Texte intégral
Mesdames et Messieurs, pardon pour ce retard, merci d'avoir bien voulu attendre ce point de presse que je suis heureux d'avoir en compagnie de M. Valette, notre ambassadeur à Lomé, et de M. Yves Tavernier, député de l'Essonne, rapporteur du budget des Affaires étrangères à la Commission des Finances de l'Assemblée nationale, membre du Haut conseil de la Coopération et qui aura eu lui-même, pendant que je restais à Lomé, l'occasion, lui, de sortir et de découvrir, mieux que je ne l'ai fait jusqu'à présent, en partie au moins, le Togo.
C'est pour moi le troisième sommet de l'OUA auquel je participe. J'étais à celui de Ouagadougou et à celui d'Alger, je peux d'entrée vous livrer quelques impressions avant de répondre aux questions que vous voudrez sans doute me poser. Je dois d'abord dire que tout le monde a été impressionné par la qualité de l'organisation mise en oeuvre par les Togolais, que le taux de participation des chefs d'Etat a été très important, trente-sept chefs d'Etat, ce qui est une très belle performance.
L'OUA est une institution déjà ancienne, 37 ans. J'ai le sentiment qu'elle connaît une nouvelle jeunesse, le président Bouteflika y a très certainement contribué. Je ne doute pas que le président Eyadema va continuer sur cette lancée, et que l'OUA va être plus qu'hier la possibilité offerte aux Africains d'exister davantage en quelque sorte au plan international et de faire en sorte que l'Afrique se fasse mieux entendre dans le concert des nations et en particulier dans des grandes instances où se joue un peu aujourd'hui l'avenir du monde. Je pense au Fonds monétaire, à la Banque mondiale, je pense aux discussions au sein de l'Organisation mondiale du Commerce, je pense aussi à l'Organisation des Nations unies, à toutes les agences qui gravitent autour de cette institution. Le thème de l'union de l'Afrique a évidemment été évoqué, nous savions qu'il était un des sujets attendus de ce Sommet de Lomé. J'observe aussi, mais je n'en suis pas surpris, que les chefs d'Etat africains dans leur très grande majorité considèrent qu'il s'agit d'une perspective qui méritera du temps, beaucoup d'attention, beaucoup de travail, avant qu'elle puisse se concrétiser par de nouvelles institutions. Mais j'ai entendu dans le même temps que les institutions régionales continueraient d'être encouragées, et la France en tire satisfaction, car nous avons toujours considéré qu'encourager les intégrations régionales, c'était à la fois servir la paix et le développement. La France, au cours de la renégociation de la Convention de Lomé, qui s'appelle maintenant en quelque sorte la Convention de Cotonou, puisque nous l'avons signée il y a quelques semaines, a fait de cette intégration régionale une priorité de la relation entre l'Europe et les pays Afrique-Caraïbes-Pacifique, donc je suis heureux de voir que cette ambition d'intégration régionale plus affirmée est reprise par l'OUA à l'occasion de ce sommet.
J'ai entendu aussi une volonté très affirmée des Africains de se prendre en charge et en particulier en ce qui concerne leur sécurité. Le Sommet de Lomé a été aussi l'occasion d'évoquer aussi certaines situations de conflit ; certaines qui autorisent l'optimisme, je pense à la paix qui s'installe entre l'Ethiopie et l'Erythrée, je pense aux perpectives d'ailleurs que les discussions en cours à propos de la Somalie autorisent ; et puis certains conflits qui, par contre, semblent, je pense hélas, appelés peut-être à se poursuivre, et nous le regrettons. Nous avions espéré, et d'autres avec nous, que ce sommet serait l'occasion de parler de la situation au Congo, cela n'a pas été possible, c'est une situation qui continue à nous préoccuper, l'Afrique est encore trop victime de conflits, et quand je dis l'Afrique, je pense aux populations en particulier. Mais ce sommet aura aussi révélé la prise de conscience très forte des Africains du besoin de lutter avec plus d'efficacité contre la pauvreté, rejoignant en cela les constats faits ces derniers temps par les grandes instances multilatérales, des efforts qui doivent justifier une solidarité plus forte de la communauté internationale, et en particulier des pays du Nord.
La France à cet égard est, comme vous le savez, un des plus importants bailleurs de fonds : l'aide publique au développement française, même si elle a diminué, comme partout ces dernières années, reste l'une des plus élevées au monde. La France est sans conteste le premier partenaire bilatéral de l'Afrique. Nous entendons continuer, préserver cette relation particulière, mais aussi, puisque nous présidons aux destinées de l'Union européenne pour six mois, convaincre nos partenaires de regarder peut-être davantage en direction de l'Afrique. Voilà ce que je voulais vous dire en ouvrant ce point de presse. Pour faire bonne mesure, je vous dirais que j'aurai, à cette occasion, rencontré le président de Djibouti, le président du Gabon, M. Bongo, le président Patassé de Centrafrique, le président de l'Erythrée, bien sûr le président Eyadéma, les deux secrétaires généraux, celui des Nations unies, M. Kofi Annan, que j'ai vu hier matin, et M. Salim Ahmed Salim, que j'ai vu hier. Je ne parle pas des contacts que j'ai pu avoir au cours des dîners qui ont été organisés ou des rencontres de couloir, y compris peut-être des moments d'attente au pied des ascenseurs, mais ça, c'est un problème un peu particulier...
Voilà, je vous écoute...
Q - Merci, Monsieur le Ministre. Je m'appelle Mewenemesse, je suis directeur de publication du journal "La Dépêche" et président de l'Observatoire Togolais des Médias. J'ai deux questions à vous poser, la première question, qui concerne un ministre délégué à la coopération qui s'intéresse à la coopération africaine, c'est de savoir où en est l'état des relations entre le Togo et la France ; 2ème question : le problème de la dette a été le point dominant du sommet. Quel est le point de vue de la France, parce que dans votre exposé préliminaire on n'a pas cru entendre que la France est favorable à l'annulation de la dette.
