Texte intégral
Monsieur le Président de la Banque mondiale,
Mesdames et Messieurs les ministres,
Mesdames et Messieurs,
Je suis heureux d'accueillir, à Bercy, chez le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, le Président James WolfensoHn ainsi que les ministres, les responsables politiques et les spécialistes de l'économie du développement qui participent à cette seconde conférence européenne organisée par la Banque mondiale et le Conseil d'analyse économique.
" Penser le développement au tournant du millénaire " : le thème de votre conférence nous conduit sans doute, plus d'un demi-siècle après les accords de Bretton-Woods, à retracer ces décennies de réflexion et d'action en faveur du développement ; il doit surtout nous inviter à penser aujourd'hui le développement dans sa conception la plus large, celle qu'Amartya SEN, Prix Nobel d'économie, a présentée dans un de ses ouvrages, Development as Freedom. Le développement ne se résume pas à la seule satisfaction des besoins matériels. Il englobe les droits fondamentaux de la personne humaine, l'accès aux soins, au savoir, à l'emploi. Il intègre aussi -et c'est le sens du développement " durable "- le respect des droits des générations futures. C'est cette vision complète du développement, dont je sais qu'elle rejoint les préoccupations exprimées par le Président de la Banque mondiale, que nous devons promouvoir.
D'abord en luttant contre la pauvreté et les inégalités.
Nous vivons dans un monde dont la richesse globale est sans précédent. Pourtant, dans cette économie mondialisée, la moitié des habitants de la planète -soit trois milliards d'hommes et de femmes- vivent avec moins de deux dollars par jour ; un milliard n'ont pas accès à l'eau potable et près de 800 millions souffrent de la faim. Pour favoriser le développement de cette partie du monde, la croissance économique est nécessaire. La reprise mondiale, après la crise financière en Asie du sud-est, marque une bonne évolution. Mais sans politiques de redistribution, de justice sociale et d'investissement dans les secteurs qui répondent aux besoins essentiels, la croissance seule ne pourra corriger les injustices qui pèsent sur les pays en développement.
La croyance -ou le dogme- selon lesquels l'équité et la justice sociale seraient des freins au développement économique a cédé du terrain devant la conviction que celles-ci contribuent au contraire à l'efficacité économique à long terme. Cette conviction fonde la politique de mon gouvernement. Elle offre un socle solide à la coopération internationale et aux politiques d'aide au développement.
Les politiques de lutte contre la pauvreté et les inégalités doivent donc être au cur des réformes économiques. Elles ne sauraient se limiter à des filets de sécurité atténuant le choc des politiques d'ajustements. Ce changement de perspective dépasse les simples politiques de transferts sociaux, par ailleurs indispensables. Il s'agit aussi de garantir les chances de chacun, de lutter contre les discriminations entre les femmes et les hommes, de donner à tous un accès au savoir, aux soins, aux ressources nécessaires à l'insertion dans l'activité économique. Atteindre ces objectifs exige que les dynamiques de la mondialisation soient maîtrisées et mises au service du développement, en un processus associant pleinement les pays les plus démunis.
Le système international a en effet besoin d'une régulation.
L'interdépendance des économies est un fait. Les décisions prises dans quelques grands pays, les arbitrages rendus sur les marchés financiers ou encore les choix arrêtés par de grandes entreprises transnationales peuvent affecter la situation d'un pays à l'autre bout de la planète. Cette intégration résulte d'un puissant mouvement de libéralisation des échanges. En cinquante ans, les barrières douanières ont été réduites des trois quarts ; les échanges de biens, de services et de capitaux se sont développés dans des proportions considérables. Cette ouverture a favorisé la croissance économique ; elle emporte également des conséquences sur les choix économiques, sociaux et, in fine, politiques, de chaque nation.
Les problèmes, devenus globaux, appellent des réponses globales. L'action isolée des Etats ne suffit plus pour garantir aux citoyens la protection de leurs intérêts et les bénéfices de la mondialisation. Pour ordonner la mondialisation, pour que la maîtrise en soit plus démocratique, il faut inventer des formes nouvelles de concertation au sein d'institutions multilatérales plus fortes et plus légitimes.
