Conférence de presse de M. Bernard Kouchner, ministre délégué à la santé, sur le plan de lutte contre les hépatites B et C, Paris le 20 février 2002.

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Circonstance : Conférence de presse sur le "Plan hépatites" à Paris le 20 février 2002

Texte intégral

Mesdames,
Messieurs,
Le plan "hépatites" que je vous présente ce matin concerne deux types d'hépatites virales : l'hépatite C et l'hépatite B.
Comme vous le savez je vous ai présenté un premier plan quadriennal contre l'hépatite C le 22 janvier 1999. Il m'est apparu nécessaire d'actualiser ce plan avant son terme compte tenu des récents progrès des traitements et de l'importance de prévenir les complications.
J'ai estimé indispensable d'inclure l'hépatite B car il est tout à fait important de revoir notre stratégie de prévention et de prise en charge à la lumière des données épidémiologiques et thérapeutiques.
Ces hépatites B et C peuvent être graves par leur risque d'évolution chronique, conduisant à la cirrhose, à l'insuffisance hépatique, ou à l'hépato-carcinome. Elles le sont parfois pour l'hépatite B par une forme aiguë, fulminante, nécessitant une transplantation hépatique en urgence.
Le plan de lutte contre ces maladies infectieuses transmissibles vise à mieux les prévenir, mieux les dépister, mieux les prendre en charge.
1 La Situation épidémiologique
L'hépatite C.
L'hépatite C atteint environ 1,1 % de la population : c'était déjà les estimations que nous donnions il y a quelques années ; 5 à 650 000 personnes séropositives en France dont 80% sont porteuses chroniques du virus.
Une nouvelle enquête de prévalence sera mise en place en 2002 par l'InVS.
L'incidence de la maladie n'est pas très précisément connue au niveau de la population générale. Les primo-infections sont silencieuses, et donc elles ne sont pas nécessairement dépistées. Elle est surveillée chez les donneurs de sang et fait l'objet d'une étude chez des usagers de drogues par voie intraveineuse.
Deux recueils de données permettront cependant de mieux prendre la mesure de la dynamique de la transmission du VHC en France :
- le réseau RENA-VHC composé de 257 laboratoires hospitaliers et privés répartis dans toute la France.
- le réseau de surveillance des patients nouvellement pris en charge dans 25 pôles de référence de l'hépatite C volontaires.
Nous disposons de résultats provisoires de la première année du dispositif.
Pour l'année 2000 dans ce réseau RENA-VHC, sur 445 502 tests de dépistage, 5 % se sont avérés positifs (soit 15 425 personnes dépistées).
Les facteurs de risques de transmission du VHC identifiés sont :
- soit une toxicomanie par voie intraveineuse du fait du partage du matériel d'injection (mais il faut aussi prendre en compte le risque de transmission par voie endonasale lié au partage de la paille lors du sniff),
- soit une transfusion ancienne. En effet, bien que les produits sanguins soient aujourd'hui totalement sécurisés, en particulier depuis l'introduction du dépistage génomique viral en juillet 2001, il persiste encore un nombre non négligeable d'anciens receveurs de produits sanguins qui n'ont pas encore été dépistés.
Ceci ressort d'ailleurs des résultats de la journée de dépistage organisée en octobre 2001 par les laboratoires de ville et dont les résultats ont été communiqués il y a quelques jours : la moitié des cas dépistés étaient chez d'anciens transfusés :
- soit surtout les soins invasifs, répétés au cours de maladies chroniques, susceptibles de transmission du virus en milieu de soins. Le cas du centre d'hémodialyse de Béziers que nous avons du fermer du fait du nombre de cas survenus en est une illustration.
- ce peuvent-être encore les actes de tatouages ou de piercing pour lesquelles nous avons lancé, ensemble, en juin dernier une vaste campagne d'information et de prévention ;
L'hépatite B
L'incidence de la maladie a très sensiblement baissé ces dernières années au point que le système de surveillance par le réseau Sentinelles ne soit plus suffisamment précis. Cette diminution est en partie liée au nombre élevé de personnes vaccinées dans les années 90 (près de 25 millions de personnes ont été vaccinées).
Le nombre d'hépatites fulminantes répertoriées en vue d'une transplantation est ainsi passé de 20 en 1990 à 7 en 1999.
Cependant il nous faut améliorer nos connaissances épidémiologiques sur la situation actuelle. C'est pourquoi nous avons ajouté l'hépatite B aiguë dans la liste des maladies à déclaration obligatoire. Ce dispositif de surveillance sera opérationnel dans les mêmes conditions, et dans les mêmes délais que celui du VIH.
De plus l'enquête de prévalence nationale pour 2002 (InVS- CNAMTS) concerne à la fois l'hépatite C et l'hépatite B.
