Déclarations de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, sur les compétences de l'OSCE et l'élaboration des principes généraux de la Charte européenne de sécurité, les relations entre l'OSCE et l'OTAN, la situation au Kosovo et le jugement des criminels de guerre, Copenhague le 19 décembre 1997.

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Circonstance : Conseil ministériel de l'OSCE (Organisation pour la Coopération et la Sécurité en Europe) à Copenhague (Danemark) le 19 décembre 1997.

Texte intégral

conseil ministeriel de l'osce discours du ministre des affaires etrangeres, m. hubert vedrine
Je voudrais tout d'abord, Monsieur le Président, Cher Collègue, vous exprimer toute ma reconnaissance pour la qualité du travail effectué par le Danemark à la présidence de l'OSCE tout au long de cette année. Soyez en chaleureusement remercié comme aussi de l'accueil que vous nous réservez à Copenhague.

Je voudrais aussi assurer celui qui vous succédera dans cette lourde responsabilité, notre collègue ministre des Affaires étrangères de Pologne, Bronislaw Geremek, de tout notre appui.

Il est vrai que cette tâche n'est pas facile parce que, paradoxalement, les résultats positifs qui sont intervenus en Europe, grâce en partie au moins à l'Acte final d'Helsinki et à la CSCE conduisent aujourd'hui certains d'entre nous à s'interroger sur le rôle de l'OSCE.

Pour la France, cela serait une grave erreur de considérer qu'avec la fin de la guerre froide, les progrès de la démocratie et de l'Etat de droit sur notre continent, les élargissements en cours d'autres organisations européennes et euro-atlantiques, l'OSCE aurait en quelque sorte achevé sa mission.

Il n'en est rien.
Tout d'abord - et sans prétendre se substituer aux relations d'alliance qui existent et existeront entre certains de ses membres - l'OSCE doit développer les principes communs de la sécurité pour toute l'Europe. Ce sera l'objet de la Charte de sécurité européenne dont le projet a été envisagé lors du Sommet de Lisbonne.

Il est très positif que nous soyons en mesure, à l'occasion de cette session ministérielle, d'adopter un document d'orientations générales à ce sujet.

Notre objectif est que ce nouveau texte soit approuvé par nos chefs d'Etat et de gouvernement lors du prochain Sommet de notre Organisation. Nous comptons sur la présidence en exercice pour prendre toutes les dispositions pratiques dans l'organisation des travaux pour qu'un tel résultat soit atteint.

Dans ce cadre, préciser les modalités de l'assistance au respect des engagements souscrits, donner corps au principe de solidarité ; mieux organiser la relation entre l'OSCE et les autres organisations européennes et euro-atlantiques constitueront à l'évidence des priorités.

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Nous attachons également la plus grande importance à ce que l'OSCE poursuive ses travaux dans le domaine des aspects politico-militaires de la sécurité. L'OSCE, à travers le Forum de coopération en matière de sécurité, doit perfectionner les instruments existants, qu'il s'agisse des mesures de confiance, avec la rénovation du document de Vienne, du code de conduite sur les aspects politico-militaires de la sécurité ou du désarmement conventionnel avec l'adaptation du Traité FCE. De nouveaux axes de réflexion et de travail sur ces questions s'imposent, dans le cadre de certains ensembles régionaux et sous-régionaux - cela vaut notamment avec l'ouverture maintenant possible et nécessaire des négociations dites de l'article V sur la maîtrise des armements dans l'Europe du Sud-Est.
Il est heureux que la nomination par la présidence en exercice d'un représentant spécial en charge de cette négociation puisse être enregistrée lors de notre réunion et je vous remercie de la confiance que traduit le choix de l'ambassadeur Jacolin dont la candidature avait été présentée par mon gouvernement.

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Enfin l'OSCE, comme elle l'a déjà montré, a une fonction éminente à remplir dans la prévention et dans la gestion des crises.

S'agissant de la prévention des crises, le rôle du Haut-Commissaire aux minorités nationales et celui des missions de l'OSCE ont été soulignées avec raison ; la nomination du Représentant de l'OSCE pour la liberté des médias constitue également un développement très positif. Je reste convaincu que l'OSCE dispose aussi avec la Cour de conciliation et d'arbitrage d'un instrument qui pourrait se révéler extrêmement utile pour désamorcer les crises potentielles.

Je ne détaillerai pas ici le travail considérable effectué par l'OSCE dans la gestion des crises notamment en Bosnie-Herzégovine et en Albanie. S'agissant de la Géorgie et de la Moldavie, nous souhaitons vivement que les engagements librement consentis soient effectivement tenus. Vous savez aussi qu'avec nos partenaires de la co-présidence du Groupe de Minsk, nous ne ménageons pas nos efforts pour dégager les voies d'un règlement au Nagorny-Karabakh.
Notons simplement que, dans ce cadre - et comme la présidence en exercice l'a proposé - il est impératif d'adapter les procédures de financement et de continuer à renforcer le secrétariat.


