Texte intégral
Depuis que le Premier ministre a voulu faire de la modernisation de notre dispositif de coopération l'une des entreprises marquantes du gouvernement, le rythme s'est pris peu à peu entre nous de rencontres régulières d'information et de concertation.
J'observe que désormais, c'est tout le réseau des services de coopération et d'action culturelle, dans le format voulu par la réforme, qui prend l'habitude d'une réflexion ouverte, participative, à l'image de ce que nous avons souhaité : un ministère et en particulier une DGCID à l'écoute du réseau, dans une relation de service, de mutualisation, et de construction du projet dont la France a besoin pour conforter son rayonnement international.
Comme Hubert Védrine vous l'a fait remarquer, nous n'avons pas voulu cette réunion comme un bilan de la réforme : c'est un chantier considérable que nous avons ouvert, et il est trop tôt pour en mesurer la portée et les effets. Mais je suis convaincu qu'il est indispensable au moment où une administration nouvelle prend corps, et au moment où elle s'attelle à la formulation concrète de son ambition, de dialoguer avec vous sur ce projet : car c'est vous qui le ferez connaître et vivre. Naturellement, il faudra aussi parler de fonctionnement et vérifier que peu à peu les choses prennent leur place.
Nous savons que ce n'est pas facile et nous mesurons parfaitement la profondeur du changement voulu il y a maintenant un peu plus d'un an. Claude Allègre vient d'évoquer le travail, inédit dans son ampleur, que nous conduisons avec lui sur des thèmes quotidiens et essentiels comme l'enseignement français, l'offre de formation, la gestion des emplois et des personnels, et une approche géographique beaucoup plus ciblée de notre approche (les pays émergents, l'Afrique, le "front de taille" que sont les Etats-Unis pour reprendre une expression que j'emprunte à notre ambassadeur à Washington) vous a fait toucher du doigt ce que cela suppose, chez lui et chez nous, de volonté pour traiter ces problèmes concrets. Une méthode similaire se développe avec d'autres ministères : la Culture, l'Environnement, le Tourisme, Jeunesse et Sports.
Oserais-je dire qu'il ne faut plus parler simplement de réforme, puisque la réforme est au fond l'instrument administratif d'une culture de l'international en pleine refondation ?
Or nous sommes exactement à mi-chemin : le dispositif est en place dans tous ses éléments, et notamment les plus nouveaux comme la DGCID, le CICID, le Haut conseil de la Coopération Internationale, dont la présidence a été confiée à Jean-Louis Bianco, la zone de solidarité prioritaire dont l'actuelle géographie est connue, ou bien encore l'organisation des postes et la gestion des ressources humaines que la DGA, pour ce qui la concerne, a repensé avec beaucoup de célérité et d'efficacité pour harmoniser ce qui était hier deux réseaux étanches.
Ce dispositif, nous savons parfaitement ce que nous en attendons et nous avons eu l'occasion à plusieurs reprises de nous exprimer sur ses concepts clés : ouverture géographique, diversité et réactivité de l'offre française, modernisation des outils d'influence, qu'ils touchent les vecteurs d'une culture actuelle et concurrentielle comme l'audiovisuel, la formation ou la recherche, mais qu'ils touchent aussi une approche dynamique, compétitive et "française" du développement, tant il est vrai que la France, si elle veut garder son influence et sa voix dans les pays démunis qui sont attentifs à son message, doit savoir les approcher comme des pays responsables, ouverts et exigeants.
Nous pensons que les progrès de notre influence supposent qu'on travaille sans frontières, sans oeillères, mais aussi sans complaisance avec les habitudes. Partout le regard a changé et nous interdit d'imaginer que, même chez nos alliés les plus fidèles, nous aurions des positions invariablement assurées : tout s'évalue et se compare, tout se discute, se négocie, et s'apprécie à l'aune de la qualité de l'échange que nous saurons proposer.
Voilà le sens de notre effort.
Ce qui est devant nous maintenant, après les annonces, après une pédagogie plutôt réussie puisqu'en sillonnant le monde comme je le fais, je n'ai pas rencontré d'opposition ou de réticences à cette réforme, mais parfois une information encore insuffisante, ce qui est devant nous donc, c'est l'affirmation d'un projet convaincant, la communication de ce projet pour qu'il prenne toute sa place et séduise. Ce qui est devant surtout, c'est la capacité à le renouveler, l'actualiser, l'affirmer partout où nous souhaitons que notre présence non seulement se maintienne, mais aussi progresse.
