Déclaration de M. Alain Richard, ministre de la défense, sur les propositions du RPR en matière de sécurité, Paris le 6 février 2002.

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Circonstance : Séminaire socialisme et démocratie, à l'Assemblée nationale le 6 février 2002, sur le thème : "Les vrais clivages entre la gauche et la droite"

Texte intégral

S'il y a des domaines où, au-delà des effets de tribunes et des discours démagogiques, les propositions inscrites dans les programmes apparaissent souvent identiques, la lutte contre l'insécurité en fait assurément partie.
Il est cependant nécessaire de montrer aujourd'hui que deux idées sont tout aussi fausses :
- la caricature d'une gauche laxiste et d'une droite efficace en matière de sécurité ;
- la tentation de dénoncer le " tous pareils " après une lecture rapide des différents projets.
En effet, les discours d'intention très généraux des responsables de la droite pourraient donner à penser que celle-ci propose des mesures radicales. Il ne font en fait que jouer sur les peurs, afin de les attiser dans un but purement électoraliste.
Il suffit pour cela d'écouter les questions des parlementaires de l'opposition lors des dernières séances d'actualité, comme les derniers discours du candidat principal de la droite, discours d'opposition classique, sans aucune imagination. Le député RPR Christian Estrosi en est l'exemple même lorsqu'il s'exclame : " La délinquance a explosé, les Français ont peur, aucune parcelle de notre territoire n'est désormais épargnée ".
Le candidat de la droite, Jacques Chirac, n'est pas en reste. Ses discours cherchent à donner un ton " musclé " et stigmatisent l'augmentation de l'insécurité et de la violence. Mais ils restent des propos d'intention générale tournant à l'incantation sur le thème de l'autorité de l'Etat et du droit à la sûreté pour chaque citoyen.
" Il est indispensable que l'on retienne le principe que toute agression, tout délit doit être sanctionné au premier délit (sic). C'est ce qu'on appelle la tolérance zéro ", déclare-t-il lors de son interview du 14 juillet 2001.
Autre déclaration faite à Tulle, le 12 janvier 2002 : " Quand les dysfonctionnements se multiplient et que tant d'agressions et de délits restent impunis (), quand l'autorité de l'Etat subit des atteintes répétées, il est temps de réagir avec vigueur ".
En revanche, à la lecture des programmes des uns et des autres, c'est l'impression contraire qui se dégage. Tous proposent par exemple l'ouverture de centres éducatifs renforcés, dans une optique plus ou moins répressive suivant les textes. Or il ne s'agit que de la reprise d'une mesure initiée et déjà mise en uvre par le gouvernement Jospin.
A y regarder de plus près, les programmes de la droite recèlent néanmoins des intentions tout à fait différentes des nôtres sur plusieurs points essentiels.
L'augmentation des moyens
Cela revient comme un leitmotiv : il faut plus de moyens pour la sécurité et la justice. " Des mesures financières d'urgence seront prises en faveur de l'équipement de la police, de la gendarmerie et de la justice, en même temps qu'une programmation sur cinq ans sera mise en oeuvre ", peut-on lire par exemple dans le projet du RPR.
Cette volonté d'augmenter les moyens va à l'encontre du discours général de la droite sur les finances publiques, le nombre des fonctionnaires et la réforme de l'Etat. Elle n'est évidemment pas chiffrée et l'effort budgétaire promis reste d'ailleurs complètement indéterminé dans ses proportions. Sauf pour A. Madelin qui propose sous forme de slogan un " plan Orsec de 2 milliards d'euros ".
Cette proposition d'augmentation des dépenses de sécurité est générale, sans détermination d'objectifs à atteindre. Elle apparaît en soi comme une finalité. Jamais n'est évoquée sérieusement la question de savoir combien notre pays est prêt à dépenser pour la protection des biens et des personnes.
Rappelons enfin que la droite cherche surtout en la matière à faire oublier le gouvernement Juppé, qui a gelé les moyens accordés à la police et à la justice, conduisant à une stagnation des effectifs. C'est le gouvernement Jospin qui a réalisé depuis 5 ans un effort budgétaire sans précédent.
La critique sous-jacente et incessante des décisions de justice
Il est inscrit dans le projet du RPR : " Tout délit doit être puni à proportion ". Ce n'est apparemment qu'une reprise anodine du Code pénal et du principe de proportionnalité des peines.
Insidieusement, cela correspond en fait à une critique systématique des décisions de justice. "Les juges jugent mal" et la droite leur reproche de manière générale leur laxisme.
Le 9 janvier, le député UDF mais chiraquien Henri Plagnol publiait un point de vue dans Le Figaro : " Une politique pénale à revoir de fond en comble - Quand le laxisme de certains magistrats choque l'opinion ". Il s'appuie pour cela sur une seule décision de justice !
En fait, la droite voudrait encadrer strictement les décisions de justice et empêcher la prise en compte de la situation particulière à laquelle renvoie chaque jugement. Le candidat Chirac lui-même reprend souvent cette idée de sanction " immédiate et systématique " et à mots couverts stigmatise le laxisme de la justice très régulièrement. Dans ses vux aux corps constitués, le 7 janvier 2002, il s'exprimait ainsi : " L'autorité de l'Etat est souvent mise en question. () Que dire de la justice atteinte dans ce qui fait le cur, la difficulté et la noblesse de son métier, son aptitude à juger et à punir ? ". Si les mots ont un sens, cela signifie que pour J. Chirac, la Justice ne sait pas juger
