Texte intégral
(Discours à Istanbul, le 12 février 2002) :
Merci beaucoup, je suis très heureux d'avoir l'occasion de m'exprimer devant ce parterre prestigieux, pour apporter une contribution à cette réflexion sur le dialogue des civilisations.
Mes remarques porteront sur les civilisations, sur les risques du clash, sur la nature du dialogue et sur les suites.
- Premier point : quand on parle du choc des civilisations, de dialogue des civilisations, on éprouve une certaine gêne parce qu'on n'arrive pas à définir le mot "civilisation".
Qu'est-ce que le monde chrétien aujourd'hui ? Il se divise en deux parties. Dans le monde chrétien actuel, beaucoup de gens sont athées. Est-ce que c'est un bon critère pour définir les choses ? On voit tout de suite qu'il y a des différences considérables à l'intérieur de ce que l'on appelle les civilisations, à l'intérieur du monde arabo-islamique, à l'intérieur du monde chrétien, entre le monde orthodoxe et le reste, et même ailleurs.
On découvre aussitôt le besoin d'éviter les analyses schématiques et de nuancer, parce qu'il y a beaucoup d'autres lignes de fractures complexes, religieuses, ethniques, étatiques, économiques, qui traversent ce que l'on peut appeler les civilisations.
Quand, il y a quelques années, il y a eu l'ouvrage d'Huntington sur le clash des civilisations, ce livre avait été très attaqué comme étant trop simplificateur. Beaucoup de gens avaient contesté sa classification des différentes civilisations. Quand on met en avant ce thème, on éprouve une certaine gêne et les esprits raffinés et distingués, comme ceux qui sont dans cette salle, essayent d'éviter cette approche. Mais je considère que cela conduit à un risque qui est de refuser de voir certaines réalités. Dans un esprit consensuel, dans un esprit de convivialité, dans un esprit de tolérance, on va dire : "Mais non il n'y a pas de civilisations, il y a des valeurs communes à tout le monde" et finalement, on passe à côté d'une réalité. Ainsi, ma première remarque, en dépit du caractère approximatif du mot "civilisation", en dépit de la difficulté à définir ce que cela veut dire, c'est que c'est un vrai problème. Un vrai problème qu'il faut avoir le courage de traiter et d'aborder.
- Deuxième remarque sur le clash, qui découle de la première remarque. Nous, nous détestons cette idée de clash des civilisations. Mais il y a deux façons de détester cette idée. C'est de considérer que c'est une idée fausse ; ou bien, il y a une autre façon qui est de lutter contre ce risque. Beaucoup de gens s'expriment pour dire que c'est une idée fausse.
C'est impossible, il n'y a pas d'affrontement, cela ne veut rien dire et conduit à ce qu'on appelle en français la "politique de l'autruche". Parce que même si la définition de "civilisation" est approximative, il n'est pas vrai que dans l'ensemble du monde, les populations ont les mêmes conceptions sur tous les sujets. Ce n'est pas vrai. Surtout si on prend des sujets sensibles qui ne sont pas des sujets de politique étrangère. Mais si on prend des sujets sensibles sur l'organisation de la vie, l'organisation de la société, le rôle de l'individu, il y a de vraies différences.
Sur certains sujets de politique internationale très sensibles comme la question du Proche-Orient, on voit bien que les réactions des opinions publiques dans le monde arabe ou dans le monde musulman et en Occident ne sont pas du tout les mêmes. Même si le concept de civilisations est un concept flou, il y a pourtant des éléments de tension dans notre monde, c'est mon opinion. Des éléments d'incompréhension, des malentendus, des antagonismes qui font qu'il pourrait se produire un clash quand même ou des clash ou plusieurs clash, si les politiques suivies ne sont pas suffisamment intelligentes. Il y a des politiques maladroites qui peuvent créer ce risque, donc sur la théorie du clash des civilisations, je pense qu'il est plus utile de combattre le risque que d'être scandalisé par la théorie. Je pense qu'il y a une part de risque.
D'habitude, quand on a parlé du risque d'affrontements entre les civilisations, on répond dialogue et nous sommes ici pour cela. Je trouve que le genre de dialogue qu'il y a d'habitude ne sert à rien, parce c'est un dialogue tellement aimable, tellement sympathique, qu'on n'ose jamais parler des sujets de désaccords.
Le dialogue rassemble par exemple à l'UNESCO, aux Nations unies, des gens très civilisés qui ont l'habitude du désaccord, des diplomates, des hommes politiques professionnels qui savent concilier les opinions les plus contradictoires. Les choses se passent très bien, tout le monde part très content et personne n'a dit ce qu'il pensait. Vous savez, c'est le genre de dialogue où l'on dit que les Arabes ont une grande civilisation parce qu'ils ont inventé l'astronomie, que les Chinois ont inventé les feux d'artifice. On dit des choses un peu ridicules de ce genre, dans tous les discours, et le vrai dialogue n'a pas lieu.
Je plaide donc pour un dialogue vrai. Qu'est ce que j'appelle le dialogue vrai ? C'est un dialogue dans lequel les occidentaux expliquent aux musulmans, par exemple, la situation de la femme dans le monde musulman, que les Occidentaux ne comprennent pas et condamnent, en bloc, avec ignorance, simplisme. Mais il y a une vraie incompréhension. Peut-être qu'on se trompe mais il faudrait peut-être oser en parler.