Certes, une conscience internationale nouvelle est apparue à propos des enjeux commerciaux. Elle s'est exprimée avec force, ces derniers mois, notamment lors des négociations de Seattle. Des réseaux d'organisations non gouvernementales ont réclamé la prise en compte de l'environnement, des droits sociaux et de la sécurité alimentaire dans les négociations internationales. Cette conscience plus claire progresse aussi chez les acteurs économiques privés.
Pour indispensable qu'elle soit, cette mobilisation reste incomplète, parce que les organisations non gouvernementales ne peuvent prétendre représenter, seules, la société. Elles jouent un rôle irremplaçable -et je me réjouis qu'elles aient été étroitement associées aux réflexions de ce colloque-, mais elles ne sont pas suffisantes. Le rôle des Etats reste déterminant, car c'est d'abord en leur sein que s'élaborent les choix démocratiques. Tous les peuples, d'ailleurs, n'ont pas les mêmes priorités. Les pays en développement demandent avant tout un commerce plus équitable ; les préoccupations des pays prospères, aussi essentielles soient-elles, ne sont pas nécessairement des priorités partagées par tous.
La mondialisation politique reste donc encore à construire. Cette mondialisation politique porte un nom : la régulation.
Le moment est venu de s'attaquer au problème de l'architecture de la régulation mondiale. Il faut renforcer les institutions des Nations-Unies qui s'attachent à garantir les " biens publics " internationaux indispensables au développement durable de la planète. Il faut compléter cette architecture là où elle est encore défaillante, là où manquent des organisations, comme par exemple une Organisation mondiale de l'environnement assurant le respect des engagements internationaux dans ce domaine. Lors de la Présidence de l'Union européenne, la France lancera une initiative en ce sens, en s'appuyant sur le système des Nations-Unies, notamment le programme des Nations-Unies pour l'environnement (PNUE). Il faut enfin assurer, entre les institutions multilatérales comme pour les règles qu'elles appliquent, cohérence et complémentarité.
Dans l'intérêt même de ces institutions internationales, il est essentiel de maintenir un équilibre entre elles. Par exemple, l'Organisation mondiale du commerce est en partie victime de son succès. Les règles commerciales élaborées en son sein s'appliquent effectivement, car des moyens de contrainte existent pour faire respecter les engagements pris. Cette efficacité de l'OMC a fait craindre, parfois non sans raisons, que les règles commerciales ne s'imposent aux autres règles dont la communauté internationale s'est dotée mais qui ne disposent pas, elles, des mêmes instruments de mise en oeuvre. Suivre cette pente ruinerait à court terme la légitimité de l'OMC. C'est pourquoi les règles commerciales doivent tenir compte des droits de l'Homme, des droits sociaux, de la défense de l'environnement ou encore de la nécessité de préserver la diversité culturelle.
Cette régulation doit être au service de la démocratie internationale. Cette architecture internationale de régulation ne sera acceptée que si ses procédures et son fonctionnement sont transparents et démocratiques. Les pays en développement doivent être partie prenante de l'élaboration de cette régulation globale. Il faut s'assurer que les négociations ne laissent pas en chemin les pays qui disposent de moins de ressources pour faire entendre leur voix.
En mettant en place cette régulation, nous contribuerons au développement.
Telle devrait être la priorité d'institutions financières crédibles et légitimes. Depuis la crise financière asiatique et russe, le débat s'est intensifié autour de la réforme des institutions de Bretton Woods. Différents courants, parfois opposés, défendent l'idée d'une redéfinition du champ d'activité du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale. Et il faut sans doute que ces deux institutions clarifient leurs missions essentielles qui, au cours du temps, ont tendu à se rapprocher et parfois à se confondre. La France est très attachée à ce que le Fonds monétaire demeure une institution à vocation universelle. Sa mission d'accompagnement des ajustements à court terme est essentielle ; mais le FMI doit rester une source de financement structurel pour les pays les plus pauvres qui n'ont pas accès aux financements ou investissements privés. A notre sens, la Banque mondiale doit s'assurer que les politiques économiques intègrent pleinement les objectifs de lutte contre la pauvreté et d'équité sociale. Il faut en tout cas que l'Union européenne, qui contribue pour plus de la moitié à l'aide publique au développement, prenne toute sa place dans ce débat engagé outre-Atlantique. Parallèlement, il faut renforcer la coordination européenne vis-à-vis de ces deux institutions. L'Union est le principal actionnaire de la Banque mondiale, mais ne fait pas encore assez entendre une voix unifiée, à la hauteur de sa contribution politique et financière -qui représente le tiers du total. Nous devrons nous interroger sur le mode de représentation de l'union européenne dans les institutions de Bretton-Woods. Pour renforcer la légitimité de ces institutions, nous devrons enfin progresser vers la création de deux instances politiques d'orientation et de décision -un Conseil réunissant dans chaque cas les ministres des Etats membres.
