Texte intégral
Monsieur le président,
Mesdames et Messieurs les députés,
chers amis venus des pays voisins,
Mesdames,
Messieurs,
Je voudrais d'abord remercier la Commission des affaires culturelles, familiales et sociales de l'Assemblée nationale, son président Jean Le Garrec et la mission parlementaire conduite par Marcel Rogemont de leur double initiative : d'abord celle d'une réflexion d'ampleur sur le cinéma, initiative aussi de soumettre les conclusions à un débat ouvert, associant ceux que l'avenir du cinéma concerne. Votre mission illustre bien le rôle que le Parlement peut remplir pour évaluer l'action des pouvoirs publics dans un domaine, le cinéma, qui tient une place constante dans la politique culturelle de la France.
Vous avez su donner à votre mission une impulsion décisive en élargissant dès l'origine le champ de votre réflexion au cinéma européen, conscients de la nécessité de refonder une communauté cinématographique européenne que nous avons connue plus vivante dans les années 1960 et 1970, une communauté mise un peu à mal ou parfois " désuvrée " en l'absence, dans certains pays, d'une réelle politique du cinéma. Cette situation évolue cependant aujourd'hui de manière positive grâce à une mobilisation forte des cercles artistiques, l'ensemble des organisations professionnelles et aussi grâce à certaines initiatives politiques - vous avez cité à juste raison, Monsieur le président, les prises de positions de mon collègue Julian Nida-Rümelin - qui actuellement s'efforce d'engager l'Allemagne dans une politique de soutien à son cinéma.
Je crois que votre mission votre mission s'est déroulée vraiment à un moment opportun, marqué par la bonne santé du secteur du cinéma en France. L'année 2001 a été marquée par un succès, je crois qu'on peut qualifier d'historique, du film français, qui confirme à la fois sa vitalité et sa diversité, et ce qu'il faut bien appeler une forme de réconciliation du public avec notre cinématographie. Et cela, sans rien concéder aux exigences d'une vraie qualité et de la recherche aussi d'écritures singulières. Il y a 55 ans je crois, que l'on n'avait pas connu la même année 4 films français dépassant 5 millions d'entrées et le nombre de films " millionnaires " en spectateurs a plus que doublé par rapport aux années précédentes ; et l'on constate que les films français, y compris ceux qui sont réputés plus difficiles, ont rencontré leur public.
C'est donc toute la production française qui a bénéficié de cet engouement du public. Je fais là peut-être une petite parenthèse pour répondre à l'interrogation de Madame la député, je ne pense pas que nous ayons tous les moyens aujourd'hui de dire si cet accroissement de la fréquentation est dû à une " boulimie " des spectateurs les plus éclairés, ou au contraire à la venue d'un nouveau public. Pour ma part je pense que la réponse n'est ni complètement d'un côté, ni complètement de l'autre ; il est vrai que certaines pratiques commerciales ont pu encourager les adeptes du cinéma à aller plus souvent voir des films, mais sans conteste possible les chiffres de la fréquentation nous ont convaincu qu'il y avait véritablement là un nouveau public, un public plus large. A cela s'ajoute - et c'est extrêmement important - un succès accru du film français dans le monde. Ses résultats dans de nombreux pays ont atteint, eux aussi, des records et les sélections et les distinctions dans les festivals internationaux se sont multipliées, le dernier festival de Berlin a encore apporté sa moisson de distinctions.
Tous ces indices concordants attestent que le cinéma devient un mode essentiel de rayonnement de notre culture, mais je voudrais dire aussi, car le soupçon de chauvinisme est vite là, que je suis persuadée que ce succès des films français au-delà de nos frontières est aussi la preuve de l'appétit croissant des publics du monde entier - en tout cas dans de nombreux pays - pour les cinématographies étrangères. Et je suis convaincue que si plus de pays parviennent à soutenir leur production originale de films et à se doter des moyens de les présenter hors de leurs frontières, les publics du monde attendent cette offre diversifiée. Donc le rappel que je fais du succès des films français hors de nos frontières n'est pas un " cocorico " unilatéral, il est plutôt, pour moi, le signe fort de cette attente des publics, aujourd'hui, d'une offre non seulement diversifiée à l'intérieur des frontières de chacun de nos pays, mais venant aussi des cinématographies étrangères.
