Conférence de presse de MM. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, Jean-Claude Gayssot, ministre des transports, et de leurs homologues espagnols, MM. Abel Matutes et Arias Salgado, sur les relations franco-espagnoles, les projets de franchissement des Pyrénées (TGV Perpignan Figueras, tunnel du Somport, ligne Pau-Canfranc), l'intervention internationale au Timor, l'identité européenne de défense, la situation de l'Algérie, Madrid le 16 septembre 1999.

Prononcé le

Circonstance : 17ème séminaire franco-espagnol à Madrid du 15 au 16 septembre 1999

Texte intégral

M. Hubert Védrine - Je serai très bref, Mesdames et Messieurs, mais je veux quand même, avant que nous répondions à vos questions, remercier devant tous Abel Matutes pour son invitation à Madrid, pour son accueil toujours très chaleureux, très amical, et pour la réussite de ce séminaire.
C'est une formule qui avait été élaborée à une époque où il y avait de nombreuses difficultés entre la France et l'Espagne, de vrais contentieux, une vraie incompréhension entre les opinions, et où les problèmes, qui sont très nombreux entre tous les pays, étaient difficiles à traiter en raison d'une certaine tension qui se manifestait sur tous les sujets. Au fil des années, ce séminaire a été un instrument très utile, en plus des rencontres au sommet, des sommets bilatéraux proprement dits, pour bien se connaître, dépasser ces difficultés ou ces tensions psychologiques, à tel point qu'aujourd'hui, quand nous nous retrouvons, nous n'avons plus de contentieux, plus aucun problème; nous avons des sujets importants sur lesquels nous travaillons ensemble, sur lesquels nous coopérons, et sur lesquels nous progressons.
Ce séminaire, à Madrid, a été la démonstration de cela, aussi bien sur le plan de la politique étrangère en général, avec la démonstration de la convergence de nos analyses et de nos objectifs sur l'Europe, sur la Méditerranée, sur le Maghreb, sur l'Amérique latine et sur beaucoup de grands sujets : Timor (par exemple) dont on a parlé hier. On a également passé en revue les questions bilatérales dans les domaines des transports, de l'équipement, de la sécurité, sur lequel nous avons mis l'accent cette fois-ci, parce que c'est une bonne formule aussi dans les séminaires de ne pas parler de toutes les questions bilatérales, mais de mettre l'accent sur un ou deux domaines. Tout cela a été une démonstration très heureuse de l'efficacité de cette méthode et nous continuerons dans cet esprit.
En tout cas, les relations entre la France et l'Espagne, on le voit une fois de plus, sont très vivantes, très dynamiques, à la fois sur le plan général et dans les domaines les plus concrets. Donc, je voulais remercier Abel Matutes pour le résumé qu'il a fait - où je me reconnais entièrement - et le remercier aussi d'avoir organisé pour nous cette occasion utile pour les relations franco-espagnoles.
Q - Existe-t-il une initiative concrète française ou espagnole en ce qui concerne le développement de l'Identité européenne de défense, notamment en ce qui concerne l'incorporation de l'UEO dans l'UE ?
D'autre part, ne considérez-vous pas comme excessivement timide la réaction de la Communauté européenne face aux événements qui sont en train de se produire à Timor, et êtes-vous réellement satisfait des décisions qui ont été adoptées par les 15 à ce sujet ?
(...)