Il faut aussi réviser la pratique des conditionnalités, qui n'a démontré qu'une très relative efficacité. Certes, l'aide doit être un contrat entre des partenaires ; nous ne saurions engager des ressources publiques sans avoir la garantie de leur bon usage. Mais il faut s'attacher davantage aux résultats, se fonder sur une appréciation globale des réformes et passer un " contrat de démocratie " avec les pays partenaires plutôt qu'allonger une liste de critères imposés a priori.
Telle doit être l'inspiration de la politique d'annulation de la dette des pays pauvres fortement endettés (HIPC). Lancée au sommet du G 7 de Lyon, en 1996, l'initiative en faveur de ces pays doit se concrétiser rapidement pour constituer une nouvelle chance de développement. Cela suppose que son financement soit définitivement stabilisé. La plupart des bailleurs de fonds, dont la France et l'Union européenne, ont fait leur part du chemin. J'appelle les autres partenaires à faire de même. Il est possible d'aller plus loin. La France l'a montré, en s'engageant à annuler pour ces pays, à titre bilatéral, la totalité de ses créances d'aide publique au développement et la totalité de ses créances commerciales éligibles à un traitement en Club de Paris. La France annulera ainsi pour huit milliards d'euros de créances.
Nous devons aussi veiller à ce que cet allégement de dette permette une réduction efficace et durable de la pauvreté. Le gouvernement français passera, avec les gouvernements des pays bénéficiaires, un " contrat de désendettement et de développement " qui s'inscrira dans le cadre de la " stratégie pour la croissance et la réduction de la pauvreté " mise en place par ces pays avec l'aide des institutions de Bretton-Woods. Les marges dégagées, pour ces pays, par l'annulation de dette, seront ainsi affectées en priorité à l'éducation, à la santé et à l'aménagement durable du territoire.
Cet effort important de la communauté internationale ne doit pas tarir les autres formes d'aide publique au développement. Celles-ci restent plus que jamais indispensables. Comme s'y sont engagés les pays du G 7 à Cologne, les annulations de dette doivent venir en addition des autres financements. Ne prenons pas prétexte du retour bienvenu des capitaux privés vers le monde en développement pour relâcher notre effort public. En effet, les flux d'investissement ou de financement privés sont très concentrés, tant géographiquement que sectoriellement. La plupart des pays les moins avancés demeurent à l'écart de cette source de financement.
Mais la problématique du développement ne se résume pas à l'annulation de la dette, si indispensable soit elle.
Aider le développement, c'est aider des hommes et des femmes à se libérer.
Le progrès économique et social comme l'avancée des droits politiques et civiques participent de cette vision globale du développement. Jusqu'à cette dernière décennie, ces deux mouvements ont suivi des voies parallèles. Les organismes internationaux et les courants tiers-mondistes s'efforçaient de promouvoir le développement économique et social, tandis que les militants des droits civiques s'attachaient à créer un droit international pour les faire respecter.
Dans les deux cas, il s'est agi d'accroître la liberté, les libertés : la liberté de vivre sans peur, sans menaces sur sa sécurité personnelle, sans souffrir de l'arbitraire ou de l'injustice ; la liberté de s'associer, de s'exprimer et de participer aux processus collectifs de décision ; la liberté de vivre sans discriminations liées à l'origine, au sexe ou à la religion ; la liberté de ne pas subir de privations, de travailler sans être exploité.