Je crois que le Secrétaire général de l'Union européenne, Haut représentant de la PESC, M. Solana, a donné ce matin d'autres exemples, sur la peine de mort notamment. En sens inverse, tous mes amis musulmans, considèrent par exemple que la situation de la famille dans le monde occidental est tragique, que les familles sont totalement détruites. Et j'ai beaucoup d'amis musulmans qui considèrent que les pays dans lesquels les personnes âgées sont abandonnées comme le sont les personnes âgées dans la plupart des pays riches, c'est monstrueux. Voilà deux points de vue. On ne parle jamais de ces sujets. Je pourrai en trouver dix autres presque plus dangereux. Je plaide donc pour un dialogue véritable, franc, dans lequel on a le courage d'aborder des choses comme ça. Je crois que ça servira de soupape et fera avancer les choses.
Ma conclusion, c'est que si on arrive à lancer ici à Istanbul, non pas une nouvelle bureaucratie, dont on n'a pas besoin, mais un esprit d'Istanbul, qui serait l'esprit de ce dialogue vrai, à la fois respect mutuel et franchise, on aura lancé quelque chose grâce à nos amis turcs, grâce à Ismaël Cem, grâce aux deux organisations qui sont là, grâce aux participants.
On aura lancé quelque chose d'important, mais ce dialogue là ne peut pas être mené par les hommes politiques seuls. Il faut donc imaginer des façons de faire relayer ce dialogue véritable, cette explication véritable.
Nous sommes obligés d'avoir ce dialogue dans le monde de l'après 11 septembre. Apparemment, cela paraît très difficile parce que l'islam et l'Occident se sont historiquement combattus. En même temps, je pense que ce rassemblement d'aujourd'hui, monde arabo-islamique et monde européen, est excellent. Nous sommes les mieux placés parce que l'affrontement historique a créé des proximités, a créé des passerelles, a créé des antagonismes mais aussi des compréhensions. S'il y a un endroit dans le monde où on peut arriver à surmonter les malentendus, c'est dans ce type de réunion. Je trouve qu'Istanbul est un symbole formidable. C'est le symbole des affrontements et c'est le symbole des réconciliations, et le symbole du dialogue. Donc vive l'esprit d'Istanbul !
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 14 février 2002)
(Point de presse à Istanbul, le 12 février 2002) :
Q - Monsieur le Ministre, où en est cette initiative de plan de paix pour la Palestine ?
R - On ne peut pas parler d'initiative ou de plan à proprement parler. Nous avons parlé d'idées. Dans la situation de blocage où nous sommes, il ne faut ni désespérer, ni baisser les bras. Les Européens pensent qu'il faut relancer le volet politique des négociations, pour une solution politique qui a été complètement abandonnée. La France a mis sur la table quelques idées à ce sujet. Par exemple, un soutien à l'initiative Shimon Peres - Abou Ala de reconnaissance d'un Etat palestinien au début du processus. Par exemple, des élections dans les Territoires palestiniens pour redonner aux Palestiniens un mode d'expression légitime et démocratique. Par exemple, un référendum ; c'était une idée allemande. Mais aussi l'idée italienne de conférence.
Toutes ces idées méritent examen. Aucune d'entre elles ne peut être appliquée automatiquement, il faut avoir des échanges, une réflexion à ce sujet. Mais elles ont toutes comme point commun de remettre au centre de nos préoccupations la solution politique. Parce que les Européens pensent qu'on ne trouvera pas de solution avec la politique actuelle du gouvernement israélien qui n'est concentrée que sur la répression militaire. Cela peut conduire à des succès momentanés, des succès tactiques, mais cela ne débouche pas sur une solution politique.
Je dirais, après la réunion de Caceres en Espagne, et après avoir entendu des échos dans le monde entier à ce sujet, que nos idées provoquent de l'intérêt, provoquent de l'approbation. Beaucoup de questions aussi, c'est normal. Mais au total nos idées progressent, elles cheminent. Les Américains et notamment Colin Powell, nous disent : "Attention, nous, nous pensons qu'il faut d'abord mettre en uvre le plan Tenet et les conclusions de la Commission Mitchell. C'est un préalable". Ils ont remarqué que ces idées sont présentes depuis des mois et des mois et que rien ne se passe. Nous pensons qu'il est utile que l'Europe apporte ses contributions, et les Européens à Caceres étaient tout à fait unanimes sur ce plan-là. Nous allons donc continuer à nous exprimer sur ce travail européen pour essayer de débloquer la situation.
Q - Cela va être dur ?
R - La réunion d'Istanbul, une excellente initiative, n'est pas liée à un conflit d'actualité en particulier. Il s'agit de prendre cette affaire de dialogue des civilisations pour voir si l'on peut aller au-delà des habituels échanges d'amabilité sur ce sujet. On peut engager et nouer un dialogue substantiel, je le souhaite.
Q - Est-ce qu'on vous a beaucoup parlé, dans vos contacts bilatéraux, de la question iraquienne ?