Sur la base de ces données, j'ai décidé la mise en oeuvre d'un plan national dont le 1er volet est commun aux deux hépatites : réduire la transmission des deux virus.
1. La prévention de la transmission des virus VHC et VHB
Je ne détaillerai pas toutes les actions qui sont conduites à cette fin ou qui seront renforcées dans ce plan actualisé. Vous les trouverez dans les documents qui vous sont remis.
J'insisterai seulement sur les points qui me semblent essentiels.
Dans le domaine des soins nous avons " sécurisé " de façon très importante tous les produits de santé, depuis la sécurisation des produits sanguins jusqu'au renforcement de l'usage des dispositifs médicaux à usage unique, la circulaire du 14 mars 2001 relative à la transmission de l'ESST humaines et de la maladie de Creutzfeldt-Jakob renforce la qualité de la stérilisation des dispositifs médicaux, et contribue donc à la prévention du VHC et du VHB en milieu de soins.
Le décret du 5 décembre 2001 relatif à l'obligation de maintenance et au contrôle de qualité des dispositifs médicaux participe également à la sécurisation des soins.
Tout est-il réglé pour autant ? Sans doute pas ; il nous faut veiller à l'application rigoureuse de ces textes, évaluer le respect des bonnes pratiques, non seulement à l'hôpital mais également en médecine libérale, actualiser aussi certains guides de bonnes pratiques, je pense notamment à l'hémodialyse, et renforcer la surveillance épidémiologique dans ces unités où les patients semblent plus particulièrement exposés.
Il nous faut bien sûr prendre en compte ce risque " nosocomial " en dehors des hôpitaux, partout où des actes de soins sont susceptibles de transmettre le virus : biopsies, endoscopies, actes de stomatologie ou de dentisterie.
Nous mettrons en oeuvre prochainement une évaluation des pratiques professionnelles (mars 2002) pour prendre la mesure des difficultés à ce niveau.
Un arrêté de référentiel de bonnes pratiques sera pris, et un plan de contrôle de son application mis en oeuvre.
Nous allons également améliorer la protection des personnels soignants en renforçant et actualisant l'usage des matériels de sécurité.
Je voudrais également que soit étudiée la question des professionnels de santé porteurs chroniques du virus de l'hépatite C ou B, et les risques de transmission aux malades lors de certains actes invasifs. Une première réflexion a été conduite par le Conseil supérieur d'hygiène publique. Elle nécessite une réflexion plus approfondie sur les aptitudes professionnelles.
Je ne reviens pas sur la prévention liée aux actes de tatouages et autres perçages : nous l'avons traitée il y a 6 mois. Des mesures réglementaires encadreront ces pratiques, comportant l'obligation d'informer les personnes se soumettant à ces pratiques.
La prévention de la transmission liée à la consommation de drogues passe par le renforcement de la politique de réduction des risques : je n'y reviens pas non plus, ayant abordé ces dispositions dans le plan de lute contre le VIH. Je précise cependant, que, comme nous l'avions annoncé, le prix du stéribox baissera à 1euro (baisse de prix et simplification de l'achat qui devrait faciliter son usage). La baisse de prix sera effective au 1er avril.
En ce qui concerne la prévention en milieu carcéral, nous allons conduire un programme d' actions d'information et de formation en direction de détenus et des personnels. Un calendrier de réunions est prévu pour développer la concertation entre l'administration pénitentiaire et les UCSA (unités de soins en milieu carcéral) pour rendre effective la mise en oeuvre des mesures de prévention et de réduction des risques.
L'innovation la plus importante est la mise en place d'un groupe de travail sur les conditions de mise en oeuvre d'une expérience d'échange de seringues en prison.
3. LES ACTIONS SPECIFIQUES DE LUTTE CONTRE L'HEPATITE C
Outre les mesures de prévention des risques de transmission communes aux hépatites B et C, quatre axes prioritaires ont été définis :
poursuivre l'action de dépistage : informer le public et dépister les personnes atteintes avant l'apparition des complications
renforcer le dispositif de soins et améliorer l'accès au traitement et la prise en charge globale
renforcer la recherche clinique et développer l'évaluation.
renforcer la surveillance
3.1 Le dépistage.
Depuis juin 2000, la stratégie de dépistage a été considérablement renforcée. Différentes campagnes en direction des médecins et du public ont été conduites, et la dernière en juin dernier, je vous en ai présenté les éléments. Comme vous le savez, nous opérons un dépistage ciblé élargi à un ensemble de situations à risque telles qu'elles ont été définis par l'ANAES. Une nouvelle brochure d'information sur l'hépatite C vient à nouveau d'être adressée à 93 000 médecins, et une autre aux malades par l'intermédiaire des associations. Nous ne pouvons encore tirer tous les enseignements de ces actions. Je note que chaque année le nombre de tests de dépistage pratiqués progresse : le nombre de tests réalisés en 2000 est de l'ordre de 1,2 à 1,3million.
