Interview de M. François Hollande, premier secrétaire du PS, à RTL le 26 mars 2002, sur les propositions de Lionel Jospin en matière d'emploi, de logement, sur les conceptions du PS concernant le rôle de l'Etat et le modèle libéral, sur la dépénalisation du cannabis.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

R. Elkrieff - L. Jospin a perdu sa courte avance dans les derniers sondages. Est--ce qu'il n'a pas sous-estimé le fait qu'il apparaissait, lui aussi, comme l'autre sortant aux côtés de J. Chirac ?
- "C'est vrai que chacun a un bilan dans cette campagne, chacun a un projet et chacun doit être jugé et en fonction de ce qu'il a fait et en fonction de ce qu'il va dire pour les Français. Nous assumons en tout cas cette double identité. Nous ne sortons pas de nulle part. C'est vrai que les Français nous ont regardé gouverner, Ils nous ont parfois approuvés, parfois contestés. Ils ont vu ce qui avait été fait pour le pouvoir d'achat, pour l'emploi, pour la lutte contre les inégalités et donc ils doivent regarder les promesses, les projets qui leur sont, aujourd'hui, adressés en fonction de ce qui a été fait. Cela vaut également pour le Président sortant. C'est une élection, cela ne vous a pas échappé, présidentielle. Donc il y a un Président sortant, qui a fait sept ans de mandat, et qui doit, à l'évidence, rendre des comptes. Je ne suis pas sûr qu'il soit dans cet état d'esprit."
Il y a un Premier ministre sortant qui a passé cinq ans aussi à Matignon et qui, peut-être, est en train de dire aux Français : "c'était pas mal, vous me faites confiance. Mon adversaire n'est pas très bon et suivez moi encore pour 5 ans" ?
- "C'est important une élection, c'est un moment sérieux dans une démocratie. On va s'engager en à peine trois mois pour 5 ans. Cela vaut la peine, comme citoyen, de se pencher quelques minutes sur les projets, sur les programmes et de voir ce qui peut être fait par les uns ou par les autres. L. Jospin, dans ces prochains jours, va développer tout son projet. C'est-à-dire sur l'emploi - parce qu'on n'en a pas terminé avec le chômage. Il y a encore plus de deux millions de personnes qui attendent de trouver une insertion, une intégration sur le marché du travail. Il va y avoir cette grande réforme du droit à la formation pour toute la vie. Il va y avoir aussi cette proposition, dans une certaine mesure, comparable avec ce qu'on avait fait sur les emplois-jeunes, en 1997, pour le retour à l'emploi des chômeurs de longue durée et notamment pour ceux qui ont plus de 50 ans et qui n'ont pas à quitter le marché du travail en attendant une hypothétique retraite. Il y a, enfin, ce projet de lutte contre la précarité, car on voit bien que notre économie créé de l'emploi, même dans ces périodes un peu de ralentissement."
Cela veut dire zéro SDF, l'expression malheureuse ?
- "Pour les malheureux, j'en conviens. "Malheureuse", je n'en suis pas sûr parce qu'en politique, le devoir qu'on demande aux hommes d'Etat est bien sûr de tenir leurs engagements. C'est l'essentiel. Mais aussi de fixer des perspectives. Si on se dit qu'on ne doit pas tolérer des gens qui dorment dehors dans la rue - sauf ceux qui en font un mode de vie - que ceux qui cherchent un logement, qui vivent dans des abris de fortune, dans des roulottes et cela existe, doivent trouver un logement en dur, cela me paraît être une priorité essentielle. Il faut dire aussi - c'est ce qu'on appelle aussi la Couverture logement universelle - qu'il est quand même aussi anormal dans notre pays que des jeunes, qui veulent accéder à un logement locatif parce qu'ils n'ont pas beaucoup de revenus, même s'ils travaillent, ne puissent pas accéder à ce logement parce qu'on leur demande des cautions, parce qu'on leur demande des garanties qu'ils ne peuvent pas fournir. Là aussi, c'est la Couverture au logement universelle qui permettra, à chaque personne, de pouvoir accéder, bien sûr en payant un loyer, à des logements parce que c'est la meilleure façon de s'intégrer. C'est pourquoi, on doit aussi lutter contre l'insécurité, bien sûr en punissant, bien sûr en prévenant, bien sûr en dissuadant - et il y a beaucoup à faire - mais aussi en appréhendant tous les problèmes de notre société. La sécurité est une priorité. Elle ne peut pas être un préalable comme J. Chirac l'a dit parce que cela voudrait dire qu'on ne ferait plus rien d'autre que ce seul sujet. Même s'il faut le faire et même si on punissait tous les délinquants - ce qui serait déjà beaucoup - il faudrait aussi veiller à ce que la source même de la délinquance soit tarie."