R - M. Hubert Védrine - Je vais ajouter un mot sur chacune de ces deux questions. D'abord, en ce qui concerne Timor, je voudrais dire que la qualité d'une réaction diplomatique ou d'une action de politique étrangère ne se mesure pas avec des décibels. Elle se mesure en fonction de son efficacité par rapport à une situation donnée. A propos de ce qui s'est passé après la proclamation du référendum, la réaction des européens a été la même que celle des américains, que celle des australiens, ou que celle des néo-zélandais : il y a eu accord immédiat pour mettre les responsables indonésiens en face du fait que c'était à eux de rétablir l'ordre et la sécurité ou alors d'accepter une force internationale. Aucun pays n'a envisagé de se passer de l'accord de l'Indonésie. Il ne s'agit pas des européens en particulier. C'était la position des Etats-Unis, de l'Australie, de la Nouvelle-Zélande et de tous les pays asiatiques, naturellement. La pression internationale s'est concentrée sur ce point : obtenir l'accord des autorités indonésiennes. Les pressions ont été efficaces, puisque le président Habibie s'est résigné à donner cet accord au nom des autorités civiles et militaires de l'Indonésie. A partir de là, il s'est passé, je crois, trois jours, ce qui est extrêmement rapide, entre l'acceptation par le Président Habibie et le vote de la résolution du Conseil de sécurité qui a créé la force. C'est un résultat très important pour le Timor et, d'une façon générale, parce qu'il confirme le rôle du Conseil de sécurité dans la gestion des crises dans le monde dans le maintien ou le rétablissement de la paix. Ceci fait que, compte tenu de tout cela, j'estime que la réaction des Quinze a été la bonne, que c'était une réaction adaptée et utile. Nous avons demandé lundi dernier une concrétisation sans délai et sans conditions des engagements qui avaient été pris par le président indonésien. Nous savons que c'est lui qui avait accepté le référendum, donc le monde n'est pas en guerre contre lui mais, par des pressions que nous continuons, nous voulons l'aider à renforcer son autorité propre en Indonésie, et par rapport à l'armée. C'est une réaction adaptée et, surtout, animée par l'idée d'être véritablement utile au Timor. Il faut maintenant rétablir d'urgence la paix et la sécurité, et j'espère, comme Abel Matutes, que la force dont les Australiens fourniront l'essentiel, et à laquelle plusieurs pays européens participeront d'une façon ou d'une autre, pourra être sur place ce week-end.
En ce qui concerne l'Identité européenne de défense et de sécurité, je suis tout à fait d'accord avec ce qu'a dit Abel Matutes. Nous progressons, nous avons adopté à Cologne une déclaration à Quinze qui montre qu'il y a un changement de mentalité considérable au sein des Quinze. Il y a encore un an ou deux, il était impossible de parler de défense au sein de l'Union européenne. C'était impossible parce qu'on nous opposait des arguments juridiques: ce n'était pas dans les traités et tout simplement parce que ce n'était pas dans les mentalités. Et en quelques mois, en un an, un an et demi, il y a eu une révolution. Maintenant, non seulement, cela devient normal d'en parler, mais cela devient un des sujets réguliers sur lequel nous travaillons. Nous travaillons dans différentes directions : créer pour l'Europe une filière de décision qui n'existe pas vraiment en matière de défense et de sécurité, augmenter nos capacités, utiliser - c'est une proposition notamment française - des critères de convergence pour que la politique militaire des pays soit de plus en plus proche, pour que l'on puisse agir en commun. Dans ce cadre, il faudra prendre des décisions concernant l'UEO. Ce que nous souhaitons, là je parle pour la France, c'est que les compétences de l'UEO ne soient pas abandonnées, mais qu'elles viennent renforcer l'Union européenne. Une négociation technique et juridique doit être menée pour renforcer cette Identité européenne de défense et de sécurité. Sur ce chemin, la France et l'Espagne se sentent tout à fait proches, elles agissent ensemble et, comme l'a rappelé Abel Matutes, c'était l'objet de la réunion d'hier soir des quatre ministres de la Défense et des Affaires étrangères.
(...)
Q - Qu'attend le gouvernement français du référendum qui a lieu aujourd'hui au sujet de la "Loi du pardon" en Algérie ?
R - M. Hubert Védrine - Sur l'Algérie et sur le référendum qui a lieu en Algérie, c'est évidemment une échéance et une consultation très importantes mais qui concerne au premier chef les Algériens, il appartient aux Algériens de tirer les conséquences du futur résultat de cette consultation. Mais je peux rappeler aisément, ce que mon pays souhaite à propos de l'Algérie : nous souhaitons évidemment que les Algériens finissent de sortir de la tragédie qu'ils ont connue et qu'ils reprennent complètement le contrôle de la situation en matière de sécurité comme c'est déjà largement entamé. Nous souhaitons qu'ils puissent bâtir ou rebâtir cette concorde nationale dont ils parlent. Pour notre part, nous sommes amicaux envers l'Algérie, disponibles et prêts à coopérer.
Q - Monsieur le Ministre, ma question est surtout adressée à M. Matutes, puisque je connais la position de M. Védrine, quel est votre sentiment sur le processus d'élargissement de l'Union européenne : est-ce que vous défendrez un calendrier ? Comment vous vous situez ?
(...)