R - On peut peut-être laisser venir d'autres questions ?
Q - Messan Lucien, Directeur du journal "le Combat du Peuple", journal togolais. Monsieur le Ministre vient de décrire à grands traits ce qu'il a constaté au cours de ce sommet de Lomé. Mais, comme toujours, on a l'impression que les chefs d'Etat se réunissent, à l'occasion des sommets de l'OUA, en dehors des peuples, parce que, si j'ai bien compris ce que Monsieur le Ministre vient de dire tout à l'heure, on n'a pas parlé des véritables préoccupations des peuples africains, c'est à dire plus de justice, les libertés d'expression, les droits humains, tout ça, on n'en a pas parlé, on a parlé des guerres sans parler de ce qui amène les guerres, alors, je voudrais demander à Monsieur le Ministre de la Coopération, qui disait tout à l'heure que la France est le premier partenaire de l'Afrique, ce que la France pense réellement de la démocratie en Afrique, parce que lorsqu'on parle de la démocratie, on dit : il y a des pays qui doivent aller à leur rythme, aller à son rythme, est-ce que cela veut dire : faire des élections non libres, non transparentes, parce qu'il faut qu'on commence à penser aux peuples africains et non seulement à leurs dirigeants.
Q - M. Ayena, journaliste à Radio-Lomé. Une question concernant tout d'abord la prévention du Sida. Aujourd'hui, une des pandémies, en fait la pandémie qui décime beaucoup d'Africains, je voudrais savoir ce que la France peut faire pour aider les pays africains quand on sait que le 36ème Sommet de l'OUA à Lomé a mis cette question au centre de ses préoccupations. Les conflits en Afrique que vous avez évoqués, Monsieur le Ministre, vos rencontres avec certains chefs d'Etat, qu'est-ce que la France peut faire quand on sait que le Togo assure la présidence en exercice de l'OUA dans le cadre de la résolution des conflits, notamment à travers les mécanismes initiés par la France pour la prévention et la gestion des conflits en Afrique ?
R - S'agissant des relations entre la France et le Togo, nous avons voulu concilier en quelque sorte une amitié très ancienne et notre solidarité européenne. Vous n'êtes pas sans ignorer que la coopération entre le Togo et l'Union européenne est suspendue depuis déjà plusieurs années et qu'au lendemain des élections présidentielles de 98, il a été convenu de ne pas rétablir encore ces relations de coopération entre l'UE et le Togo. La France s'est conformée à cette décision de l'Europe. Nous sommes conscients des difficultés que ceci peut représenter pour l'économie togolaise, et conscients aussi des souffrances que cette suspension peut entraîner pour les populations civiles. C'est bien pour cela que nous nous sommes efforcés d'éviter que cette suspension ne remette en question des programmes de coopération directement liés à l'amélioration de la situation des populations.
Nous militons auprès de nos partenaires européens pour une reprise progressive de cette coopération au fur et à mesure que les efforts entrepris pour établir un meilleur dialogue entre les acteurs politiques togolais se développent, sachant que la coopération européenne ne pourra retrouver sa plénitude qu'au lendemain de l'application de ce qu'on a pu appeler les Accords de Lomé, qui intègrent de nouvelles élections législatives, dont nous pensons que, plus vite elles se tiendraient, mieux ce sera pour notre relation et singulièrement pour la relation entre l'Europe et le Togo.
La semaine prochaine, une nouvelle rencontre du comité a lieu, le CPS, auquel les médiateurs participeront. J'espère que cette nouvelle rencontre permettra de franchir les étapes qui restent attendues : l'installation définitive de la CENI, c'est à dire un président, un bureau, la définition d'un calendrier électoral. Je fais confiance aux acteurs politiques togolais qui ont montré au cours de la période qu'ils étaient capables de progresser et de s'entendre sur un certain nombre d'objectifs, pour que le Togo puisse retrouver une situation à tous égards conforme à l'idée qu'on se fait d'une démocratie, permettant ainsi donc de reprendre la relation entre l'Europe et le Togo, mais permettant aussi à la relation entre la France et le Togo de s'en trouver encore consolidée.
Sur la question de la dette, évidemment une question importante - je n'ai pas été surpris d'entendre tous les orateurs hier matin y faire allusion. Le président Bouteflika était venu en France à Paris il y a quelques semaines, il y avait évidemment beaucoup insisté, plaidant pour l'Algérie, et hier, il y a beaucoup fait allusion dans son discours comme pratiquement tous les orateurs. La France est en effet à la pointe du combat engagé pour atteindre l'annulation de la dette des pays en développement.
La société civile, du Nord, du Sud, s'est beaucoup mobilisée pour enlever le fardeau qui pèse sur les pays en développement et qui, malheureusement, est tout à fait insupportable pour la plupart d'entre eux. La France a donc fait le choix d'alléger pour elle-même une dette considérable, puisque la part de la France dans l'effacement de la dette, c'est pratiquement 10 %, c'est à dire quelque chose comme 7 milliards de dollars, beaucoup plus qu'aucun autre pays du Nord, beaucoup plus que les Etats Unis, si on devait faire une comparaison, puisqu'à la dette bilatérale française s'ajoute évidemment sa part dans les créances des institutions multilatérales.
