Texte intégral
A l'occasion de la sortie de son livre Le temps de répondre, Lionel Jospin était invité au JT de Claire Chazal. Cet entretien télévisé a permis au candidat socialiste de revenir sur le projet qu'il soumet au Français.
CLAIRE CHAZAL : Nous retrouvons notre invité, Lionel JOSPIN, Premier ministre et candidat à l'élection présidentielle, à l'occasion de la sortie de votre livre, un livre d'entretien avec Alain DUHAMEL, " Le temps de répondre ". Alors, est-ce que vous avez écrit ce livre, au départ je dirais, pour parler de vous-même, pour faire la lumière sur vous, pour parler de votre gouvernement, des cinq ans de gouvernement ou pour parler d'un projet ?
LIONEL JOSPIN : Pour parler d'un projet, puisque c'est ainsi que le livre se termine mais surtout pour obéir à un besoin intime et politique, en même temps, qui était de prendre le temps de réfléchir, de faire le point dans une sorte d'entre deux finalement, entre ces cinq ans de travail à Matignon, et puis ces deux mois et demi intenses qui sont devant moi et puis, un avenir que les Français décideront.
C. CHAZAL : Alors le livre s'appelle " Le temps de répondre ", il ne s'appelle pas " Le temps de proposer ". Cette partie consacrée aux projets, c'est la dernière, elle est assez peu concrète, je dirais, alors que, par ailleurs, Jacques CHIRAC a annoncé un certain nombre de mesures, notamment sur les impôts. Est-ce que vous n'avez pas peur qu'il ait pris un peu d'avance sur vous ?
L. JOSPIN : C'est un livre, un livre de réflexion, ce n'est pas un exercice de campagne, ce n'est pas une journée sur tel thème ou un programme. J'ai écrit une courte lettre aux Français pour indiquer les raisons de mon engagement dans cette campagne présidentielle, mon désir de faire que la France puisse être présidée autrement, notamment autour de l'idée du respect des engagements, de l'idée de la responsabilité. Et puis, j'ai indiqué justement quels seraient les cinq grands engagements qui seraient les miens, et que j'aurai l'occasion de décliner dans la campagne, notamment par cinq grands rendez-vous, sur cette France active, sûre, juste, forte, moderne. Donc on ne peut pas comparer tout à fait un livre, qui est une réflexion, une conversation, une façon de se plier à un questionnement aussi par un journaliste indépendant et reconnu comme tel, Alain DUHAMEL et puis, des exercices précis de campagne.
C. CHAZAL : Alors, vous comprenez bien que ce qu'on attend, c'est, tout de même, des directions. Il y a une partie importante qui est consacrée à la sécurité, puisque c'est un thème qui est très important pour les électeurs, mais là encore, et vous notamment, vous proposez un grand ministère de la sécurité publique, mais je dirais que Jacques CHIRAC aussi va dans le même sens, est-ce que vous n'avez pas peur de désorienter un peu les électeurs sur ce thème-là ?
L. JOSPIN : Je crois que les électeurs ont besoin qu'on affirme que la sécurité la recherche de la sécurité est un objectif central pour le gouvernement. Ça l'est déjà aujourd'hui, mais il est clair - et je l'indique très clairement dans ce début de campagne - que la sécurité, pour moi, est un défi prioritaire si nous sommes aux responsabilités. Alors ça passe par un engagement précis, ça passe par une responsabilité d'Etat assumée, ça passe par des changements peut-être de structures, on a parlé de ce grand ministère de la sécurité publique, ça passe par des moyens accrus, ça passe par une action résolue contre la délinquance des jeunes, pas de tous les jeunes, il ne s'agit pas de stigmatiser les jeunes qui, parfois, se plaignent de cela, mais d'un certain nombre de jeunes violents
C. CHAZAL : Vous dites que l'ordonnance de 45 n'est pas taboue, au fond.
L. JOSPIN : Absolument, d'ailleurs elle a déjà été modifiée dans le passé et elle le sera encore, et notamment nous devons mettre en place des structures, nous en avons mises en place déjà pour les jeunes qui ont des problèmes de violences auxquels il faut répondre, et même nous envisageons des structures fermées, mais encore faudra t-il aussi continuer à traiter les causes globales de la violence, c'est-à-dire l'ensemble des causes sociales. Mais traiter les causes sociales, ce n'est pas considérer que chaque jeune ne doit pas assumer sa responsabilité et que chaque acte d'incivilité, ou de violence ne doit pas être réprimée.
C. CHAZAL : Alors on a le sentiment, quand on lit le livre et même quand on vous a entend, déjà au début de cette campagne, que, au fond, vous avez peut-être mis de côté le socialisme de vos débuts et que ce projet s'oriente vers plutôt une sociale démocratie, vous avez même dit d'ailleurs, " Mon projet n'est pas socialiste ". Est-ce que vous n'avez pas peur de désorienter je dirais de décevoir les électeurs de gauche ?
L. JOSPIN : Je crois que les électeurs de gauche savent que je suis socialiste, ils savent que je dirige depuis cinq ans une majorité plurielle, qui est une majorité de gauche. J'ai eu l'occasion de préciser que c'était peut-être au centre de cette majorité qu'il fallait me situer davantage, mais en même temps à partir de cette inspiration, nous devons moderniser les moyens de notre action, nous devons aussi prendre en compte l'évolution du monde telle qu'elle est, et c'est ça qui justifie que nous nous adressions à l'ensemble des Français, pas seulement à certaines catégories de Français. Moi, je dis à un moment dans ce livre que la France est un pays riche avec trop de pauvres, je parle de ses contrastes, je parle de ses aspirations, mais aussi de ses contradictions, je parle de la différence dans les conditions de vie des Français. Et autant je veux que ceux qui créent, qui innovent, qui ont des postes sûrs, des salaires, qui s'adaptent à ce qu'on appelle la mondialisation, ne soient pas freinés dans leur esprit d'initiative, autant je ne veux pas que les hommes et les femmes, dont les revenus sont plus faibles, dont la situation est plus précaire ou qui parfois ont du mal à s'adapter à cette modernisation, soient oubliés en chemin. Et donc ma démarche, elle est une démarche de réconciliation, elle est une démarche de compromis entre ces deux France, si la France est duale, parce que pour moi il n'y a qu'une France et tous les Français doivent mériter la même attention.
C. CHAZAL : Alors toujours dans cette partie, il y a un chapitre assez important consacré à l'Europe et au monde et notamment à la mondialisation, mais on a bien compris que vous n'étiez pas du côté des anti-mondialisation et qu'il n'était pas question pour vous, notamment, d'éliminer, de supprimer l'OMC ou le FMI.
L. JOSPIN : Moi ce que j'aime dans mon pays - et je pense que les Français ressemblent à la France - c'est, au fond, sa capacité encore de rester original et je dis dans cet ouvrage, dans la troisième partie consacrée aux réflexions et aux projets, qu'il y a en France un triple ressort : un ressort national, un ressort européen et en même temps un ressort universaliste ou mondial. La France n'a pas renoncé à être une nation, elle a une identité, elle entend la garder face aux risques de la globalisation ou de l'uniformisation. Et donc, c'est une chose précieuse que ce pays veuille continuer à exister, à condition bien sûr qu'on ne l'enferme pas à l'intérieur de ses frontières, qu'on ne le coupe pas du courant de la modernité, qu'on ne l'isole pas par rapport à la globalisation, mais ce premier ressort est précieux et c'est ce qui me rend mon pays si précieux aussi.