Une nouvelle campagne de communication sera lancée au 2ème trimestre 2002 : elle insistera sur les situations et les pratiques à risque car l'évaluation de la campagne 2001 montre qu'une majorité de personnes interrogées se déclare insuffisamment informée, en particulier les jeunes.
3.2 Amélioration de la prise en charge.
L'amélioration de l'accès aux traitements, et l'amélioration globale de la prise en charge des malades porteurs du VHC constitue sans aucun doute une priorité de ce plan.
En effet, il est très important de prendre la mesure des progrès thérapeutiques enregistrés ces dernières années. L'hépatite virale C se traite aujourd'hui avec des associations de 2 médicaments, peut-être 3 d'ici 2 ans, en particulier l'interféron et la ribavirine.
Tous les patients porteurs du virus ne nécessitent pas un traitement.
La décision se fonde principalement sur les transaminases, sur la PCR, et enfin sur la ponction biopsie hépatique.
Nous savons que actuellement 25 % des malades porteurs du virus de l'hépatite C nécessitent un traitement. Cela représente donc pour les 500 000 porteurs du virus en France,125 000 personnes à traiter.
Les estimations que nous avons établies laissent penser que, en 10 ans, environ la moitié aurait eu accès au traitement.
Nous devons accélérer ce processus de prise en charge. Dans les établissements de santé en 2000, 23 000 patients nouveaux ont été pris en charge. Environ 8 000 d'entre eux ont été traités. Il existe actuellement des délais d'attente de prise en charge dans certains pôles de référence qu'il faut réduire. Cela étant, la prise en charge de cette hépatite n'est pas une urgence ; il est très important que le début de la prise en charge puisse se faire au travers de la mobilisation des généralistes ou des libéraux. Les associations de malades souhaitent que ce délai n'excède pas 2 mois ; cela me semble raisonnable.
Je note avec d'intérêt la création d'une association de médecins généralistes sur l'hépatite C et leur mobilisation pour la prise en charge thérapeutique de ces malades.
Tout cela conforte ce que je crois : il ne faut surtout pas couper les médecins généralistes de l'hôpital, mais au contraire organiser plus efficacement les relais de prise en charge entre l'hôpital et la ville.
Nous attendons beaucoup de la conférence de consensus qui se tiendra les 27 et 28 février prochain pour clarifier les recommandations, thérapeutiques, et redéfinir les modes de traitements de certains groupes de malades.
Il nous faut également entendre, comme toujours, le point de vue des associations : un nombre important de leurs demandes sont d 'ailleurs déjà satisfaites comme la prise en charge à 100 % des examens de type PCR ou génotypage (depuis mars 2001), ainsi qu'un renforcement des programmes d'information et d'éducation des personnes atteintes et d'accès aux traitements.
Dans ce but, un effort important est consenti dès cette année pour renforcer les personnels des consultations hospitalières, et développer des consultations de proximité en dehors de l'hôpital, en liaison avec les pôles de référence.
Nous développerons ensuite des consultations d'éducation thérapeutique. Nous créérons également des postes de psychologues au niveau des services cliniques en vue de l'accompagnement des patients. Une enveloppe supplémentaire de 2,37 million d'euros a été intégrée dans les crédits hospitaliers en 2002.
Les co-infections VIH -VHC.
Un autre sujet de préoccupation est la prise en charge des patients co-infectés par le VIH et le VHC. Ces co-infections posent des problèmes difficiles de stratégies thérapeutiques.
Là encore nous espérons de la conférence de consensus qu'elle puisse clarifier les choix et les stratégies. Je souhaite également que les recherches dans ce champ soient développées : ce thème des co-infections constitue une thématique prioritaire de l' ANRS.
Le rapport " Delfraissy " est en cours d'actualisation ; il précisera les modes de prise en charge des patients infectés par le VIH et le VHC. Sa parution est prévue pour juillet prochain.
Vous trouverez dans ce vaste plan de lutte encore bien des éléments à prendre en compte, mais je ne voudrais pas être trop long ; il faut prendre en compte la question du droit à la naissance aussi sécurisée que possible pour les couples séro discordants. Les dispositions que j'ai arrêtées pour la PMA vis-à-vis du VIH s'appliquent au VHC mais pourront faire l'objet d'une actualisation.
Par ailleurs, il nous faut améliorer le recours aux transplantations hépatiques pour les formes les plus graves : c'est un des objectifs de ce plan.
3.3 La recherche.
La recherche clinique doit être renforcée tout particulièrement dans le champ des essais thérapeutiques.