R - A propos de l'Iraq, tous les pays de la région, tous les pays arabes, tous les pays européens aussi, se posent des questions sur ce qui peut se produire après les récentes déclarations du président Bush. Personne ne défend le président iraquien, ni sa politique, naturellement. Tout le monde préférerait qu'il y ait un vrai déblocage aux Nations unies, que le régime iraquien accepte enfin le retour des inspecteurs et que ceux-ci puissent travailler sans contraintes. C'est la préférence de tout le monde, d'ailleurs. La France a fait beaucoup de propositions ces dernières années pour aménager plus intelligemment le régime des sanctions, ce que Colin Powell qualifie de "sanctions intelligentes". Mais si le blocage demeure, beaucoup de pays dans le monde se demanderont ce que vont faire les Américains. Je sens à ce sujet inquiétude, perplexité et désir d'un vrai dialogue, d'un vrai échange avec les Etats-Unis sur ce qui est possible ou pas.
Q - L'appel des dirigeants iraquiens à un dialogue politique avec l'Union européenne ne vous paraît pas à l'ordre du jour, dans les circonstances actuelles ?
R - Non, cela est un petit peu hors sujet. Parce que les dirigeants iraquiens savent très bien ce qu'ils ont à faire, c'est-à-dire appliquer les résolutions du Conseil de sécurité. Les résolutions prises par le Conseil de sécurité avec l'autorité qui est la sienne, de par la Charte, doivent s'appliquer. On ne doit pas débattre, discuter ou renégocier. Elles doivent s'appliquer. Et se concentrer sur un point particulier, qui est que les Iraquiens acceptent le retour des inspecteurs qui doivent pouvoir travailler librement.
Q - Vous n'avez pas eu ici de contacts avec votre homologue iraquien ? Il n'y a pas eu de demandes de sa part ?
R - Non. Il se peut que je le croise pendant cette réunion, c'est tout à fait possible. Mais nous n'avons pas eu d'entretien.
Q - Pour revenir au Proche-Orient, rapidement Monsieur le Ministre. M. Straw se rend aujourd'hui même dans la région, auprès des Palestiniens et des Israéliens. De même que M. Fischer s'y rend dans deux jours. Comment voyez-vous ces deux missions dans le cadre d'une relance de l'initiative européenne et d'un dénominateur commun pour une initiative européenne après les idées françaises ?
R - L'initiative européenne n'a pas à être relancée puisqu'elle est constante à ce sujet. Cela fait plusieurs mois que nous nous sommes mis d'accord au sein de l'Union européenne pour que les ministres des Affaires étrangères aillent régulièrement au Proche-Orient afin de faire avancer les choses, pour essayer d'éviter les aggravations, pour entretenir le dialogue, malgré tout. Pour consolider ceux qui ont le courage de dialoguer malgré les difficultés, pour soutenir le réveil du camp de la paix, ou ceux qui présentent des solutions raisonnables, nous le faisons depuis l'été dernier. Il y a souvent des ministres européens qui font cela. Quand ils le font, ils se réfèrent toujours à cette approche commune des Européens aujourd'hui, qui est l'importance de la recherche d'une solution politique, contrairement à ce qui se passe depuis un an. M. Fischer portera ce message, comme M. Straw, comme ceux qui ont été avant ou qui iront après. Ils iront dans cet esprit de Caceres.
Il y a beaucoup d'idées européennes nouvelles, dont les idées françaises. Toutes méritent réflexion. Aucune, naturellement, ne peut être appliquée de but en blanc dans la semaine qui suit. Elles ne sont pas faites pour cela. Elles sont là pour faire réfléchir à l'impérieuse nécessité de revenir sur le terrain politique et de ne pas s'enfermer dans un raisonnement selon lequel il est impossible de relancer la solution politique tant qu'on n'a pas rétabli partout le calme et la sécurité. C'est un préalable illusoire qui est dangereux parce qu'il verrouille la solution politique et qu'il l'empêche de redémarrer. Tous les Européens, chacun dans son style particulier, mais à partir d'un solide fond commun, vont travailler au Proche-Orient dans cet esprit.
Q - Dans cet esprit, vous envisagez une tournée dans les jours ou les semaines qui viennent ?
R - Je ne pars pas pour le moment, mais chaque fois que c'était utile j'y suis allé. Je me sens très bien représenté par les Européens qui y vont, les uns après les autres.
Q - En vue du Conseil européen, est-ce que vous allez continuer à traiter avec vos collègues européens la question du Proche-Orient ? Est-ce que vous êtes pour une institutionnalisation de ces rencontres UE/OCI ?
R - En ce qui concerne la première question, naturellement, nous continuons tant qu'il n'y a pas de solution. Nous continuons à toutes les occasions, dans toutes les circonstances, de travailler en commun pour nous assurer que nous, les quinze ministres des Affaires étrangères d'Europe, nous avons la même analyse de la situation, le même objectif. Pour voir ce qu'il y a lieu de faire, ou de dire, ou d'organiser pour faire progresser les choses. C'est un travail continu. C'est pour cela qu'il n'y a pas à se demander si l'Europe prend des initiatives, parce qu'elle ne fait que cela. Elle est dans une action permanente par rapport à cela.