Pour l'instant, il faut regretter que l'ambition du Sommet du G7 de Cologne ne se soit pas encore traduite dans la réalité, certaines résistances s'observant encore dans la mobilisation des ressources financières nécessaires ; même si les gouvernements ont dit oui, certaines assemblées résistent encore, et je pense en particulier au Congrès américain. Je le dis sans intention polémique, mais pour l'instant, c'est une des résistances observées, le gouvernement américain a dit sa volonté d'aller dans la bonne direction. Pour l'instant, les congressistes américains freinent, et je crains, la période électorale américaine aidant, que ce blocage ne dure encore quelques mois. J'espère que très vite nous pourrons lever les obstacles.
Deuxième observation que je voudrais vous présenter aussi, c'est l'espoir qui est le nôtre que ce désendettement puisse servir le développement. Il faut que les marges de manuvre que les pays vont trouver du fait de l'effacement de leur dette, soient consacrées prioritairement à la lutte contre la pauvreté, ceci nous paraît tout à fait essentiel, même si, quand je parle de lutte contre la pauvreté, je pense bien sûr, santé, éducation, mais je crois aussi qu'il faut que nous ayons une conception de la lutte contre la pauvreté capable d'intégrer l'environnement, le développement durable, mais aussi la consolidation d'administrations indispensables au développement et à l'efficacité des Etats.
Mais, j'en viens à la seconde question : "et les peuples dans tout cela ?". Est-ce que les sommets ne seraient finalement que l'occasion pour les dirigeants de faire des discours sans s'intéresser aux peuples ? Autorisez-moi une observation : tous les discours, des dirigeants comme des opposants, font toujours référence aux peuples. Dès lors que nous avons à faire à des dirigeants légitimement élus, installés, on peut penser que quand ils s'expriment, c'est aussi le peuple qui s'exprime. Et Yves Tavernier et moi, qui avons été élus dans des conditions qu'on veut bien considérer comme démocratiques, pouvons légitimement dire que, quand nous intervenons, c'est aussi au nom des populations qui nous ont élus, et des autres, puisque, une fois qu'on est élu, on représente tout le monde.
La démocratie commence à être apprivoisée par l'Afrique. Je comprends l'impatience de certains qui voudraient que les choses aillent plus vite. J'observe là aussi la difficulté qu'on rencontre à installer la démocratie en l'absence d'une société achevée en termes d'information, parfois en termes d'instruction. La difficulté aussi qu'on rencontre en Afrique en croisant le multipartisme à une organisation ethnique souvent complexe. Il m'arrive parfois de regretter le "trop plein" de partis en Afrique : quand, dans certains pays, on a 70, 80 partis qui réclament tous le même accès à la télévision, on voit la difficulté de l'exercice. Il faudra bien qu'il y ait un effort de restructuration de la part des responsables. Les pays du Nord n'échappent pas toujours à ce reproche, mais j'observe que l'Afrique offre trop souvent des situations comme je viens de décrire. Et ceci rend difficile non seulement le dialogue politique, mais la lisibilité politique pour les peuples précisément. Comment voulez-vous que le citoyen s'y retrouve entre 70 partis politiques, qu'il structure sa pensée politique, qu'il fasse un choix de société, qu'il sache mieux où mettre le point d'équilibre entre la liberté et la sécurité ?
Bref, la France, dans tout cela, - et la démocratie doit intégrer cette donnée - souhaite en effet que le dialogue politique que la nouvelle convention de Cotonou a prévu soit l'occasion, non pas de culpabiliser ou d'accuser, mais d'appuyer, mais fortement, les efforts entrepris pour développer ce qui manque encore, me semble-t-il, pour que la démocratie soit totalement apaisée, je le répète. Vous y participez vous-même, vous les médias, une information qui revendique sa liberté, mais qui fasse aussi preuve d'une certaine éthique, ce qui me paraît tout à fait important : un multipartisme maîtrisé, un statut de l'opposition authentique, qu'on sache mieux offrir aux anciens dirigeants des conditions normales en terme de dignité, parfois même en terme de responsabilité, comme nous savons le faire chez nous, c'est vrai, ceci est important, bref, savoir gérer les alternances, ceci est un point tout à fait essentiel. Ajoutons-y bien sûr qu'il faut que les armées fassent leur métier de soldat, c'est à dire qu'on fasse ce pour quoi on existe, et seulement cela.
Bref, sur tous ces points, je le répète, la France est mobilisée, ses partenaires européens aussi, et plus généralement, je le répète, le dialogue politique doit servir à parler de cela avec les Africains, et à venir en appui chaque fois que le besoin apparaît, chaque fois que les Africains eux-mêmes nous le demandent, c'est un point sur lequel je voulais insister.
Le Sida - je laisserai Yves Tavernier compléter un peu parce qu'il a, sur le terrain, pu vérifier ce que nous faisons très concrètement. En ce moment à Durban, il y a en effet cette conférence mondiale sur une pandémie qui est aujourd'hui considérée comme susceptible de mettre en danger plusieurs pays africains, et qui touche, vous le savez, pour l'essentiel, l'Afrique subsaharienne.
La France a lancé à Abidjan en 1998 un fonds de solidarité thérapeutique internationale, c'est le président Chirac qui l'avait proposé, avec à ses côtés Bernard Kouchner qui en était l'instigateur. Et ce fonds de solidarité thérapeutique avait pour ambition - il a toujours pour ambition - d'apporter à l'Afrique, non seulement les moyens de prévention, mais surtout le début du traitement de la maladie.
Considérant en effet que la plus grande injustice aujourd'hui, c'est de considérer que certains ont accès aux médicaments parce qu'ils peuvent les payer et d'autres pas. C'est là aussi, pour caricaturer un peu cette situation qui veut que les médicaments soient au Nord et les malades au Sud, que nous avons mis en place ce fond de solidarité thérapeutique, avec bien sûr une ambition de prévention, d'éducation, mais, je le répète aussi, de mise en place de systèmes de soins en ciblant particulièrement la situation mère-enfant, et nous l'avons mis en place en commençant par un certain nombre de centres hospitaliers : Dakar, Abidjan est en cours, - on parlera tout à l'heure de l'expérience togolaise -, Bangui - la RCA est un pays très, très touché -, et dans l'Asie du sud-est.