On retrouverait là d'ailleurs un appétit qui était manifeste justement dans les années 1960 où selon les pays où nous vivions nous étions les uns et les autres nourris par des cinématographies de pays voisins. A cela s'ajoute - et c'est donc ces preuves d'un succès du film hors de ses frontières - face à ce tableau positif pourquoi devons-nous rester vigilants et parfois témoigner d'une inquiétude sur l'avenir des cinémas français et européens ? Eh bien pour une raison fondamentale et qu'il est utile je pense de rappeler, alors que certains esprits faisant un contresens disent qu'il serait temps d'abandonner la notion d'exception culturelle. L'économie du cinéma est, parce qu'il s'agit de création, une économie en permanente situation de fragilité et de risque. Le risque c'est même la définition même de toute aventure de création, et face à ces risques ce sont les choix politiques du gouvernement de Lionel Jospin et notamment nos aides publiques qui ont été confortées - qui sont anciennes dans notre pays - et qui ont été encore confortées depuis 1997, qui assurent de fait le meilleur cadre de développement du cinéma pour l'avenir. C'est vrai pour un cinéma dit " de divertissement ", ça l'est encore plus pour un cinéma qui se fixe des objectifs plus ambitieux concourant au pluralisme de la création.
Il n'est donc jamais superflu de s'interroger sur l'avenir du cinéma, le faire dans un contexte de croissance permet évidemment d'exercer son jugement avec plus de sérénité et plus de liberté aussi. Nous savons d'ailleurs que des échéances décisives inscrites à l'horizon de 2004, justifient aujourd'hui une certaine mobilisation des esprits. 2004, c'est le terme fixé par la Commission européenne pour un réexamen général des systèmes d'aide au cinéma dans les pays de l'Union, c'est aussi - et je sais que les professionnels du cinéma appréhendent cette étape - la date à laquelle prennent fin les accords conclus en mai 2000 entre Canal Plus et les professionnels du cinéma, et également la convention conclue avec le Conseil Supérieur de l'Audiovisuel.
Côté Commission européenne, je veux simplement rappeler ici que cet examen des systèmes nationaux a été engagé bien sûr bien en amont de 2004, et que les travaux de la Commission - et en particulier le travail de la commissaire Viviane Reading - aujourd'hui nous confirment dans la viabilité durable des systèmes d'aides nationales au cinéma. Côté échéance nationale 2004 pour certains accords, je veux rappeler que le obligations essentielles des chaînes de télévision à l'égard du cinéma français et européen, notamment sa contribution à la production indépendante, viennent d'être réinscrites dans les décrets publiés fin 2001. Et ces décrets, qui concernent l'ensemble des diffuseurs, ne sont aucunement limités à échéance de 2004.
J'espère que nos amis étrangers me pardonneront ce petit détour typiquement hexagonal. Alors, ceci étant dit, cela ne nous dispense évidemment pas de réfléchir à l'avenir.
Au plan national, les relations cinéma/télévision sont bien au cur de notre réflexion et je pense que - d'ailleurs l'intervention de notre amie italienne l'a prouvé - que c'est le cas aussi au-delà de nos frontières. La diffusion des films français et européens, eh bien la télévision est plus que jamais un enjeu important. D'un point de vue culturel d'abord, pour assurer la diffusion la plus large de notre patrimoine cinématographique auprès du public le plus diversifié, et j'ajoute : où qu'il habite, même s'il est loin des réseaux de salles d'exploitation, et sur le plan économique pour permettre une meilleure valorisation des catalogues des producteurs indépendants qui est, nous le savons, la clé de la santé économique d'entreprise souvent source d'innovation et de création. Donc, la contribution, la participation des télévisions à cette économie, est une nécessité évidente.
