Déclaration de M. Georges Sarre, président du Mouvement des citoyens, sur la campagne présidentielle et sur le bilan de la politique gouvernementale en matière de transports, Annecy le 11 mars 2002.

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Circonstance : Conférence de presse à Annecy le 11 mars 2002

Texte intégral

Mesdames, Messieurs,
Chers Amis,
Depuis hier, la campagne présidentielle est encore descendue d'un niveau. Le débat ne s'engage toujours pas sur les questions de fond et le verrouillage se poursuit.
Quand Lionel Jospin nous livre ses appréciations sur Jacques Chirac, il ne parle pas projet et quand les soutiens du Président de la République montent au créneau, c'est pour répondre en puisant dans la même veine d'inspiration. Le microcosme s'en délecte mais les Français se préoccupent légitimement plus des conflits sociaux que des petites phrases venimeuses.
Or, pendant ce temps, les jours passent sans que Jacques Chirac et Lionel Jospin s'expliquent sur la politique qu'ils mettraient en oeuvre, demain, dans l'hypothèse ou l'un d'entre eux serait élu.
Il faut sauver la campagne présidentielle pour donner du sens à la politique et contraindre le théâtre du pareil au même à faire relâche.
Pour l'élection présidentielle, trop de Français même s'il y en a de moins en moins raisonnent à partir du clivage gauche-droite. Tout se passe comme si les profonds changements survenus en une décennie à gauche comme à droite, qu'il s'agisse de l'idéologie ou de la politique suivie, altèrent l'enthousiasme des électeurs mais pas leur vote. En se prononçant pour Jacques Chirac ou Lionel Jospin, ils croient voter pour la droite ou pour la gauche alors qu'en fait ils votent pour la même politique.
L'opposition véritable tient à la lutte pour les places entre les deux clans puisqu'il n'existe qu'un fauteuil présidentiel. Quand un face à face oppose à la télévision Alain Juppé à Dominique Strauss-Khan les deux protagonistes ou d'autres sont d'accord sur l'ouverture du capital d'EDF, la libéralisation du rail, la privatisation de la poste, de l'exploitation du réseau de la RATP, du traitement social du chômage plutôt que de mettre en uvre une politique industrielle, la construction européenne fédérale, une constitution européenne enlevant en douce citoyenneté et souveraineté aux Français.
C'est devenu public avec la campagne électorale en faveur de Maastricht et depuis tout a encore empiré.
La vérité est simple. Les vrais clivages politiques passent au sein des droites et des gauches et ainsi des gens de droite et de gauche sont d'accord sans le voir, sans le savoir, sans vouloir le reconnaître. C'est à partir de ce constat que se fera l'élection présidentielle de 2002.
Des électeurs de droite et de gauche sont d'accord ensemble pour la modernisation, c'est-à-dire la flexibilité, l'affaiblissement du droit du travail, les fonds de pension, l'ouverture du capital d'EDF, le tout concurrence, la mondialisation libérale, l'effacement de la citoyenneté et des nations dans l'Europe fédérale.
Ils votent pour la même chose mais croient ou font semblant de croire qu'ils soutiennent des candidats réellement adversaires.
Il y a, venant de gauche et de droite, des électeurs qui souhaitent une construction européenne confédérale qui organise la coopération entre les Etats en mettant en oeuvre des coopérations renforcées, une mondialisation maîtrisée, une grande politique industrielle, une croissance forte créatrice d'emplois, une société plus sûre et plus fraternelle et une France dont la voix serait écoutée dans le monde.
C'est dans cet électorat que Jean-Pierre Chevènement peut rassembler prioritairement et massivement.
Telle est la stratégie de Jean-Pierre Chevènement et du Pôle républicain.
Cette stratégie est la conséquence logique d'un constat lucide. Elle peut permettre à Jean-Pierre Chevènement d'arriver au second tour et à partir de là tout est possible.
En ce jour où se confirme la réouverture du tunnel du Mont Blanc et où se concrétisent les menaces de blocus des dépôts pétroliers par les routiers, l'actualité nous invite à évoquer la situation et l'avenir des transports terrestres dans votre région, en France, mais aussi en Europe. Car notre pays par sa situation géographique, se trouve situé au carrefour des échanges routiers et ferroviaires européens.
