Déclaration de Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication, sur l'avenir de la presse écrite dans un environnement médiatique de plus en plus dominé par l'audiovisuel, Paris le 15 septembre 1998.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Congrés de l'Union catholique internationale de la presse (UCIP), à l'Unesco, le 15 septembre 1998

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs,

Permettez moi d'abord de vous dire combien j'apprécie de pouvoir participer à cette séance inaugurale.
J'aimerais profiter de ma présence pour féliciter les organisateurs de cette rencontre. Je sais qu'ils se sont dépensés sans compter pour permettre à chacun d'être là ce matin, venus parfois de pays dans lesquels la défense de la liberté d'expression représente un combat quotidien. Je souhaite leur adresser un salut particulier.

"La presse écrite : un média pour demain" ?

Face à cet intitulé, certains pourraient soupçonner une marque d'angélisme, voire imaginer une provocation, tant il est plus fréquent d'entendre évoquer la concurrence des médias audiovisuels, l'érosion des habitudes de lecture, la stagnation de la diffusion... et finalement la crise de la presse écrite.
Pour ma part, et comme vous je le crois, je ne me résous pas à ce registre pessimiste.
Comme responsable politique, je suis particulièrement sensible à ses éditoriaux et à ses analyses, à sa participation à la diffusion de la pensée et à sa contribution à l'animation du débat démocratique.
En tant que citoyenne et universitaire, j'apprécie quotidiennement sa capacité à accompagner la vie quotidienne autant que son action comme outil de circulation des connaissances.
Dans mes fonctions de ministre, enfin, je m'attache, chaque jour, à consolider les bases de son développement.

Ma présence ce matin a donc la valeur d'une double conviction : celle de la valeur irremplaçable de la presse écrite, mais aussi de la nécessité d'une modernisation profonde, qui doit lui permettre de relever un triple défi.

  • I - Défis industriels, d'abord, à travers les deux "chocs technologiques" que la presse a connus au cours de la dernière décennie, les efforts d'adaptation que ces mutations lui imposent mais aussi les effets bénéfiques qu'elle doit finalement en retirer. Je pense au développement des télécommunications et de l'informatique, et à la rapidité foudroyante avec laquelle les conditions de recueil et de mise en forme de l'information se sont trouvées transformées : l'utilisation d'un micro ordinateur portable, d'un appareil photo numérique et d'une liaison téléphonique permettent aujourd'hui au reporter d'envoyer à sa rédaction un matériel "prêt à intégrer" ; la PAO a renvoyé cutter, colle et papier millimétré au rang d'objets de musée. L'étape de l'impression n'a pas été épargnée, avec le développement des unités décentralisées qui permettent de gagner du temps sur les délais de bouclage, d'améliorer le service au lecteur et de diminuer considérablement les frais de transport de la presse. Intégrer cette nouvelle donne suppose, pour les entreprises de presse, l'adaptation de l'organisation du travail. Cela exige aussi d'importants investissements. Par son effort budgétaire et fiscal, l'Etat a contribué de longue date à alléger les charges qui en résultent pour les entreprises. J'ai souhaite qu'une action particulière puisse être menée pour accompagner la modernisation des entreprises de presse quotidienne d'information générale et politique, en raison de sa contribution particulière au débat démocratique, des coûts de production élevés auxquels elle est confrontée, et des difficultés spécifiques qu'elle traverse. C'est ainsi que le Fonds de modernisation de la presse quotidienne sera mis en place au cours des toutes prochaines semaines. Par le soutien qu'il apportera aux projets de modernisation précis, définis par les éditeurs, ce Fonds permettra un véritable "effet de levier", en faveur des entreprises et de la profession.
  • II. Défis industriels, mais aussi nécessité permanente d'améliorer les conditions d'accès à la presse, que l'accélération générale des rythmes de transmission de l'information rend encore plus impérative : alors que le téléphone portable, le fax, le courrier électronique permettent de se mettre instantanément en contact avec tout point du globe, alors que les médias audiovisuels sont désormais capables de couvrir en direct l'actualité planétaire, il est indispensable que les rythmes de distribution de la presse permettent de tirer partie des gains de temps que lui procure la transformation de ses conditions de fabrication. Cette "bataille de la distribution" exige d'abord la mobilisation de l'ensemble des réseaux traditionnels : ventes en kiosque, avec la garantie, par l'Etat, du maintien des principes de la loi BICHET et l'accompagnement du plan de modernisation des NMPP, ou abonnements acheminés par voie postale, avec la signature récente du contrat de plan de la Poste qui confirme l'engagement fort et durable de l'Etat. Elle suppose pour l'avenir que bon sens et imagination puissent se combiner, pour expérimenter des techniques encore inexploitées, en France, telles que les automates, ou pour savoir redécouvrir des moyens peut être trop vite oubliés, comme les crieurs de journaux. Elle exige surtout, à court terme, de pousser les feux sur le développement du portage. Parce qu'il représente une amélioration considérable du service au lecteur, s'agissant des quotidiens particulièrement, ce dernier constitue un vecteur essentiel de fidélisation des abonnés. La mise en uvre d'un dispositif substantiel d'aide au développement du portage doit donc permettre à l'ensemble du secteur de se mettre au niveau des entreprises les plus performantes.
  • III. Mais si l'adaptation des conditions de fabrication de la presse et la modernisation de ses modes de distribution constituent des conditions nécessaires à la vitalité de la presse écrite, elles ne sauraient prétendre à elles seules à garantir son succès auprès de ses clients.