C. CHAZAL : Et les événements du 11 septembre ont renforcé ce sentiment ?
L. JOSPIN : Les événements du 11 septembre, là, justifient tout à fait le fait que la France garde une vision universaliste et globale. Le monde est plus difficile à interpréter après le 11 septembre. Il n'est plus divisé en blocs, comme il l'a été. Mais en tout cas, il y a une certitude pour nous, c'est que nous devons mener une lutte absolument résolue contre le terrorisme, contre tous les fanatismes, quelle que soit leur inspiration, religieuse ou non, qui peuvent menacer la stabilité du monde ou nos démocraties. D ans cette lutte, nous sommes totalement engagés, les Français et en particulier ce que je représente, si vous voulez. Mais en même temps, ce monde, il est extrêmement complexe, il y a des problèmes très difficiles qui s'y passent, des inégalités de développement considérables, il y a cette globalisation et donc, il faut, ce monde, l'organiser, l'harmoniser, lui donner un sens. Et la France continue à avoir une vision du monde, continue à souhaiter avoir une diplomatie. Je souhaite simplement que cette diplomatie soit plus active et plus claire, à la fois dans les rapports nord-sud, et aussi pour bien poser avec nos amis américains, la façon dont ils assument leur responsabilité mondiale. Après le 11 septembre, ils sont devenus très unilatéraux, et cela ça me préoccupe, comme ça préoccupe d'ailleurs aussi d'autres Européens.
C. CHAZAL : Alors dans l'ouvrage, il y a également une partie importante, je dirais presque la plus importante, consacrée au bilan de ces cinq ans de gouvernement qui, soit dit en passant, est une durée particulièrement longue de la France et de la Vème République. Il n'y a pas beaucoup d'autocritiques dans cette partie, c'est d'ailleurs souligné un peu par l'opposition, est-ce que vous avez des regrets après ces cinq ans ?
L. JOSPIN : Vous allez vous en charger, non de l'autocritique bien sûr, mais de la critique.
C. CHAZAL : De la critique.
L. JOSPIN : Si vous le voulez bien, juste un instant encore avant de passer au bilan, je ne voudrais pas dans ce que j'ai dit sur la France, son originalité, son identité et puis cette présence au monde, cette volonté aussi de lutter contre l'uniformisation du monde, d'où l'exception culturelle, j'étais aux Césars hier, on a eu une année de cinéma français extraordinaire, et on comprend qu'on a intérêt à défendre notre exception culturelle et la diversité culturelle dans le monde. Mais tout ça ne sera possible, bien sûr, que si nous menons une grande politique européenne. Et donc la France, force motrice dans l'Union européenne, union européenne affirmant sa puissance, mais une puissance non dominatrice, pacifique, réussissant son élargissement comme elle a réussi l'euro, c'est quand même le troisième défi et ce troisième ressort de la France. Alors quant au bilan, si vous voulez qu'on commence par
C. CHAZAL : Des regrets
L. JOSPIN : Par l'autocritique ou les regrets - oui j'en ai plusieurs, bien sûr - j'ai le regret de constater que l'insécurité a progressé pendant ces cinq ans, pas d'ailleurs de façon continue et, en outre, c'est une tendance qui avait commencé avant nous, mais enfin nous ne l'avons pas fait reculer. Et moi, j'ai pêché un peu par naïveté, non pas par rapport à l'insécurité, j'étais très conscient qu'il fallait mobiliser des moyens contre et nous l'avons fait d'ailleurs, nous avons nommé plus de policiers, plus de magistrats, plus d'éducateurs mais au fond, je me suis dit, peut-être pendant un certain temps si on fait reculer le chômage, on va faire reculer l'insécurité, parce que c'est quand même une des raisons cette situation de précarité, de sous-emplois, pour l'insécurité. On a fait reculer le chômage, 928.000 personnes encore aujourd'hui ont retrouvé du travail.
C. CHAZAL : Et puis, il est reparti à la hausse depuis huit mois.
L. JOSPIN : Et ça n'a pas eu un effet direct sur l'insécurité. Donc il y a une action résolue à mener contre l'insécurité. J'ai un deuxième regret, qui est d'ailleurs peut-être assez proche, c'est que, au fond, on a eu raison de faire une ou des réformes de la justice, on n'a pas pu aller jusqu'au bout parce que l'opposition nous en a empêché, il fallait l'accord du Sénat, on n'a pas pu réunir le congrès pour affirmer mieux l'indépendance de la justice qui, pour moi, est absolument essentielle, qu'elle soit protégée du pouvoir politique, qu'elle puisse prendre ses décisions librement.
C. CHAZAL : Vous voudrez l'indépendance si vous êtes
L. JOSPIN : D'abord, nous l'avons assurée dans les faits et nous voulions l'inscrire dans les textes constitutionnels
C. CHAZAL : Et vous le referez
L. JOSPIN : Et je le referai, bien évidemment, alors que plusieurs partis de l'opposition, au contraire, veulent revenir sur leurs intentions premières à cet égard. Mais je pense que là aussi, et c'est lié à l'insécurité, peut-être nous aurions dû insister davantage, je dirais, sur les dimensions plus concrètes de la justice. Le dossier des retraites
C. CHAZAL : Il n'a pas été vraiment abordé.
L. JOSPIN : Il a été abordé, il n'a pas été traité au fond, ça n'était pas un engagement que j'avais pris, j'avais pris des engagements sur les 35 heures, j'avais pris des engagements sur les emplois-jeunes, mais
C. CHAZAL : Mais c'est une urgence.
L. JOSPIN : Mais oui, c'est une urgence, ça sera le premier dossier, le premier grand dossier social et de société aussi de la prochaine législature ou de la prochaine mandature, à mes yeux, parce que maintenant le diagnostic est établi et il faut le faire, mais en préservant les systèmes de répartition. Or je vois apparaître dans les propositions d'un des candidats, qui s'est exprimé sur ce sujet, Jacques CHIRAC pour le nommer, à nouveau l'idée
C. CHAZAL : D'épargne.
L. JOSPIN : Des fonds de pensions, c'est-à-dire
C. CHAZAL : Il parle d'une épargne salariale.
L. JOSPIN : Non, non, non, non, c'est nous qui parlons d'épargne salariale. Pas du tout, lui parle de fonds de pension, qui sont donc des fonds de pension individuelle. Nous, nous disons, on peut imaginer une épargne salariale collective, qui serait sous le contrôle des syndicats et donc, c'est quelque chose de très différent et ça établit une différence. Voilà un certain nombre de regrets que je peux avoir, mais vous savez, on a centré, quand même, notre actions sur la lutte contre le chômage, pour une modernisation de notre pays, et on l'a fait dans beaucoup de domaines.
C. CHAZAL : Vous avez parlé des 35 heures, vous n'avez pas le sentiment parfois que dans certains secteurs, son application, l'application des textes a posé beaucoup de problèmes, je pense à la fonction publique, je pense aussi au secteur public hospitalier, et même plus globalement dans votre majorité, Jean-Pierre CHEVENEMENT dit, " Ce n'est pas en travaillant moins qu'on s'en sortira ".