Cette recherche clinique est une mission qui a été confiée à l'ANRS qui s'est fortement mobilisée depuis 1999. En outre, l'INSERM a conduit plusieurs expertises dans les domaines cliniques et épidémiologiques et je lui ai demandé de dresser le bilan des connaissances sur l'objet de santé et la qualité de vie de personnes atteintes.
Des recherches sont mises en oeuvre vis-à-vis des non répondeurs, vis-à-vis des rechutes et pour le traitement des cirrhoses post-hépatitiques.
Les co-infections VIH/VHC constituent une autre priorité pour laquelle l'ANRS conduit des essais thérapeutiques
Il faut favoriser l'accès à de nouvelle molécules, et évaluer l'apport de trithérapies par rapport aux bithérapies.
Il faut enfin mieux cerner le rôle de l'alcool comme facteur de co-morbidité dans ces hépatites.
Des recherches sur la place du génotype du virus dans le déterminisme de la maladie et dans la réponse thérapeutique est nécessaire.
Tout ceci suppose un effort accru par l'ANRS et par l'INSERM.
3.4. Renforcer la surveillance et l'évaluation.
L'amélioration de la surveillance de l'hépatite C est indispensable à l'évaluation des mesures de contrôle et de prise en charge, et à l'orientation de cette stratégie.
La surveillance repose comme je l'ai précisé précédemment sur un réseau de laboratoires (RENA-VHC), et sur les données de prises en charge des malades dans les pôles de référence.
Je saisi le Conseil Supérieur d'Hygiène de France de la question du renforcement de cette surveillance.
Enfin, j'avais annoncé en 1999 que le plan serait évalué. Cette évaluation débute actuellement par un bilan des actions réalisées et des budgets engagés tant au plan national que régional et local. Elle sera poursuivie en 2003. En outre, la nouvelle enquête de prévalence des populations générales qui va être réalisée en 2002 permettra de connaître des données très attendues de la proportion de patients pris en charge . L'hépatite C sera par ailleurs incluse dans l'enquête décennale de santé 2002.
Voici les principales actions que nous conduirons dans le cadre de la lutte contre l'hépatite C.
4. Mesures spécifiques de lutte contre l'hépatite B
En plus des mesures communes aux deux virus vues précédemment, je voudrais insister sur deux axes prioritaires retenus.
4.1 Sur le plan de la prévention.
Le virus de l'hépatite B est à transmission sexuelle. La prévention de cette hépatite rejoint donc l'ensemble des mesures de contrôle des MST, en particulier l'usage du préservatif. J'ai largement développé cette stratégie dans le cadre du plan de lutte contre le VIH.
Enfin et surtout il existe un vaccin très efficace contre l'hépatite B.
Ce vaccin a connu une controverse importante vis-à-vis de certains effets secondaires, notamment des accidents de demyélinisation de type sclérose en plaques.
Une nouvelle expertise a été conduite à la demande de la DGS par le Pr DARTIGUES.Elle permettra de repréciser les indications vaccinales.
Le CSHPF doit se prononcer début mars sur les conclusions du rapport.
Nous verrons si les recommandations actuelles doivent être modifiées.
4.2 Sur le plan de la thérapeutique et de la recherche clinique
L'hépatite B n'a pas bénéficié des mêmes progrès que l'hépatite C. Les résultats obtenus avec l'interféron sont moins bons ; l'efficacité de la lamivudine est temporaire en raison de la fréquence de survenue de résistance. Cependant, de nouveaux antiviraux sont prometteurs, en particulier l'adéfovir qui bénéficie en France d'une ATU et c'est le seul pays.
Comme pour l'hépatite C, des co-infections VIH VHB posent de difficiles questions de traitement ; des essais cliniques doivent être entrepris dans ce domaine.
Une conférence européenne sur le traitement de l'hépatite B est prévue en fin d'année. Voici les principaux points spécifiques de l'hépatite B que nous allons renforcer dans le cadre de ce plan de lutte contre les hépatites.
Vous trouverez le détails des actions dans les documents qui vous sont remis.
Je remercie les experts qui nous ont apporté leur concours pour l'élaboration de ce plan en particulier :
- Mme Anne-Marie JULLIEN qui a assuré la coordination de ce projet au sein de la DGS,
- le Pr Patrice Couzigou qui assure la présidence de la fédération nationale des pôles de référence et des réseaux hépatites et qui est venu ce matin de Bordeaux pour répondre à vos questions,
- le Pr Daniel Dhumeaux qui assure la présidence de la conférence de consensus sur le traitement de l'hépatite C qui se tiendra dans 2 semaines,
- les associations d'usagers qui se sont exprimés sur ces sujets, et tout récemment encore lors des Etats généraux des hépatites.
(Source http://www.sante.gouv.fr, le 7 mars 2002)