Déclaration de Mme Catherine Tasca, ministre de la culture et de la communication, sur les initiatives nationales et européennes en matière d'aide à la production et à la diffusion des oeuvres cinématographiques, Paris le 4 mars 2002.

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Circonstance : Colloque "Des images pour l'Europe, pour quels publics ?"à Paris le 4 mars 2002

Texte intégral

Bonjour et bienvenue à toutes et à tous,
Madame la commissaire,
Monsieur le ministre,
Messieurs les présidents,
Mesdames,
Messieurs,
Je veux tout d'abord remercier chaleureusement les organisateurs allemands et français, Arte et ses présidents, les responsables des institutions publiques et du cinéma, d'avoir pris cette initiative d'organiser cette journée de rencontres et de débats, placée d'abord sous le signe de l'amitié entre nos deux pays, mais placée surtout sous le signe de l'espoir que fait naître la construction européenne. Et je suis heureuse de saluer également dans cette salle des amis venant de différents pays d'Europe.
Je veux aussi remercier Georges Lavaudant de nous accueillir dans son théâtre pour cette journée, car pour moi le théâtre est le lieu naturel des grandes interrogations de notre temps. Je te remercie aussi de me donner ainsi l'occasion de monter sur ton plateau, occasion que j'attendais depuis notre première collaboration à Grenoble il y a quelque trente ans. Rassure-toi, je n'en abuserai pas. La situation actuelle du cinéma français n'est pas, je crois, sans portée pour notre réflexion commune d'aujourd'hui. En effet, le cinéma français se porte bien. Il connaît actuellement un véritable succès public, que ce soit en France ou hors de nos frontières et, bien sûr, nous en sommes fiers et nous nous en réjouissons. Et cette réussite ne doit rien au hasard. Elle montre d'une part qu'il n'y a pas de fatalité à l'hégémonie de la production américaine dans le monde. Elle montre aussi, et à mes yeux surtout, qu'une volonté politique forte est une condition nécessaire à la vitalité d'une cinématographie nationale, à la vitalité d'une production audiovisuelle originale.
C'est d'ailleurs l'un des éléments qui ressort du récent rapport de la commission parlementaire, présidée par Marcel Rogemont, dont je veux saluer la qualité des travaux. En ce sens, comme l'indique fort justement le sous-titre de notre débat de ce matin, c'est bien pour l'Europe d'un défi pour le politique dont il s'agit ici. Je voudrais m'attarder encore un instant sur le titre. Pour ma part je préfère éviter de parler d'un cinéma européen, ou d'une pure production audiovisuelle européenne. Je crois que l'" europudding " n'est pas l'avenir de la création en Europe ; au contraire, nos productions, nos cinématographies sont ancrées dans nos cultures, nos langues, nos histoires nationales et c'est cette diversité qui fait la richesse du cinéma en Europe. Pour que ce dernier existe, il faut d'abord que vivent et s'expriment des cinématographies nationales fortes, offrant des images pour l'Europe, et donc des images que les Européens aient envie de voir et d'échanger bien sûr, et je rejoins là tout à fait la réflexion de mon ami M. Jobst Plog : chacun chez soi certes, mais tous ensemble autant que possible.
Or l'économie de la création en général, et du cinéma en particulier, est en permanente situation de risque et de fragilité. D'où l'importance actuelle des dispositifs d'aide qui sont mis en place au niveau national, et je me réjouis que mon collègue Julian Nida-Rumelin - il vous en parlera sûrement lui-même - ait pris l'initiative de fortifier le système de soutien allemand au cinéma. C'est un acte politique fort de la part de son gouvernement et je tenais à lui en rendre hommage. Je suis fière aussi que, grâce aux efforts de la présidence française dans le deuxième semestre 2000, nous ayons obtenu que la Commission européenne reconnaisse la légitimité de tels dispositifs. Cela étant, l'éventualité d'un réexamen global des aides des 15 Etats membres en 2004, nous incite à une vigilance sur ce point. Je sais que nous pouvons compter sur l'action personnelle de Julian Nida-Rumelin pour que le principe de cette action de soutien public aux cinématographies nationales reste un point central de la politique européenne.