L. JOSPIN : Oui mais essayons de faire un raisonnement de bon sens ; quand on crée en cinq ans quand sont créés - naturellement les entreprises ont joué dans cette affaire un rôle absolument essentiel - mais quand sont créées en cinq ans 1.800.000 personnes de plus, ça veut dire que vous avez 1.800.000 personnes de plus qui travaillent. Quand vous avez 928.000 chômeurs de moins, c'est le chiffre actuel, ça veut dire que vous avez 900.000 personnes qui sont sorties de l'absence de travail pour travailler. Donc
C. CHAZAL : Tout n'est pas lié aux 35 heures.
L. JOSPIN : Mais non ce n'est pas ce que je dis, sauf que les 35 heures ont créé quand même 400.000 emplois dans le secteur privé et elles en créeront plus dans le secteur public, notamment dans le secteur hospitalier. Donc nous avons créé une société du travail, nous avons remis au travail des hommes et des femmes qui en étaient privés. Donc notre philosophie est tout à fait celle-là, mais les progrès de la productivité étant ce qu'ils sont, les dernières lois sociales sur la durée du travail datant pour l'essentiel, les 40 heures de 1936, vous vous rendez compte de la distance dans le temps et pour la dernière, les 39 heures, une heure de gain, de 1981, c'est-à-dire de vingt ans, je pense que nous allons dans le bon sens. Et d'ailleurs, ça n'a pas pénalisé nos entreprises, puisque nous avons connu des taux de croissance supérieurs à ceux de nos voisins et que, actuellement, où la croissance, comme vous le savez, est moins forte, nous avons encore des taux de croissance supérieurs à l'Allemagne ou à l'Italie, par exemple. Donc je craindrais beaucoup les projets de ceux qui veulent remettre en cause les 35 heures, ce n'est certainement pas mon cas.
C. CHAZAL : Ce qui n'est d'ailleurs pas le cas de la droite, qui veut les aménager, mais ne les remettrait pas en cause.
L. JOSPIN : D'abord, je prends acte que donc, si ce projet était un projet négatif, elle nous proposerait de le remettre en cause. Mais en réalité, soyons très précis, à partir du moment où on dit qu'il faut assouplir, c'est-à-dire remettre en cause les repos compensateurs ou les plafonds d'heures supplémentaires, en réalité on remettra en cause les 35 heures. Mais enfin nous aurons ce débat pendant la campagne.
C. CHAZAL : Alors dans ce bilan sur ces cinq ans, vous, vous portez un regard assez critique sur la cohabitation, on va y revenir, mais aussi sur Jacques CHIRAC, sur lequel vous êtes assez sévère, vous parlez d'irresponsabilité, notamment à propos des farines animales, ou vous dites bien qu'il n'a pas le même rapport que vous avec le sens de l'Etat, l'intérêt général, et la vérité ; alors que lui, dans le même temps, il appelle au respect de l'autre. Est-ce que vous n'avez pas peur d'être plus polémique que lui dans cette campagne ?
L. JOSPIN : D'abord Claire CHAZAL, si l'on met bout à bout, dans cet ouvrage qui fait 280 pages, peut-être même 81, les remarques qui portent la façon d'agir comme homme politique, comme président de Jacques CHIRAC, ça fera peut-être trois pages ou trois pages et demi dans le livre. Donc je crois que c'est peut-être une facilité des premiers lecteurs, un peu rapides peut-être, que d'être venus sur cette thématique.
C. CHAZAL : Les termes sont assez sévères sur les conceptions de l'Etat et...
L. JOSPIN : Ah mais, le problème est de savoir si les arguments sont justes. Le problème est de savoir si les engagements pris ont été tenus. Le problème est de savoir, puisque vous parlez des farines animales, si au moment où nous sommes en train de traiter ce problème, mais où il est très important de ne pas affoler l'opinion à tort, pour ne pas provoquer une chute de la consommation, comme cela s'est produit, il est souhaitable qu'il y ait une intervention solennelle avec drapeau français, drapeau européen à la télévision, pour demander immédiatement une interdiction que nous sommes en train de préparer. Parce que quand on interdit les farines animales, ensuite il faut arriver à les stocker, ce sont des farines dangereuses. Si on les stocke n'importe comment et qu'elles pénètrent dans les nappes phréatiques, ça peut avoir des conséquences dramatiques. Donc il s'agissait de choses très sérieuses, je les traite très sérieusement. Et je les traite maintenant parce que maintenant est le moment du débat, le moment où chacun s'exprime. Mais d'une part pendant ces cinq ans, et le président de la République sortant, et moi-même Premier ministre sortant d'une certaine façon, nous avons quand même, en gros, dirigé la politique extérieure de façon à ce que l'image de la France sur la scène internationale soit digne, même si je la souhaiterais désormais plus active. Je n'ai jamais pris en cinq ans - vous ne trouverez pas d'exemples - l'initiative d'une critique ou d'une attaque contre Jacques CHIRAC, l'inverse n'a pas été vrai. Mais il faut quand même admettre maintenant, sauf à ne pas faire d'élection, que lorsque le débat est venu, lorsque le moment d'échanger est venu, et pour peu que vous n'attaquiez pas les personnes, pour peu qu'il n'y ait rien dans votre pensée qui soit bas ou mesquin, que vous caractérisiez les comportements et les Français jugeront.
C. CHAZAL : Alors outre l'homme, il y a une critique - je le disais - très sévère sur la cohabitation, vous dites même qu'un président gaulliste n'aurait pas accepté cinq années de cohabitation, est-ce que vous, si vous vous trouviez dans la même situation après les deux échéances prochaines, est-ce que vous feriez quelque chose, vous renonceriez à cette cohabitation, vous démissionneriez ?
L. JOSPIN : Je suis au début de la campagne du premier tour, il me faudra me qualifier pour le second et la question ne se poserait que si les Français m'accordaient leur confiance dans l'élection présidentielle, confiance que, à l'évidence, je leur demande. Ensuite le vote des Français, c'est le principe de base de la démocratie et du respect que je dois aux Français, le vote des Français doit être respecté. Donc dans cette hypothèse que vous évoquez, il le serait naturellement. Le problème est de savoir si ensuite, ultérieurement et dans la durée, on ne s'efforce pas toujours, en se tournant vers les Français, d'introduire la clarté nécessaire. Mais enfin, rien à priori ne me laisse vraiment penser, mais les électeurs, nos citoyens se détermineront librement, qu'ils ne veuillent pas plutôt assurer de la cohérence au moment de l'élection présidentielle et de l'élection législative, c'est ce que je suggère, ils décideront librement.
C. CHAZAL : Alors il y a une première partie de ce livre, puisque vous rappelez assez longuement avec détail votre carrière politique, vous dites bien que vous voulez mettre au net ce que vous avez fait avant d'aller plus loin, vous revenez sur ce passé trotskiste dont on a parlé, mais vous y revenez assez légèrement. Est-ce que c'est parce que vous n'y attachez au fond pas tellement d'importance ?
L. JOSPIN : Je dis itinéraire politique, je ne dis pas carrière, mais il s'agit d'un parcours, d'un parcours d'un militant d'abord et puis qui ensuite devient un responsable. Oui, j'ai donné à cette période de ma vie, à cet engagement, la place qui lui revient, particulièrement lorsque je regarde les choses aujourd'hui parce qu'il s'agit de quelque chose qui s'est produit il y a environ trente ans. Donc c'est assez loin si vous voulez, et donc je m'en explique en tout cas dans ce livre et c'est en quoi, me semble-t-il, ce livre est, quand même, - de la part d'un candidat juste avant une élection ou au moment où la campagne commence - un exercice dans lequel il rencontre, il rencontre de tout et cette mise au clair est, je crois, une démarche qui, pour moi, était importante. Et donc j'espère qu'elle intéressera les Français parce que finalement ce livre, dans ses parties - le parcours, l'expérience gouvernementale, les propositions - il est fait pour eux. Et le journaliste qui m'a interrogé, qui connaît bien les Français, j'ai eu l'impression qu'il me posait peut-être les questions qu'ils avaient envie de me poser et auxquelles je dois répondre pendant la campagne. Alors j'avais donné à cela la place que ça devait avoir, de toute façon il ne s'agissait pas d'un délit, il s'agissait d'une opinion.
C. CHAZAL : Non il y a juste la question de comprendre comment on résout, je dirais, la contradiction de cette jeunesse où, au fond, on a envie d'être révolutionnaire et puis, l'âge plus mûr où on veut accéder aux plus hautes fonctions de l'Etat.