J. Chirac, hier soir, dans un meeting disait, aussi, que, finalement, les socialistes français, par rapport aux sociaux-démocrates européens comme Blair ou Schröder, sont étatiques, pointillistes, autoritaristes en quelque sorte. Finalement, vous donnez deux ou trois exemples de votre programme. C'est toujours l'Etat qui intervient, qui donne des revenus, qui assiste. C'est toujours la conception peut-être des socialistes français par rapport aux autres européens ?
- "Les socialistes français sont volontaristes et tant mieux. Moi, je me souviens d'un candidat en 1995 - vous allez retrouver son nom sans peine - qui nous faisait croire que l'on pouvait lutter contre la fracture sociale par la volonté politique disait-il, le retour de l'Etat, par la force de la loi. Ce candidat a abdiqué de tous ses engagements une fois élu - vous l'avez maintenant reconnu. Mais le rôle d'une élection, c'est bien sûr d'évoquer la responsabilité de l'Etat et du chef de l'Etat. On est dans une élection présidentielle. Qu'il faille s'appuyer sur tous les mouvements de la société, sur les entreprises, sur les partenaires sociaux, sur les associations, bien évidemment. Sur les Français. Mais il faut quand même fixer les priorités, sinon on est dans une action qui sert à quoi ? Pour J. Chirac, sa grande proposition d'hier, est de dire qu'il fallait augmenter les crédits de la Défense. "Ma priorité va être - une priorité d'Etat et je ne le conteste pas - de lancer par exemple le deuxième porte-avions nucléaire". Moi, je ne crois pas, aujourd'hui, même s'il faut faire l'Europe de la défense - parce qu'il faut faire l'Europe de la défense - que la priorité pour les 5 prochaines années soit d'augmenter les crédits militaires. Il a parfaitement le droit de le penser. Il peut le faire d'une manière autoritaire ou d'une manière consensuelle. Je ne suis pas sûr qu'il demandera aux Français leur avis, parce qu'en 1995, son premier acte avait été relancer les essais nucléaires. Belle performance ! Cela nous avait fâchés avec tout le monde. Il est normal qu'il y ait une volonté d'Etat dans une élection présidentielle. Par ailleurs, moi, je revendique le fait qu'effectivement les socialistes français ne soient pas des sociaux-libéraux. Je pense qu'il n'est pas bon dans une mondialisation comme on la connaît que l'on soit seulement des accompagnateurs, que l'on suive le mouvement. Non. Il y a des moments où il faut, lorsqu'on a la capacité d'agir, lorsqu'on a une marge de manoeuvre pour le faire, lorsque l'on doit respecter aussi ce qu'est une société, il faut fixer les priorités et s'y tenir : emplois, sécurité, lutte contre les inégalités, politique fiscale aussi. Je crois qu'il est quand même plus juste de faire une politique fiscale qui donne à chacun, à travers la baisse de la taxe d'habitation, un pouvoir d'achat supplémentaire plutôt que de s'en tenir aux solutions habituelles de la droite - ce qu'a fait J. Chirac encore - de baisser les impôts des plus favorisés. Le vrai adversaire dans cette campagne c'est quand même un modèle libéral. Je ne suis pas pour que nous soyons, nous, la France, conduits vers des solutions à la Berlusconi."
Vous dénoncez la droite derrière la droite, alors que vous présentez comme des modernes ?
- "La gauche c'est moderne et la droite c'est très archaïque"
Deux questions sur la gauche plurielle. Lorsque L. Jospin dit que fumer un joint chez soi est moins dangereux que de boire avant de conduire, est-ce une manière de se réconcilier avec N. Mamère avec lequel il s'est fâché sur le nucléaire et de resolidifier un peu une majorité plurielle un peu fissurée ?
- "C'est une manière de dire qu'il y a beaucoup de fléaux dans notre pays et qu'on peut, parfois, au nom de la liberté individuelle, se donner du plaisir à travers des consommations et qu'on ne doit pas menacer la vie d'autrui. Si je peux compléter : on ne doit pas prendre sa voiture qu'à jeûn et sans avoir pris de joint."
Est-ce qu'on ouvre le chemin d'une dépénalisation ?
- "Non, et justement, dans cette déclaration L. Jospin a été parfaitement clair en disant qu'il n'y aurait pas de dépénalisation du cannabis. Mais il y a aussi les usages, vous les connaissez, ça se pratique. Chacun doit être sûr de ses actes, et donc de ne pas mettre la vie d'autrui en cause. La vie aussi de sa famille. On a aussi vu des reportages, ces derniers jours, à la télévision, sur des mères ou pères qui consommaient de l'alcool et qui aboutissaient à ce que le enfants en souffrent plus directement. C'est vrai aussi pour la drogue."
(source : Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 27 mars 2002)