Interview de Mme Christine Boutin, candidate à l'élection présidentielle, à France inter le 29 mars 2002, sur l'assassinat des conseillers municipaux de Nanterre, le suicide du tueur, la violence, les parrainages d'élus et sa place dans les sondages.

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Média : France Inter

Texte intégral

A. Ardisson M. Raoult était votre ami et votre représentant dans les Hauts-de-Seine. Elu de Nanterre, il fait partie des victimes de R. Durn. Dans un premier temps, tout le monde ou presque s'était accordé pour ne pas faire de cette folie un argument de campagne, jusqu'au suicide, la défenestration, dans des conditions qui restent à éclaircir, du coupable. Depuis, la polémique enfle, le ministre de l'Intérieur lui-même parle de dysfonctionnement grave, certains réclament sa démission. Le président socialiste du Conseil régional d'Ile-de-France évoque la responsabilité de l'Etat. J. Chirac fait le lien avec l'insécurité en général, vous, qu'en pensez-vous ?
- "Tout d'abord, mes premières pensées vont naturellement vers le Conseil municipal de Nanterre, mon ami M. Raoult, son épouse, Mari-Jo, ses enfants. Par rapport au suicide du tueur, c'est l'incompréhension pour moi, je n'arrive pas à comprendre ce qui a pu se passer. Il y a certainement des problèmes liés à l'absorption de médicaments, car j'ai été alertée depuis fort longtemps de la violence que pouvait susciter l'absorption d'un certain nombre de médicaments psychotropes. Mais je n'arrive pas à m'expliquer ce qui s'est passé, comment cet homme a pu se jeter par la fenêtre, ça j'avoue, je ne comprends pas."
Vous avez des doutes ?
- "Oui, j'ai des doutes importants, je n'arrive pas à comprendre. J'ai des doutes, mais je n'ai pas de réponse par rapport à ces doutes. Parce que je ne peux pas mettre en cause la compétence de la police qui sait faire son travail. C'était un homme, ce tueur, qui naturellement était en dehors du commun, il méritait un traitement en dehors du commun, une surveillance particulière. Il n'y avait que deux personnes, je ne comprends pas ce qui s'est passé. Je pense que toute la France est comme ça, [pleine d'] interrogations. Alors faut-il en faire un débat électoral ? Je ne le crois pas, ce qui me semble important, c'est de dire qu'il y a dans notre pays une violence, moi je ne parlerai pas d'insécurité, je ne parlerai pas de délinquance. Je constate simplement que notre pays est un pays de profonde violence. Pendant toute ma campagne, qu'est-ce que j'ai entendu, quelle que soit la classe professionnelle - des enseignants, des juges, des médecins, des chefs d'entreprise, des agriculteurs, des travailleurs, des chômeurs ? La phrase commune à tous ces Français, c'est : je ne suis pas reconnu là où je suis, quel est le sens de ma vie ? Voilà la question de la France aujourd'hui et cette interrogation profonde porte en elle-même au fond, une violence qui explose et dont on vient de voir ces actes récents à Nanterre, mais aussi ces jeunes filles, la semaine dernière qui ont martyrisé leur camarade, sans aucune raison. Il ne s'agit pas de voler pour manger, pour prendre de la drogue, pour avoir de l'argent, non ! C'est de la violence à l'état pur."
Il y a un autre sujet qui fait sinon polémique, du moins qui progresse, c'est le problème de la réglementation du port d'armes. Etes-vous pour une réglementation plus restrictive que celle qui existe actuellement, compte tenu de cette violence latente ?
- "Cette idée de toujours courir vers plus de réglementations, ce n'est pas par-là qu'il faut aller, il faut aller vers le sens de la responsabilité des hommes et des femmes. C'est comme pour la sécurité, on ne va pas mettre un policier derrière chaque Français et un policier derrière chaque policier. Le problème est de savoir quelle est la prise de conscience, quelle est la responsabilité, quelle est la liberté dans ce pays ? En fait tout le monde est tétanisé, tout le monde a peur, on ne sait pas de quoi du reste, mais tout le monde a peur, profondément. Moi je ne crois pas qu'il faille davantage de réglementations, ce qu'il faut c'est une prise de responsabilité. Ce M. Durn avait ses armes ; il y a d'autres personnes qui ont des armes et qui ne font pas des choses pareilles. Il y a des fous aussi, il y a beaucoup de fous mais tous les fous ne tuent pas, comme il l'a fait. Il y a une raison profonde à cette violence. Et il l'a dit lui-même : "je voulais exister", c'est ce qu'il a dit aussi lui."