J'ai dit tout à l'heure que le chantier était ouvert et que tout le monde n'avait peut être pas encore une vision complètement cohérente de l'édifice que nous construisons. Cette réunion est faite pour répondre à un besoin de compréhension et de conviction mieux partagées.
Permettez-moi, au moment où vont commencer ces travaux, d'attirer votre attention sur les nombreux ateliers et thèmes qui vous sont proposés : trop nombreux, diront certains qui regretteront de ne pouvoir tout entendre des débats. Mais ce nombre est à l'image des multiples réflexions ouvertes par la DGCID, et cette réunion est le reflet de son activité. J'en profite pour saluer le travail formidable que, depuis six mois et non sans difficultés pratiques, non sans les doutes naturels que provoque un changement à marches forcées, mais toujours avec acharnement et volonté de réussir, conduisent vos collègues de l'administration centrale.
Les premiers acquis sont là, et je vais en souligner quelques uns. Mais il nous faut aller plus loin et plus vite. Si la négociation du budget 2000 est à ce stade plutôt encourageante, elle nous montre toutefois que nous devons vivre sur le besoin de convaincre : cela suppose des priorités et une méthode claires. Cela suppose aussi des résultats concrets et naturellement une bonne communication de ces résultats.
Hubert Védrine vous a redit l'ambition politique dans un contexte mondial stimulant, mais difficile parce que très concurrentiel, mais aussi très volatile. Sa traduction pour le pôle diplomatique et son dispositif de coopération me paraît à l'observation justifier une méthode de travail à quatre entrées.
Pour faire simple :
- à l'extérieur, mobiliser tous nos partenaires,
- dans un contexte mouvant, savoir moduler nos approches,
- dans un souci d'efficacité accrue, moderniser les outils de coopération,
- enfin, motiver l'immense réseau que vous constituez.
Mobiliser
On a parfois reproché à nos anciennes structures - DGRCST et direction du développement - de tourner sur elles-mêmes. En d'autres termes, l'efficacité et le savoir faire du réseau et de ses agents connaissaient trop de pertes en ligne dues à des solutions de continuité entre nos administrations et leurs partenaires externes : ceux à qui elles s'adressent, ceux avec qui elles travaillent et doivent échanger pour augmenter leur efficacité.
C'est probablement l'enjeu le plus complexe et le plus immédiat. Complexe à l'image du système international actuel. Immédiat, parce que la relation que nous souhaitons nouer avec l'extérieur ne s'accommodera pas longtemps que de paroles. La mobilisation de nos partenaires dans une relation de proximité accrue est à mes yeux un impératif.
Vous connaissez l'intention. J'en rappellerai trois applications pour nous prioritaires :
- Nous voulons une coopération de présence. Les pays et les régions avec lesquels notre pôle diplomatique dialogue, sont donc au centre d'un système de coopération, dont on attend une qualité d'écoute politique suffisante pour déterminer une stratégie de coopération efficace, en toutes situations. On pourra revenir sur les outils du dialogue. A ce stade, et j'y insiste, le toilettage du système des commissions mixtes, dont la DSPE se préoccupe, exige une approche nuancée, qui sache faire place à la simplification et à l'efficacité de dispositifs multiformes, souvent stratifiés et alourdis avec le temps, mais qui sache éviter le dogmatisme ou les effets de technocratie. Quand on parle notamment en zone de solidarité prioritaire de documents cadres de partenariat, on ne parle pas d'une pensée unique dans un moule unique, mais d'une approche qui rende certains pays, les plus dépendants de l'assistance internationale, plus responsables et plus acteurs, et qui nous permette avec d'autres de redéployer progressivement des moyens vers des thèmes d'action qui nous redonnent avec eux la possibilité de dialoguer sur des enjeux plus actuels. J'ai moi-même conduit l'exercice dans cinq ou six pays de la ZSP depuis décembre 1998, et, je le répète, il n'y a pas de situations ou d'interlocuteurs "standard" : il y a un dialogue, où chacun souhaite s'exprimer, faire bouger les choses, avancer. La France a trop de culture et d'héritage historiques avec le Sud pour ne pas être inventive dans une formule contractuelle qui allie le respect, le progrès et l'identité, la sienne et celle de ses interlocuteurs.
L'évolution est souhaitable, mais animons-la avec tact et discernement. Au sein du Département, cela signifie une relation très étroite et constante entre DGCID et directions géographiques.