Il n'est donc pas acceptable qu'aujourd'hui, alors que la part des entrées réalisées par les films français en salle dépasse 40 %, certaines chaînes de télévision, principalement consacrées à la diffusion de films, ne respectent pas leurs obligations en ce domaine. De même, je crois indispensable que les chaînes du secteur public se mobilisent encore mieux en faveur de la diffusion des cinémas français et européens, c'est un complément indispensable de la politique d'éducation à l'image. Des discussions entre le service public en France et les professionnels sont en cours ; je souhaite qu'elles aboutissent rapidement pour organiser une diffusion et une programmation des films représentatifs de la production récente. J'ajoute - car il est très difficile de dissocier le cadre national du cadre européen - que les services audiovisuels publics ont un rôle éminent à jouer dans la circulation des cinématographies européennes, d'un territoire à l'autre.
Quant au rôle de la télévision dans le financement du cinéma - c'est à l'évidence l'un des piliers de notre système de soutien - il n'existe à mes yeux aucun motif tangible de réduire la contribution des chaînes de télévision au bénéfice mutuel d'ailleurs des diffuseurs et du monde du cinéma. En revanche, rien ne s'oppose, comme vous le suggérez opportunément dans votre rapport, à mener une réflexion sur une plus grande diversité des sources de financement par la modernisation de notre système de soutien, par la réforme des SOFICAS, par le développement des aides régionales et David Kessler, le directeur général du Centre National de la Cinématographie, a engagé depuis l'automne dernier cette réflexion. dont il nous livrera dans quelques mois les conclusions. Nous sommes donc, je crois, Messieurs les présidents, Mesdames et Messieurs les parlementaires, tout à fait en phase avec votre souci d'assurer au cinéma français les conditions d'un développement durable. Vous vous êtes également attachés à souligner un certain nombre d'autres objectifs plus ciblés et importants.
Les industries techniques tout d'abord, sur lesquelles repose un savoir-faire souvent indissociable de la qualité artistique de notre production. Ces industries ont à financer de lourds investissements imposés par l'évolution rapide des technologies numériques. J'ai donc demandé à une personnalité qualifiée un rapport détaillé sur ce secteur et des propositions concrètes d'action. Pour ce qui concerne l'amont et l'aval de la production, vous savez qu'un effort important a été engagé par mon ministère, concrétisé par la mise en place de nouveaux dispositifs en faveur de l'écriture et de la distribution. Je crois qu'il ne faut jamais oublier qu'un film s'inscrit dans une chaîne, une longue chaîne, si on veut lui assurer ses pleines chances d'être vu par le plus large public et dans les meilleures conditions. C'est pourquoi l'amont et l'aval sont au cur de nos réflexions sur les évolutions peut-être souhaitables de notre système d'aide. Reste un chantier important, que vous abordez fort bien dans votre rapport, c'est celui de la régulation de la concurrence dans le secteur de la distribution, et la question aussi de la définition de l'indépendance. Beaucoup a déjà été fait dans le travail réglementaire accompli au cours de l'année 2001 pour réguler les relations entre les diffuseurs et la production indépendante.
Comme vous le signalez, le contrôle des concentrations doit aussi devenir un outil efficace pour éviter que les alliances, fusions, acquisitions, que l'intégration aussi bien verticale qu'horizontale, ne portent atteinte à l'indépendance des acteurs de cette chaîne du cinéma et à la diversité de la production et de la diffusion. Ainsi, la fusion Gaumont-Pathé a été soumise à des conditions précises : il faudra veiller à leur application effective ; il en est de même pour la fusion Vivendi Universal, approuvée par la Commission européenne. Le respect par ces acteurs économiques désormais très puissants, des conditions posées par le contrôle des concentrations est évidemment essentiel.