Je suis venu d'abord, pour exprimer mes craintes sur la situation qui est faite aux transporteurs routiers et sur les dangers qu'elle fait courir au pays. Ensuite pour dénoncer la démagogie et la duplicité qui caractérisent les discours et les actes de ceux qui nous gouvernent à Paris et à Bruxelles. Enfin, pour affirmer l'urgence des efforts à engager pour préparer l'avenir dans le secteur des transports terrestres.
En premier lieu, il faut craindre un nouveau mouvement national de colère des routiers provoqué par le traitement inéquitable qui leur est réservé par le gouvernement et la Commission.
D'abord, par Bruxelles qui encourage une concurrence déloyale entre transporteurs des différents pays en tolérant que la taxation du gazole varie aujourd'hui du simple au double, au détriment de nos transporteurs, qui voient donc leur part de marché décliner au point de ne plus représenter que 45 % des échanges avec nos voisins. Ensuite, par le gouvernement qui impose, pour l'application des 35 heures, des conditions particulièrement restrictives... Comment, dans ces conditions, ne pas comprendre l'exaspération des routiers, qui, depuis des années, n'entendent parler que d'Europe sociale et de concurrence loyale mais constatent avec amertume qu'elle ne s'applique pas à leur profession et que la libre circulation concerne d'abord celle des capitaux ! Peut-être objectera-t-on que la Commission, ces derniers mois a donné un coup d'arrêt aux activités scandaleuses de certains " négriers de la route " exploitant à vils prix des chauffeurs clandestins des pays de l'Est. C'est exact. Mais cependant chacun sait qu'on est encore loin d'avoir harmonisé les rémunérations et conditions de travail, et que dans les transports routiers en Europe comme dans bien d'autres secteurs, l'avantage reste au " moins-disant " social.
En second lieu, je veux évoquer les conditions de réouverture du tunnel du Mont Blanc, et surtout l'avenir des modes de transport alternatif à la route, notamment le rail.
D'abord, pour dire que je partage tout à fait le point de vue exprimé par le Comité de préservation du village des Houches qui a déclaré que " l'accident sous le tunnel du Gothard en Suisse en 2001 aurait dû servir de levier pour sortir de la logique du tout-routier ". J'ajouterai que depuis mars 1999, date de la tragédie du tunnel du Mont Blanc, on aurait dû y penser. Or qu'a-t-on fait ? Hélas, on a beaucoup polémiqué sur les responsabilités, comme aujourd'hui sur la date de la réouverture au trafic de camions. A preuve la pitoyable querelle gouvernementale actuelle : Yves Cochet déclarant à la sortie du Conseil des Ministres de la semaine dernière, je cite : " une expérimentation purement automobilesque (sic !) devra durer quelques mois, avant qu'on puisse envisager l'extension aux camions ". Avant d'être démenti hier, par Jean-Claude Gayssot dans le " Journal du Dimanche " annonçant la réouverture du tunnel aux camions dès la fin de cette semaine, tout en précisant qu'il va réduire de 40 % le trafic des camions au Mont Blanc et en suggérant qu'il va aussi réduire celui empruntant le tunnel de Fréjus. Tandis que Noël Mamère vient d'ajouter sa note " Verte " à cette cacophonie en annonçant " qu'il ira soutenir les Chamoniards contre cette décision ", avant de partir en vacances au Maroc.
Tandis que ce matin Matignon semble démentir le ministre des transports Jean-Claude Gayssot, et louvoie.
Devant tant de démagogie et d'improvisation, il faut dire : " Assez ! ". Que Noël Mamère et Yves Cochet nous disent où doivent circuler aujourd'hui les camions interdits de passage dans la vallée de Chamonix. Dans la vallée de la Maurienne, déjà actuellement saturée ? Que Jean Claude Gayssot aussi nous précise comment il va faire respecter la réduction du trafic de 40 % annoncée et organisée par le système d'alternance et de régulation du trafic, sans provoquer d'inévitables embouteillages. Les parcs de stationnement ne sont pas assez grands. Que se passera-t-il quand les files de camions s'étendront à l'infini ?