Sur le deuxième point, je ne suis pas très favorable à l'institutionnalisation, parce que j'ai peur qu'aussitôt cela prenne une tournure lourde, démocratique, et qu'on ne retrouve pas la fraîcheur de ces premiers échanges. Je suis favorable à un vrai dialogue, un dialogue franc, dans lequel on parle de vrais sujets, y compris les sujets de désaccord, y compris les sujets de malentendus. Je crois que c'est comme cela qu'on peut faire un travail utile. Si cela s'institutionnalise, cela va se bureaucratiser. Il y aura des négociations pendant des mois à l'avance jusqu'au communiqué final, et on perdra l'intérêt de l'échange. Je suis convaincu qu'il faut poursuivre cette remarquable initiative d'Istanbul mais sous des formes non bureaucratiques.
Q - Monsieur le Ministre, sur l'Afghanistan, est-ce qu'on a décidé qui prendrait les commandes de la Force internationale ?
R - Non, pas encore. Il y a des discussions en ce moment entre les pays qui participent à la force et puis naturellement avec les Nations unies, Kofi Annan et M. Brahimi, son représentant à Kaboul. Mais ces discussions n'ont pas abouti. Elles portent d'ailleurs en premier lieu sur l'éventuelle prolongation dans le temps. On en parle, ce n'est pas décidé.
Q - La Turquie ?
R - La Turquie doit jouer un rôle parce que sa participation a été souhaitée par beaucoup de pays. La Turquie était d'accord en principe, et tous ceux qui participent déjà à la force pensent que la présence de la Turquie est très importante. Mais sur la discussion militaire, les arrangements précis, je ne peux pas vous en dire plus parce que ce n'est pas conclu.
Q - Est-ce que vous pensez qu'au-delà de la question du Proche-Orient, et de tout ce qui concerne les événements du 11 septembre, l'Iraq, l'attitude des Etats-Unis en général, leur approche très militariste, il y a une politique européenne qui est en train de se dégager ?
R - Le but des Européens n'est pas d'élaborer pour le plaisir, si je puis dire, une politique différente de celle des Etats-Unis. Il n'y a pas du tout une recherche de différenciation par principe. Mais j'observe que dans certains cas, les Européens quand ils réfléchissent entre eux, constatent qu'ils sont sur des lignes parfois différentes de celles des Etats-Unis. Ce n'est pas notre souhait. Nous, nous préférerions être sur la même ligne que les Etats-Unis, travailler ensemble avec eux, à la fois sur la question du Proche-Orient et sur la gestion des problèmes globaux à travers une approche multilatérale. Quand nous constatons que nous avons une approche un peu différente de celle des Etats-Unis, nous en parlons avec nos amis américains. Dans certains cas, cela fait évoluer les choses, nous aboutissons à des compromis. Il y a des régions du monde où on travaille très bien ensemble, comme les Balkans par exemple. Dans d'autres cas, ils ont un point de vue différent ; nous gardons notre point de vue, nous l'exprimons. Mais on essaie de l'exprimer de façon utile, de façon constructive. A l'heure actuelle, c'est vrai, il me semble constater que, dans l'Europe en général, on souhaiterait une approche américaine, avec plus de place aux négociations, au multilatéralisme. Mais si nous en parlons aux Américains, c'est précisément parce que nous pensons que les choses peuvent bouger. Nous sommes optimistes.
Q - Vos propositions sur le Proche-Orient, vous les avez exposées à Caceres. Mais ici, parmi les pays arabes, quelle réaction cela suscite ? Vous dites que cela avance mais il y a peut-être, parmi vos propositions, des choses qu'ils aiment plus que d'autres ?
R - Chacune des idées européennes peut se discuter. Faire un référendum, c'est une idée allemande. Faire des élections, c'est une idée française. Soutenir Peres et Abou Ala, c'est une idée française. Faire une conférence, c'est une idée italienne. Il y a beaucoup d'idées. Il y a une idée française, c'est important, mais il y a d'autres idées. Chacune peut se discuter sur le quand, le comment, les avantages, les inconvénients, l'opportunité, etc. Cela se discute avec les uns et les autres. Mais le point commun de toutes ces idées est très clair : il faut revenir sur le terrain de la recherche d'une solution politique et, là-dessus, il y a vraiment une unanimité européenne.
Quand on regarde les propositions particulières, on voit des nuances. C'est très important de confirmer qu'il y a une unanimité européenne pour une solution politique. Quand on parle avec les pays arabes, il y a un très grand intérêt en disant : "Heureusement que l'Europe est là pour essayer de lancer des idées nouvelles qui ne soient pas uniquement répressives". Parce que si on est uniquement sur le terrain de la répression, uniquement sur le terrain de la lutte contre le terrorisme, sans donner à l'Autorité palestinienne des moyens d'y contribuer, ni des moyens matériels, ni des moyens politiques avec des perspectives politiques, qui lui redonneraient un soutien populaire, il n'y aura aucune solution. Il y a donc un très grand intérêt de la part des pays arabes. Nous souhaiterions d'ailleurs que les pays arabes, eux aussi, apportent leur contribution dans le débat, avec la même sorte d'unité que ce que les Européens constituent entre eux, de façon constructive et qui fasse évoluer les choses. La mise en oeuvre de chacune de ces idées soulève des problèmes. Et si on est en train de s'interroger sur nos questions, c'est déjà qu'on est revenu sur le terrain politique. Donc, c'est en soi une bonne chose.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 14 février 2002)
Merci beaucoup, je suis très heureux d'avoir l'occasion de m'exprimer devant ce parterre prestigieux, pour apporter une contribution à cette réflexion sur le dialogue des civilisations.