Et c'est un souci qu'il faut porter au niveau européen. Une part importante de votre réflexion est consacrée à la construction d'un véritable " espace cinématographique européen ". Cela passe précisément par le droit européen de la concurrence : tout le monde convient aujourd'hui - et j'ai personnellement uvré à ce que cette position soit partagée par un grand nombre de pays voisins lors de la présidence française de l'Union européenne, au dernier semestre 2000 et je dois dire que nous nous sommes trouvés nombreux sur cette position - nous avons donc uvré pour que ce droit européen protège les indépendants plutôt bien sûr que de servir à limiter la portée des aides nationales. Il faudra s'assurer que la Commission est bien durablement convaincue de la légitimité de ces aides de soutien, dans les pays bien sûr qui souhaitent en doter puisque nous sommes là dans un domaine qui relève éminemment de la subsidiarité.
Il faut également défendre les acquis de la directive " Télévision sans frontières ", qui protège la diversité des producteurs et garantit celle des programmes. Alors, je ne suis pas sourde, je sais que d'aucuns plaident pour une remise à plat, une révision complète de la directive " télévision sans frontière ". Pour notre part, nous sommes convaincus qu'il faut plutôt conforter les principes de cette directive. Enfin, il faut militer pour le développement d'actions positives, à travers le plan Média Plus. Nous avons obtenu lors de la présidence française, avec le concours des autres pays membres, que ce programme dispose d'une enveloppe financière sensiblement accrue. Je crois que son budget doit néanmoins encore progresser pour développer de nouvelles actions. En d'autres termes, nous agissons pour que l'Europe soit porteuse d'une politique ferme en faveur du cinéma, en faveur de sa diversité, et de sa créativité.
Tous les débats que nous avons avec les opérateurs, avec les organisations professionnelles très diverses du cinéma, et notre action en particulier réglementaire, sont un rempart constant face aux tentations de dérégulation de la part de ceux qui souhaiteraient utiliser des artifices pour tourner et donc affaiblir nos dispositifs nationaux. Tentatives de dérégulation qui, on le voit, prennent souvent appui et arguments sur les évolutions technologiques. Et de ce point de vue, l'arrivée de la télévision numérique terrestre semble avoir réalimentée ces réflexions dérégulatrices et les tentations de contournement de nos dispositifs. Alors, je veux dire, à ce stade, un mot sur le projet de création de chaînes cinéma qui seraient diffusées à partir du Luxembourg à l'initiative de la société AB. Cette société et CanalSatellite ont clairement affirmé que leur intention n'était pas de contourner la réglementation française. Nous en prenons acte avec satisfaction.
Pour sa part le gouvernement y sera très attentif, qu'il s'agisse de l'application de la loi et des décrets, ou des conventions qui pourront être passés entre les opérateurs, en particulier lorsqu'il s'agira de programmes à destination de publics non exclusivement français. Comme d'ailleurs le droit européen nous y autorise, nous n'accepterons pas que soit fragilisé un système dont nous constatons tous le succès. C'est d'ailleurs l'objet de ce colloque que d'en apporter la démonstration. Je tenais à être claire sur ce sujet.
Votre mission, Monsieur le président s'était fixée dès le départ un programme de travail vaste et ambitieux ; le résultat est un document que vous livrez aujourd'hui à l'appréciation de tous ceux pour qui l'avenir du cinéma français et européen constitue un enjeu culturel de premier ordre. En tant que ministre responsable de la langue française, je me réjouis de l'appréciation portée par Daniel Toscan du Plantier sur l'excellence de la langue de ce rapport.
J'ajoute que ma conviction la plus profonde est que l'intérêt de ce travail dépasse de beaucoup le cercle des experts, hommes politiques, responsables et professionnels, acteurs de toutes les chaînes du cinéma que vous avez su réunir pour cette journée de travail et qu'en fait ce rapport concerne directement ces millions d'hommes et de femmes qui trouvent quotidiennement dans le cinéma tout à la fois un moyen de se divertir et aussi d'avoir un regard sur le monde où se joue leur liberté individuelle et collective.
Je vous remercie de votre attention.