"Clients annonceurs", d'abord.
Confrontée à la concurrence des médias audiovisuels, mais aussi à celle du hors média, la presse a eu du mal au cours des dernières années à maintenir sa part du marché publicitaire : cette dernière ne représentait plus l'an dernier qu'un peu plus d'un sixième des investissements globaux des annonceurs.
Si les statistiques récentes montrent que la publicité traditionnelle et, surtout, les petites annonces ont profité, au cours des derniers mois du bon climat économique général, la mise en place de produits commerciaux visant à simplifier l'appréhension du média par les annonceurs, et à leur garantir des performances significatives en terme de pénétration, ne peut que contribuer à conforter ces bons résultats. Il me paraît donc de bon augure que d'autres formes de presse, par exemple la presse hebdomadaire régionale, suivent aujourd'hui l'exemple de la PQR, et du 66-3.

"Clients annonceurs" donc, mais surtout "Clients lecteurs", avec lesquels il est essentiel de renforcer chaque jour relation de confiance et capacité de séduction, besoin d'enrichissement et volonté de dialogue permanent, réponse aux attentes nouvelles et adaptation aux évolutions générales.
De ce point de vue aussi, les signes d'espoirs ne manquent pas. J'ai eu l'occasion, déjà, de me féliciter des résultats de l'enquête commandée par La Vie, à l'occasion de votre rencontre : pour une forte majorité des personnes interrogées, la presse est "complète", "fiable", "compréhensible par tous", et elle "encourage la réflexion" ; je remarque aussi que l'étude annuelle réalisée pour la Croix et Télérama témoigne que le niveau de confiance des lecteurs envers leurs journaux progresse depuis trois ans.

Il revient aux éditeurs de savoir convertir cette amélioration de l'image générale en habitudes de lecture et en comportements d'achat.
Cela suppose un soin permanent apporté à la qualité des informations diffusées, au sérieux de leur traitement et, pour oser le mot, aux pratiques déontologiques des rédactions.
J'ai eu l'occasion de formuler des propositions en matière, par exemple, d'amélioration de la formation des journalistes, et particulièrement de ceux qui n'ont pas suivi de cursus spécialisé avant d'intégrer la profession. J'aurai l'occasion d'y revenir dans quelques jours, à l'occasion de la communication sur la modernisation de la presse que je présenterai en Conseil des ministres.