Mes remarques porteront sur les civilisations, sur les risques du clash, sur la nature du dialogue et sur les suites.
- Premier point : quand on parle du choc des civilisations, de dialogue des civilisations, on éprouve une certaine gêne parce qu'on n'arrive pas à définir le mot "civilisation".
Qu'est-ce que le monde chrétien aujourd'hui ? Il se divise en deux parties. Dans le monde chrétien actuel, beaucoup de gens sont athées. Est-ce que c'est un bon critère pour définir les choses ? On voit tout de suite qu'il y a des différences considérables à l'intérieur de ce que l'on appelle les civilisations, à l'intérieur du monde arabo-islamique, à l'intérieur du monde chrétien, entre le monde orthodoxe et le reste, et même ailleurs.
On découvre aussitôt le besoin d'éviter les analyses schématiques et de nuancer, parce qu'il y a beaucoup d'autres lignes de fractures complexes, religieuses, ethniques, étatiques, économiques, qui traversent ce que l'on peut appeler les civilisations.
Quand, il y a quelques années, il y a eu l'ouvrage d'Huntington sur le clash des civilisations, ce livre avait été très attaqué comme étant trop simplificateur. Beaucoup de gens avaient contesté sa classification des différentes civilisations. Quand on met en avant ce thème, on éprouve une certaine gêne et les esprits raffinés et distingués, comme ceux qui sont dans cette salle, essayent d'éviter cette approche. Mais je considère que cela conduit à un risque qui est de refuser de voir certaines réalités. Dans un esprit consensuel, dans un esprit de convivialité, dans un esprit de tolérance, on va dire : "Mais non il n'y a pas de civilisations, il y a des valeurs communes à tout le monde" et finalement, on passe à côté d'une réalité. Ainsi, ma première remarque, en dépit du caractère approximatif du mot "civilisation", en dépit de la difficulté à définir ce que cela veut dire, c'est que c'est un vrai problème. Un vrai problème qu'il faut avoir le courage de traiter et d'aborder.
- Deuxième remarque sur le clash, qui découle de la première remarque. Nous, nous détestons cette idée de clash des civilisations. Mais il y a deux façons de détester cette idée. C'est de considérer que c'est une idée fausse ; ou bien, il y a une autre façon qui est de lutter contre ce risque. Beaucoup de gens s'expriment pour dire que c'est une idée fausse.
C'est impossible, il n'y a pas d'affrontement, cela ne veut rien dire et conduit à ce qu'on appelle en français la "politique de l'autruche". Parce que même si la définition de "civilisation" est approximative, il n'est pas vrai que dans l'ensemble du monde, les populations ont les mêmes conceptions sur tous les sujets. Ce n'est pas vrai. Surtout si on prend des sujets sensibles qui ne sont pas des sujets de politique étrangère. Mais si on prend des sujets sensibles sur l'organisation de la vie, l'organisation de la société, le rôle de l'individu, il y a de vraies différences.
Sur certains sujets de politique internationale très sensibles comme la question du Proche-Orient, on voit bien que les réactions des opinions publiques dans le monde arabe ou dans le monde musulman et en Occident ne sont pas du tout les mêmes. Même si le concept de civilisations est un concept flou, il y a pourtant des éléments de tension dans notre monde, c'est mon opinion. Des éléments d'incompréhension, des malentendus, des antagonismes qui font qu'il pourrait se produire un clash quand même ou des clash ou plusieurs clash, si les politiques suivies ne sont pas suffisamment intelligentes. Il y a des politiques maladroites qui peuvent créer ce risque, donc sur la théorie du clash des civilisations, je pense qu'il est plus utile de combattre le risque que d'être scandalisé par la théorie. Je pense qu'il y a une part de risque.
D'habitude, quand on a parlé du risque d'affrontements entre les civilisations, on répond dialogue et nous sommes ici pour cela. Je trouve que le genre de dialogue qu'il y a d'habitude ne sert à rien, parce c'est un dialogue tellement aimable, tellement sympathique, qu'on n'ose jamais parler des sujets de désaccords.
Le dialogue rassemble par exemple à l'UNESCO, aux Nations unies, des gens très civilisés qui ont l'habitude du désaccord, des diplomates, des hommes politiques professionnels qui savent concilier les opinions les plus contradictoires. Les choses se passent très bien, tout le monde part très content et personne n'a dit ce qu'il pensait. Vous savez, c'est le genre de dialogue où l'on dit que les Arabes ont une grande civilisation parce qu'ils ont inventé l'astronomie, que les Chinois ont inventé les feux d'artifice. On dit des choses un peu ridicules de ce genre, dans tous les discours, et le vrai dialogue n'a pas lieu.
Je plaide donc pour un dialogue vrai. Qu'est ce que j'appelle le dialogue vrai ? C'est un dialogue dans lequel les occidentaux expliquent aux musulmans, par exemple, la situation de la femme dans le monde musulman, que les Occidentaux ne comprennent pas et condamnent, en bloc, avec ignorance, simplisme. Mais il y a une vraie incompréhension. Peut-être qu'on se trompe mais il faudrait peut-être oser en parler.