Cet ensemble de libertés participe pleinement de la définition du développement, comme le souligne le rapport du PNUD sur le développement humain. Le combat pour le développement est inséparable de la défense de la dignité humaine. Celle-ci a progressé : en dix ans, plus de la moitié des pays du globe ont ratifié les principaux instruments juridiques internationaux de défense des droits de l'Homme. Près de cent pays ont signé le texte créant la Cour pénale internationale. Mais les guerres civiles et la violence d'Etat continuent de provoquer de graves crises humanitaires et d'engendrer des déplacements forcés de populations entières. Nous devons défendre le principe d'intervention de la communauté internationale, sous l'égide des Nations-Unies, pour porter secours aux victimes et faire respecter le droit humanitaire international.
Dans cet esprit, l'Europe peut apporter une expérience irremplaçable à la mise en uvre d'une mondialisation maîtrisée : parce qu'elle fut à la fois le berceau du développement économique et de la démocratie, parce qu'elle a su après la Seconde guerre mondiale conduire une intégration économique voulue et maîtrisée, respectant la diversité de ses nations. C'est pour exprimer cette vision politique et favoriser l'émergence d'une approche européenne que le gouvernement français, à la veille de la présidence française de l'Union européenne, a choisi de faire de cette dernière semaine de juin, à Paris, " la semaine du développement ". Inaugurée par cette conférence, que clôtureront les ministres français et portugais de l'économie et des finances, Laurent FABIUS et Joaquim Nunes de Pina Moura, elle se terminera vendredi 30 juin par une conférence des ministres européens de la coopération, à l'initiative de Luis AMADO et Charles JOSSELIN.
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs,
La mondialisation de l'économie est une force. Mais seul le développement, c'est-à-dire le progrès de l'humanité, peut lui donner sens. Nous ne pouvons pas laisser des lois économiques prétendument naturelles guider l'évolution de nos sociétés. Ce serait abdiquer nos responsabilités politiques. Nous devons au contraire chercher à gouverner les forces qui sont à l'oeuvre dans la mondialisation de l'économie. C'est en assumant cette responsabilité que nous aiderons nos nations à s'épanouir et à bénéficier du développement que permettent le progrès technique et la mondialisation. Pour construire cette indispensable régulation, nous avons besoin de gouvernements décidés à agir et d'institutions multilatérales efficaces et légitimes. A cette exigence, la France restera toujours attachée.
(Source : http://www.premier-ministre.gouv.fr., le 27 juin 2000)
Mesdames et Messieurs les ministres,
Mesdames et Messieurs,
Je suis heureux d'accueillir, à Bercy, chez le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, le Président James WolfensoHn ainsi que les ministres, les responsables politiques et les spécialistes de l'économie du développement qui participent à cette seconde conférence européenne organisée par la Banque mondiale et le Conseil d'analyse économique.
" Penser le développement au tournant du millénaire " : le thème de votre conférence nous conduit sans doute, plus d'un demi-siècle après les accords de Bretton-Woods, à retracer ces décennies de réflexion et d'action en faveur du développement ; il doit surtout nous inviter à penser aujourd'hui le développement dans sa conception la plus large, celle qu'Amartya SEN, Prix Nobel d'économie, a présentée dans un de ses ouvrages, Development as Freedom. Le développement ne se résume pas à la seule satisfaction des besoins matériels. Il englobe les droits fondamentaux de la personne humaine, l'accès aux soins, au savoir, à l'emploi. Il intègre aussi -et c'est le sens du développement " durable "- le respect des droits des générations futures. C'est cette vision complète du développement, dont je sais qu'elle rejoint les préoccupations exprimées par le Président de la Banque mondiale, que nous devons promouvoir.
D'abord en luttant contre la pauvreté et les inégalités.
Nous vivons dans un monde dont la richesse globale est sans précédent. Pourtant, dans cette économie mondialisée, la moitié des habitants de la planète -soit trois milliards d'hommes et de femmes- vivent avec moins de deux dollars par jour ; un milliard n'ont pas accès à l'eau potable et près de 800 millions souffrent de la faim. Pour favoriser le développement de cette partie du monde, la croissance économique est nécessaire. La reprise mondiale, après la crise financière en Asie du sud-est, marque une bonne évolution. Mais sans politiques de redistribution, de justice sociale et d'investissement dans les secteurs qui répondent aux besoins essentiels, la croissance seule ne pourra corriger les injustices qui pèsent sur les pays en développement.