- Nous attendons aussi de notre coopération qu'elle resserre ses liens avec ses partenaires naturels : multilatéraux et bilatéraux. Nous sommes partie intégrante des premiers, et un gros effort de tri est à faire pour que notre relation bilatérale s'affirme dans des domaines où son message spécifique doit porter, mais aussi pour qu'elle sache s'appuyer sur les multilatéraux lorsqu'ils font plus et mieux qu'elle. En quelque sorte, le principe de subsidiarité doit jouer.
J'en prendrai deux exemples dans le champ de la formation : l'effort considérable que nous entreprenons dans le supérieur et la recherche est par essence spécifique. La France y joue dans la concurrence et doit partout promouvoir son excellence universitaire, nul ne le fera à sa place. Mais la conviction que nous partageons avec tous les partenaires au développement sur la nécessité absolue de renforcer les systèmes sociaux en ZSP - en clair, éducation de base et santé - exige que la France use dans ces domaines de sa conviction et de ses moyens, d'abord avec les multilatéraux, Banque mondiale et Union européenne au premier chef.
La DGCID a sur ce point ouvert une très bonne réflexion dont je souhaite que vous la partagiez pour éviter les contradictions de façade et pour organiser l'action. Sur le domaine dont je viens de parler par exemple, je suis sûr que notre coopération universitaire et de recherche doit concentrer des moyens bilatéraux accrus, tandis que la direction du développement devra, appuyée sur l'AFD, savoir se positionner avec de très fortes convictions dans les instances internationales et, avec elles, dans des programmes conjoints.
- Le ministre des Affaires étrangères a évoqué la coordination bi/multilatérale. Je voudrais y revenir en deux mots : la France multiplie ses efforts pour que l'intégration européenne profite au Sud et je m'y investis beaucoup moi-même : dans la négociation avec les ACP, avec Dominique Strauss-Kahn dans le processus d'annulation de la dette . Mais il est clair que tout le pôle diplomatique, dans les instances européennes comme dans celles de Bretton Woods, doit être capable de faire valoir les lignes de force de nos convictions. En poste, la remontée de vos informations est essentielle pour que la coordination entre bailleurs de fonds soit plus réelle, plus efficace, plus intelligente. Cela vaut naturellement en ZSP, mais aussi pour les pays de l'Est européen. Dans des domaines de haute influence comme l'institutionnel, la culture, la formation et la recherche, aucun tour de table n'est à négliger.
En Francophonie, où je coordonne l'effort du gouvernement, l'objectif est le même : mobiliser, créer des majorités d'idées là où le message est le plus fécond comme la diversité culturelle, les progrès des droits et de la démocratie, mais aussi resserrer les programmes et jouer des complémentarités. L'évaluation de la Francophonie universitaire a ouvert la voie d'une saine rationalisation des méthodes, de ce point de vue.
- La réforme vise enfin à mieux mobiliser la société française à l'international : vous savez l'effort que je déploie personnellement en direction des collectivités locales et territoriales, mais aussi des entreprises, des associations et des ONG, pour qu'elles soient coude à coude avec l'Etat en coopération. Cette relation de proximité correspond à leur intérêt, à leur développement et donc à celui de notre pays. Elle est attendue de beaucoup de pays qui apprécient cette présence française, plus personnelle et très souvent en convenance avec le souci qu'ils expriment : ici une décentralisation qui appelle conseils, expertise, plans de développement ; là, une relation entre patronats bénéfique aux deux parties ; et je ne m'étends pas sur la dynamique associative, qui dans des sociétés en apprentissage de liberté et de démocratie, crée un salutaire appel d'air, sans oublier la capacité de cette coopération entre sociétés civiles à mieux gérer en alternances, voire en conflits ouverts.
Tout un service (la mission du Hors Etat) est à votre disposition pour cela.
Moduler l'approche
Le monde est incroyablement mouvant. Notre coopération n'a pas vocation à l'abonnement, elle est facteur d'évolution. Elle doit savoir, quand la situation l'exige, exprimer la conviction politique d'un pays qui compte quand on parle de solidarité, de liberté et de progrès.
Cette année est de ce point de vue riche et lourde d'enseignement pour une coopération dont on attend une très grande fluidité pour faire face à des situations inédites.
Il y a eu Mitch et la capacité de la France à mobiliser de façon instantanée des moyens significatifs en Amérique centrale. Au Kosovo, notre pays a eu, pendant le conflit, et continue d'avoir en cette période de reconstruction, un rôle majeur. Pour mieux le remplir et obéir aux contraintes du temps, nous nous sommes penchés sur tout le dispositif d'action humanitaire et d'urgence pour qu'il apporte une meilleure réponse à la situation.
En Albanie, c'est l'organisation du poste de coopération qui a été instantanément revue.