Je crois que le Secrétaire général de l'Union européenne, Haut représentant de la PESC, M. Solana, a donné ce matin d'autres exemples, sur la peine de mort notamment. En sens inverse, tous mes amis musulmans, considèrent par exemple que la situation de la famille dans le monde occidental est tragique, que les familles sont totalement détruites. Et j'ai beaucoup d'amis musulmans qui considèrent que les pays dans lesquels les personnes âgées sont abandonnées comme le sont les personnes âgées dans la plupart des pays riches, c'est monstrueux. Voilà deux points de vue. On ne parle jamais de ces sujets. Je pourrai en trouver dix autres presque plus dangereux. Je plaide donc pour un dialogue véritable, franc, dans lequel on a le courage d'aborder des choses comme ça. Je crois que ça servira de soupape et fera avancer les choses.
Ma conclusion, c'est que si on arrive à lancer ici à Istanbul, non pas une nouvelle bureaucratie, dont on n'a pas besoin, mais un esprit d'Istanbul, qui serait l'esprit de ce dialogue vrai, à la fois respect mutuel et franchise, on aura lancé quelque chose grâce à nos amis turcs, grâce à Ismaël Cem, grâce aux deux organisations qui sont là, grâce aux participants.
On aura lancé quelque chose d'important, mais ce dialogue là ne peut pas être mené par les hommes politiques seuls. Il faut donc imaginer des façons de faire relayer ce dialogue véritable, cette explication véritable.
Nous sommes obligés d'avoir ce dialogue dans le monde de l'après 11 septembre. Apparemment, cela paraît très difficile parce que l'islam et l'Occident se sont historiquement combattus. En même temps, je pense que ce rassemblement d'aujourd'hui, monde arabo-islamique et monde européen, est excellent. Nous sommes les mieux placés parce que l'affrontement historique a créé des proximités, a créé des passerelles, a créé des antagonismes mais aussi des compréhensions. S'il y a un endroit dans le monde où on peut arriver à surmonter les malentendus, c'est dans ce type de réunion. Je trouve qu'Istanbul est un symbole formidable. C'est le symbole des affrontements et c'est le symbole des réconciliations, et le symbole du dialogue. Donc vive l'esprit d'Istanbul !
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 14 février 2002)
(Point de presse à Istanbul, le 12 février 2002) :
Q - Monsieur le Ministre, où en est cette initiative de plan de paix pour la Palestine ?
R - On ne peut pas parler d'initiative ou de plan à proprement parler. Nous avons parlé d'idées. Dans la situation de blocage où nous sommes, il ne faut ni désespérer, ni baisser les bras. Les Européens pensent qu'il faut relancer le volet politique des négociations, pour une solution politique qui a été complètement abandonnée. La France a mis sur la table quelques idées à ce sujet. Par exemple, un soutien à l'initiative Shimon Peres - Abou Ala de reconnaissance d'un Etat palestinien au début du processus. Par exemple, des élections dans les Territoires palestiniens pour redonner aux Palestiniens un mode d'expression légitime et démocratique. Par exemple, un référendum ; c'était une idée allemande. Mais aussi l'idée italienne de conférence.
Toutes ces idées méritent examen. Aucune d'entre elles ne peut être appliquée automatiquement, il faut avoir des échanges, une réflexion à ce sujet. Mais elles ont toutes comme point commun de remettre au centre de nos préoccupations la solution politique. Parce que les Européens pensent qu'on ne trouvera pas de solution avec la politique actuelle du gouvernement israélien qui n'est concentrée que sur la répression militaire. Cela peut conduire à des succès momentanés, des succès tactiques, mais cela ne débouche pas sur une solution politique.
Je dirais, après la réunion de Caceres en Espagne, et après avoir entendu des échos dans le monde entier à ce sujet, que nos idées provoquent de l'intérêt, provoquent de l'approbation. Beaucoup de questions aussi, c'est normal. Mais au total nos idées progressent, elles cheminent. Les Américains et notamment Colin Powell, nous disent : "Attention, nous, nous pensons qu'il faut d'abord mettre en uvre le plan Tenet et les conclusions de la Commission Mitchell. C'est un préalable". Ils ont remarqué que ces idées sont présentes depuis des mois et des mois et que rien ne se passe. Nous pensons qu'il est utile que l'Europe apporte ses contributions, et les Européens à Caceres étaient tout à fait unanimes sur ce plan-là. Nous allons donc continuer à nous exprimer sur ce travail européen pour essayer de débloquer la situation.
Q - Cela va être dur ?
R - La réunion d'Istanbul, une excellente initiative, n'est pas liée à un conflit d'actualité en particulier. Il s'agit de prendre cette affaire de dialogue des civilisations pour voir si l'on peut aller au-delà des habituels échanges d'amabilité sur ce sujet. On peut engager et nouer un dialogue substantiel, je le souhaite.
Q - Est-ce qu'on vous a beaucoup parlé, dans vos contacts bilatéraux, de la question iraquienne ?