Il y a un autre sujet d'actualité pour la candidate que vous êtes, ce sont les signatures, les fameuses 500 signatures. Vous avez reçu 439 parrainages sur les 611 qui vous avaient été promis. Est-ce que vous allez y arriver d'ici mardi ? Le fait que vous ouvriez une permanence d'alerte, ce n'est pas bon signe ?
- "Non, c'est du réalisme. Moi, j'ai pris le parti de faire de la politique autrement et de dire la vérité. A la différence de tous les autres candidats, j'ai dit que c'était difficile. On s'est aperçu depuis huit jours que certains s'affolent. Moi, je ne m'affole pas, je suis réaliste. Effectivement, j'ai lancé un appel à ces signatures, mais je suis assez confiante et raisonnablement confiante. Cela dit, aujourd'hui, j'en ai 457 exactement, je vais en recevoir encore ce matin, je vais en recevoir demain et mardi, donc je pense que je les aurai, mais c'est vrai que cela n'a pas été facile. Mais personne ne me donne les signatures, moi, ce sont vraiment des actes volontaires et libres."
Que pensez-vous de l'idée avancée par certains candidats, y compris d'ailleurs qui ont eu les 500 signatures, de remplacer à l'avenir cette procédure par une pétition de 100 000 citoyens ?
- "Je suis assez favorable à l'éventualité de faire participer les Françaises et les Français à ces signatures, parce qu'il y a une demande importante. Mais je crois qu'il est aussi nécessaire d'avoir un parrainage par des élus qui sont en responsabilité. Vous savez, les maires des communes, les 36 000 communes de France, moi que je souhaite maintenir aujourd'hui, ont fait aussi la grève des signatures parce qu'ils en ont assez, ils ne veulent plus cautionner le système, ils sont toujours responsables de tout et on leur enlève leurs moyens. Moi, je trouve normal que des élus de proximité puissent toujours donner leur parrainage."
Cela dit, au-delà des signatures, c'est très difficile pour vous de percer cette fois-ci. Un sondage Ipsos vous crédite de 1 %. Pire pour vous, un autre sondage, Sofres pour Le Pèlerin donne L. Jospin comme meilleur défenseur de la famille. Quelle que soit la marge d'erreur des sondages, comment expliquez-vous cela ? Comment analysez-vous vos propres manques ?
- "Sur le sondage du Pèlerin, moi, je trouve que c'est formidable, je suis en quatrième position par rapport à tous les autres sur un sujet où, naturellement, je suis fortement identifiée. Je n'ai rien de plus à dire. En ce qui concerne le pourcentage, attendons le résultat des élections, on verra bien ce qui se passera. Mais simplement, ce que je voudrais rappeler, c'est qu'en 1995, les Verts, Mme Voynet était candidate à l'élection présidentielle, elle a fait 3 % des voix ; M. Balladur a fait plus de 17 %. Qu'est-ce qui a plus pesé sur le plan politique ? Est-ce que ce sont les 17 % des voix de M. Balladur ou les 3 % de Mme Voynet ? Poser la question c'est avoir la réponse. En élection présidentielle, ce n'est pas le chiffre arithmétique qui compte, c'est la possibilité de peser. Et je vous dis que je pèserai dans la vie politique française de demain."
Et vous pèserez auprès de qui ? En clair, quelle est votre attitude vis à vis de monsieur Chirac ?
- "Mon adversaire est monsieur Jospin, c'est tout à fait clair. En ce qui concerne monsieur Chirac, j'ai toujours dit que je ne donnerai pas de consigne de vote pour le deuxième tour. Pour l'instant, je regarde ce qu'il va y avoir dans le projet de monsieur Chirac. Mais mon adversaire est M. Jospin car M. Jospin veut construire une société qui est une société que je combats."
Combien allez-vous aligner de candidats aux législatives, parce que maintenant c'est votre but, ne nous le cachons pas, avec votre Forum des républicains sociaux ?
- "Il y en aura le plus possible, il n'y en aura pas dans toutes les circonscriptions parce que je démarre mon mouvement, mais j'en aurai plus de cinquante, bien sûr."
(Source :Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 2 avril 2002)