(source http://www.culture.gouv.fr, le 26 février 2002)
Mesdames et Messieurs les députés,
chers amis venus des pays voisins,
Mesdames,
Messieurs,
Je voudrais d'abord remercier la Commission des affaires culturelles, familiales et sociales de l'Assemblée nationale, son président Jean Le Garrec et la mission parlementaire conduite par Marcel Rogemont de leur double initiative : d'abord celle d'une réflexion d'ampleur sur le cinéma, initiative aussi de soumettre les conclusions à un débat ouvert, associant ceux que l'avenir du cinéma concerne. Votre mission illustre bien le rôle que le Parlement peut remplir pour évaluer l'action des pouvoirs publics dans un domaine, le cinéma, qui tient une place constante dans la politique culturelle de la France.
Vous avez su donner à votre mission une impulsion décisive en élargissant dès l'origine le champ de votre réflexion au cinéma européen, conscients de la nécessité de refonder une communauté cinématographique européenne que nous avons connue plus vivante dans les années 1960 et 1970, une communauté mise un peu à mal ou parfois " désuvrée " en l'absence, dans certains pays, d'une réelle politique du cinéma. Cette situation évolue cependant aujourd'hui de manière positive grâce à une mobilisation forte des cercles artistiques, l'ensemble des organisations professionnelles et aussi grâce à certaines initiatives politiques - vous avez cité à juste raison, Monsieur le président, les prises de positions de mon collègue Julian Nida-Rümelin - qui actuellement s'efforce d'engager l'Allemagne dans une politique de soutien à son cinéma.
Je crois que votre mission votre mission s'est déroulée vraiment à un moment opportun, marqué par la bonne santé du secteur du cinéma en France. L'année 2001 a été marquée par un succès, je crois qu'on peut qualifier d'historique, du film français, qui confirme à la fois sa vitalité et sa diversité, et ce qu'il faut bien appeler une forme de réconciliation du public avec notre cinématographie. Et cela, sans rien concéder aux exigences d'une vraie qualité et de la recherche aussi d'écritures singulières. Il y a 55 ans je crois, que l'on n'avait pas connu la même année 4 films français dépassant 5 millions d'entrées et le nombre de films " millionnaires " en spectateurs a plus que doublé par rapport aux années précédentes ; et l'on constate que les films français, y compris ceux qui sont réputés plus difficiles, ont rencontré leur public.
C'est donc toute la production française qui a bénéficié de cet engouement du public. Je fais là peut-être une petite parenthèse pour répondre à l'interrogation de Madame la député, je ne pense pas que nous ayons tous les moyens aujourd'hui de dire si cet accroissement de la fréquentation est dû à une " boulimie " des spectateurs les plus éclairés, ou au contraire à la venue d'un nouveau public. Pour ma part je pense que la réponse n'est ni complètement d'un côté, ni complètement de l'autre ; il est vrai que certaines pratiques commerciales ont pu encourager les adeptes du cinéma à aller plus souvent voir des films, mais sans conteste possible les chiffres de la fréquentation nous ont convaincu qu'il y avait véritablement là un nouveau public, un public plus large. A cela s'ajoute - et c'est extrêmement important - un succès accru du film français dans le monde. Ses résultats dans de nombreux pays ont atteint, eux aussi, des records et les sélections et les distinctions dans les festivals internationaux se sont multipliées, le dernier festival de Berlin a encore apporté sa moisson de distinctions.
Tous ces indices concordants attestent que le cinéma devient un mode essentiel de rayonnement de notre culture, mais je voudrais dire aussi, car le soupçon de chauvinisme est vite là, que je suis persuadée que ce succès des films français au-delà de nos frontières est aussi la preuve de l'appétit croissant des publics du monde entier - en tout cas dans de nombreux pays - pour les cinématographies étrangères. Et je suis convaincue que si plus de pays parviennent à soutenir leur production originale de films et à se doter des moyens de les présenter hors de leurs frontières, les publics du monde attendent cette offre diversifiée. Donc le rappel que je fais du succès des films français hors de nos frontières n'est pas un " cocorico " unilatéral, il est plutôt, pour moi, le signe fort de cette attente des publics, aujourd'hui, d'une offre non seulement diversifiée à l'intérieur des frontières de chacun de nos pays, mais venant aussi des cinématographies étrangères.