R - A propos de l'Iraq, tous les pays de la région, tous les pays arabes, tous les pays européens aussi, se posent des questions sur ce qui peut se produire après les récentes déclarations du président Bush. Personne ne défend le président iraquien, ni sa politique, naturellement. Tout le monde préférerait qu'il y ait un vrai déblocage aux Nations unies, que le régime iraquien accepte enfin le retour des inspecteurs et que ceux-ci puissent travailler sans contraintes. C'est la préférence de tout le monde, d'ailleurs. La France a fait beaucoup de propositions ces dernières années pour aménager plus intelligemment le régime des sanctions, ce que Colin Powell qualifie de "sanctions intelligentes". Mais si le blocage demeure, beaucoup de pays dans le monde se demanderont ce que vont faire les Américains. Je sens à ce sujet inquiétude, perplexité et désir d'un vrai dialogue, d'un vrai échange avec les Etats-Unis sur ce qui est possible ou pas.
Q - L'appel des dirigeants iraquiens à un dialogue politique avec l'Union européenne ne vous paraît pas à l'ordre du jour, dans les circonstances actuelles ?
R - Non, cela est un petit peu hors sujet. Parce que les dirigeants iraquiens savent très bien ce qu'ils ont à faire, c'est-à-dire appliquer les résolutions du Conseil de sécurité. Les résolutions prises par le Conseil de sécurité avec l'autorité qui est la sienne, de par la Charte, doivent s'appliquer. On ne doit pas débattre, discuter ou renégocier. Elles doivent s'appliquer. Et se concentrer sur un point particulier, qui est que les Iraquiens acceptent le retour des inspecteurs qui doivent pouvoir travailler librement.
Q - Vous n'avez pas eu ici de contacts avec votre homologue iraquien ? Il n'y a pas eu de demandes de sa part ?
R - Non. Il se peut que je le croise pendant cette réunion, c'est tout à fait possible. Mais nous n'avons pas eu d'entretien.
Q - Pour revenir au Proche-Orient, rapidement Monsieur le Ministre. M. Straw se rend aujourd'hui même dans la région, auprès des Palestiniens et des Israéliens. De même que M. Fischer s'y rend dans deux jours. Comment voyez-vous ces deux missions dans le cadre d'une relance de l'initiative européenne et d'un dénominateur commun pour une initiative européenne après les idées françaises ?
R - L'initiative européenne n'a pas à être relancée puisqu'elle est constante à ce sujet. Cela fait plusieurs mois que nous nous sommes mis d'accord au sein de l'Union européenne pour que les ministres des Affaires étrangères aillent régulièrement au Proche-Orient afin de faire avancer les choses, pour essayer d'éviter les aggravations, pour entretenir le dialogue, malgré tout. Pour consolider ceux qui ont le courage de dialoguer malgré les difficultés, pour soutenir le réveil du camp de la paix, ou ceux qui présentent des solutions raisonnables, nous le faisons depuis l'été dernier. Il y a souvent des ministres européens qui font cela. Quand ils le font, ils se réfèrent toujours à cette approche commune des Européens aujourd'hui, qui est l'importance de la recherche d'une solution politique, contrairement à ce qui se passe depuis un an. M. Fischer portera ce message, comme M. Straw, comme ceux qui ont été avant ou qui iront après. Ils iront dans cet esprit de Caceres.
Il y a beaucoup d'idées européennes nouvelles, dont les idées françaises. Toutes méritent réflexion. Aucune, naturellement, ne peut être appliquée de but en blanc dans la semaine qui suit. Elles ne sont pas faites pour cela. Elles sont là pour faire réfléchir à l'impérieuse nécessité de revenir sur le terrain politique et de ne pas s'enfermer dans un raisonnement selon lequel il est impossible de relancer la solution politique tant qu'on n'a pas rétabli partout le calme et la sécurité. C'est un préalable illusoire qui est dangereux parce qu'il verrouille la solution politique et qu'il l'empêche de redémarrer. Tous les Européens, chacun dans son style particulier, mais à partir d'un solide fond commun, vont travailler au Proche-Orient dans cet esprit.
Q - Dans cet esprit, vous envisagez une tournée dans les jours ou les semaines qui viennent ?
R - Je ne pars pas pour le moment, mais chaque fois que c'était utile j'y suis allé. Je me sens très bien représenté par les Européens qui y vont, les uns après les autres.
Q - En vue du Conseil européen, est-ce que vous allez continuer à traiter avec vos collègues européens la question du Proche-Orient ? Est-ce que vous êtes pour une institutionnalisation de ces rencontres UE/OCI ?
R - En ce qui concerne la première question, naturellement, nous continuons tant qu'il n'y a pas de solution. Nous continuons à toutes les occasions, dans toutes les circonstances, de travailler en commun pour nous assurer que nous, les quinze ministres des Affaires étrangères d'Europe, nous avons la même analyse de la situation, le même objectif. Pour voir ce qu'il y a lieu de faire, ou de dire, ou d'organiser pour faire progresser les choses. C'est un travail continu. C'est pour cela qu'il n'y a pas à se demander si l'Europe prend des initiatives, parce qu'elle ne fait que cela. Elle est dans une action permanente par rapport à cela.