L'importance c'est la mise en scène pour faire passer la pilule.
C'est pourquoi la semaine prochaine le gouvernement inaugurera le prototype du wagon surbaissé du système MODALHOR : " grâce au ferroutage, grâce aux transports de camions sur wagons ! " va-t-il clamer. Ce sera une inauguration alibi. Or, il faut savoir, comme le disent dès à présent les cheminots, que le ferroutage va rester d'usage très limité car il nécessite de très importants travaux notamment pour mettre les tunnel ferroviaires au gabarit des camions.
Or les crédits n'existent pas. Des années et des années ont été perdues par manque d'investissement parce que sur ces sujets le gouvernement poursuit son train-train et que la volonté du pouvoir est inscrite aux abonnés absents.
Autant dire que toutes ces déclarations et manifestations ministérielles ne sont que gesticulations médiatiques à usage électoral, et renvoient aux successeurs des mesures qui auraient dû être prises depuis des années ! Car c'est depuis dix ans qu'on voit s'amplifier la dérive du tout-routier que Jacques Chirac, Alain Juppé et Bernard Pons ont encouragé en attaquant ou bridant la SNCF, notamment dans le secteur du fret. Quant à la Commission de Bruxelles, elle n'a su que parler de " concurrence ", à l'imitation de Margaret Thatcher, en oubliant délibérément de s'intéresser aux infrastructures, sauf au sommet d'Essen, il y a une dizaine d'années, en refusant depuis lors de dégager les moyens financiers correspondants.
Le résultat on le connaît aujourd'hui. Il suffit d'aller au cinéma voir le film de Ken Loach (The Navigators) pour comprendre les causes et conséquences de l'état de délabrement actuel du réseau britannique. Pour comprendre aussi le coût nécessaire aujourd'hui à sa restauration qui impose ainsi à Tony Blair l'équivalent de 400 milliards de francs d'investissements publics, soit deux fois le montant de la dette actuelle de la SNCF !
En dernier lieu, je souhaite dire que l'heure n'est donc pas à s'engager dans la voie de la libéralisation du fret ferroviaire, comme s'apprête à le faire le Conseil européen à Barcelone en fin de semaine, pour permettre à Vivendi d'écrémer quelques trafics rémunérateurs. L'urgence est toute autre. Elle est de définir et choisir le financement collectif de nouvelles infrastructures ferroviaires. Les responsables les plus avisés le disent, tel Strasbourg, le rapporteur socialiste espagnol sur le livre blanc des transports qui déclare qu'il n'y a aucune corrélation entre les mesures proposées par la Commission et les ressources disponibles ! Ou même à Bruxelles le Directeur des transports qui déplore : " Il manque 350 milliards d'euros pour doter l'Europe d'un réseau digne de ce nom. Or, l'Union n'y consacre aujourd'hui pas plus de 12 milliards par an " (soit 30 fois moins !).
De même qu'à Paris, où le dernier rapport du Conseil Supérieur du Service Public Ferroviaire permet de constater que la France est le pays où aujourd'hui l'investissement ferroviaire par habitant, évalué à 200 francs par an, est le plus faible en Europe, contre 600 francs pour le reste de l'Union et 1400 francs pour la Suisse, qui investit dans le ferroutage tout en anticipant des recettes en retour.
Il est donc à nouveau nécessaire en France, de rappeler que gouverner, c'est prévoir !
Notamment en matière de transports. Raison pour laquelle depuis des années, Jean-Pierre Chevènement rappelle, les engagements pris au sommet d'Essen en matière d'infrastructures. Raison pour laquelle aujourd'hui, il réclame 90 milliards d'euros d'investissements en travaux de grande ampleur, financés par un emprunt émis par les Etats de l'Union, afin de donner corps à cette " Europe des projets " dont on nous parle sans véritablement la vouloir.

Pour ma part, j'ajouterai que, dans l'immédiat et pour répondre à l'urgence d'une décongestion des voies alpines dans l'attente de la réalisation de l'axe Lyon-Turin d'ici dix ans, et des effets du ferroutage transalpin, il convient de créer entre l'Espagne, la France et l'Italie " l'autoroute de la mer " dont on parle depuis des années mais en vain, faute de moyens suffisants, alors que les investissements requis en navires routiers appropriés sont infiniment moindre que le coût des tunnels. Raison pour laquelle, je demande que les maigres crédits européens du programme " Marco Polo ", destinés au développement des liaisons maritimes côtières, soient décuplés ou relayés par des moyens nationaux, pour créer entre les ports italiens et espagnols une noria de navires embarquant et débarquant à Port Vendes, Sète, Marseille et Toulon leurs cargaisons de camions, contribuant ainsi à la sécurité de la circulation à l'aménagement du territoire et à la vitalité de nos ports du Sud.
(Source http://georges-sarre.net, le 20 mars 2002)