Mais ne nous y trompons pas, ces discours démagogiques sur la politique pénale cachent en fait une volonté très claire de reprise en main du Parquet et de remise en cause de l'indépendance des magistrats.
La place centrale accordée au maire
La droite affirme vouloir mettre les maires au cur de la politique de sécurité. De deux choses l'une. Soit cela est une reconnaissance de la validité des contrats locaux de sécurité, démarche que nous avons initiée. Soit il y a une réelle volonté de municipaliser la police et de faire du maire un " shérif ".
C'est bien ce qu'exprime Gilles de Robien : " Il faut décentraliser la sécurité de proximité au niveau des moyens, des pouvoirs et des compétences juridiques ". Cette idée est d'ailleurs reprise dans le programme de l'UDF où il est écrit que " le maire sera le garant de l'efficacité de la police de proximité ".
Le RPR veut un "conseil de sécurité de proximité" placé sous la présidence du maire, qui aurait donc autorité sur l'ensemble des acteurs. Et Dominique Perben souhaite créer des "tribunaux communaux", comme J. Chirac proposait le 14 juillet dernier de "déléguer aux maires la responsabilité d'un conseil de la réparation, sous le contrôle du juge naturellement, qui serait en mesure, à chaque délit, de donner une sanction immédiate et certaine". La formule est audacieuse : cette phrase, sans aucun doute soigneusement mûrie, signifie bien que le pouvoir de donner une sanction reviendrait à un conseil dirigé par le maire.
La critique de la police de proximité se double donc d'une fuite en avant vers une politique de sécurité qui ne serait plus que de proximité et deviendrait une compétence essentiellement communale, traduisant bien la tentation du maire-shérif.
Un discours anti-jeunes de plus en plus marqué
La notion de prévention est totalement laissée de côté et le discours stigmatisant les jeunes dans leur ensemble se fait de plus en plus net. L'instauration du couvre-feu pour les mineurs dans certaines villes de droite en est la marque la plus visible. Il est même proposé de généraliser la mesure.
La question de la révision éventuelle de l'ordonnance de 1945 est également symptomatique. On feint d'ailleurs de croire qu'elle n'a pas été modifiée depuis plus de 50 ans.
La question est absente des programmes, en tout cas de manière explicite, sauf pour celui de DL. Mais à l'automne 2001, le groupe RPR de l'Assemblée déposait une proposition de loi visant à abaisser de 16 à 13 ans l'âge minimum permettant la détention provisoire en matière criminelle. Et la plupart des discours des responsables de la droite vont dans ce sens.
Il en est de même de la proposition de supprimer le versement des allocations familiales aux parents de mineurs délinquants. Suivant les moments, Nicolas Sarkozy met en avant l'idée avec force, ou estime au contraire qu'elle n'apporterait aucune solution aux problèmes de la délinquance des mineurs. Renaud Donnedieu de Vabres en parle comme d'une " piste ".
Cela se traduit par des propos plus alambiqués chez J. Chirac qui n'est " pas favorable à des sanctions financières automatiques mais plutôt à des procédures d'avertissement familial mises en uvre par le juge des enfants et qui peuvent aboutir à une amende infligée par le juge ".
On peut ainsi se demander si cela révèle un flou idéologique et de réelles hésitations. Ou s'il s'agit plus probablement de lancer des " perches ", tactique visant à envoyer des signes à certains et tester des mesures auprès de l'opinion.
L'accroissement des moyens de contrainte
De cette approche découle un discours sur la "tolérance zéro", transformée aujourd'hui en "impunité zéro". Jean-Louis Debré déclare ainsi : "Nous n'avons cessé de réclamer une modification de l'ordonnance de 1945 sur la délinquance juvénile pour permettre à la police et à la gendarmerie d'interpeller plus facilement un certain nombre de jeunes, pour leur permettre de les retenir à la disposition de la justice."
Les objectifs se dégagent plus ou moins clairement : accroître le nombre de personnes en détention, étendre largement les possibilités de garde à vue pour les mineurs, généraliser les principes de la détention provisoire et de la comparution immédiate, appliquer une politique pénale beaucoup plus répressive.
On est bien loin de la position de la droite lors de la discussion du projet de loi sur la présomption d'innocence, comme de la société de confiance que le RPR veut promouvoir !
Je dégagerai enfin ce qui fait à mon sens la faiblesse majeure de tous les discours de la droite sur l'insécurité et la justice. Il s'agit d'une ambiguïté profonde dans le rapport à la règle de droit elle-même. A écouter Jacques Chirac devant l'Association des maires de France il y a quelques mois, le respect des règles et des procédures s'opposerait à la compréhension des hommes et conduirait simplement à produire de la bureaucratie.
Ce discours est pour le moins révélateur d'un état d'esprit très prégnant à droite. Il correspond à une tentation stratégique, celle de la contestation populiste d'un système commun de règles et de valeurs, une approche protestataire contre le règne de la loi et de la justice. Toute ressemblance avec des faits existant ou ayant existé au-delà des Alpes ne serait bien sûr qu'une pure coïncidence
Face à ces orientations, il existe heureusement à gauche une force solide et rassemblée. Et comme le disait récemment Lionel Jospin à l'Assemblée : " Il est normal que l'insécurité soit l'objet d'un débat ; il est irresponsable d'en faire l'objet d'une polémique. Ni votre bilan ni vos propositions ne le justifient. "
(source http://www.socialisme-et-democratie.net, le 16 avril 2002)