R - M. Hubert Védrine - J'ajoute un mot : ce sont encore deux points sur lesquels la France et l'Espagne ont vraiment des positions très proches, puisqu'en ce qui concerne l'ouverture de nouvelles négociations, nous aussi nous pensons qu'il faut ouvrir avec l'ensemble des autres candidats ce qu'Abel Matutes appelle "la politique de la régate". En tout cas, il ne faut pas de discrimination. Et, deuxièmement, sur la question de la date d'arrivée, nous pensons qu'il n'est pas raisonnable de fixer à l'avance et a priori de façon un peu artificielle, la date de conclusion de négociations sérieuses. Le plus tôt sera le mieux, bien sûr. Nous sommes sur la même ligne.
(...)
Q - Compte tenu de la demande, semble-t-il assez forte, qui s'exprime ici concernant les franchissements pyrénéens, malgré les pesanteurs qui s'expriment chez nous, ne pourrait-on pas, pour ce qui concerne le tunnel du Somport et pour la liaison ferroviaire Pau-Canfranc, commencer à envisager un calendrier avec des dates ?
R - M. Jean-Claude Gayssot - Monsieur, mon collègue espagnol a dit tout à l'heure ce sur quoi nous avions travaillé. Je dis travailler, parce que sur ces dossiers pointus, précis, je crois que les positions des uns et des autres et la volonté d'avancer ont été affirmées. Alors je veux dire trois choses en particulier. Concernant la partie TGV frontalière Perpignan-Figueras, vous avez entendu que nous confirmions la volonté et l'objectif de la réalisation dans les délais qui ont été fixés. Je peux même vous dire que, côté français, je pense que nous pourrons, dès le début de l'année 2000, enclencher le processus d'enquête pour obtenir la déclaration d'utilité publique dans les délais les meilleurs, et, j'ai affirmé la volonté du gouvernement français d'aider, tout en respectant les procédures - on est obligé à respecter les procédures - à ce que les choses se fassent de la manière la plus rapide et la plus accélérée possible. Je rappelle au passage, concernant cette liaison ferroviaire, qu'il s'agit ,et c'est l'observatoire et la commission intergouvernementale qui l'ont confirmé, de favoriser le trafic de voyageurs et de marchandises. Cela, c'est pour Perpignan-Figueras, c'est-à-dire la ligne qui permettra d'aller de Madrid et Barcelone vers Paris et l'Italie, avec des liaisons rapides.
En ce qui concerne le tunnel du Somport. Bien entendu, nous discutons avec nos collègues espagnols, en fonction de situations précises et particulières de chacun de nos pays.
Mon collègue a dit combien il souhaitait que les conditions soient réunies pour le développement du trafic. J'ai fait référence personnellement à la déclaration commune que nous avons faite, Mme la Ministre de l'Environnement et de l'Aménagement du Territoire et moi-même, pour dire que la vocation de cet itinéraire n'était pas pour nous, a priori, une vocation de grand transit international, mais nous sommes convenus avec mon collègue espagnol qu'il fallait examiner le cadre de l'activité de la région, du respect de la sécurité et de l'environnement pour trouver les meilleures solutions. Il y a des discussions, je pense aux traversées de matières dangereuses, sur lesquelles nous allons travailler.
Mais il y a l'ensemble des Pyrénées, et notamment la liaison Pau-Canfranc dont vous venez de parler. Nous avons mis en place un observatoire que nous mandatons pour une mission nouvelle qui consistera à dire d'ici un an, un petit peu comme nous le faisons en France avec les schémas de services, après avoir regardé l'ensemble des différents modes de transports, quelles sont les nécessités, les réalisations qu'il faut faire pour à la fois répondre aux besoins d'échanges qui ne vont faire que croître et aux besoins de rééquilibrage entre les différents modes, routiers, ferroviaires et maritimes. Et en ce qui concerne Pau-Canfranc, nous attendons la précision des dernières études concernant les trafics et le gouvernement français, de son côté, est favorable, si les conditions de réalisation du trafic sont réunies, à s'engager dans une réalisation ferroviaire. Mais il n'y a pas que Pau-Canfranc, il y a d'autres alternatives ou d'autres propositions, je pense que quand on examinera l'ensemble de la question, le flux des trafics qui sont envisageables, on verra bien qu'il faut créer, à l'est et à l'ouest des Pyrénées, les conditions pour un meilleur passage, un meilleur trafic, mais qu'il faut aussi regarder dans la partie centrale tout ce qui peut être amélioré.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 septembre 1999)