L. JOSPIN : Oui, j'ai fait l'expérience d'une recherche plus absolue, c'est vrai, et donc j'en connais bien les caractéristiques, la force idéaliste et la dimension finalement un peu irréelle parce que dans nos sociétés, cela ne se produira pas, cela ne se produira plus. Ce mouvement s'est produit aussi dans une époque - celle du début des années 60 - où le contexte politique, idéologique, était profondément différent - vous êtes trop jeune pour vous en rappeler mais je vous le dis.
C. CHAZAL : Alors Lionel JOSPIN, cette campagne, elle est lancée mais elle va être longue, vous le disiez tout à l'heure. On sent bien les électeurs et les Français indécis, il y aura vraisemblablement peut-être beaucoup d'abstentions, qu'est-ce que vous allez leur dire pour essayer de les conquérir, de conquérir ces indécis, pour je dirais donner un souffle à cette campagne de votre côté ?
L. JOSPIN : Les responsables politiques ne peuvent pas agir seuls, ils doivent regarder à mes yeux le bien public, ils doivent s'efforcer de proposer à la fois pour la France dans son rôle dans le monde ou dans l'Europe, pour la société française, c'est-à-dire pour la façon dont les Françaises et les Français vivent ensemble, ils doivent proposer je ne dirais pas un modèle mais une façon d'être ensemble et de vivre qui, je le disais tout à l'heure, doit être fondée sur le fait que chacun aura sa place. Mais en même temps si les Françaises et les Français, eux-mêmes, ne s'engagent pas, s'ils ne prennent pas leur responsabilité, pas simplement la responsabilité des politiques mais la responsabilité des citoyens, nous ne pourrons pas agir. C'est-à-dire à dire que pour moi, il n'y a pas de destin individuel d'un responsable politique comme moi qui vaille si ça ne rejoint pas un destin collectif, mais le destin collectif de la France il doit aussi passionner les Français eux-mêmes. Le rapport des Français, non pas seulement à la politique, non pas seulement à moi qui leur parle là, mais à eux-mêmes à travers tous les autres, il est quelque chose de décisif. C'est cela que j'essaierai de leur dire, mais je le ferai naturellement par rapport à des propositions, par rapport à des projets sur l'emploi, sur la sécurité, sur les retraites, sur la politique internationale, sur la famille. Je dis la famille parce que mardi, je traiterai de ces sujets qui sont très importants, nous avons mené une action importante sur la famille mais je dis la famille, je devrais dire aujourd'hui les familles, parce que ce qui me frappe c'est qu'on a fait le PACS et il n'y a jamais eu autant de naissances, on a fait le PACS et il n'y a jamais eu autant de mariages. Ca veut dire donc que l'institution familiale, elle n'est pas défaite par des évolutions de la société par ailleurs qui prennent encore en compte des évolutions, des préférences sexuelles, des façons de vivre. On peut faire vivre des choses différentes, des familles différentes. Alors c'est tout ça, c'est toute cette diversité, cette contradiction de la société mais aussi cette modernité à laquelle les Français aspirent, qu'ils ont montrées par ailleurs dans leur façon de s'approprier l'euro qui a surpris tout le monde, encore plus bien sûr les euro-sceptiques mais qui a surpris tout le monde. C'est un peu de ça dont je voudrais leur parler, de cette complexité, de ces contrastes mais en même temps avec l'idée qu'au bout du compte il faut faire des choix. Si on propose à chacun ce qu'il a envie d'entendre, si on ne fait pas des choix, il n'y a pas de chemin. Et donc c'est un peu ce chemin, ce cheminement, que je dois essayer de montrer dans la campagne présidentielle et la confrontation avec les autres candidats sera pour moi passionnante et m'y aidera, à condition qu'elle soit tournée vers les Français.
C. CHAZAL : Et sur ce chemin par exemple, est-ce que vous rencontrerez de nouveau Jean-Pierre CHEVENEMENT, je veux dire après le deuxième tour, est-ce qu'il est toujours dans votre famille ?
L. JOSPIN : Ah il est resté dans mon cur, simplement je fais aussi fonctionner ma raison.
C. CHAZAL : Vous parliez tout à l'heure de la famille, il y a les femmes. On voit bien d'après certains sondages que les socialistes ne séduisent pas toutes les femmes, qu'il y a un petit déficit de ce côté-là. Qu'est-ce que vous avez envie de leur dire ou est-ce que vous allez demander, par exemple, à votre épouse de s'engager dans cette campagne pour vous aider ?
L. JOSPIN : Mon épouse s'engagera librement, comme elle le fait. J'aurai l'occasion de m'exprimer le 8 mars devant un public d'hommes et de femmes mais dans lequel il y aura beaucoup de femmes. Il y a des dossiers très importants pour elles. Bon, nous avons conquis avec elles l'égalité politique, la parité politique, enfin au moins dans les élections de liste parce que pour les élections législatives, au scrutin uninominal, on n'en est pas encore là mais enfin, on a fait des pas en avant. Mais il y a deux grandes questions dont je crois qu'elles les préoccupent profondément. Une qui est une question forte, lointaine, et sur laquelle des progrès doivent être fait, c'est l'égalité, l'égalité professionnelle et l'égalité des salaires. C'est assuré dans la fonction publique, ça n'existe pas vraiment dans le secteur privé, donc il faut avancer dans cette direction. Et puis, il y a d'autres dossiers qui surgissent, peut-être parce que les non-dits ne sont plus là, peut-être parce que la chape de plomb du conformisme, la peur du quand dira-t-on se soulève, parce que la société est plus mobile, elles parlent. C'est par exemple tout le dossier des violences, des violences dans la famille, des violences conjugales. Ségolène ROYAL a dit sur ces choses des paroles justes à la fois sensées et sensibles, mais c'est un dossier qu'on doit traiter, nous avons commencé à le traiter. Donc on voit que surgissent à la fois des questions sociales, l'égalité des salaires, et des questions de société mais des questions humaines aussi. C'est de tout ça qu'il faut se saisir.
C. CHAZAL : Alors dans deux mois vous serez fixé sur votre sort, cette dernière question, qu'est-ce que vous ressentez, Lionel JOSPIN, en sachant que - ou en ne sachant pas plutôt d'ailleurs - ce que vous ferez ou ce que vous serez dans deux mois ?
L. JOSPIN : A l'âge que j'ai, se dire qu'on est encore à un carrefour, qu'on ne sait pas quel choix va être fait, qu'on ne sait pas dans deux mois et demi ce que sera sa vie, est-ce qu'elle sera celle d'une responsabilité immense ou en tout cas forte et incroyablement honorable pour moi et qui m'engagera à nouveau d'une autre façon que comme le Premier ministre qui prend les dossiers chaque jour, il s'agira là de grandes orientations, d'arbitrage, d'épauler un gouvernement bien sûr pour l'aider dans son action, ou bien si je serai libéré presque de ce que vous appelez cette carrière politique ? Mais je ne souhaite pas la liberté pour la liberté, je me sens libre aussi en tant que responsable, si je crois que je peux servir mon pays, mais cette impression pour moi que les choses ne sont pas écrites, c'est merveilleux, c'est une forme de rajeunissement. Comme je suis accompagné également de belle façon dans cet itinéraire, je ne pense pas qu'à la dimension personnelle, je pense à tous ceux qui sont dans cette action au plan politique avec moi : les membres du gouvernement, les responsables socialistes. On voit bien qu'ils sont unis, ça c'est une force formidable et c'est une garantie aussi pour l'avenir de la capacité à bien travailler.
C. CHAZAL : Merci infiniment, Lionel JOSPIN, d'être venu nous rendre visite et répondre à cette invitation du journal de TF1, et à bientôt bien sûr dans cette campagne, nous aurons l'occasion de reparler avec vous d'ici le scrutin. Merci beaucoup.