Dans certains pays au contraire, et je pense au Niger, dont l'évolution politique nous paraissait en contradiction avec le cours souhaitable des choses, nous avons tenu un discours simple et clair, refusant des pratiques d'un autre âge. Notre coopération y a donc été interrompue et notre poste y a réagi avec beaucoup de maîtrise. Mais nous avons été parfaitement compris : l'Afrique n'aurait d'ailleurs pas manqué de relever, dans le cas contraire, une distorsion entre le discours politique et les actes.
Cette mobilité est souhaitable, elle restaure un lien parfois distendu entre la volonté politique et l'acte de coopération. Mais elle nous fait toucher du doigt un changement de culture administrative dont tout le réseau et toute notre administration doivent prendre conscience.
Moderniser les outils
Un nombre considérable de questions sont ici posées qui ont déjà débouché ou sont en passe de déboucher sur des solutions : la gestion des ressources humaines, du fait de la fusion, est entièrement repensée. Le développement des autonomies financières accompagne un processus de déconcentration nécessaire, si l'on veut une coopération plus réactive au terrain. L'adaptation du réseau des établissements culturels est en cours. Une profonde réflexion est entamée sur les instruments financiers : titre IV et titre VI, notamment le FAC, afin d'aller vers un budget plus clair et mettant en meilleure convenance les actions et leur imputation.
Sans m'y attarder, j'évoquerai à ce stade quelques unes des dispositions à mes yeux les plus marquantes pour la réflexion que vous entamez :
- En prolongement de la réforme administrative, le regroupement, voire la fusion des opérateurs culturels dont je vous parlais en juillet 1998, est maintenant lancé. C'est chose faite pour le pôle "culture de l'écrit" fusionnant l'ADPF (Association pour le Développement de la Pensée Française), le CLEF (Club des Lecteurs d'Expression française) et l'AUDECAM (Association universitaire pour le Développement de la Culture en Afrique et Madagascar) ; c'est en cours pour le pôle traitant de l'action culturelle et artistique puisqu'au 1er janvier 2000 AFAA et Afrique en Créations iront vers la fusion. Le projet de l'AFAA est d'ailleurs en discussion pour qu'elle accueille toute la problématique du développement culturel. C'est un gros travail mais bien engagé, et qui montre le souci du Département de se doter d'un opérateur de poids et polyvalent dans un domaine qui est primordial pour notre influence.
- Vous avez contribué, et souvent de façon éminente, à la réflexion confiée à M. Jean Nemo sur l'assistance technique française. Ce thème concerne l'un des "instruments" les plus caractéristiques de la présence française, parfois critiqué par certains, mais je crois fondamentalement apprécié de nos partenaires. Son adaptation est essentielle si l'on veut entrer partout dans une relation de conseil et d'expertise compétitive et contractuelle.
- Je signale par ailleurs la concertation confiée également à M. Nemo sur la recherche, sur et pour le développement, simplement pour attirer votre attention sur le fait que si la réforme a pour but d'unifier les approches, nous nous préoccupons beaucoup de ses déclinaisons régionales et son adaptation en termes de structures et de moyens. De façon générale, en matière de recherche, j'insiste sur les deux grands objectifs poursuivis : l'un concerne la création d'un instrument d'expertise collégiale pour le soutien et la formation des équipes de recherche du Sud ; l'autre est plus thématique et vise à augmenter notre participation à des enjeux majeurs concernant l'environnement (je songe à l'Amazonie, aux risques majeurs en Chine), la santé (nouveau programme VIH-PAL) ou la relance de la recherche en sciences sociales, qui intéresse prioritairement l'Afrique.
Motiver enfin,
Ce sera ma conclusion, ma brève conclusion puisque je trouve là une bonne manière de renvoyer vers François Nicoullaud la responsabilité du débat. Le management du changement lui revient, même si naturellement nous l'accompagnons avec attention.
Le directeur général a entrepris en effet de définir le projet de service de la DGCID en mettant au travail ses directions. A ce stade, le premier document est "brut de décoffrage" et c'est normal : chacun y a mis par métier ses convictions et son projet. Je considère que ce document est à la discussion, et que l'objet du travail est de parvenir à un document de synthèse, qui porte cette culture commune de la coopération internationale que nous avons souhaité faire naître. Je n'attendais pas qu'elle sorte d'un coup de baguette magique. Je suis en revanche convaincu qu'il est temps d'échanger sur ce projet, de le discuter au fond, et de s'en approprier le meilleur, le plus concret pour apprendre à se connaître et à travailler ensemble sur des convictions forgées ensemble.