J'observe - et je crois que c'est une bonne nouvelle - qu'il y a une prise de conscience très réelle non seulement des dangers que la maladie fait courir, bien sûr, aux populations, mais des dangers que cette maladie, en privant la société africaine en particulier de ses cadres, fait courir au processus même du développement. Comme en certains pays il meurt plus d'enseignants dans une année qu'on en forme dans une année, on voit à quel résultat on aboutit; il en va de même pour les cadres de l'industrie et de l'armée. C'est donc, outre un dossier humainement très douloureux, un dossier économiquement considérable. Donc la prise de conscience aujourd'hui, je pense, de cette réalité, est en marche.
Je crois aussi à la prise de conscience de la nécessité d'une meilleure solidarité entre le Nord et le Sud pour que les médicaments en particulier puissent aller vers les malades. Cette prise de conscience est également en marche, et Durban en est l'illustration.
La France, je le répète, peut s'honorer au travers de ce fonds de solidarité thérapeutique d'être à la pointe de ce combat, je ne parle pas des efforts de recherche qui sont faits. Et je voudrais vous dire, moi personnellement, le jugement très positif que je porte sur la proposition faite par le président Eyadema hier dans son discours-programme, d'une usine pharmaceutique, de la production au Sud des médicaments nécessaires. Ceci me paraît une idée qu'il nous faut reprendre et qu'il nous faut appuyer.
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Dernière question donc, la réponse à la question posée : que peut faire la France en ce qui concerne la gestion des conflits ? Je rappelle d'abord que la France est un des membres permanents du Conseil de sécurité, et qu'à ce titre nous intervenons bien sûr dans les décisions qui sont prises sous forme de résolutions, que nous en assurons et faisons en sorte aussi d'en suivre l'application, que la France est souvent impliquée dans la recherche de solutions à des situations difficiles. Je pense à notre présence en Centrafrique il n'y a pas si longtemps dans le cadre de la MINURCA, je pense aussi au rôle que nous jouons dans la formation des Africains à la prévention et à la gestion des conflits. Il y a une école régionale à Zambakro en Côte d'Ivoire, que j'ai eu l'honneur d'inaugurer avec l'ancien Premier ministre de Côte d'Ivoire, qui justement forme des cadres militaires africains à cette question de la prévention et de la gestion des conflits.
Plus généralement, nous entendons bien, dans le cadre du dialogue politique que j'évoquais tout à l'heure, essayer de prévenir les conflits, car c'est tout de même la meilleure chose que nous puissions faire, car, quand le conflit est là, l'arrêter est difficile, et surtout en réparer les conséquences très coûteux. L'Ethiopie et l'Erythrée sont en train d'en faire l'expérience. Voilà ce que je voulais dire à cet égard, en souhaitant, comme ceci a été entendu hier, que les Africains accordent peut-être à la stabilité et à la paix une plus grande importance. Hier on a souvent mis en évidence la relation étroite qu'il y a entre paix et développement. J'espère que, au-delà de Lomé, à partir de Lomé, ce message sera entendu, mais il est vrai qu'il nous faudra - et nous nous y employons- continuer, au plan international, lutter contre l'emploi des mines antipersonnel, maîtriser mieux la circulation des armes légères, faire en sorte aussi qu'on sache mieux contrôler l'usage qui est fait hélas à des fins de guerre par certaines richesses que contient le sous-sol africain. Je pense aux diamants. Souhaitons aussi que les pays qui ont la chance d'avoir une rente pétrolière sachent consacrer une part plus significative de celle-ci au développement de leur pays et singulièrement à la lutte contre la pauvreté. Voilà, je crois qu'il me faut en rester là, nous avons fait, à travers les questions qui m'ont été posées, un assez large tour d'horizon. Une dernière question?
Q - Mademoiselle Gangoe, de l'Agence Inter Presse Services. La première question, c'est celle de savoir quelle peut être la position de la France par rapport au projet de création de l'Union africaine, et ma seconde question: on sait que les conditions qui ont conduit à la suspension de la coopération entre l'Union européenne et le Togo demeurent toujours. Et pourtant l'Afrique a fait confiance au Togo en lui confiant la Présidence de l'OUA pour cette année : qu'est-ce que cela peut vous inspirer ?
R - Je ne doute pas que, lorsque les Africains ont fait le choix, je crois, à Ouagadougou, c'était au sommet de 1998, de confier l'organisation du sommet de l'an 2000 et donc de confier la présidence à un dirigeant togolais, je pense que les Africains avaient de bonnes raisons, en tout cas, je respecte le choix qu'ils ont fait. Ce coup de projecteur sur Lomé et sur le Togo doit être considéré comme une incitation de plus aux acteurs politiques togolais pour offrir l'image, justement, d'un pays où l'on sait trouver la voie d'une démocratie apaisée. J'aimerais que cette visibilité plus grande donnée au Togo soit une raison de plus pour ceux qui vont se réunir la semaine prochaine d'aboutir à ces décisions qui vont permettre au Togo d'avoir une image positive.
S'agissant de l'union africaine, je crois dans mon propos liminaire en avoir déjà parlé. Moi, je n'ai pas à porter de jugement sur ce que les Africains choisissent. Nous avons à être à l'écoute de nos amis africains et être prêts, s'ils nous le demandent, à venir en appui. Je veux simplement dire que l'expérience que nous avons de la construction européenne nous a enseigné qu'il faut faire preuve de beaucoup de pragmatisme, que les constructions idéales sont difficiles à mettre en oeuvre, qu'il faut procéder par étapes, mais, comme je le disais tout à l'heure, si ce concept d'union africaine doit permettre aux Africains de dialoguer mieux entre eux, d'exister mieux aussi par rapport au reste du monde, alors vive l'union africaine.