Monsieur le Président,
Chers Collègues,
L'OSCE avec tous ses Etats participants (européens, nord-américains, euro-asiatiques), avec ses partenaires méditerranéens et asiatiques que je salue, avec ses règles de fonctionnement fondées sur l'égalité des Etats et le consensus, avec l'expérience qu'elle a accumulée, l'OSCE constitue une organisation d'une exceptionnelle richesse.

Cherchons donc à poursuivre à l'OSCE ce mouvement de constante mutation qui a caractérisé le Processus d'Helsinki depuis la signature de l'Acte final./.
Mesdames, Messieurs,
Merci de m'avoir attendu. J'ai quelques minutes à passer avec vous, je vais m'exprimer en français, mon interprète traduira pour ceux qui ne parlent pas français. Je pense que beaucoup d'entre vous ici ne parlent pas français.
Quelque mots brefs sur cette réunion: je suis venu participer à une partie de cette réunion ministérielle de l'OSCE pour montrer l'importance que nous y attachons.
Je suis très content que ce Conseil ministériel puisse fixer les principes généraux de ce que sera la Charte européenne de sécurité, principes sur lesquels le travail doit maintenant se poursuivre.
La France est très heureuse que la présidence danoise ait nommé un diplomate français, M. Jacolin, pour l'organisation des futures négociations sur les mesures de maîtrise des armements en Europe du sud-est, ce qu'on appelle l'article 5 des accords de Dayton. C'est là un très bon exemple d'un domaine dans lequel l'OSCE peut rendre des services importants, qui ne peuvent pas être rendus par les autres organisations. Il y a beaucoup d'autres conflits dans lesquels l'OSCE joue un rôle très utile. Je ne vais pas les énumérer. Puisque vous avez suivi les travaux, vous les connaissez bien.
J'ajouterais simplement que c'est important pour nous que d'avoir pu rappeler le rôle de l'OSCE dans le maintien de la paix. C'est la vocation naturelle et évidente de cette organisation de pouvoir jouer un rôle de maintien de la paix. Une fois que la paix a été établie, il faut s'occuper de son maintien et de sa préservation.