Mais évidemment nous ne pouvons nous en tenir à cette vigilance. Il n'est que d'observer le nombre de films allemands diffusés en salles en France, le nombre de films italiens diffusés hors d'Italie, pour prendre toute la mesure des efforts qui doivent encore être faits pour " faire circuler " ces films, pour que nos images circulent. Certes, le fait que nombreux réseaux de distribution soient contrôlés par des entreprises américaines ne facilite pas vraiment le voyage des uvres à travers l'Europe. Heureusement, l'Union européenne semble avoir bien pris conscience de la nécessité de se doter de dispositifs spécifiques pour encourager cette circulation.
Le programme MEDIA a, depuis dix ans, notamment pour vocation de faire circuler les films. Malgré une forte progression, son budget reste encore très en-deçà de l'effort nécessaire : il suffit de songer qu'un an du programme équivaut au budget de promotion du seul film Titanic !
Le réseau de salles Europacinéma concourt à l'évidence à la programmation des films européens dans ses salles, grâce aux fonds du programme MEDIA, mais nous devons reconnaître que ce réseau n'est encore pas suffisamment connu du grand public.
La télévision quant à elle, grâce aux quotas de la directive Télévision sans frontières, encourage la diffusion d'uvres, et donc de films européens, mais là encore la flexibilité permise par le droit communautaire n'encourage que marginalement la diffusion de films européens non nationaux. Et je crois pour ma part que, à l'image de l'action menée par ARTE, les chaînes de service public de tous nos pays européens ont véritablement le devoir de s'ouvrir aux productions d'autres Etats membres.
Une partie de leur mission doit être d'ailleurs de donner aux publics européens l'envie de découvrir, de comprendre, d'aimer les cinématographies d'Europe dans leur originalité et leur diversité. Et la concrétisation passe notamment, à mon sens, par le développement des coproductions. Nous savons là que nous sommes encore loin d'atteindre cette capacité de dialogue, cette capacité de travailler ensemble que nous pouvons souhaiter pour l'avenir de la culture en Europe. Vous avez eu raison de lier dans le titre que vous avez donné à cette journée " images " et " publics ". Ceux-ci ont encore du mal à se vivre comme européens. Je suis convaincue que l'une des clés pour favoriser la circulation des uvres passe non seulement par la diffusion, mais aussi par une politique d'éducation à l'image et plus précisément aux images d'Europe.
Pour un Européen, aller voir un film de son pays est chose naturelle, comme d'ailleurs aller voir un film américain. Il faut absolument que nous soyons capables - très vite - d'éveiller la curiosité et l'intérêt des spectateurs, en particulier des plus jeunes d'entre eux à d'autres images, aiguiser leur appétit pour d'autres cultures. Le plan de 5 ans que nous avons lancé en France en faveur de l'éducation artistique en général, va dans ce sens, et je sais - pour en avoir parlé avec d'autres collègues européens - qu'ils partagent cette préoccupation et que notre commissaire, Viviane Reding évoque elle aussi très souvent cette nécessité d'une éducation à l'image. Au fond, d'une préparation à la découverte et à la lecture des langages singuliers de nos pays et de nos créateurs. Il nous faut donc absolument accentuer nos efforts en ce domaine. Enfin, et ce n'est pas l'aspect le moins important, je suis certaine que la coopération bilatérale entre les pays de l'Union européenne, constitue un moyen efficace de construire un espace cinématographique européen, un espace de la création européenne, un espace pour les images européennes.