La croyance -ou le dogme- selon lesquels l'équité et la justice sociale seraient des freins au développement économique a cédé du terrain devant la conviction que celles-ci contribuent au contraire à l'efficacité économique à long terme. Cette conviction fonde la politique de mon gouvernement. Elle offre un socle solide à la coopération internationale et aux politiques d'aide au développement.
Les politiques de lutte contre la pauvreté et les inégalités doivent donc être au cur des réformes économiques. Elles ne sauraient se limiter à des filets de sécurité atténuant le choc des politiques d'ajustements. Ce changement de perspective dépasse les simples politiques de transferts sociaux, par ailleurs indispensables. Il s'agit aussi de garantir les chances de chacun, de lutter contre les discriminations entre les femmes et les hommes, de donner à tous un accès au savoir, aux soins, aux ressources nécessaires à l'insertion dans l'activité économique. Atteindre ces objectifs exige que les dynamiques de la mondialisation soient maîtrisées et mises au service du développement, en un processus associant pleinement les pays les plus démunis.
Le système international a en effet besoin d'une régulation.
L'interdépendance des économies est un fait. Les décisions prises dans quelques grands pays, les arbitrages rendus sur les marchés financiers ou encore les choix arrêtés par de grandes entreprises transnationales peuvent affecter la situation d'un pays à l'autre bout de la planète. Cette intégration résulte d'un puissant mouvement de libéralisation des échanges. En cinquante ans, les barrières douanières ont été réduites des trois quarts ; les échanges de biens, de services et de capitaux se sont développés dans des proportions considérables. Cette ouverture a favorisé la croissance économique ; elle emporte également des conséquences sur les choix économiques, sociaux et, in fine, politiques, de chaque nation.
Les problèmes, devenus globaux, appellent des réponses globales. L'action isolée des Etats ne suffit plus pour garantir aux citoyens la protection de leurs intérêts et les bénéfices de la mondialisation. Pour ordonner la mondialisation, pour que la maîtrise en soit plus démocratique, il faut inventer des formes nouvelles de concertation au sein d'institutions multilatérales plus fortes et plus légitimes.
Certes, une conscience internationale nouvelle est apparue à propos des enjeux commerciaux. Elle s'est exprimée avec force, ces derniers mois, notamment lors des négociations de Seattle. Des réseaux d'organisations non gouvernementales ont réclamé la prise en compte de l'environnement, des droits sociaux et de la sécurité alimentaire dans les négociations internationales. Cette conscience plus claire progresse aussi chez les acteurs économiques privés.
Pour indispensable qu'elle soit, cette mobilisation reste incomplète, parce que les organisations non gouvernementales ne peuvent prétendre représenter, seules, la société. Elles jouent un rôle irremplaçable -et je me réjouis qu'elles aient été étroitement associées aux réflexions de ce colloque-, mais elles ne sont pas suffisantes. Le rôle des Etats reste déterminant, car c'est d'abord en leur sein que s'élaborent les choix démocratiques. Tous les peuples, d'ailleurs, n'ont pas les mêmes priorités. Les pays en développement demandent avant tout un commerce plus équitable ; les préoccupations des pays prospères, aussi essentielles soient-elles, ne sont pas nécessairement des priorités partagées par tous.
La mondialisation politique reste donc encore à construire. Cette mondialisation politique porte un nom : la régulation.
Le moment est venu de s'attaquer au problème de l'architecture de la régulation mondiale. Il faut renforcer les institutions des Nations-Unies qui s'attachent à garantir les " biens publics " internationaux indispensables au développement durable de la planète. Il faut compléter cette architecture là où elle est encore défaillante, là où manquent des organisations, comme par exemple une Organisation mondiale de l'environnement assurant le respect des engagements internationaux dans ce domaine. Lors de la Présidence de l'Union européenne, la France lancera une initiative en ce sens, en s'appuyant sur le système des Nations-Unies, notamment le programme des Nations-Unies pour l'environnement (PNUE). Il faut enfin assurer, entre les institutions multilatérales comme pour les règles qu'elles appliquent, cohérence et complémentarité.