Je vous remercie. A une autre fois.
(Source : http://www.diplomatie.gouv.fr, le 26 juillet 2000)
C'est pour moi le troisième sommet de l'OUA auquel je participe. J'étais à celui de Ouagadougou et à celui d'Alger, je peux d'entrée vous livrer quelques impressions avant de répondre aux questions que vous voudrez sans doute me poser. Je dois d'abord dire que tout le monde a été impressionné par la qualité de l'organisation mise en oeuvre par les Togolais, que le taux de participation des chefs d'Etat a été très important, trente-sept chefs d'Etat, ce qui est une très belle performance.
L'OUA est une institution déjà ancienne, 37 ans. J'ai le sentiment qu'elle connaît une nouvelle jeunesse, le président Bouteflika y a très certainement contribué. Je ne doute pas que le président Eyadema va continuer sur cette lancée, et que l'OUA va être plus qu'hier la possibilité offerte aux Africains d'exister davantage en quelque sorte au plan international et de faire en sorte que l'Afrique se fasse mieux entendre dans le concert des nations et en particulier dans des grandes instances où se joue un peu aujourd'hui l'avenir du monde. Je pense au Fonds monétaire, à la Banque mondiale, je pense aux discussions au sein de l'Organisation mondiale du Commerce, je pense aussi à l'Organisation des Nations unies, à toutes les agences qui gravitent autour de cette institution. Le thème de l'union de l'Afrique a évidemment été évoqué, nous savions qu'il était un des sujets attendus de ce Sommet de Lomé. J'observe aussi, mais je n'en suis pas surpris, que les chefs d'Etat africains dans leur très grande majorité considèrent qu'il s'agit d'une perspective qui méritera du temps, beaucoup d'attention, beaucoup de travail, avant qu'elle puisse se concrétiser par de nouvelles institutions. Mais j'ai entendu dans le même temps que les institutions régionales continueraient d'être encouragées, et la France en tire satisfaction, car nous avons toujours considéré qu'encourager les intégrations régionales, c'était à la fois servir la paix et le développement. La France, au cours de la renégociation de la Convention de Lomé, qui s'appelle maintenant en quelque sorte la Convention de Cotonou, puisque nous l'avons signée il y a quelques semaines, a fait de cette intégration régionale une priorité de la relation entre l'Europe et les pays Afrique-Caraïbes-Pacifique, donc je suis heureux de voir que cette ambition d'intégration régionale plus affirmée est reprise par l'OUA à l'occasion de ce sommet.
J'ai entendu aussi une volonté très affirmée des Africains de se prendre en charge et en particulier en ce qui concerne leur sécurité. Le Sommet de Lomé a été aussi l'occasion d'évoquer aussi certaines situations de conflit ; certaines qui autorisent l'optimisme, je pense à la paix qui s'installe entre l'Ethiopie et l'Erythrée, je pense aux perpectives d'ailleurs que les discussions en cours à propos de la Somalie autorisent ; et puis certains conflits qui, par contre, semblent, je pense hélas, appelés peut-être à se poursuivre, et nous le regrettons. Nous avions espéré, et d'autres avec nous, que ce sommet serait l'occasion de parler de la situation au Congo, cela n'a pas été possible, c'est une situation qui continue à nous préoccuper, l'Afrique est encore trop victime de conflits, et quand je dis l'Afrique, je pense aux populations en particulier. Mais ce sommet aura aussi révélé la prise de conscience très forte des Africains du besoin de lutter avec plus d'efficacité contre la pauvreté, rejoignant en cela les constats faits ces derniers temps par les grandes instances multilatérales, des efforts qui doivent justifier une solidarité plus forte de la communauté internationale, et en particulier des pays du Nord.
La France à cet égard est, comme vous le savez, un des plus importants bailleurs de fonds : l'aide publique au développement française, même si elle a diminué, comme partout ces dernières années, reste l'une des plus élevées au monde. La France est sans conteste le premier partenaire bilatéral de l'Afrique. Nous entendons continuer, préserver cette relation particulière, mais aussi, puisque nous présidons aux destinées de l'Union européenne pour six mois, convaincre nos partenaires de regarder peut-être davantage en direction de l'Afrique. Voilà ce que je voulais vous dire en ouvrant ce point de presse. Pour faire bonne mesure, je vous dirais que j'aurai, à cette occasion, rencontré le président de Djibouti, le président du Gabon, M. Bongo, le président Patassé de Centrafrique, le président de l'Erythrée, bien sûr le président Eyadéma, les deux secrétaires généraux, celui des Nations unies, M. Kofi Annan, que j'ai vu hier matin, et M. Salim Ahmed Salim, que j'ai vu hier. Je ne parle pas des contacts que j'ai pu avoir au cours des dîners qui ont été organisés ou des rencontres de couloir, y compris peut-être des moments d'attente au pied des ascenseurs, mais ça, c'est un problème un peu particulier...
Voilà, je vous écoute...
Q - Merci, Monsieur le Ministre. Je m'appelle Mewenemesse, je suis directeur de publication du journal "La Dépêche" et président de l'Observatoire Togolais des Médias. J'ai deux questions à vous poser, la première question, qui concerne un ministre délégué à la coopération qui s'intéresse à la coopération africaine, c'est de savoir où en est l'état des relations entre le Togo et la France ; 2ème question : le problème de la dette a été le point dominant du sommet. Quel est le point de vue de la France, parce que dans votre exposé préliminaire on n'a pas cru entendre que la France est favorable à l'annulation de la dette.
R - On peut peut-être laisser venir d'autres questions ?