Mon pays est donc tout à fait satisfait de cette rencontre de Copenhague. Nous pensons que la présidence danoise a fait du bon travail. Et nous souhaitons bonne chance à la présidence polonaise.
Voila ce que je peux vous dire sur cette réunion de Copenhague et maintenant si vous avez quelque questions, je suis à votre disposition.
Q - Je voudrais avoir vos commentaires sur les principes généraux de la Charte et sur la relation de l'OSCE avec l'OTAN.
R - Je ne pense pas qu'il y ait de problème en ce qui concerne la relation avec l'OTAN. Ce sont deux choses différentes ; les fonctions ne sont pas les mêmes, les participants ne sont pas les mêmes. L'OTAN est une alliance militaire avec des objectifs plus précis.
L'OSCE, comme son nom l'indique, doit s'occuper de sécurité - ce n'est pas une alliance militaire à proprement parler - de sécurité et de coopération. Son champ de compétence est beaucoup plus considérable, ce qui fait que l'OSCE peut rendre des services considérables concernant des crises qui ne sont pas dans le champ de compétence géographique de l'OTAN, ou qui ne relèvent pas d'une alliance militaire proprement dite. Donc je pense vraiment qu'il y a place pour les deux. Le projet de Charte européenne de sécurité pour l'OSCE correspond à cette idée. D'ailleurs si tous les participants ont accepté de travailler sur ce projet, c'est bien qu'ils ont compris qu'il n'y avait pas d'antagonisme stérile entre l'OTAN d'un côté et l'OSCE de l'autre.
Q - Mais je crois qu'il y a des discussions sur le maintien de la paix et notamment sur l'objectif, dans ce domaine, de la charte ...
R - Il y a eu des discussions, ce qui est normal parce que ce n'est pas une simple chambre d'enregistrement. Surtout avec autant de participants, ce serait étrange que tout le monde ait le même avis dès la première minute. Et ce qui est intéressant dans les discussions en général , ce sont les conclusions. Et la conclusion c'est que tous les participants ont rappelé que le maintien de la paix était une des fonctions de l'OSCE, ce qui avait d'ailleurs déjà été dit avant. Peut-être que certains craignaient des concurrences, ce qui est une sorte d'hommage rendu aux capacités de l'OSCE. Après des discussions, ils se sont rendu compte qu'il n'y avait pas de concurrence, mais une heureuse complémentarité.
Q - Monsieur le Ministre, vous avez écrit avec M. Kinkel une lettre à M. Milosevic au sujet du Kosovo. Le Kosovo représente-t-il un problème grave et comment voyez-vous le rôle de l'OSCE dans la solution à apporter à ce problème ?
R - Le Kosovo est effectivement une situation qui préoccupe les Européens dans toutes les différentes instances et qui préoccupe particulièrement les Français et les Allemands. C'est pour ça que Klaus Kinkel et moi avons pris l'initiative d'envoyer une lettre à M. Milosevic pour défendre l'idée d'un statut autonome qui serait de nature à faire baisser la tension. Cela ne va pas aussi loin que certaines revendications de certaines organisations du Kosovo, mais ce serait une amélioration considérable par rapport à la situation actuelle, un statu quo qui est fragile et qui est lourd de tensions. A ce stade c'est une démarche franco-allemande.
En Europe aujourd'hui, il faut chercher à faire converger, il y a beaucoup d'organismes, beaucoup d'institutions, et puis en même temps les diplomaties nationales ont gardé beaucoup de dynamisme - beaucoup d'autonomie et de dynamisme. Donc le travail des responsables des Affaires étrangères aujourd'hui en Europe c'est de faire converger ce type d'actions. Là aussi, je pourrais le redire, il faut éviter les compétitions stériles, ça ne sert à rien. Il faut faire converger.
Dans le cas du Kosovo, je ne peux pas répondre par avance, je ne peux pas dire exactement ce qui pourrait être fait mais on peut imaginer qu'il y ait un jour une situation dans laquelle l'OSCE puisse apporter quelque chose. Mais je crois qu'on n'en est pas exactement là. Pour le moment, il faut faire progresser, disons un dialogue politique de la part de la France et de l'Allemagne puisque c'est une démarche commune. La faire progresser peut être à l'Union européenne, ou peut être à d'autres entités. Il faut faire progresser une discussion politique avec les autorités de Belgrade pour qu'elles acceptent d'en parler, pour qu'elles comprennent qu'une évolution est souhaitable. Elle peut se faire en tenant compte des intérêts des uns et des autres. C'est après que l'on peut voir l'entrée en lice d'organisations. Pour faire du maintien de la paix, il faut qu'une solution soit trouvée.
Q - Vous parliez à l'instant d'éviter les doublons. Pour autant, l'OSCE a décidé de mettre en place une Charte européenne de sécurité. Est-ce que dans le fond ce n'est pas déjà un doublon avec ce qui se passe au niveau des Nations
unies ?
R - Si on raisonnait comme ça, étant donné ce qu'il y a dans la Charte des Nations unies, ça voudrait dire qu'il ne faut rien faire d'autre et que tout arrangement régional d'aucune sorte est inutile ou redondant. On ne peut pas pousser le raisonnement jusqu'ici. On voit bien que les choses doivent s'emboîter. Ce qui est important c'est la cohérence.
En ce qui concerne la Charte de sécurité qui est projetée dans le cadre de l'OSCE et dont les orientations générales sont retenues et sur lequel le travail va se poursuivre, je ne vois pas avec quels autres types d'accord ça fait directement double emploi dans cette zone géographique. Cela créé, cela complète les principes généraux qui existent ou qui sont censés exister pour le monde entier. Vous avez soit un cadre très général mondial dans la Charte des Nations unies, soit des alliances dont le champ de compétences et le champ géographique est plus restreint, vous n'avez pas d'équivalent de ce que serait cette Charte de sécurité, donc je pense qu'il y a une place.