Dans l'intérêt même de ces institutions internationales, il est essentiel de maintenir un équilibre entre elles. Par exemple, l'Organisation mondiale du commerce est en partie victime de son succès. Les règles commerciales élaborées en son sein s'appliquent effectivement, car des moyens de contrainte existent pour faire respecter les engagements pris. Cette efficacité de l'OMC a fait craindre, parfois non sans raisons, que les règles commerciales ne s'imposent aux autres règles dont la communauté internationale s'est dotée mais qui ne disposent pas, elles, des mêmes instruments de mise en oeuvre. Suivre cette pente ruinerait à court terme la légitimité de l'OMC. C'est pourquoi les règles commerciales doivent tenir compte des droits de l'Homme, des droits sociaux, de la défense de l'environnement ou encore de la nécessité de préserver la diversité culturelle.
Cette régulation doit être au service de la démocratie internationale. Cette architecture internationale de régulation ne sera acceptée que si ses procédures et son fonctionnement sont transparents et démocratiques. Les pays en développement doivent être partie prenante de l'élaboration de cette régulation globale. Il faut s'assurer que les négociations ne laissent pas en chemin les pays qui disposent de moins de ressources pour faire entendre leur voix.
En mettant en place cette régulation, nous contribuerons au développement.
Telle devrait être la priorité d'institutions financières crédibles et légitimes. Depuis la crise financière asiatique et russe, le débat s'est intensifié autour de la réforme des institutions de Bretton Woods. Différents courants, parfois opposés, défendent l'idée d'une redéfinition du champ d'activité du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale. Et il faut sans doute que ces deux institutions clarifient leurs missions essentielles qui, au cours du temps, ont tendu à se rapprocher et parfois à se confondre. La France est très attachée à ce que le Fonds monétaire demeure une institution à vocation universelle. Sa mission d'accompagnement des ajustements à court terme est essentielle ; mais le FMI doit rester une source de financement structurel pour les pays les plus pauvres qui n'ont pas accès aux financements ou investissements privés. A notre sens, la Banque mondiale doit s'assurer que les politiques économiques intègrent pleinement les objectifs de lutte contre la pauvreté et d'équité sociale. Il faut en tout cas que l'Union européenne, qui contribue pour plus de la moitié à l'aide publique au développement, prenne toute sa place dans ce débat engagé outre-Atlantique. Parallèlement, il faut renforcer la coordination européenne vis-à-vis de ces deux institutions. L'Union est le principal actionnaire de la Banque mondiale, mais ne fait pas encore assez entendre une voix unifiée, à la hauteur de sa contribution politique et financière -qui représente le tiers du total. Nous devrons nous interroger sur le mode de représentation de l'union européenne dans les institutions de Bretton-Woods. Pour renforcer la légitimité de ces institutions, nous devrons enfin progresser vers la création de deux instances politiques d'orientation et de décision -un Conseil réunissant dans chaque cas les ministres des Etats membres.
Il faut aussi réviser la pratique des conditionnalités, qui n'a démontré qu'une très relative efficacité. Certes, l'aide doit être un contrat entre des partenaires ; nous ne saurions engager des ressources publiques sans avoir la garantie de leur bon usage. Mais il faut s'attacher davantage aux résultats, se fonder sur une appréciation globale des réformes et passer un " contrat de démocratie " avec les pays partenaires plutôt qu'allonger une liste de critères imposés a priori.
Telle doit être l'inspiration de la politique d'annulation de la dette des pays pauvres fortement endettés (HIPC). Lancée au sommet du G 7 de Lyon, en 1996, l'initiative en faveur de ces pays doit se concrétiser rapidement pour constituer une nouvelle chance de développement. Cela suppose que son financement soit définitivement stabilisé. La plupart des bailleurs de fonds, dont la France et l'Union européenne, ont fait leur part du chemin. J'appelle les autres partenaires à faire de même. Il est possible d'aller plus loin. La France l'a montré, en s'engageant à annuler pour ces pays, à titre bilatéral, la totalité de ses créances d'aide publique au développement et la totalité de ses créances commerciales éligibles à un traitement en Club de Paris. La France annulera ainsi pour huit milliards d'euros de créances.
Nous devons aussi veiller à ce que cet allégement de dette permette une réduction efficace et durable de la pauvreté. Le gouvernement français passera, avec les gouvernements des pays bénéficiaires, un " contrat de désendettement et de développement " qui s'inscrira dans le cadre de la " stratégie pour la croissance et la réduction de la pauvreté " mise en place par ces pays avec l'aide des institutions de Bretton-Woods. Les marges dégagées, pour ces pays, par l'annulation de dette, seront ainsi affectées en priorité à l'éducation, à la santé et à l'aménagement durable du territoire.
