Déclaration de M. Bernard KOuchner, ministre délégué à la santé, sur l'impact de la consommation excessive de sel sur la santé, Paris le 11 janvier 2002.

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Circonstance : Colloque international "Sel et santé" à Paris les 11 et 12 janvier 2002

Texte intégral

Mesdames, Messieurs
Durant deux jours vous allez être amenés à approfondir les aspects scientifiques de la relation entre sel et santé. Lourde tâche si j'en crois les débats qui animent la nutrition française depuis quelques années. Lourde mais essentielle, comme le sont les multiples thématiques relatives au domaine général de la nutrition, particulièrement lorsque les implications en termes de santé publique sont majeures.
Il n'est pas besoin d'insister auprès de vous sur les conséquences que font courir à long terme une alimentation et une nutrition insatisfaisantes. Aujourd'hui en France, les pathologies majeures les plus fréquentes, souvent invalidantes, nuisant à la qualité de vie, celles qui conduisent trop souvent au décès, celles qui coûtent le plus cher à la société présentent, parmi leurs déterminants majeurs, la nutrition. C'est le cas de multiples cancers, des maladies cardio vasculaires, du diabète, de l'ostéoporose notamment. Le gouvernement a lancé il y a près d'un an le programme national nutrition santé. Coordonné par la Direction générale de la santé, ce plan dont la mise en oeuvre est prévue jusqu'en 2005 vise des objectifs clairs et quantifiés. Il préconise des stratégies, des actions, il fournit des moyens, il affirme la cohérence indispensable aux messages et actions relatives à la nutrition, que ceux-ci soient mis en oeuvre par les acteurs publics et privés.
L'impact de la consommation de sel et, plus globalement, du sodium sur la santé, est depuis longtemps une préoccupation pour le monde médical : au niveau individuel, en pratique clinique, le régime sans sel fait partie de l'arsenal thérapeutique. On sait l'extrême complexité de sa mise en oeuvre dans la vie quotidienne des patients.
Sans doute n'a-t-on pas, en revanche, suffisamment pris en compte la consommation de sel pour la population générale et ses conséquences sur le développement de pathologies chroniques. La consommation de sel en France aujourd'hui est estimée à environ 9-10g par jour en moyenne par habitant. Mais 20% de la population consomme plus de 12g par jour, chiffre reconnu comme hors des limites acceptables.
Cette consommation évolue avec la transformation des modes alimentaires, avec la diversification de l'offre. Avec quelles conséquences aujourd'hui, et surtout quelles conséquences pour nos enfants lorsqu'ils atteindront l'âge mûr et leur troisième âge ?
Agir en santé publique dans le domaine de la nutrition, c'est prévoir cet avenir à long terme et prendre les mesures de prévention nécessaires dès aujourd'hui.
Mais ces mesures, sur la base des connaissances scientifiques dont vous allez débattre, doivent prendre en compte les diverses dimensions de l'alimentation. Plaisir, échange et convivialité en sont des maîtres mots, particulièrement pour nous français, qui marquons les principaux évènements de la vie, familiaux, professionnels, amicaux ou sportifs, par ces repas où la nourriture, cuisinée pour tous, est partagée et où nous ne saurions envisager que chacun soit devant une assiette individualisée conçue seulement dans un but diététique. L'alimentation équilibrée ne doit pas conduire à la tristesse des Diafoirus. L'alimentation est une des racines les plus profondes de notre culture. Pour chacun, elle est chargée de sentiments, d'émotions, de symboles, de souvenirs, de rêves, de joies partagées, de convivialité, d'humanité. Respecter et valoriser cet élément de l'alimentation est indispensable pour une conception large de la santé.
Aborder la relation sel et santé c'est aussi parler d'histoire : comment ne pas évoquer avec le mot sel son caractère essentiel à la vie, la quête qu'en ont fait pendant des siècles les populations qui en étaient privées ? Comment ne pas penser aux caravanes qui maintenant encore traversent le Sahara et les déserts, qui, il y a peu, gravissaient la cordillère des Andes pour transporter vers les oasis ou les populations montagnardes les barres de sel gemme ou le sel marin ? Comment ne pas évoquer l'importance du sel pour le développement du commerce. Sel si essentiel que lorsqu'il fallut, au XIVème siècle, lever un impôt sur le peuple français pour faire face à la croissance des dépenses de l'Etat notamment liées à la guerre de cent ans, la gabelle, immédiatement honnie car incontournable, fut inventée. Comment ne pas penser au symbole d'hospitalité que représente pour des peuples historiquement enclavés, loin des mers, comme les slaves, le sel avec le pain.
Parler de sel c'est aussi parler de technologie alimentaire : on en sait l'importance historique comme moyen de conservation des aliments, avant que la maîtrise des chaînes de froid et des moyens de conservation utilisant la chaleur ou les gaz rares ne viennent s'y substituer dans nos sociétés. Cependant, certains secteurs de l'activité alimentaire artisanale ou industrielle l'utilisent encore pour assurer la conservation. De très nombreux secteurs en font un support essentiel de la sapidité à leurs produits. " Sans sel la vie n'aurait sans doute pas de sel ". Le goût du sel, comme les divers goûts, s'apprend, dès l'enfance. La réglementation sur les produits diététiques de la petite enfance fixe une limite maximum. Mais les papilles des consommateurs aiment être flattées par des saveurs vives. N'est-ce pas une incitation à augmenter toujours plus la teneur en sel des aliments qui leur sont proposés ?
Trop de sel pour beaucoup : est-ce une demande du consommateur, une absence d'autres agents pour flatter les papilles, une habituation progressive à un plus de sel qui fait trouver fade une diminution brutale ? La réponse n'est sûrement pas univoque. Au total, aujourd'hui plus de 70% du sel consommé provient des produits achetés et non de la salière de table.