On retrouverait là d'ailleurs un appétit qui était manifeste justement dans les années 1960 où selon les pays où nous vivions nous étions les uns et les autres nourris par des cinématographies de pays voisins. A cela s'ajoute - et c'est donc ces preuves d'un succès du film hors de ses frontières - face à ce tableau positif pourquoi devons-nous rester vigilants et parfois témoigner d'une inquiétude sur l'avenir des cinémas français et européens ? Eh bien pour une raison fondamentale et qu'il est utile je pense de rappeler, alors que certains esprits faisant un contresens disent qu'il serait temps d'abandonner la notion d'exception culturelle. L'économie du cinéma est, parce qu'il s'agit de création, une économie en permanente situation de fragilité et de risque. Le risque c'est même la définition même de toute aventure de création, et face à ces risques ce sont les choix politiques du gouvernement de Lionel Jospin et notamment nos aides publiques qui ont été confortées - qui sont anciennes dans notre pays - et qui ont été encore confortées depuis 1997, qui assurent de fait le meilleur cadre de développement du cinéma pour l'avenir. C'est vrai pour un cinéma dit " de divertissement ", ça l'est encore plus pour un cinéma qui se fixe des objectifs plus ambitieux concourant au pluralisme de la création.
Il n'est donc jamais superflu de s'interroger sur l'avenir du cinéma, le faire dans un contexte de croissance permet évidemment d'exercer son jugement avec plus de sérénité et plus de liberté aussi. Nous savons d'ailleurs que des échéances décisives inscrites à l'horizon de 2004, justifient aujourd'hui une certaine mobilisation des esprits. 2004, c'est le terme fixé par la Commission européenne pour un réexamen général des systèmes d'aide au cinéma dans les pays de l'Union, c'est aussi - et je sais que les professionnels du cinéma appréhendent cette étape - la date à laquelle prennent fin les accords conclus en mai 2000 entre Canal Plus et les professionnels du cinéma, et également la convention conclue avec le Conseil Supérieur de l'Audiovisuel.
Côté Commission européenne, je veux simplement rappeler ici que cet examen des systèmes nationaux a été engagé bien sûr bien en amont de 2004, et que les travaux de la Commission - et en particulier le travail de la commissaire Viviane Reading - aujourd'hui nous confirment dans la viabilité durable des systèmes d'aides nationales au cinéma. Côté échéance nationale 2004 pour certains accords, je veux rappeler que le obligations essentielles des chaînes de télévision à l'égard du cinéma français et européen, notamment sa contribution à la production indépendante, viennent d'être réinscrites dans les décrets publiés fin 2001. Et ces décrets, qui concernent l'ensemble des diffuseurs, ne sont aucunement limités à échéance de 2004.
J'espère que nos amis étrangers me pardonneront ce petit détour typiquement hexagonal. Alors, ceci étant dit, cela ne nous dispense évidemment pas de réfléchir à l'avenir.
Au plan national, les relations cinéma/télévision sont bien au cur de notre réflexion et je pense que - d'ailleurs l'intervention de notre amie italienne l'a prouvé - que c'est le cas aussi au-delà de nos frontières. La diffusion des films français et européens, eh bien la télévision est plus que jamais un enjeu important. D'un point de vue culturel d'abord, pour assurer la diffusion la plus large de notre patrimoine cinématographique auprès du public le plus diversifié, et j'ajoute : où qu'il habite, même s'il est loin des réseaux de salles d'exploitation, et sur le plan économique pour permettre une meilleure valorisation des catalogues des producteurs indépendants qui est, nous le savons, la clé de la santé économique d'entreprise souvent source d'innovation et de création. Donc, la contribution, la participation des télévisions à cette économie, est une nécessité évidente.