Q - Messan Lucien, Directeur du journal "le Combat du Peuple", journal togolais. Monsieur le Ministre vient de décrire à grands traits ce qu'il a constaté au cours de ce sommet de Lomé. Mais, comme toujours, on a l'impression que les chefs d'Etat se réunissent, à l'occasion des sommets de l'OUA, en dehors des peuples, parce que, si j'ai bien compris ce que Monsieur le Ministre vient de dire tout à l'heure, on n'a pas parlé des véritables préoccupations des peuples africains, c'est à dire plus de justice, les libertés d'expression, les droits humains, tout ça, on n'en a pas parlé, on a parlé des guerres sans parler de ce qui amène les guerres, alors, je voudrais demander à Monsieur le Ministre de la Coopération, qui disait tout à l'heure que la France est le premier partenaire de l'Afrique, ce que la France pense réellement de la démocratie en Afrique, parce que lorsqu'on parle de la démocratie, on dit : il y a des pays qui doivent aller à leur rythme, aller à son rythme, est-ce que cela veut dire : faire des élections non libres, non transparentes, parce qu'il faut qu'on commence à penser aux peuples africains et non seulement à leurs dirigeants.
Q - M. Ayena, journaliste à Radio-Lomé. Une question concernant tout d'abord la prévention du Sida. Aujourd'hui, une des pandémies, en fait la pandémie qui décime beaucoup d'Africains, je voudrais savoir ce que la France peut faire pour aider les pays africains quand on sait que le 36ème Sommet de l'OUA à Lomé a mis cette question au centre de ses préoccupations. Les conflits en Afrique que vous avez évoqués, Monsieur le Ministre, vos rencontres avec certains chefs d'Etat, qu'est-ce que la France peut faire quand on sait que le Togo assure la présidence en exercice de l'OUA dans le cadre de la résolution des conflits, notamment à travers les mécanismes initiés par la France pour la prévention et la gestion des conflits en Afrique ?
R - S'agissant des relations entre la France et le Togo, nous avons voulu concilier en quelque sorte une amitié très ancienne et notre solidarité européenne. Vous n'êtes pas sans ignorer que la coopération entre le Togo et l'Union européenne est suspendue depuis déjà plusieurs années et qu'au lendemain des élections présidentielles de 98, il a été convenu de ne pas rétablir encore ces relations de coopération entre l'UE et le Togo. La France s'est conformée à cette décision de l'Europe. Nous sommes conscients des difficultés que ceci peut représenter pour l'économie togolaise, et conscients aussi des souffrances que cette suspension peut entraîner pour les populations civiles. C'est bien pour cela que nous nous sommes efforcés d'éviter que cette suspension ne remette en question des programmes de coopération directement liés à l'amélioration de la situation des populations.
Nous militons auprès de nos partenaires européens pour une reprise progressive de cette coopération au fur et à mesure que les efforts entrepris pour établir un meilleur dialogue entre les acteurs politiques togolais se développent, sachant que la coopération européenne ne pourra retrouver sa plénitude qu'au lendemain de l'application de ce qu'on a pu appeler les Accords de Lomé, qui intègrent de nouvelles élections législatives, dont nous pensons que, plus vite elles se tiendraient, mieux ce sera pour notre relation et singulièrement pour la relation entre l'Europe et le Togo.
La semaine prochaine, une nouvelle rencontre du comité a lieu, le CPS, auquel les médiateurs participeront. J'espère que cette nouvelle rencontre permettra de franchir les étapes qui restent attendues : l'installation définitive de la CENI, c'est à dire un président, un bureau, la définition d'un calendrier électoral. Je fais confiance aux acteurs politiques togolais qui ont montré au cours de la période qu'ils étaient capables de progresser et de s'entendre sur un certain nombre d'objectifs, pour que le Togo puisse retrouver une situation à tous égards conforme à l'idée qu'on se fait d'une démocratie, permettant ainsi donc de reprendre la relation entre l'Europe et le Togo, mais permettant aussi à la relation entre la France et le Togo de s'en trouver encore consolidée.
Sur la question de la dette, évidemment une question importante - je n'ai pas été surpris d'entendre tous les orateurs hier matin y faire allusion. Le président Bouteflika était venu en France à Paris il y a quelques semaines, il y avait évidemment beaucoup insisté, plaidant pour l'Algérie, et hier, il y a beaucoup fait allusion dans son discours comme pratiquement tous les orateurs. La France est en effet à la pointe du combat engagé pour atteindre l'annulation de la dette des pays en développement.
La société civile, du Nord, du Sud, s'est beaucoup mobilisée pour enlever le fardeau qui pèse sur les pays en développement et qui, malheureusement, est tout à fait insupportable pour la plupart d'entre eux. La France a donc fait le choix d'alléger pour elle-même une dette considérable, puisque la part de la France dans l'effacement de la dette, c'est pratiquement 10 %, c'est à dire quelque chose comme 7 milliards de dollars, beaucoup plus qu'aucun autre pays du Nord, beaucoup plus que les Etats Unis, si on devait faire une comparaison, puisqu'à la dette bilatérale française s'ajoute évidemment sa part dans les créances des institutions multilatérales.
Pour l'instant, il faut regretter que l'ambition du Sommet du G7 de Cologne ne se soit pas encore traduite dans la réalité, certaines résistances s'observant encore dans la mobilisation des ressources financières nécessaires ; même si les gouvernements ont dit oui, certaines assemblées résistent encore, et je pense en particulier au Congrès américain. Je le dis sans intention polémique, mais pour l'instant, c'est une des résistances observées, le gouvernement américain a dit sa volonté d'aller dans la bonne direction. Pour l'instant, les congressistes américains freinent, et je crains, la période électorale américaine aidant, que ce blocage ne dure encore quelques mois. J'espère que très vite nous pourrons lever les obstacles.