(Source http://www.lioneljospin.net, le 5 mars 2002)
CLAIRE CHAZAL : Nous retrouvons notre invité, Lionel JOSPIN, Premier ministre et candidat à l'élection présidentielle, à l'occasion de la sortie de votre livre, un livre d'entretien avec Alain DUHAMEL, " Le temps de répondre ". Alors, est-ce que vous avez écrit ce livre, au départ je dirais, pour parler de vous-même, pour faire la lumière sur vous, pour parler de votre gouvernement, des cinq ans de gouvernement ou pour parler d'un projet ?
LIONEL JOSPIN : Pour parler d'un projet, puisque c'est ainsi que le livre se termine mais surtout pour obéir à un besoin intime et politique, en même temps, qui était de prendre le temps de réfléchir, de faire le point dans une sorte d'entre deux finalement, entre ces cinq ans de travail à Matignon, et puis ces deux mois et demi intenses qui sont devant moi et puis, un avenir que les Français décideront.
C. CHAZAL : Alors le livre s'appelle " Le temps de répondre ", il ne s'appelle pas " Le temps de proposer ". Cette partie consacrée aux projets, c'est la dernière, elle est assez peu concrète, je dirais, alors que, par ailleurs, Jacques CHIRAC a annoncé un certain nombre de mesures, notamment sur les impôts. Est-ce que vous n'avez pas peur qu'il ait pris un peu d'avance sur vous ?
L. JOSPIN : C'est un livre, un livre de réflexion, ce n'est pas un exercice de campagne, ce n'est pas une journée sur tel thème ou un programme. J'ai écrit une courte lettre aux Français pour indiquer les raisons de mon engagement dans cette campagne présidentielle, mon désir de faire que la France puisse être présidée autrement, notamment autour de l'idée du respect des engagements, de l'idée de la responsabilité. Et puis, j'ai indiqué justement quels seraient les cinq grands engagements qui seraient les miens, et que j'aurai l'occasion de décliner dans la campagne, notamment par cinq grands rendez-vous, sur cette France active, sûre, juste, forte, moderne. Donc on ne peut pas comparer tout à fait un livre, qui est une réflexion, une conversation, une façon de se plier à un questionnement aussi par un journaliste indépendant et reconnu comme tel, Alain DUHAMEL et puis, des exercices précis de campagne.
C. CHAZAL : Alors, vous comprenez bien que ce qu'on attend, c'est, tout de même, des directions. Il y a une partie importante qui est consacrée à la sécurité, puisque c'est un thème qui est très important pour les électeurs, mais là encore, et vous notamment, vous proposez un grand ministère de la sécurité publique, mais je dirais que Jacques CHIRAC aussi va dans le même sens, est-ce que vous n'avez pas peur de désorienter un peu les électeurs sur ce thème-là ?
L. JOSPIN : Je crois que les électeurs ont besoin qu'on affirme que la sécurité la recherche de la sécurité est un objectif central pour le gouvernement. Ça l'est déjà aujourd'hui, mais il est clair - et je l'indique très clairement dans ce début de campagne - que la sécurité, pour moi, est un défi prioritaire si nous sommes aux responsabilités. Alors ça passe par un engagement précis, ça passe par une responsabilité d'Etat assumée, ça passe par des changements peut-être de structures, on a parlé de ce grand ministère de la sécurité publique, ça passe par des moyens accrus, ça passe par une action résolue contre la délinquance des jeunes, pas de tous les jeunes, il ne s'agit pas de stigmatiser les jeunes qui, parfois, se plaignent de cela, mais d'un certain nombre de jeunes violents
C. CHAZAL : Vous dites que l'ordonnance de 45 n'est pas taboue, au fond.
L. JOSPIN : Absolument, d'ailleurs elle a déjà été modifiée dans le passé et elle le sera encore, et notamment nous devons mettre en place des structures, nous en avons mises en place déjà pour les jeunes qui ont des problèmes de violences auxquels il faut répondre, et même nous envisageons des structures fermées, mais encore faudra t-il aussi continuer à traiter les causes globales de la violence, c'est-à-dire l'ensemble des causes sociales. Mais traiter les causes sociales, ce n'est pas considérer que chaque jeune ne doit pas assumer sa responsabilité et que chaque acte d'incivilité, ou de violence ne doit pas être réprimée.
C. CHAZAL : Alors on a le sentiment, quand on lit le livre et même quand on vous a entend, déjà au début de cette campagne, que, au fond, vous avez peut-être mis de côté le socialisme de vos débuts et que ce projet s'oriente vers plutôt une sociale démocratie, vous avez même dit d'ailleurs, " Mon projet n'est pas socialiste ". Est-ce que vous n'avez pas peur de désorienter je dirais de décevoir les électeurs de gauche ?
L. JOSPIN : Je crois que les électeurs de gauche savent que je suis socialiste, ils savent que je dirige depuis cinq ans une majorité plurielle, qui est une majorité de gauche. J'ai eu l'occasion de préciser que c'était peut-être au centre de cette majorité qu'il fallait me situer davantage, mais en même temps à partir de cette inspiration, nous devons moderniser les moyens de notre action, nous devons aussi prendre en compte l'évolution du monde telle qu'elle est, et c'est ça qui justifie que nous nous adressions à l'ensemble des Français, pas seulement à certaines catégories de Français. Moi, je dis à un moment dans ce livre que la France est un pays riche avec trop de pauvres, je parle de ses contrastes, je parle de ses aspirations, mais aussi de ses contradictions, je parle de la différence dans les conditions de vie des Français. Et autant je veux que ceux qui créent, qui innovent, qui ont des postes sûrs, des salaires, qui s'adaptent à ce qu'on appelle la mondialisation, ne soient pas freinés dans leur esprit d'initiative, autant je ne veux pas que les hommes et les femmes, dont les revenus sont plus faibles, dont la situation est plus précaire ou qui parfois ont du mal à s'adapter à cette modernisation, soient oubliés en chemin. Et donc ma démarche, elle est une démarche de réconciliation, elle est une démarche de compromis entre ces deux France, si la France est duale, parce que pour moi il n'y a qu'une France et tous les Français doivent mériter la même attention.
C. CHAZAL : Alors toujours dans cette partie, il y a un chapitre assez important consacré à l'Europe et au monde et notamment à la mondialisation, mais on a bien compris que vous n'étiez pas du côté des anti-mondialisation et qu'il n'était pas question pour vous, notamment, d'éliminer, de supprimer l'OMC ou le FMI.
L. JOSPIN : Moi ce que j'aime dans mon pays - et je pense que les Français ressemblent à la France - c'est, au fond, sa capacité encore de rester original et je dis dans cet ouvrage, dans la troisième partie consacrée aux réflexions et aux projets, qu'il y a en France un triple ressort : un ressort national, un ressort européen et en même temps un ressort universaliste ou mondial. La France n'a pas renoncé à être une nation, elle a une identité, elle entend la garder face aux risques de la globalisation ou de l'uniformisation. Et donc, c'est une chose précieuse que ce pays veuille continuer à exister, à condition bien sûr qu'on ne l'enferme pas à l'intérieur de ses frontières, qu'on ne le coupe pas du courant de la modernité, qu'on ne l'isole pas par rapport à la globalisation, mais ce premier ressort est précieux et c'est ce qui me rend mon pays si précieux aussi.