En même temps après il faut faire un travail sans en parler d'ailleurs comme d'un objectif. Je ne dis pas que la complémentarité est constamment réalisée à chaque instant. C'est vrai qu'il y a des phénomènes de compétition ou disons d'émulation, d'émulation entre les organisations et dans certains cas les choses s'ajoutent. Mais je ne crois pas que ça puisse s'appliquer à la Charte de sécurité.
Q - Monsieur le Ministre, vous savez que le Premier ministre turc a évoqué le retrait de la candidature de la Turquie à l'Union Européenne. Certains en Turquie trouvent que ce serait une bonne chose et que ça permettrait d'être débarrassé de ce problème. Quel est votre avis sur ces prises de position ?
R - Madame, j'ai déjà eu l'occasion de dire que nous regrettons que l'Union européenne n'ait pas été en mesure de faire à la Turquie une proposition plus ouverte et plus intelligente. Maintenant je ne veux pas m'ingérer dans le débat entre Turcs. La question se pose entre les responsables turcs. Je dis simplement que mon pays souhaitait que les responsables turcs puissent examiner calmement la proposition qui a quand même été faite et qui concerne la Conférence et qu'à nos yeux cette proposition restait valable.
Q - Une autre question sur un autre sujet que l'OSCE. Le Président Chirac a évoqué la possibilité d'une démarche européenne conjointe avec les Etats-Unis sur le Moyen-Orient cette semaine. Est-ce que c'est une possibilité pour vous, surtout après l'échec de Mme Albright lors de sa rencontre avec M. Netanyahou à Paris ?
R - Il y a une concertation particulièrement étroite en ce moment entre les responsables américains et certains responsables européens à propos de la relance du processus de paix, qui est une nécessité urgente. Cette concertation a été substantielle avec la présidence luxembourgeoise. Et les relations sont très étroites et presque permanentes entre les Américains et les Français et entre les Américains et les Britanniques. C'est un échange d'informations, un échange d'analyses et une réflexion en commun sur les actions qui peuvent être menées. Sur cette base, il peut être possible à un moment donné, à déterminer, qui n'est pas encore fixé, il peut être possible, sur une telle base, de faire une démarche commune. Ce que je voudrais souligner là, c'est que cela serait à ce moment là la concrétisation de ce travail quotidien qui est plus poussé je crois qu'il ne l'a jamais été dans le passé.
Q - J'ai deux questions à vous poser. Tout d'abord, quelle est l'attitude française à propos des criminels de guerre en Bosnie ? Deuxièmement, la France autorisera-t-elle le témoignage de ses militaires au Tribunal pénal international ?
R - Sur le premier point, la position de la France est exactement la même que celle des autres pays. Toutes les autorités françaises à tous les niveaux ont déclaré de très nombreuses fois que tout devait être fait pour que tous les criminels de guerre aient à rendre compte de leurs actes devant le Tribunal de La Haye. Il n'y a pas de position française spéciale sur ce sujet. D'ailleurs, on sait très bien que, sur cette affaire, les responsabilités des uns et des autres sont imbriquées et que les décisions ne sont pas prises pas un pays seul, isolément des autres. Le Secrétaire général de l'OTAN a rappelé il y a trois jours les règles de fonctionnement.
En ce qui concerne le témoignage devant le Tribunal de La Haye, la France coopère déjà. De très nombreuses auditions préparatoires ont eu lieu. Mais en ce qui concerne la participation directe des témoins à la procédure, la France discute avec le procureur général du Tribunal sur les conditions dans lesquelles elle se déroulerait. Nous pensons qu'il faut une rigueur complète et un certain nombre de garanties pour que des témoins ne soient pas traités comme des inculpés. C'est un des sujets dont j'ai parlé avec Mme Arbour à Paris il y a quelques jours. Elle m'a fait part de ses demandes, j'ai pris note de ses demandes et nous continuons à discuter avec elle.
Q - On a dit l'an dernier qu'une personne devrait représenter l'Europe pour sa politique étrangère, un Monsieur X. A quoi devrait ressembler ce Monsieur X, à M. Kohl, à M. Chirac ou à M. Gorbatchev. Par ailleurs, l'Europe restera-t-elle démocratique ?
R - Cher Monsieur, je ne peux pas, alors que je suis déjà en retard, me lancer dans une vaste fresque sur l'avenir de l'Europe. Pour le moment, l'organe suprême en Europe, c'est le Conseil européen, qui est composé de gens qui ont tous été élus par leur peuple. On ne peut pas imaginer un système plus démocratique. Chaque pays qui adhérera à l'Europe sera représenté par les personnalités qui auront été élues par le peuple. Quant à la représentation unique de l'Europe, le problème ne se pose pas en fonction d'une personne. Certains ont proposé que la présidence tournante dure plus longtemps, par exemple. Aujourd'hui elle ne dure que six mois. D'autres propositions ont été faites, tout ça n'est pas encore tranché. Si on veut rester démocratique, comme c'est votre souhait, on ne peut justement pas inventer une solution artificielle. On a l'impression que les choses avancent trop lentement, mais c'est justement parce que tout est véritablement débattu de façon loyale et démocratique entre tous les participants. A long terme, je suis optimiste sur tout ça.
Q - Il doit y avoir avant la fin du siècle un Sommet de l'OTAN et un Sommet de l'OSCE. Lequel aura lieu en premier ? A laquelle des deux solutions va la préférence de la France ?
R - Je n'ai pas d'avis tranché sur ce point. Comme je vous l'ai dit, compte tenu de ce que j'ai répondu à la première question, il ne faut pas se placer sur des terrains de rivalités. Ce sont deux organisations différentes qui n'ont pas les mêmes fonctions, qui n'ont pas les mêmes participants, donc c'est un type de question qui ne se pose pas. Il faut apprécier l'utilité du sommet par rapport à la vie de chaque organisation.
Voila, je vous remercie./.
(source http://www.doc.diplomatie.gouv.fr, le 14 septembre 2001)