Deuxième observation que je voudrais vous présenter aussi, c'est l'espoir qui est le nôtre que ce désendettement puisse servir le développement. Il faut que les marges de manuvre que les pays vont trouver du fait de l'effacement de leur dette, soient consacrées prioritairement à la lutte contre la pauvreté, ceci nous paraît tout à fait essentiel, même si, quand je parle de lutte contre la pauvreté, je pense bien sûr, santé, éducation, mais je crois aussi qu'il faut que nous ayons une conception de la lutte contre la pauvreté capable d'intégrer l'environnement, le développement durable, mais aussi la consolidation d'administrations indispensables au développement et à l'efficacité des Etats.
Mais, j'en viens à la seconde question : "et les peuples dans tout cela ?". Est-ce que les sommets ne seraient finalement que l'occasion pour les dirigeants de faire des discours sans s'intéresser aux peuples ? Autorisez-moi une observation : tous les discours, des dirigeants comme des opposants, font toujours référence aux peuples. Dès lors que nous avons à faire à des dirigeants légitimement élus, installés, on peut penser que quand ils s'expriment, c'est aussi le peuple qui s'exprime. Et Yves Tavernier et moi, qui avons été élus dans des conditions qu'on veut bien considérer comme démocratiques, pouvons légitimement dire que, quand nous intervenons, c'est aussi au nom des populations qui nous ont élus, et des autres, puisque, une fois qu'on est élu, on représente tout le monde.
La démocratie commence à être apprivoisée par l'Afrique. Je comprends l'impatience de certains qui voudraient que les choses aillent plus vite. J'observe là aussi la difficulté qu'on rencontre à installer la démocratie en l'absence d'une société achevée en termes d'information, parfois en termes d'instruction. La difficulté aussi qu'on rencontre en Afrique en croisant le multipartisme à une organisation ethnique souvent complexe. Il m'arrive parfois de regretter le "trop plein" de partis en Afrique : quand, dans certains pays, on a 70, 80 partis qui réclament tous le même accès à la télévision, on voit la difficulté de l'exercice. Il faudra bien qu'il y ait un effort de restructuration de la part des responsables. Les pays du Nord n'échappent pas toujours à ce reproche, mais j'observe que l'Afrique offre trop souvent des situations comme je viens de décrire. Et ceci rend difficile non seulement le dialogue politique, mais la lisibilité politique pour les peuples précisément. Comment voulez-vous que le citoyen s'y retrouve entre 70 partis politiques, qu'il structure sa pensée politique, qu'il fasse un choix de société, qu'il sache mieux où mettre le point d'équilibre entre la liberté et la sécurité ?
Bref, la France, dans tout cela, - et la démocratie doit intégrer cette donnée - souhaite en effet que le dialogue politique que la nouvelle convention de Cotonou a prévu soit l'occasion, non pas de culpabiliser ou d'accuser, mais d'appuyer, mais fortement, les efforts entrepris pour développer ce qui manque encore, me semble-t-il, pour que la démocratie soit totalement apaisée, je le répète. Vous y participez vous-même, vous les médias, une information qui revendique sa liberté, mais qui fasse aussi preuve d'une certaine éthique, ce qui me paraît tout à fait important : un multipartisme maîtrisé, un statut de l'opposition authentique, qu'on sache mieux offrir aux anciens dirigeants des conditions normales en terme de dignité, parfois même en terme de responsabilité, comme nous savons le faire chez nous, c'est vrai, ceci est important, bref, savoir gérer les alternances, ceci est un point tout à fait essentiel. Ajoutons-y bien sûr qu'il faut que les armées fassent leur métier de soldat, c'est à dire qu'on fasse ce pour quoi on existe, et seulement cela.
Bref, sur tous ces points, je le répète, la France est mobilisée, ses partenaires européens aussi, et plus généralement, je le répète, le dialogue politique doit servir à parler de cela avec les Africains, et à venir en appui chaque fois que le besoin apparaît, chaque fois que les Africains eux-mêmes nous le demandent, c'est un point sur lequel je voulais insister.
Le Sida - je laisserai Yves Tavernier compléter un peu parce qu'il a, sur le terrain, pu vérifier ce que nous faisons très concrètement. En ce moment à Durban, il y a en effet cette conférence mondiale sur une pandémie qui est aujourd'hui considérée comme susceptible de mettre en danger plusieurs pays africains, et qui touche, vous le savez, pour l'essentiel, l'Afrique subsaharienne.
La France a lancé à Abidjan en 1998 un fonds de solidarité thérapeutique internationale, c'est le président Chirac qui l'avait proposé, avec à ses côtés Bernard Kouchner qui en était l'instigateur. Et ce fonds de solidarité thérapeutique avait pour ambition - il a toujours pour ambition - d'apporter à l'Afrique, non seulement les moyens de prévention, mais surtout le début du traitement de la maladie.
Considérant en effet que la plus grande injustice aujourd'hui, c'est de considérer que certains ont accès aux médicaments parce qu'ils peuvent les payer et d'autres pas. C'est là aussi, pour caricaturer un peu cette situation qui veut que les médicaments soient au Nord et les malades au Sud, que nous avons mis en place ce fond de solidarité thérapeutique, avec bien sûr une ambition de prévention, d'éducation, mais, je le répète aussi, de mise en place de systèmes de soins en ciblant particulièrement la situation mère-enfant, et nous l'avons mis en place en commençant par un certain nombre de centres hospitaliers : Dakar, Abidjan est en cours, - on parlera tout à l'heure de l'expérience togolaise -, Bangui - la RCA est un pays très, très touché -, et dans l'Asie du sud-est.