Cet effort important de la communauté internationale ne doit pas tarir les autres formes d'aide publique au développement. Celles-ci restent plus que jamais indispensables. Comme s'y sont engagés les pays du G 7 à Cologne, les annulations de dette doivent venir en addition des autres financements. Ne prenons pas prétexte du retour bienvenu des capitaux privés vers le monde en développement pour relâcher notre effort public. En effet, les flux d'investissement ou de financement privés sont très concentrés, tant géographiquement que sectoriellement. La plupart des pays les moins avancés demeurent à l'écart de cette source de financement.
Mais la problématique du développement ne se résume pas à l'annulation de la dette, si indispensable soit elle.
Aider le développement, c'est aider des hommes et des femmes à se libérer.
Le progrès économique et social comme l'avancée des droits politiques et civiques participent de cette vision globale du développement. Jusqu'à cette dernière décennie, ces deux mouvements ont suivi des voies parallèles. Les organismes internationaux et les courants tiers-mondistes s'efforçaient de promouvoir le développement économique et social, tandis que les militants des droits civiques s'attachaient à créer un droit international pour les faire respecter.
Dans les deux cas, il s'est agi d'accroître la liberté, les libertés : la liberté de vivre sans peur, sans menaces sur sa sécurité personnelle, sans souffrir de l'arbitraire ou de l'injustice ; la liberté de s'associer, de s'exprimer et de participer aux processus collectifs de décision ; la liberté de vivre sans discriminations liées à l'origine, au sexe ou à la religion ; la liberté de ne pas subir de privations, de travailler sans être exploité.
Cet ensemble de libertés participe pleinement de la définition du développement, comme le souligne le rapport du PNUD sur le développement humain. Le combat pour le développement est inséparable de la défense de la dignité humaine. Celle-ci a progressé : en dix ans, plus de la moitié des pays du globe ont ratifié les principaux instruments juridiques internationaux de défense des droits de l'Homme. Près de cent pays ont signé le texte créant la Cour pénale internationale. Mais les guerres civiles et la violence d'Etat continuent de provoquer de graves crises humanitaires et d'engendrer des déplacements forcés de populations entières. Nous devons défendre le principe d'intervention de la communauté internationale, sous l'égide des Nations-Unies, pour porter secours aux victimes et faire respecter le droit humanitaire international.
Dans cet esprit, l'Europe peut apporter une expérience irremplaçable à la mise en uvre d'une mondialisation maîtrisée : parce qu'elle fut à la fois le berceau du développement économique et de la démocratie, parce qu'elle a su après la Seconde guerre mondiale conduire une intégration économique voulue et maîtrisée, respectant la diversité de ses nations. C'est pour exprimer cette vision politique et favoriser l'émergence d'une approche européenne que le gouvernement français, à la veille de la présidence française de l'Union européenne, a choisi de faire de cette dernière semaine de juin, à Paris, " la semaine du développement ". Inaugurée par cette conférence, que clôtureront les ministres français et portugais de l'économie et des finances, Laurent FABIUS et Joaquim Nunes de Pina Moura, elle se terminera vendredi 30 juin par une conférence des ministres européens de la coopération, à l'initiative de Luis AMADO et Charles JOSSELIN.
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs,
La mondialisation de l'économie est une force. Mais seul le développement, c'est-à-dire le progrès de l'humanité, peut lui donner sens. Nous ne pouvons pas laisser des lois économiques prétendument naturelles guider l'évolution de nos sociétés. Ce serait abdiquer nos responsabilités politiques. Nous devons au contraire chercher à gouverner les forces qui sont à l'oeuvre dans la mondialisation de l'économie. C'est en assumant cette responsabilité que nous aiderons nos nations à s'épanouir et à bénéficier du développement que permettent le progrès technique et la mondialisation. Pour construire cette indispensable régulation, nous avons besoin de gouvernements décidés à agir et d'institutions multilatérales efficaces et légitimes. A cette exigence, la France restera toujours attachée.
(Source : http://www.premier-ministre.gouv.fr., le 27 juin 2000)