C. CHAZAL : Et les événements du 11 septembre ont renforcé ce sentiment ?
L. JOSPIN : Les événements du 11 septembre, là, justifient tout à fait le fait que la France garde une vision universaliste et globale. Le monde est plus difficile à interpréter après le 11 septembre. Il n'est plus divisé en blocs, comme il l'a été. Mais en tout cas, il y a une certitude pour nous, c'est que nous devons mener une lutte absolument résolue contre le terrorisme, contre tous les fanatismes, quelle que soit leur inspiration, religieuse ou non, qui peuvent menacer la stabilité du monde ou nos démocraties. D ans cette lutte, nous sommes totalement engagés, les Français et en particulier ce que je représente, si vous voulez. Mais en même temps, ce monde, il est extrêmement complexe, il y a des problèmes très difficiles qui s'y passent, des inégalités de développement considérables, il y a cette globalisation et donc, il faut, ce monde, l'organiser, l'harmoniser, lui donner un sens. Et la France continue à avoir une vision du monde, continue à souhaiter avoir une diplomatie. Je souhaite simplement que cette diplomatie soit plus active et plus claire, à la fois dans les rapports nord-sud, et aussi pour bien poser avec nos amis américains, la façon dont ils assument leur responsabilité mondiale. Après le 11 septembre, ils sont devenus très unilatéraux, et cela ça me préoccupe, comme ça préoccupe d'ailleurs aussi d'autres Européens.
C. CHAZAL : Alors dans l'ouvrage, il y a également une partie importante, je dirais presque la plus importante, consacrée au bilan de ces cinq ans de gouvernement qui, soit dit en passant, est une durée particulièrement longue de la France et de la Vème République. Il n'y a pas beaucoup d'autocritiques dans cette partie, c'est d'ailleurs souligné un peu par l'opposition, est-ce que vous avez des regrets après ces cinq ans ?
L. JOSPIN : Vous allez vous en charger, non de l'autocritique bien sûr, mais de la critique.
C. CHAZAL : De la critique.
L. JOSPIN : Si vous le voulez bien, juste un instant encore avant de passer au bilan, je ne voudrais pas dans ce que j'ai dit sur la France, son originalité, son identité et puis cette présence au monde, cette volonté aussi de lutter contre l'uniformisation du monde, d'où l'exception culturelle, j'étais aux Césars hier, on a eu une année de cinéma français extraordinaire, et on comprend qu'on a intérêt à défendre notre exception culturelle et la diversité culturelle dans le monde. Mais tout ça ne sera possible, bien sûr, que si nous menons une grande politique européenne. Et donc la France, force motrice dans l'Union européenne, union européenne affirmant sa puissance, mais une puissance non dominatrice, pacifique, réussissant son élargissement comme elle a réussi l'euro, c'est quand même le troisième défi et ce troisième ressort de la France. Alors quant au bilan, si vous voulez qu'on commence par
C. CHAZAL : Des regrets
L. JOSPIN : Par l'autocritique ou les regrets - oui j'en ai plusieurs, bien sûr - j'ai le regret de constater que l'insécurité a progressé pendant ces cinq ans, pas d'ailleurs de façon continue et, en outre, c'est une tendance qui avait commencé avant nous, mais enfin nous ne l'avons pas fait reculer. Et moi, j'ai pêché un peu par naïveté, non pas par rapport à l'insécurité, j'étais très conscient qu'il fallait mobiliser des moyens contre et nous l'avons fait d'ailleurs, nous avons nommé plus de policiers, plus de magistrats, plus d'éducateurs mais au fond, je me suis dit, peut-être pendant un certain temps si on fait reculer le chômage, on va faire reculer l'insécurité, parce que c'est quand même une des raisons cette situation de précarité, de sous-emplois, pour l'insécurité. On a fait reculer le chômage, 928.000 personnes encore aujourd'hui ont retrouvé du travail.
C. CHAZAL : Et puis, il est reparti à la hausse depuis huit mois.
L. JOSPIN : Et ça n'a pas eu un effet direct sur l'insécurité. Donc il y a une action résolue à mener contre l'insécurité. J'ai un deuxième regret, qui est d'ailleurs peut-être assez proche, c'est que, au fond, on a eu raison de faire une ou des réformes de la justice, on n'a pas pu aller jusqu'au bout parce que l'opposition nous en a empêché, il fallait l'accord du Sénat, on n'a pas pu réunir le congrès pour affirmer mieux l'indépendance de la justice qui, pour moi, est absolument essentielle, qu'elle soit protégée du pouvoir politique, qu'elle puisse prendre ses décisions librement.
C. CHAZAL : Vous voudrez l'indépendance si vous êtes
L. JOSPIN : D'abord, nous l'avons assurée dans les faits et nous voulions l'inscrire dans les textes constitutionnels
C. CHAZAL : Et vous le referez
L. JOSPIN : Et je le referai, bien évidemment, alors que plusieurs partis de l'opposition, au contraire, veulent revenir sur leurs intentions premières à cet égard. Mais je pense que là aussi, et c'est lié à l'insécurité, peut-être nous aurions dû insister davantage, je dirais, sur les dimensions plus concrètes de la justice. Le dossier des retraites
C. CHAZAL : Il n'a pas été vraiment abordé.
L. JOSPIN : Il a été abordé, il n'a pas été traité au fond, ça n'était pas un engagement que j'avais pris, j'avais pris des engagements sur les 35 heures, j'avais pris des engagements sur les emplois-jeunes, mais
C. CHAZAL : Mais c'est une urgence.
L. JOSPIN : Mais oui, c'est une urgence, ça sera le premier dossier, le premier grand dossier social et de société aussi de la prochaine législature ou de la prochaine mandature, à mes yeux, parce que maintenant le diagnostic est établi et il faut le faire, mais en préservant les systèmes de répartition. Or je vois apparaître dans les propositions d'un des candidats, qui s'est exprimé sur ce sujet, Jacques CHIRAC pour le nommer, à nouveau l'idée
C. CHAZAL : D'épargne.
L. JOSPIN : Des fonds de pensions, c'est-à-dire
C. CHAZAL : Il parle d'une épargne salariale.
L. JOSPIN : Non, non, non, non, c'est nous qui parlons d'épargne salariale. Pas du tout, lui parle de fonds de pension, qui sont donc des fonds de pension individuelle. Nous, nous disons, on peut imaginer une épargne salariale collective, qui serait sous le contrôle des syndicats et donc, c'est quelque chose de très différent et ça établit une différence. Voilà un certain nombre de regrets que je peux avoir, mais vous savez, on a centré, quand même, notre actions sur la lutte contre le chômage, pour une modernisation de notre pays, et on l'a fait dans beaucoup de domaines.
C. CHAZAL : Vous avez parlé des 35 heures, vous n'avez pas le sentiment parfois que dans certains secteurs, son application, l'application des textes a posé beaucoup de problèmes, je pense à la fonction publique, je pense aussi au secteur public hospitalier, et même plus globalement dans votre majorité, Jean-Pierre CHEVENEMENT dit, " Ce n'est pas en travaillant moins qu'on s'en sortira ".
L. JOSPIN : Oui mais essayons de faire un raisonnement de bon sens ; quand on crée en cinq ans quand sont créés - naturellement les entreprises ont joué dans cette affaire un rôle absolument essentiel - mais quand sont créées en cinq ans 1.800.000 personnes de plus, ça veut dire que vous avez 1.800.000 personnes de plus qui travaillent. Quand vous avez 928.000 chômeurs de moins, c'est le chiffre actuel, ça veut dire que vous avez 900.000 personnes qui sont sorties de l'absence de travail pour travailler. Donc
C. CHAZAL : Tout n'est pas lié aux 35 heures.
L. JOSPIN : Mais non ce n'est pas ce que je dis, sauf que les 35 heures ont créé quand même 400.000 emplois dans le secteur privé et elles en créeront plus dans le secteur public, notamment dans le secteur hospitalier. Donc nous avons créé une société du travail, nous avons remis au travail des hommes et des femmes qui en étaient privés. Donc notre philosophie est tout à fait celle-là, mais les progrès de la productivité étant ce qu'ils sont, les dernières lois sociales sur la durée du travail datant pour l'essentiel, les 40 heures de 1936, vous vous rendez compte de la distance dans le temps et pour la dernière, les 39 heures, une heure de gain, de 1981, c'est-à-dire de vingt ans, je pense que nous allons dans le bon sens. Et d'ailleurs, ça n'a pas pénalisé nos entreprises, puisque nous avons connu des taux de croissance supérieurs à ceux de nos voisins et que, actuellement, où la croissance, comme vous le savez, est moins forte, nous avons encore des taux de croissance supérieurs à l'Allemagne ou à l'Italie, par exemple. Donc je craindrais beaucoup les projets de ceux qui veulent remettre en cause les 35 heures, ce n'est certainement pas mon cas.