Conquérir et fidéliser de nouveaux lecteurs suppose aussi, pour chaque forme de presse, de tirer le meilleur parti de sa diversité.
Par sa capacité à traiter en profondeur l'actualité politique et générale, à conjuguer exposés factuels et articles d'analyses, enquêtes et points de vue d'expert, la presse d'information générale paraît bien armée pour répondre à la quête de sens ressentie par nos contemporains. L'évolution de la diffusion de la presse quotidienne nationale au cours des trois dernières années présente d'ailleurs des signes encourageants, en même temps qu'elle récompense un important travail de modernisation éditoriale. Les scores obtenus par la presse hebdomadaire régionale, comme d'ailleurs les résultats de l'étude réalisée pour La Vie, confirme que cette attente s'étend à l'information régionale de proximité. Je suis donc confiante dans la capacité de la presse quotidienne régionale à poursuivre la rénovation de ses formules dans ses propres zones de diffusion.
Quant au savoir faire acquis par les éditeurs de presse magazine à centre d'intérêts, il paraît bien adapté pour répondre à la demande de "thématisation" également ressentie par l'ensemble des médias audiovisuels.

  • IV. Et Internet ? Certains sont tentés de voir une concurrence et une menace dans le développement des services en ligne ; mon opinion est inverse. Le recours croissant au réseau - on dit qu'un américain sur cinq a maintenant l'habitude de s'informer sur Internet - est l'occasion , pour la presse, de tirer partie du travail de numérisation et d'organisation des fonds en base de données que j'ai déjà évoqué ; il offre la possibilité de valoriser la richesse des fonds éditoriaux développés par la presse écrite, en même temps que de développer des approches spécialisées, voire personnalisées, particulièrement adaptées à la culture de communication "one to one" en vigueur sur Internet ; il représente enfin le moyen de s'affranchir des délais d'impression et de distribution, donc de se trouver à armes égales par rapport aux médias audiovisuels.

Si mon propos n'est évidemment pas d'en commenter les développements, la façon dont les sites Internet des principaux titres de la presse américaine ont fait jeu égal avec ceux de CNN ou des grands Networks dans la couverture des événements touchant la Présidence des Etats-Unis me paraît, par exemple, tout à fait significative.
A condition d'adapter les contenus proposés à un contexte nouveau, de dépasser la simple transposition d'articles préparés pour les éditions imprimées, de savoir intégrer l'écriture multimédia dans un souci constant de valeur ajoutée pour l'utilisateur, je suis persuadée que le Web représente donc une chance formidable pour la presse.

Si mon propos n'est évidemment pas d'en commenter les développements, la façon dont les sites Internet des principaux titres de la presse américaine ont fait jeu égal avec ceux de CNN ou des grands Networks dans la couverture des événements touchant la Présidence des Etats-Unis me paraît, par exemple, tout à fait significative. A condition d'adapter les contenus proposés à un contexte nouveau, de dépasser la simple transposition d'articles préparés pour les éditions imprimées, de savoir intégrer l'écriture multimédia dans un souci constant de valeur ajoutée pour l'utilisateur, je suis persuadée que le Web représente donc une chance formidable pour la presse.

Par la même, c'est sans doute la place de l'écrit, mais au delà de la capacité à se saisir de problèmes complexes qui se trouve en jeu :
On a coutume de dire que la transcription des textes prononcés au cours d'un journal télévisé couvre à peine l'espace d'une page de quotidien ? La compréhension des phénomènes économiques et monétaires dans un univers de plus en plus ouvert, le décryptage des enjeux écologiques ou encore l'analyse des questions liées aux régimes de protection sociale exigent une densité dans l'exposé, qui cadre mal avec le rythme des médias audiovisuels.
La capacité à agencer reportages, commentaires et interviewes constitue bien le savoir faire particulier en même temps que l'irremplaçable valeur ajoutée des rédactions de presse écrite. Et parce que le fonds prime la forme, je ne doute pas de leur capacité à s'adapter au maniement des liens hypertexte ou des éléments multimédia, en même temps qu'à continuer à adapter maquette et traitement éditorial des éditions papiers.

Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs,
Vous l'avez compris,
Comme lectrice autant que comme ministre, je suis donc confiante dans la capacité de la presse, qu'elle soit écrite ou électronique, à conserver demain toute sa place.

(source http://www.culture.gouv.fr, le 14 septembre 2001)