C'est l'objet de ces journées : je souhaite qu'elles soient fécondes, utiles, conviviales. Bon courage.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 28 juillet 1999)
J'observe que désormais, c'est tout le réseau des services de coopération et d'action culturelle, dans le format voulu par la réforme, qui prend l'habitude d'une réflexion ouverte, participative, à l'image de ce que nous avons souhaité : un ministère et en particulier une DGCID à l'écoute du réseau, dans une relation de service, de mutualisation, et de construction du projet dont la France a besoin pour conforter son rayonnement international.
Comme Hubert Védrine vous l'a fait remarquer, nous n'avons pas voulu cette réunion comme un bilan de la réforme : c'est un chantier considérable que nous avons ouvert, et il est trop tôt pour en mesurer la portée et les effets. Mais je suis convaincu qu'il est indispensable au moment où une administration nouvelle prend corps, et au moment où elle s'attelle à la formulation concrète de son ambition, de dialoguer avec vous sur ce projet : car c'est vous qui le ferez connaître et vivre. Naturellement, il faudra aussi parler de fonctionnement et vérifier que peu à peu les choses prennent leur place.
Nous savons que ce n'est pas facile et nous mesurons parfaitement la profondeur du changement voulu il y a maintenant un peu plus d'un an. Claude Allègre vient d'évoquer le travail, inédit dans son ampleur, que nous conduisons avec lui sur des thèmes quotidiens et essentiels comme l'enseignement français, l'offre de formation, la gestion des emplois et des personnels, et une approche géographique beaucoup plus ciblée de notre approche (les pays émergents, l'Afrique, le "front de taille" que sont les Etats-Unis pour reprendre une expression que j'emprunte à notre ambassadeur à Washington) vous a fait toucher du doigt ce que cela suppose, chez lui et chez nous, de volonté pour traiter ces problèmes concrets. Une méthode similaire se développe avec d'autres ministères : la Culture, l'Environnement, le Tourisme, Jeunesse et Sports.
Oserais-je dire qu'il ne faut plus parler simplement de réforme, puisque la réforme est au fond l'instrument administratif d'une culture de l'international en pleine refondation ?
Or nous sommes exactement à mi-chemin : le dispositif est en place dans tous ses éléments, et notamment les plus nouveaux comme la DGCID, le CICID, le Haut conseil de la Coopération Internationale, dont la présidence a été confiée à Jean-Louis Bianco, la zone de solidarité prioritaire dont l'actuelle géographie est connue, ou bien encore l'organisation des postes et la gestion des ressources humaines que la DGA, pour ce qui la concerne, a repensé avec beaucoup de célérité et d'efficacité pour harmoniser ce qui était hier deux réseaux étanches.
Ce dispositif, nous savons parfaitement ce que nous en attendons et nous avons eu l'occasion à plusieurs reprises de nous exprimer sur ses concepts clés : ouverture géographique, diversité et réactivité de l'offre française, modernisation des outils d'influence, qu'ils touchent les vecteurs d'une culture actuelle et concurrentielle comme l'audiovisuel, la formation ou la recherche, mais qu'ils touchent aussi une approche dynamique, compétitive et "française" du développement, tant il est vrai que la France, si elle veut garder son influence et sa voix dans les pays démunis qui sont attentifs à son message, doit savoir les approcher comme des pays responsables, ouverts et exigeants.
Nous pensons que les progrès de notre influence supposent qu'on travaille sans frontières, sans oeillères, mais aussi sans complaisance avec les habitudes. Partout le regard a changé et nous interdit d'imaginer que, même chez nos alliés les plus fidèles, nous aurions des positions invariablement assurées : tout s'évalue et se compare, tout se discute, se négocie, et s'apprécie à l'aune de la qualité de l'échange que nous saurons proposer.
Voilà le sens de notre effort.
Ce qui est devant nous maintenant, après les annonces, après une pédagogie plutôt réussie puisqu'en sillonnant le monde comme je le fais, je n'ai pas rencontré d'opposition ou de réticences à cette réforme, mais parfois une information encore insuffisante, ce qui est devant nous donc, c'est l'affirmation d'un projet convaincant, la communication de ce projet pour qu'il prenne toute sa place et séduise. Ce qui est devant surtout, c'est la capacité à le renouveler, l'actualiser, l'affirmer partout où nous souhaitons que notre présence non seulement se maintienne, mais aussi progresse.
J'ai dit tout à l'heure que le chantier était ouvert et que tout le monde n'avait peut être pas encore une vision complètement cohérente de l'édifice que nous construisons. Cette réunion est faite pour répondre à un besoin de compréhension et de conviction mieux partagées.