C. CHAZAL : Ce qui n'est d'ailleurs pas le cas de la droite, qui veut les aménager, mais ne les remettrait pas en cause.
L. JOSPIN : D'abord, je prends acte que donc, si ce projet était un projet négatif, elle nous proposerait de le remettre en cause. Mais en réalité, soyons très précis, à partir du moment où on dit qu'il faut assouplir, c'est-à-dire remettre en cause les repos compensateurs ou les plafonds d'heures supplémentaires, en réalité on remettra en cause les 35 heures. Mais enfin nous aurons ce débat pendant la campagne.
C. CHAZAL : Alors dans ce bilan sur ces cinq ans, vous, vous portez un regard assez critique sur la cohabitation, on va y revenir, mais aussi sur Jacques CHIRAC, sur lequel vous êtes assez sévère, vous parlez d'irresponsabilité, notamment à propos des farines animales, ou vous dites bien qu'il n'a pas le même rapport que vous avec le sens de l'Etat, l'intérêt général, et la vérité ; alors que lui, dans le même temps, il appelle au respect de l'autre. Est-ce que vous n'avez pas peur d'être plus polémique que lui dans cette campagne ?
L. JOSPIN : D'abord Claire CHAZAL, si l'on met bout à bout, dans cet ouvrage qui fait 280 pages, peut-être même 81, les remarques qui portent la façon d'agir comme homme politique, comme président de Jacques CHIRAC, ça fera peut-être trois pages ou trois pages et demi dans le livre. Donc je crois que c'est peut-être une facilité des premiers lecteurs, un peu rapides peut-être, que d'être venus sur cette thématique.
C. CHAZAL : Les termes sont assez sévères sur les conceptions de l'Etat et...
L. JOSPIN : Ah mais, le problème est de savoir si les arguments sont justes. Le problème est de savoir si les engagements pris ont été tenus. Le problème est de savoir, puisque vous parlez des farines animales, si au moment où nous sommes en train de traiter ce problème, mais où il est très important de ne pas affoler l'opinion à tort, pour ne pas provoquer une chute de la consommation, comme cela s'est produit, il est souhaitable qu'il y ait une intervention solennelle avec drapeau français, drapeau européen à la télévision, pour demander immédiatement une interdiction que nous sommes en train de préparer. Parce que quand on interdit les farines animales, ensuite il faut arriver à les stocker, ce sont des farines dangereuses. Si on les stocke n'importe comment et qu'elles pénètrent dans les nappes phréatiques, ça peut avoir des conséquences dramatiques. Donc il s'agissait de choses très sérieuses, je les traite très sérieusement. Et je les traite maintenant parce que maintenant est le moment du débat, le moment où chacun s'exprime. Mais d'une part pendant ces cinq ans, et le président de la République sortant, et moi-même Premier ministre sortant d'une certaine façon, nous avons quand même, en gros, dirigé la politique extérieure de façon à ce que l'image de la France sur la scène internationale soit digne, même si je la souhaiterais désormais plus active. Je n'ai jamais pris en cinq ans - vous ne trouverez pas d'exemples - l'initiative d'une critique ou d'une attaque contre Jacques CHIRAC, l'inverse n'a pas été vrai. Mais il faut quand même admettre maintenant, sauf à ne pas faire d'élection, que lorsque le débat est venu, lorsque le moment d'échanger est venu, et pour peu que vous n'attaquiez pas les personnes, pour peu qu'il n'y ait rien dans votre pensée qui soit bas ou mesquin, que vous caractérisiez les comportements et les Français jugeront.
C. CHAZAL : Alors outre l'homme, il y a une critique - je le disais - très sévère sur la cohabitation, vous dites même qu'un président gaulliste n'aurait pas accepté cinq années de cohabitation, est-ce que vous, si vous vous trouviez dans la même situation après les deux échéances prochaines, est-ce que vous feriez quelque chose, vous renonceriez à cette cohabitation, vous démissionneriez ?
L. JOSPIN : Je suis au début de la campagne du premier tour, il me faudra me qualifier pour le second et la question ne se poserait que si les Français m'accordaient leur confiance dans l'élection présidentielle, confiance que, à l'évidence, je leur demande. Ensuite le vote des Français, c'est le principe de base de la démocratie et du respect que je dois aux Français, le vote des Français doit être respecté. Donc dans cette hypothèse que vous évoquez, il le serait naturellement. Le problème est de savoir si ensuite, ultérieurement et dans la durée, on ne s'efforce pas toujours, en se tournant vers les Français, d'introduire la clarté nécessaire. Mais enfin, rien à priori ne me laisse vraiment penser, mais les électeurs, nos citoyens se détermineront librement, qu'ils ne veuillent pas plutôt assurer de la cohérence au moment de l'élection présidentielle et de l'élection législative, c'est ce que je suggère, ils décideront librement.
C. CHAZAL : Alors il y a une première partie de ce livre, puisque vous rappelez assez longuement avec détail votre carrière politique, vous dites bien que vous voulez mettre au net ce que vous avez fait avant d'aller plus loin, vous revenez sur ce passé trotskiste dont on a parlé, mais vous y revenez assez légèrement. Est-ce que c'est parce que vous n'y attachez au fond pas tellement d'importance ?
L. JOSPIN : Je dis itinéraire politique, je ne dis pas carrière, mais il s'agit d'un parcours, d'un parcours d'un militant d'abord et puis qui ensuite devient un responsable. Oui, j'ai donné à cette période de ma vie, à cet engagement, la place qui lui revient, particulièrement lorsque je regarde les choses aujourd'hui parce qu'il s'agit de quelque chose qui s'est produit il y a environ trente ans. Donc c'est assez loin si vous voulez, et donc je m'en explique en tout cas dans ce livre et c'est en quoi, me semble-t-il, ce livre est, quand même, - de la part d'un candidat juste avant une élection ou au moment où la campagne commence - un exercice dans lequel il rencontre, il rencontre de tout et cette mise au clair est, je crois, une démarche qui, pour moi, était importante. Et donc j'espère qu'elle intéressera les Français parce que finalement ce livre, dans ses parties - le parcours, l'expérience gouvernementale, les propositions - il est fait pour eux. Et le journaliste qui m'a interrogé, qui connaît bien les Français, j'ai eu l'impression qu'il me posait peut-être les questions qu'ils avaient envie de me poser et auxquelles je dois répondre pendant la campagne. Alors j'avais donné à cela la place que ça devait avoir, de toute façon il ne s'agissait pas d'un délit, il s'agissait d'une opinion.
C. CHAZAL : Non il y a juste la question de comprendre comment on résout, je dirais, la contradiction de cette jeunesse où, au fond, on a envie d'être révolutionnaire et puis, l'âge plus mûr où on veut accéder aux plus hautes fonctions de l'Etat.
