plus envie de vivre la division, parce qu'elle entraîne l'échec. La division a changé de camp, c'est maintenant plutôt à gauche qu'on la voit. Nous, nous entendons ; en Allemagne il y a la CDU, en Espagne le Parti populaire espagnol, partout il y a un grand parti de centre droit et de droite. Tout le monde est le bienvenu, il n'y a aucun ostracisme. Plus on sera nombreux, mieux ce sera."
(Source :Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 30 avril 2002)