Il n'est donc pas acceptable qu'aujourd'hui, alors que la part des entrées réalisées par les films français en salle dépasse 40 %, certaines chaînes de télévision, principalement consacrées à la diffusion de films, ne respectent pas leurs obligations en ce domaine. De même, je crois indispensable que les chaînes du secteur public se mobilisent encore mieux en faveur de la diffusion des cinémas français et européens, c'est un complément indispensable de la politique d'éducation à l'image. Des discussions entre le service public en France et les professionnels sont en cours ; je souhaite qu'elles aboutissent rapidement pour organiser une diffusion et une programmation des films représentatifs de la production récente. J'ajoute - car il est très difficile de dissocier le cadre national du cadre européen - que les services audiovisuels publics ont un rôle éminent à jouer dans la circulation des cinématographies européennes, d'un territoire à l'autre.
Quant au rôle de la télévision dans le financement du cinéma - c'est à l'évidence l'un des piliers de notre système de soutien - il n'existe à mes yeux aucun motif tangible de réduire la contribution des chaînes de télévision au bénéfice mutuel d'ailleurs des diffuseurs et du monde du cinéma. En revanche, rien ne s'oppose, comme vous le suggérez opportunément dans votre rapport, à mener une réflexion sur une plus grande diversité des sources de financement par la modernisation de notre système de soutien, par la réforme des SOFICAS, par le développement des aides régionales et David Kessler, le directeur général du Centre National de la Cinématographie, a engagé depuis l'automne dernier cette réflexion. dont il nous livrera dans quelques mois les conclusions. Nous sommes donc, je crois, Messieurs les présidents, Mesdames et Messieurs les parlementaires, tout à fait en phase avec votre souci d'assurer au cinéma français les conditions d'un développement durable. Vous vous êtes également attachés à souligner un certain nombre d'autres objectifs plus ciblés et importants.
Les industries techniques tout d'abord, sur lesquelles repose un savoir-faire souvent indissociable de la qualité artistique de notre production. Ces industries ont à financer de lourds investissements imposés par l'évolution rapide des technologies numériques. J'ai donc demandé à une personnalité qualifiée un rapport détaillé sur ce secteur et des propositions concrètes d'action. Pour ce qui concerne l'amont et l'aval de la production, vous savez qu'un effort important a été engagé par mon ministère, concrétisé par la mise en place de nouveaux dispositifs en faveur de l'écriture et de la distribution. Je crois qu'il ne faut jamais oublier qu'un film s'inscrit dans une chaîne, une longue chaîne, si on veut lui assurer ses pleines chances d'être vu par le plus large public et dans les meilleures conditions. C'est pourquoi l'amont et l'aval sont au cur de nos réflexions sur les évolutions peut-être souhaitables de notre système d'aide. Reste un chantier important, que vous abordez fort bien dans votre rapport, c'est celui de la régulation de la concurrence dans le secteur de la distribution, et la question aussi de la définition de l'indépendance. Beaucoup a déjà été fait dans le travail réglementaire accompli au cours de l'année 2001 pour réguler les relations entre les diffuseurs et la production indépendante.
Comme vous le signalez, le contrôle des concentrations doit aussi devenir un outil efficace pour éviter que les alliances, fusions, acquisitions, que l'intégration aussi bien verticale qu'horizontale, ne portent atteinte à l'indépendance des acteurs de cette chaîne du cinéma et à la diversité de la production et de la diffusion. Ainsi, la fusion Gaumont-Pathé a été soumise à des conditions précises : il faudra veiller à leur application effective ; il en est de même pour la fusion Vivendi Universal, approuvée par la Commission européenne. Le respect par ces acteurs économiques désormais très puissants, des conditions posées par le contrôle des concentrations est évidemment essentiel.