L. JOSPIN : Oui, j'ai fait l'expérience d'une recherche plus absolue, c'est vrai, et donc j'en connais bien les caractéristiques, la force idéaliste et la dimension finalement un peu irréelle parce que dans nos sociétés, cela ne se produira pas, cela ne se produira plus. Ce mouvement s'est produit aussi dans une époque - celle du début des années 60 - où le contexte politique, idéologique, était profondément différent - vous êtes trop jeune pour vous en rappeler mais je vous le dis.
C. CHAZAL : Alors Lionel JOSPIN, cette campagne, elle est lancée mais elle va être longue, vous le disiez tout à l'heure. On sent bien les électeurs et les Français indécis, il y aura vraisemblablement peut-être beaucoup d'abstentions, qu'est-ce que vous allez leur dire pour essayer de les conquérir, de conquérir ces indécis, pour je dirais donner un souffle à cette campagne de votre côté ?
L. JOSPIN : Les responsables politiques ne peuvent pas agir seuls, ils doivent regarder à mes yeux le bien public, ils doivent s'efforcer de proposer à la fois pour la France dans son rôle dans le monde ou dans l'Europe, pour la société française, c'est-à-dire pour la façon dont les Françaises et les Français vivent ensemble, ils doivent proposer je ne dirais pas un modèle mais une façon d'être ensemble et de vivre qui, je le disais tout à l'heure, doit être fondée sur le fait que chacun aura sa place. Mais en même temps si les Françaises et les Français, eux-mêmes, ne s'engagent pas, s'ils ne prennent pas leur responsabilité, pas simplement la responsabilité des politiques mais la responsabilité des citoyens, nous ne pourrons pas agir. C'est-à-dire à dire que pour moi, il n'y a pas de destin individuel d'un responsable politique comme moi qui vaille si ça ne rejoint pas un destin collectif, mais le destin collectif de la France il doit aussi passionner les Français eux-mêmes. Le rapport des Français, non pas seulement à la politique, non pas seulement à moi qui leur parle là, mais à eux-mêmes à travers tous les autres, il est quelque chose de décisif. C'est cela que j'essaierai de leur dire, mais je le ferai naturellement par rapport à des propositions, par rapport à des projets sur l'emploi, sur la sécurité, sur les retraites, sur la politique internationale, sur la famille. Je dis la famille parce que mardi, je traiterai de ces sujets qui sont très importants, nous avons mené une action importante sur la famille mais je dis la famille, je devrais dire aujourd'hui les familles, parce que ce qui me frappe c'est qu'on a fait le PACS et il n'y a jamais eu autant de naissances, on a fait le PACS et il n'y a jamais eu autant de mariages. Ca veut dire donc que l'institution familiale, elle n'est pas défaite par des évolutions de la société par ailleurs qui prennent encore en compte des évolutions, des préférences sexuelles, des façons de vivre. On peut faire vivre des choses différentes, des familles différentes. Alors c'est tout ça, c'est toute cette diversité, cette contradiction de la société mais aussi cette modernité à laquelle les Français aspirent, qu'ils ont montrées par ailleurs dans leur façon de s'approprier l'euro qui a surpris tout le monde, encore plus bien sûr les euro-sceptiques mais qui a surpris tout le monde. C'est un peu de ça dont je voudrais leur parler, de cette complexité, de ces contrastes mais en même temps avec l'idée qu'au bout du compte il faut faire des choix. Si on propose à chacun ce qu'il a envie d'entendre, si on ne fait pas des choix, il n'y a pas de chemin. Et donc c'est un peu ce chemin, ce cheminement, que je dois essayer de montrer dans la campagne présidentielle et la confrontation avec les autres candidats sera pour moi passionnante et m'y aidera, à condition qu'elle soit tournée vers les Français.
C. CHAZAL : Et sur ce chemin par exemple, est-ce que vous rencontrerez de nouveau Jean-Pierre CHEVENEMENT, je veux dire après le deuxième tour, est-ce qu'il est toujours dans votre famille ?
L. JOSPIN : Ah il est resté dans mon cur, simplement je fais aussi fonctionner ma raison.
C. CHAZAL : Vous parliez tout à l'heure de la famille, il y a les femmes. On voit bien d'après certains sondages que les socialistes ne séduisent pas toutes les femmes, qu'il y a un petit déficit de ce côté-là. Qu'est-ce que vous avez envie de leur dire ou est-ce que vous allez demander, par exemple, à votre épouse de s'engager dans cette campagne pour vous aider ?
L. JOSPIN : Mon épouse s'engagera librement, comme elle le fait. J'aurai l'occasion de m'exprimer le 8 mars devant un public d'hommes et de femmes mais dans lequel il y aura beaucoup de femmes. Il y a des dossiers très importants pour elles. Bon, nous avons conquis avec elles l'égalité politique, la parité politique, enfin au moins dans les élections de liste parce que pour les élections législatives, au scrutin uninominal, on n'en est pas encore là mais enfin, on a fait des pas en avant. Mais il y a deux grandes questions dont je crois qu'elles les préoccupent profondément. Une qui est une question forte, lointaine, et sur laquelle des progrès doivent être fait, c'est l'égalité, l'égalité professionnelle et l'égalité des salaires. C'est assuré dans la fonction publique, ça n'existe pas vraiment dans le secteur privé, donc il faut avancer dans cette direction. Et puis, il y a d'autres dossiers qui surgissent, peut-être parce que les non-dits ne sont plus là, peut-être parce que la chape de plomb du conformisme, la peur du quand dira-t-on se soulève, parce que la société est plus mobile, elles parlent. C'est par exemple tout le dossier des violences, des violences dans la famille, des violences conjugales. Ségolène ROYAL a dit sur ces choses des paroles justes à la fois sensées et sensibles, mais c'est un dossier qu'on doit traiter, nous avons commencé à le traiter. Donc on voit que surgissent à la fois des questions sociales, l'égalité des salaires, et des questions de société mais des questions humaines aussi. C'est de tout ça qu'il faut se saisir.
C. CHAZAL : Alors dans deux mois vous serez fixé sur votre sort, cette dernière question, qu'est-ce que vous ressentez, Lionel JOSPIN, en sachant que - ou en ne sachant pas plutôt d'ailleurs - ce que vous ferez ou ce que vous serez dans deux mois ?
L. JOSPIN : A l'âge que j'ai, se dire qu'on est encore à un carrefour, qu'on ne sait pas quel choix va être fait, qu'on ne sait pas dans deux mois et demi ce que sera sa vie, est-ce qu'elle sera celle d'une responsabilité immense ou en tout cas forte et incroyablement honorable pour moi et qui m'engagera à nouveau d'une autre façon que comme le Premier ministre qui prend les dossiers chaque jour, il s'agira là de grandes orientations, d'arbitrage, d'épauler un gouvernement bien sûr pour l'aider dans son action, ou bien si je serai libéré presque de ce que vous appelez cette carrière politique ? Mais je ne souhaite pas la liberté pour la liberté, je me sens libre aussi en tant que responsable, si je crois que je peux servir mon pays, mais cette impression pour moi que les choses ne sont pas écrites, c'est merveilleux, c'est une forme de rajeunissement. Comme je suis accompagné également de belle façon dans cet itinéraire, je ne pense pas qu'à la dimension personnelle, je pense à tous ceux qui sont dans cette action au plan politique avec moi : les membres du gouvernement, les responsables socialistes. On voit bien qu'ils sont unis, ça c'est une force formidable et c'est une garantie aussi pour l'avenir de la capacité à bien travailler.
C. CHAZAL : Merci infiniment, Lionel JOSPIN, d'être venu nous rendre visite et répondre à cette invitation du journal de TF1, et à bientôt bien sûr dans cette campagne, nous aurons l'occasion de reparler avec vous d'ici le scrutin. Merci beaucoup.
(Source http://www.lioneljospin.net, le 5 mars 2002)