Sel et politique nutritionnelle de santé publique
Dès 1999, l'AFSSA a été amenée à poursuivre un long et difficile travail de compilation et d'analyse scientifique. Cela l'a conduit voici près d'un an dans cet amphithéâtre à présenter le très attendu rapport sur les " apports nutritionnels conseillés " pour la population française. Concernant le sel, un avis explicitement marqué comme provisoire avait alors été publié. Cela montrait les difficultés des scientifiques à proposer une lecture claire et univoque des données disponibles.
Le programme national nutrition santé ne mentionne pas explicitement d'objectif relatif à la consommation de sel. Il vise cependant à réduire de 10mm de mercure en 5 ans la pression artérielle systolique chez les adultes.
Vous aurez l'occasion de discuter longuement aujourd'hui des divers aspects de cette relation entre sel et hypertension artérielle, dans leurs aspects épidémiologiques, dans leurs fondements métaboliques et génétiques.
Le programme national nutrition santé d'une façon plus globale a comme objectif général d'améliorer l'état de santé de la population en agissant sur l'un de ses déterminants majeurs qu'est la nutrition. En visant l'évolution favorable des comportements de consommation des français et en s'appuyant sur une offre alimentaire satisfaisante, il doit permettre, en prévention primaire de réduire les risques de pathologies liées à la nutrition telles que les maladies cardio vasculaires ou l'ostéoporose dont les liens avec la consommation de sel seront aussi discutés lors de ce colloque.
Sel et société : une méthode pour avancer
C'est le Pr. Joël Ménard, notre ancien Directeur général de la santé, qui a été à l'origine du regain d'intérêt du ministère pour la nutrition. Il présidera la table ronde sur les politiques de santé publique relative au sel menées dans divers pays. Ces expériences sont essentielles : leur évaluation et leur discussion au cours du colloque contribueront à orienter les décisions pour la France.
Nous avons déjà une base solide : l'AFSSA s'était saisie en mars 2001 d'un travail visant à faire des propositions pour que la consommation de sel des français soit adaptée. Permettez moi de remercier le Dr Serge Herberg qui a piloté ce groupe de travail car la méthode qui a été suivie est exemplaire.. Elle correspond à cet esprit d'échange et de dialogue que j'ai souhaité plus généralement et notamment à la plurisectorialité mise en avant dans le programme national nutrition santé. Le groupe " sel " de l'AFSSA a permis de réunir des scientifiques, à la compétence reconnue dans le domaine, des représentants de diverses filières industrielles et artisanales, de la distribution alimentaire, de la restauration collective, mais aussi des consommateurs et des professionnels de la communication et des administrations concernées. La discussion, sans complaisance quand la santé des français est en jeu, permet alors de faire émerger des propositions, de les expliciter, les faire comprendre, les enrichir. Le groupe a analysé la situation française de façon approfondie et, loin du spectaculaire, avec tous les acteurs, a construit des recommandations.
Des orientations pour les décisions
Les conclusions de ce groupe vous seront transmises lors de ce colloque. En fixant un objectif réaliste de réduction de 5% par an sur cinq ans de l'apport sodé et en suggérant des stratégies pour parvenir à cet objectif, le groupe répond à un besoin de la politique de santé publique que je mène en matière de nutrition. Je porterai la plus grande attention à ces recommandations afin de mettre en oeuvre au plus vite les actions utiles à l'atteinte de cet objectif.. Je demande à la Direction générale de la santé de veiller à la cohérence globale avec les ambitieux programmes qu'elle coordonne et qui touchent au domaine de la nutrition, notamment le programme national nutrition santé.
Lors de ce travail, certains professionnels de l'alimentation, conscients que leurs produits sont une source importante d'apport en sel, se sont montrer ouverts à une réduction réglementaire progressive de la teneur en sel des produits qu'ils fabriquent (pain, biscottes, charcuterie). Nous nous en félicitons car c'est avec eux que les pouvoirs publics pourront dégager les stratégies nécessaires à la prise en compte des recommandations des experts.
A ce titre, l'information et la sensibilisation de la population, mais aussi l'information et la formation des professionnels de la santé et des professionnels relais est fondamentale. Elle doit s'intégrer dans la stratégie d'information générale du programme national nutrition santé. Elle portera sur les relations sel-santé, les principales sources alimentaires de sel, les comportements favorables à un apport adéquat de sel dans les assiettes.
Avec la Direction générale de la consommation, il nous faudra bien sûr étudier les modalités permettant un meilleur étiquetage des aliments sur leur teneur en sel / sodium.
Seule une combinaison d'interventions faisant appel à la réglementation, à l'incitation, à la formation, à l'information, à la surveillance permettra d'atteindre l'objectif recherché. L'action coordonnée des trois ministères - agriculture, consommation, santé - sera, une fois de plus, indispensable à ce qu'une décision de santé publique puisse réellement avoir l'impact attendu sur la santé des Français.
Pour conclure, je souhaite remercier les éminents scientifiques d'Europe et des Etats Unis d'Amérique dont l'apport contribuera à l'approfondissement des réflexions et à préparer l'avenir.
Merci à l'AFSSA et à son Directeur général pour avoir organisé ce colloque. En mettant progressivement en oeuvre les conditions d'une véritable expertise indépendante, l'AFSSA concourt à l'avancée de la connaissance dans le domaine des relations entre nutrition et santé. Cette expertise participe aux recommandations en santé publique. Elle présente ainsi des éléments fondamentaux pour la prise de décision qui me revient après consultation de la direction générale de la santé.
Bon travail
Merci
(Source http://www.sante.gouv.fr, le 18 mars 2002)