Pour ne prendre qu'un exemple : l'installation de l'Académie franco-allemande évoquée tout à l'heure par David Kessler a véritablement relancé les projets concrets entre nos pays, que ceux-ci concernent la coproduction ou la formation. J'en ai parlé tout récemment à Berlin avec vous, M. le ministre, je sais que nous partageons tous deux une réelle satisfaction des premiers travaux accomplis et le même optimisme pour l'avenir de cette Académie franco-allemande. La circulation des films passe aussi, je le crois vraiment, par toutes les formes d'échanges entre les professionnels, entre les créateurs, professionnels du cinéma, professionnels de la télévision, et notamment échanges entre ceux qui sont en formation encore, ou au tout début de leur vie professionnelle. C'est un des axes sur lesquels nous aimerions faire avancer le partenariat franco-allemand.
Les pouvoirs publics ont la responsabilité d'activer ces échanges, de les rendre possible. L'existence d'ARTE, celle de la nouvelle Académie, l'engagement du ministre allemand pour le Cinéma, donnent à nos deux pays l'occasion de mener, avec les professionnels, une action exemplaire et je l'espère, d'entraîner dans cette dynamique d'autres pays de l'Union.
Pour conclure, je voudrais revenir sur la volonté politique, car je crois nécessaire de souligner, au démarrage de ces débats, deux points :
Tout d'abord, toutes ces initiatives - lois, réglements, directives, soutiens financiers nationaux, accords de coproduction - relèvent de l'exception culturelle dont vous parlerez en fin de matinée. Il est aujourd'hui souvent de bon ton d'opposer deux formulations : celle de la diversité et celle de l'exception culturelle. Pour ma part, je veux redire ici ma conviction que la première - la diversité - ne saurait exister sans la seconde : l'exception. L'exception culturelle qui doit être allemande, grecque, belge, italienne ou portugaise, etc., tout autant que française, est la condition d'une diversité vivante et durable. C'est l'exception qui permet les dérogations aux lois du marché. Et jusqu'à présent, celui-ci n'a donné aucune preuve de sa capacité à faire fleurir la diversité telle que nous la connaissons aujourd'hui, mais surtout celle qui naît dans les parcours singuliers de nos créateurs.
Nos créateurs qui certes sont grecs, français, allemands, britanniques, mais qui bien sûr sont d'abord des créateurs. Faisons-leur confiance à partir de leur langue, de leurs racines, de leur parcours souvent étrange autant qu'étranger, faisons-leur confiance pour qu'ils créent eux-mêmes cette diversité dont nous avons aujourd'hui le plus grand besoin. Et pour que toutes ces dérogations, nos lois, nos réglements, nos directives - restent possibles à l'avenir, il est indispensable que l'Union européenne continue à refuser de prendre des engagements de libéralisation dans le secteur audiovisuel à l'OMC.
C'est aussi là un choix politique et je sais que la commissaire Viviane Reding s'en porte garante. Je sais aussi que notre meilleur garantie est l'engagement des créateurs de nos pays sur cette voie. C'est à leur écoute que nous avons bâti cette politique de l'exception ; c'est avec eux que nous continuerons de la porter. Plus généralement, le débat que nous avons ce matin renvoie à une question fondamentale que doivent se poser les responsables politiques européens : quelle place accorde-t-on à la culture dans la construction européenne ? Pour notre part, avec Lionel Jospin, nous avons choisi de donner à cette politique culturelle une place centrale dans notre politique d'égalité des chances.
Pour nous, l'égalité des chances c'est le fondement d'une politique progressiste. Cette égalité des chances ne peut exister que si nous savons bâtir les conditions de l'égalité d'accès à la culture et les conditions de la diversité de nos cultures. A la veille de l'élargissement de l'Europe, à la veille des travaux de la Convention et de la révision du traité en 2004, nos débats d'aujourd'hui peuvent, j'en suis convaincue, apporter un éclairage utile à cette urgente réflexion.
Bon travail à tous.
(Source http://www.culture.gouv.fr, le 12 mars 2002)