Permettez-moi, au moment où vont commencer ces travaux, d'attirer votre attention sur les nombreux ateliers et thèmes qui vous sont proposés : trop nombreux, diront certains qui regretteront de ne pouvoir tout entendre des débats. Mais ce nombre est à l'image des multiples réflexions ouvertes par la DGCID, et cette réunion est le reflet de son activité. J'en profite pour saluer le travail formidable que, depuis six mois et non sans difficultés pratiques, non sans les doutes naturels que provoque un changement à marches forcées, mais toujours avec acharnement et volonté de réussir, conduisent vos collègues de l'administration centrale.
Les premiers acquis sont là, et je vais en souligner quelques uns. Mais il nous faut aller plus loin et plus vite. Si la négociation du budget 2000 est à ce stade plutôt encourageante, elle nous montre toutefois que nous devons vivre sur le besoin de convaincre : cela suppose des priorités et une méthode claires. Cela suppose aussi des résultats concrets et naturellement une bonne communication de ces résultats.
Hubert Védrine vous a redit l'ambition politique dans un contexte mondial stimulant, mais difficile parce que très concurrentiel, mais aussi très volatile. Sa traduction pour le pôle diplomatique et son dispositif de coopération me paraît à l'observation justifier une méthode de travail à quatre entrées.
Pour faire simple :
- à l'extérieur, mobiliser tous nos partenaires,
- dans un contexte mouvant, savoir moduler nos approches,
- dans un souci d'efficacité accrue, moderniser les outils de coopération,
- enfin, motiver l'immense réseau que vous constituez.
Mobiliser
On a parfois reproché à nos anciennes structures - DGRCST et direction du développement - de tourner sur elles-mêmes. En d'autres termes, l'efficacité et le savoir faire du réseau et de ses agents connaissaient trop de pertes en ligne dues à des solutions de continuité entre nos administrations et leurs partenaires externes : ceux à qui elles s'adressent, ceux avec qui elles travaillent et doivent échanger pour augmenter leur efficacité.
C'est probablement l'enjeu le plus complexe et le plus immédiat. Complexe à l'image du système international actuel. Immédiat, parce que la relation que nous souhaitons nouer avec l'extérieur ne s'accommodera pas longtemps que de paroles. La mobilisation de nos partenaires dans une relation de proximité accrue est à mes yeux un impératif.
Vous connaissez l'intention. J'en rappellerai trois applications pour nous prioritaires :
- Nous voulons une coopération de présence. Les pays et les régions avec lesquels notre pôle diplomatique dialogue, sont donc au centre d'un système de coopération, dont on attend une qualité d'écoute politique suffisante pour déterminer une stratégie de coopération efficace, en toutes situations. On pourra revenir sur les outils du dialogue. A ce stade, et j'y insiste, le toilettage du système des commissions mixtes, dont la DSPE se préoccupe, exige une approche nuancée, qui sache faire place à la simplification et à l'efficacité de dispositifs multiformes, souvent stratifiés et alourdis avec le temps, mais qui sache éviter le dogmatisme ou les effets de technocratie. Quand on parle notamment en zone de solidarité prioritaire de documents cadres de partenariat, on ne parle pas d'une pensée unique dans un moule unique, mais d'une approche qui rende certains pays, les plus dépendants de l'assistance internationale, plus responsables et plus acteurs, et qui nous permette avec d'autres de redéployer progressivement des moyens vers des thèmes d'action qui nous redonnent avec eux la possibilité de dialoguer sur des enjeux plus actuels. J'ai moi-même conduit l'exercice dans cinq ou six pays de la ZSP depuis décembre 1998, et, je le répète, il n'y a pas de situations ou d'interlocuteurs "standard" : il y a un dialogue, où chacun souhaite s'exprimer, faire bouger les choses, avancer. La France a trop de culture et d'héritage historiques avec le Sud pour ne pas être inventive dans une formule contractuelle qui allie le respect, le progrès et l'identité, la sienne et celle de ses interlocuteurs.
L'évolution est souhaitable, mais animons-la avec tact et discernement. Au sein du Département, cela signifie une relation très étroite et constante entre DGCID et directions géographiques.
- Nous attendons aussi de notre coopération qu'elle resserre ses liens avec ses partenaires naturels : multilatéraux et bilatéraux. Nous sommes partie intégrante des premiers, et un gros effort de tri est à faire pour que notre relation bilatérale s'affirme dans des domaines où son message spécifique doit porter, mais aussi pour qu'elle sache s'appuyer sur les multilatéraux lorsqu'ils font plus et mieux qu'elle. En quelque sorte, le principe de subsidiarité doit jouer.