Sur le deuxième point, je ne suis pas très favorable à l'institutionnalisation, parce que j'ai peur qu'aussitôt cela prenne une tournure lourde, démocratique, et qu'on ne retrouve pas la fraîcheur de ces premiers échanges. Je suis favorable à un vrai dialogue, un dialogue franc, dans lequel on parle de vrais sujets, y compris les sujets de désaccord, y compris les sujets de malentendus. Je crois que c'est comme cela qu'on peut faire un travail utile. Si cela s'institutionnalise, cela va se bureaucratiser. Il y aura des négociations pendant des mois à l'avance jusqu'au communiqué final, et on perdra l'intérêt de l'échange. Je suis convaincu qu'il faut poursuivre cette remarquable initiative d'Istanbul mais sous des formes non bureaucratiques.
Q - Monsieur le Ministre, sur l'Afghanistan, est-ce qu'on a décidé qui prendrait les commandes de la Force internationale ?
R - Non, pas encore. Il y a des discussions en ce moment entre les pays qui participent à la force et puis naturellement avec les Nations unies, Kofi Annan et M. Brahimi, son représentant à Kaboul. Mais ces discussions n'ont pas abouti. Elles portent d'ailleurs en premier lieu sur l'éventuelle prolongation dans le temps. On en parle, ce n'est pas décidé.
Q - La Turquie ?
R - La Turquie doit jouer un rôle parce que sa participation a été souhaitée par beaucoup de pays. La Turquie était d'accord en principe, et tous ceux qui participent déjà à la force pensent que la présence de la Turquie est très importante. Mais sur la discussion militaire, les arrangements précis, je ne peux pas vous en dire plus parce que ce n'est pas conclu.
Q - Est-ce que vous pensez qu'au-delà de la question du Proche-Orient, et de tout ce qui concerne les événements du 11 septembre, l'Iraq, l'attitude des Etats-Unis en général, leur approche très militariste, il y a une politique européenne qui est en train de se dégager ?
R - Le but des Européens n'est pas d'élaborer pour le plaisir, si je puis dire, une politique différente de celle des Etats-Unis. Il n'y a pas du tout une recherche de différenciation par principe. Mais j'observe que dans certains cas, les Européens quand ils réfléchissent entre eux, constatent qu'ils sont sur des lignes parfois différentes de celles des Etats-Unis. Ce n'est pas notre souhait. Nous, nous préférerions être sur la même ligne que les Etats-Unis, travailler ensemble avec eux, à la fois sur la question du Proche-Orient et sur la gestion des problèmes globaux à travers une approche multilatérale. Quand nous constatons que nous avons une approche un peu différente de celle des Etats-Unis, nous en parlons avec nos amis américains. Dans certains cas, cela fait évoluer les choses, nous aboutissons à des compromis. Il y a des régions du monde où on travaille très bien ensemble, comme les Balkans par exemple. Dans d'autres cas, ils ont un point de vue différent ; nous gardons notre point de vue, nous l'exprimons. Mais on essaie de l'exprimer de façon utile, de façon constructive. A l'heure actuelle, c'est vrai, il me semble constater que, dans l'Europe en général, on souhaiterait une approche américaine, avec plus de place aux négociations, au multilatéralisme. Mais si nous en parlons aux Américains, c'est précisément parce que nous pensons que les choses peuvent bouger. Nous sommes optimistes.
Q - Vos propositions sur le Proche-Orient, vous les avez exposées à Caceres. Mais ici, parmi les pays arabes, quelle réaction cela suscite ? Vous dites que cela avance mais il y a peut-être, parmi vos propositions, des choses qu'ils aiment plus que d'autres ?
R - Chacune des idées européennes peut se discuter. Faire un référendum, c'est une idée allemande. Faire des élections, c'est une idée française. Soutenir Peres et Abou Ala, c'est une idée française. Faire une conférence, c'est une idée italienne. Il y a beaucoup d'idées. Il y a une idée française, c'est important, mais il y a d'autres idées. Chacune peut se discuter sur le quand, le comment, les avantages, les inconvénients, l'opportunité, etc. Cela se discute avec les uns et les autres. Mais le point commun de toutes ces idées est très clair : il faut revenir sur le terrain de la recherche d'une solution politique et, là-dessus, il y a vraiment une unanimité européenne.
Quand on regarde les propositions particulières, on voit des nuances. C'est très important de confirmer qu'il y a une unanimité européenne pour une solution politique. Quand on parle avec les pays arabes, il y a un très grand intérêt en disant : "Heureusement que l'Europe est là pour essayer de lancer des idées nouvelles qui ne soient pas uniquement répressives". Parce que si on est uniquement sur le terrain de la répression, uniquement sur le terrain de la lutte contre le terrorisme, sans donner à l'Autorité palestinienne des moyens d'y contribuer, ni des moyens matériels, ni des moyens politiques avec des perspectives politiques, qui lui redonneraient un soutien populaire, il n'y aura aucune solution. Il y a donc un très grand intérêt de la part des pays arabes. Nous souhaiterions d'ailleurs que les pays arabes, eux aussi, apportent leur contribution dans le débat, avec la même sorte d'unité que ce que les Européens constituent entre eux, de façon constructive et qui fasse évoluer les choses. La mise en oeuvre de chacune de ces idées soulève des problèmes. Et si on est en train de s'interroger sur nos questions, c'est déjà qu'on est revenu sur le terrain politique. Donc, c'est en soi une bonne chose.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 14 février 2002)