Et c'est un souci qu'il faut porter au niveau européen. Une part importante de votre réflexion est consacrée à la construction d'un véritable " espace cinématographique européen ". Cela passe précisément par le droit européen de la concurrence : tout le monde convient aujourd'hui - et j'ai personnellement uvré à ce que cette position soit partagée par un grand nombre de pays voisins lors de la présidence française de l'Union européenne, au dernier semestre 2000 et je dois dire que nous nous sommes trouvés nombreux sur cette position - nous avons donc uvré pour que ce droit européen protège les indépendants plutôt bien sûr que de servir à limiter la portée des aides nationales. Il faudra s'assurer que la Commission est bien durablement convaincue de la légitimité de ces aides de soutien, dans les pays bien sûr qui souhaitent en doter puisque nous sommes là dans un domaine qui relève éminemment de la subsidiarité.
Il faut également défendre les acquis de la directive " Télévision sans frontières ", qui protège la diversité des producteurs et garantit celle des programmes. Alors, je ne suis pas sourde, je sais que d'aucuns plaident pour une remise à plat, une révision complète de la directive " télévision sans frontière ". Pour notre part, nous sommes convaincus qu'il faut plutôt conforter les principes de cette directive. Enfin, il faut militer pour le développement d'actions positives, à travers le plan Média Plus. Nous avons obtenu lors de la présidence française, avec le concours des autres pays membres, que ce programme dispose d'une enveloppe financière sensiblement accrue. Je crois que son budget doit néanmoins encore progresser pour développer de nouvelles actions. En d'autres termes, nous agissons pour que l'Europe soit porteuse d'une politique ferme en faveur du cinéma, en faveur de sa diversité, et de sa créativité.
Tous les débats que nous avons avec les opérateurs, avec les organisations professionnelles très diverses du cinéma, et notre action en particulier réglementaire, sont un rempart constant face aux tentations de dérégulation de la part de ceux qui souhaiteraient utiliser des artifices pour tourner et donc affaiblir nos dispositifs nationaux. Tentatives de dérégulation qui, on le voit, prennent souvent appui et arguments sur les évolutions technologiques. Et de ce point de vue, l'arrivée de la télévision numérique terrestre semble avoir réalimentée ces réflexions dérégulatrices et les tentations de contournement de nos dispositifs. Alors, je veux dire, à ce stade, un mot sur le projet de création de chaînes cinéma qui seraient diffusées à partir du Luxembourg à l'initiative de la société AB. Cette société et CanalSatellite ont clairement affirmé que leur intention n'était pas de contourner la réglementation française. Nous en prenons acte avec satisfaction.
Pour sa part le gouvernement y sera très attentif, qu'il s'agisse de l'application de la loi et des décrets, ou des conventions qui pourront être passés entre les opérateurs, en particulier lorsqu'il s'agira de programmes à destination de publics non exclusivement français. Comme d'ailleurs le droit européen nous y autorise, nous n'accepterons pas que soit fragilisé un système dont nous constatons tous le succès. C'est d'ailleurs l'objet de ce colloque que d'en apporter la démonstration. Je tenais à être claire sur ce sujet.
Votre mission, Monsieur le président s'était fixée dès le départ un programme de travail vaste et ambitieux ; le résultat est un document que vous livrez aujourd'hui à l'appréciation de tous ceux pour qui l'avenir du cinéma français et européen constitue un enjeu culturel de premier ordre. En tant que ministre responsable de la langue française, je me réjouis de l'appréciation portée par Daniel Toscan du Plantier sur l'excellence de la langue de ce rapport.
J'ajoute que ma conviction la plus profonde est que l'intérêt de ce travail dépasse de beaucoup le cercle des experts, hommes politiques, responsables et professionnels, acteurs de toutes les chaînes du cinéma que vous avez su réunir pour cette journée de travail et qu'en fait ce rapport concerne directement ces millions d'hommes et de femmes qui trouvent quotidiennement dans le cinéma tout à la fois un moyen de se divertir et aussi d'avoir un regard sur le monde où se joue leur liberté individuelle et collective.
Je vous remercie de votre attention.
(source http://www.culture.gouv.fr, le 26 février 2002)