J'observe - et je crois que c'est une bonne nouvelle - qu'il y a une prise de conscience très réelle non seulement des dangers que la maladie fait courir, bien sûr, aux populations, mais des dangers que cette maladie, en privant la société africaine en particulier de ses cadres, fait courir au processus même du développement. Comme en certains pays il meurt plus d'enseignants dans une année qu'on en forme dans une année, on voit à quel résultat on aboutit; il en va de même pour les cadres de l'industrie et de l'armée. C'est donc, outre un dossier humainement très douloureux, un dossier économiquement considérable. Donc la prise de conscience aujourd'hui, je pense, de cette réalité, est en marche.
Je crois aussi à la prise de conscience de la nécessité d'une meilleure solidarité entre le Nord et le Sud pour que les médicaments en particulier puissent aller vers les malades. Cette prise de conscience est également en marche, et Durban en est l'illustration.
La France, je le répète, peut s'honorer au travers de ce fonds de solidarité thérapeutique d'être à la pointe de ce combat, je ne parle pas des efforts de recherche qui sont faits. Et je voudrais vous dire, moi personnellement, le jugement très positif que je porte sur la proposition faite par le président Eyadema hier dans son discours-programme, d'une usine pharmaceutique, de la production au Sud des médicaments nécessaires. Ceci me paraît une idée qu'il nous faut reprendre et qu'il nous faut appuyer.
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Dernière question donc, la réponse à la question posée : que peut faire la France en ce qui concerne la gestion des conflits ? Je rappelle d'abord que la France est un des membres permanents du Conseil de sécurité, et qu'à ce titre nous intervenons bien sûr dans les décisions qui sont prises sous forme de résolutions, que nous en assurons et faisons en sorte aussi d'en suivre l'application, que la France est souvent impliquée dans la recherche de solutions à des situations difficiles. Je pense à notre présence en Centrafrique il n'y a pas si longtemps dans le cadre de la MINURCA, je pense aussi au rôle que nous jouons dans la formation des Africains à la prévention et à la gestion des conflits. Il y a une école régionale à Zambakro en Côte d'Ivoire, que j'ai eu l'honneur d'inaugurer avec l'ancien Premier ministre de Côte d'Ivoire, qui justement forme des cadres militaires africains à cette question de la prévention et de la gestion des conflits.
Plus généralement, nous entendons bien, dans le cadre du dialogue politique que j'évoquais tout à l'heure, essayer de prévenir les conflits, car c'est tout de même la meilleure chose que nous puissions faire, car, quand le conflit est là, l'arrêter est difficile, et surtout en réparer les conséquences très coûteux. L'Ethiopie et l'Erythrée sont en train d'en faire l'expérience. Voilà ce que je voulais dire à cet égard, en souhaitant, comme ceci a été entendu hier, que les Africains accordent peut-être à la stabilité et à la paix une plus grande importance. Hier on a souvent mis en évidence la relation étroite qu'il y a entre paix et développement. J'espère que, au-delà de Lomé, à partir de Lomé, ce message sera entendu, mais il est vrai qu'il nous faudra - et nous nous y employons- continuer, au plan international, lutter contre l'emploi des mines antipersonnel, maîtriser mieux la circulation des armes légères, faire en sorte aussi qu'on sache mieux contrôler l'usage qui est fait hélas à des fins de guerre par certaines richesses que contient le sous-sol africain. Je pense aux diamants. Souhaitons aussi que les pays qui ont la chance d'avoir une rente pétrolière sachent consacrer une part plus significative de celle-ci au développement de leur pays et singulièrement à la lutte contre la pauvreté. Voilà, je crois qu'il me faut en rester là, nous avons fait, à travers les questions qui m'ont été posées, un assez large tour d'horizon. Une dernière question?
Q - Mademoiselle Gangoe, de l'Agence Inter Presse Services. La première question, c'est celle de savoir quelle peut être la position de la France par rapport au projet de création de l'Union africaine, et ma seconde question: on sait que les conditions qui ont conduit à la suspension de la coopération entre l'Union européenne et le Togo demeurent toujours. Et pourtant l'Afrique a fait confiance au Togo en lui confiant la Présidence de l'OUA pour cette année : qu'est-ce que cela peut vous inspirer ?
R - Je ne doute pas que, lorsque les Africains ont fait le choix, je crois, à Ouagadougou, c'était au sommet de 1998, de confier l'organisation du sommet de l'an 2000 et donc de confier la présidence à un dirigeant togolais, je pense que les Africains avaient de bonnes raisons, en tout cas, je respecte le choix qu'ils ont fait. Ce coup de projecteur sur Lomé et sur le Togo doit être considéré comme une incitation de plus aux acteurs politiques togolais pour offrir l'image, justement, d'un pays où l'on sait trouver la voie d'une démocratie apaisée. J'aimerais que cette visibilité plus grande donnée au Togo soit une raison de plus pour ceux qui vont se réunir la semaine prochaine d'aboutir à ces décisions qui vont permettre au Togo d'avoir une image positive.
S'agissant de l'union africaine, je crois dans mon propos liminaire en avoir déjà parlé. Moi, je n'ai pas à porter de jugement sur ce que les Africains choisissent. Nous avons à être à l'écoute de nos amis africains et être prêts, s'ils nous le demandent, à venir en appui. Je veux simplement dire que l'expérience que nous avons de la construction européenne nous a enseigné qu'il faut faire preuve de beaucoup de pragmatisme, que les constructions idéales sont difficiles à mettre en oeuvre, qu'il faut procéder par étapes, mais, comme je le disais tout à l'heure, si ce concept d'union africaine doit permettre aux Africains de dialoguer mieux entre eux, d'exister mieux aussi par rapport au reste du monde, alors vive l'union africaine.
Je vous remercie. A une autre fois.
(Source : http://www.diplomatie.gouv.fr, le 26 juillet 2000)