J'en prendrai deux exemples dans le champ de la formation : l'effort considérable que nous entreprenons dans le supérieur et la recherche est par essence spécifique. La France y joue dans la concurrence et doit partout promouvoir son excellence universitaire, nul ne le fera à sa place. Mais la conviction que nous partageons avec tous les partenaires au développement sur la nécessité absolue de renforcer les systèmes sociaux en ZSP - en clair, éducation de base et santé - exige que la France use dans ces domaines de sa conviction et de ses moyens, d'abord avec les multilatéraux, Banque mondiale et Union européenne au premier chef.
La DGCID a sur ce point ouvert une très bonne réflexion dont je souhaite que vous la partagiez pour éviter les contradictions de façade et pour organiser l'action. Sur le domaine dont je viens de parler par exemple, je suis sûr que notre coopération universitaire et de recherche doit concentrer des moyens bilatéraux accrus, tandis que la direction du développement devra, appuyée sur l'AFD, savoir se positionner avec de très fortes convictions dans les instances internationales et, avec elles, dans des programmes conjoints.
- Le ministre des Affaires étrangères a évoqué la coordination bi/multilatérale. Je voudrais y revenir en deux mots : la France multiplie ses efforts pour que l'intégration européenne profite au Sud et je m'y investis beaucoup moi-même : dans la négociation avec les ACP, avec Dominique Strauss-Kahn dans le processus d'annulation de la dette . Mais il est clair que tout le pôle diplomatique, dans les instances européennes comme dans celles de Bretton Woods, doit être capable de faire valoir les lignes de force de nos convictions. En poste, la remontée de vos informations est essentielle pour que la coordination entre bailleurs de fonds soit plus réelle, plus efficace, plus intelligente. Cela vaut naturellement en ZSP, mais aussi pour les pays de l'Est européen. Dans des domaines de haute influence comme l'institutionnel, la culture, la formation et la recherche, aucun tour de table n'est à négliger.
En Francophonie, où je coordonne l'effort du gouvernement, l'objectif est le même : mobiliser, créer des majorités d'idées là où le message est le plus fécond comme la diversité culturelle, les progrès des droits et de la démocratie, mais aussi resserrer les programmes et jouer des complémentarités. L'évaluation de la Francophonie universitaire a ouvert la voie d'une saine rationalisation des méthodes, de ce point de vue.
- La réforme vise enfin à mieux mobiliser la société française à l'international : vous savez l'effort que je déploie personnellement en direction des collectivités locales et territoriales, mais aussi des entreprises, des associations et des ONG, pour qu'elles soient coude à coude avec l'Etat en coopération. Cette relation de proximité correspond à leur intérêt, à leur développement et donc à celui de notre pays. Elle est attendue de beaucoup de pays qui apprécient cette présence française, plus personnelle et très souvent en convenance avec le souci qu'ils expriment : ici une décentralisation qui appelle conseils, expertise, plans de développement ; là, une relation entre patronats bénéfique aux deux parties ; et je ne m'étends pas sur la dynamique associative, qui dans des sociétés en apprentissage de liberté et de démocratie, crée un salutaire appel d'air, sans oublier la capacité de cette coopération entre sociétés civiles à mieux gérer en alternances, voire en conflits ouverts.
Tout un service (la mission du Hors Etat) est à votre disposition pour cela.
Moduler l'approche
Le monde est incroyablement mouvant. Notre coopération n'a pas vocation à l'abonnement, elle est facteur d'évolution. Elle doit savoir, quand la situation l'exige, exprimer la conviction politique d'un pays qui compte quand on parle de solidarité, de liberté et de progrès.
Cette année est de ce point de vue riche et lourde d'enseignement pour une coopération dont on attend une très grande fluidité pour faire face à des situations inédites.
Il y a eu Mitch et la capacité de la France à mobiliser de façon instantanée des moyens significatifs en Amérique centrale. Au Kosovo, notre pays a eu, pendant le conflit, et continue d'avoir en cette période de reconstruction, un rôle majeur. Pour mieux le remplir et obéir aux contraintes du temps, nous nous sommes penchés sur tout le dispositif d'action humanitaire et d'urgence pour qu'il apporte une meilleure réponse à la situation.
En Albanie, c'est l'organisation du poste de coopération qui a été instantanément revue.
Dans certains pays au contraire, et je pense au Niger, dont l'évolution politique nous paraissait en contradiction avec le cours souhaitable des choses, nous avons tenu un discours simple et clair, refusant des pratiques d'un autre âge. Notre coopération y a donc été interrompue et notre poste y a réagi avec beaucoup de maîtrise. Mais nous avons été parfaitement compris : l'Afrique n'aurait d'ailleurs pas manqué de relever, dans le cas contraire, une distorsion entre le discours politique et les actes.
Cette mobilité est souhaitable, elle restaure un lien parfois distendu entre la volonté politique et l'acte de coopération. Mais elle nous fait toucher du doigt un changement de culture administrative dont tout le réseau et toute notre administration doivent prendre conscience.
Moderniser les outils
Un nombre considérable de questions sont ici posées qui ont déjà débouché ou sont en passe de déboucher sur des solutions : la gestion des ressources humaines, du fait de la fusion, est entièrement repensée. Le développement des autonomies financières accompagne un processus de déconcentration nécessaire, si l'on veut une coopération plus réactive au terrain. L'adaptation du réseau des établissements culturels est en cours. Une profonde réflexion est entamée sur les instruments financiers : titre IV et titre VI, notamment le FAC, afin d'aller vers un budget plus clair et mettant en meilleure convenance les actions et leur imputation.
Sans m'y attarder, j'évoquerai à ce stade quelques unes des dispositions à mes yeux les plus marquantes pour la réflexion que vous entamez :
- En prolongement de la réforme administrative, le regroupement, voire la fusion des opérateurs culturels dont je vous parlais en juillet 1998, est maintenant lancé. C'est chose faite pour le pôle "culture de l'écrit" fusionnant l'ADPF (Association pour le Développement de la Pensée Française), le CLEF (Club des Lecteurs d'Expression française) et l'AUDECAM (Association universitaire pour le Développement de la Culture en Afrique et Madagascar) ; c'est en cours pour le pôle traitant de l'action culturelle et artistique puisqu'au 1er janvier 2000 AFAA et Afrique en Créations iront vers la fusion. Le projet de l'AFAA est d'ailleurs en discussion pour qu'elle accueille toute la problématique du développement culturel. C'est un gros travail mais bien engagé, et qui montre le souci du Département de se doter d'un opérateur de poids et polyvalent dans un domaine qui est primordial pour notre influence.
- Vous avez contribué, et souvent de façon éminente, à la réflexion confiée à M. Jean Nemo sur l'assistance technique française. Ce thème concerne l'un des "instruments" les plus caractéristiques de la présence française, parfois critiqué par certains, mais je crois fondamentalement apprécié de nos partenaires. Son adaptation est essentielle si l'on veut entrer partout dans une relation de conseil et d'expertise compétitive et contractuelle.
- Je signale par ailleurs la concertation confiée également à M. Nemo sur la recherche, sur et pour le développement, simplement pour attirer votre attention sur le fait que si la réforme a pour but d'unifier les approches, nous nous préoccupons beaucoup de ses déclinaisons régionales et son adaptation en termes de structures et de moyens. De façon générale, en matière de recherche, j'insiste sur les deux grands objectifs poursuivis : l'un concerne la création d'un instrument d'expertise collégiale pour le soutien et la formation des équipes de recherche du Sud ; l'autre est plus thématique et vise à augmenter notre participation à des enjeux majeurs concernant l'environnement (je songe à l'Amazonie, aux risques majeurs en Chine), la santé (nouveau programme VIH-PAL) ou la relance de la recherche en sciences sociales, qui intéresse prioritairement l'Afrique.
Motiver enfin,
Ce sera ma conclusion, ma brève conclusion puisque je trouve là une bonne manière de renvoyer vers François Nicoullaud la responsabilité du débat. Le management du changement lui revient, même si naturellement nous l'accompagnons avec attention.
Le directeur général a entrepris en effet de définir le projet de service de la DGCID en mettant au travail ses directions. A ce stade, le premier document est "brut de décoffrage" et c'est normal : chacun y a mis par métier ses convictions et son projet. Je considère que ce document est à la discussion, et que l'objet du travail est de parvenir à un document de synthèse, qui porte cette culture commune de la coopération internationale que nous avons souhaité faire naître. Je n'attendais pas qu'elle sorte d'un coup de baguette magique. Je suis en revanche convaincu qu'il est temps d'échanger sur ce projet, de le discuter au fond, et de s'en approprier le meilleur, le plus concret pour apprendre à se connaître et à travailler ensemble sur des convictions forgées ensemble.
C'est l'objet de ces journées : je souhaite qu'elles soient fécondes, utiles, conviviales. Bon courage.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 28 juillet 1999)