Allocution de M. Jacques Chirac, Président de la République, sur la nécessité de développer les relations entre la France et l'Inde, sur l'émergence des marchés d'Amérique du Sud et d'Asie et sur les rôles respectifs de la France et de l'Inde dans l'économie mondialisée, New-Delhi le 25 janvier 1998.

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Circonstance : Voyage en Inde du 24 au 26 janvier 1998-dîner d'Etat offert par Son Excellence M. Kocheril Raman Narayanan, Président de l'Union indienne, à New-Delhi le 25 janvier 1998

Texte intégral

Monsieur le Président,
Monsieur le Premier Ministre,
Mesdames et Messieurs,
Je vous remercie, Monsieur le Président, pour vos paroles de bienvenue et damitié qui me sont allées droit au coeur.
Cest pour moi une grande émotion de revenir en Inde et dêtre ce soir votre hôte dans ce lieu prestigieux, au coeur de la Nouvelle Delhi. Et cest une grande fierté pour la France que vous layez invitée comme hôte dhonneur de votre fête nationale, en cette année où vous célébrez le cinquantième anniversaire de la naissance de lUnion Indienne.
Depuis longtemps, le destin de votre pays parle à lesprit et au coeur des Français. LInde a suscité notre admiration dans la conquête de son indépendance. Il y a plus de trente ans, le Général de Gaulle lévoquait en ces termes : « Ce que nous pouvions voir et savoir de la vie de lInde, de ses épreuves, de sa volonté dêtre libre tout au long des années où elle ne létait plus, nous faisait croire à son grand avenir dès quun jour laurait touché le génie de lindépendance ».
Votre pays est devenu le porte-parole du tiers-monde et le champion des non-alignés. La France, quant à elle, luttait contre lordre bi-polaire et sa logique daffrontement. Aujourdhui, cest ensemble que nous devons construire un monde nouveau, le monde du XXIème siècle.
Vous le savez, je souhaite que la France et lEurope écrivent, avec le continent asiatique tout entier, une nouvelle page de leur histoire. Cest une priorité de notre politique étrangère. Et lInde est naturellement au coeur de cette priorité.
Tout nous invite à travailler ensemble. Nos affinités profondes dabord. Nos deux pays sont deux vieilles nations façonnées par lHistoire, la culture, une vision de lhomme. Lune et lautre ont nourri le monde didéaux. Lune et lautre offrent lexemple de démocraties accomplies qui veulent pour chacun plus de liberté, plus de dignité, plus de justice. Quel beau symbole que ma visite en Inde, pour le cinquantième anniversaire de votre indépendance, coïncide avec les célébrations dans le monde entier du cinquantième anniversaire de ladoption à Paris de la Déclaration Universelle des Droits de lHomme !
Sur notre capital destime et dintérêt, construisons un partenariat ambitieux. Unissons nos efforts pour bâtir ce monde multipolaire quIndiens et Français veulent harmonieux et juste.
La France daujourdhui prépare son avenir dans lUnion européenne. Une Europe qui va sélargir et comptera bientôt 500 millions de femmes et dhommes. Une Europe qui, dans moins dun an, sera dotée dune monnaie unique. Une Europe, première puissance économique du monde, qui pourra alors peser de tout son poids en faveur dun meilleur équilibre du système monétaire international. Une Europe solidaire qui est et restera le premier donneur daide publique. Une Europe, qui saffirme déjà comme lun des tout premiers pôles du monde de demain.
Parmi ces pôles, comment ne pas voir émerger lAmérique du Sud autour du MERCOSUR, lAsie Orientale avec lASEAN, la Chine et le Japon, et bien sûr lAsie du Sud avec lInde et ses voisins rassemblés autour de la SAARC ?
Cette Inde qui nous fascine par sa civilisation, sa culture, son art, sa sagesse, son histoire cinq fois millénaire. Cette Inde qui est aujourdhui un grand pays industrialisé, à la pointe de la science et de la technologie modernes. Cette Inde engagée dans daudacieuses réformes économiques, ouverte sur le monde et qui apporte chaque jour la preuve de son dynamisme et de sa vitalité.
LInde éternelle, mais aussi lInde moderne et puissante, que ma délégation et moi-même sommes venus rencontrer aujourdhui. LInde avec laquelle nous voulons accomplir de grands desseins.
Hier, à Bombay, nos responsables économiques ont identifié de nombreux projets. Les entreprises françaises souhaitent multiplier leurs investissements chez vous. Nous sommes prêts à dambitieux transferts de technologie. Nous vous proposons des initiatives conjointes pour la production dénergie comme pour la recherche scientifique et médicale, notamment la lutte commune contre le SIDA.
Nous devons aussi travailler ensemble à la préservation de notre environnement, à lamélioration des conditions de vie de nos concitoyens, notamment dans les villes.
Tous les secteurs dactivité de la France sont mobilisés pour travailler avec vous, comme en témoigne la présence à mes côtés de nos plus grands dirigeants dentreprises.
Nous vous proposons enfin dintensifier notre dialogue politique et stratégique, de réfléchir à la relance de notre coopération dans le domaine de la défense.
Pour donner toute leur cohérence à ces orientations et développer un partenariat global, il a été décidé dinstaller un Forum dinitiatives franco-indien présidé par de hautes personnalités, le Dr Karan Singh, ancien Ministre de l'Education, et le Sénateur Jean François-Poncet, ancien Ministre des Affaires Etrangères. Entourés déminents représentants de nos deux pays, ils devront explorer de nouveaux champs dactions pour notre coopération.
Car, Monsieur le Président, lInde et la France ont bien des responsabilités à léchelle du monde. Elles doivent les assumer ensemble. Cest ensemble quelles doivent agir au sein de lOrganisation des Nations Unies pour promouvoir sa réforme et assurer la paix et la sécurité. Cest ensemble quelles doivent contribuer à lélaboration des nécessaires règles du jeu dune économie mondialisée, au sein du Fonds Monétaire International et de lOrganisation Mondiale du Commerce. Cest ensemble quelles doivent lutter contre les grands fléaux de notre temps : le crime organisé, la corruption, la drogue, les menaces contre notre environnement.
Monsieur le Président, dans lun de ces fameux dialogues qui réunirent Nehru et Malraux en un passionnant échange entre lInde et lOccident, le Pandit raconta lhistoire de lascète Nârada. Envoyé par Vishnou pour chercher de leau, Nârada fut, en chemin, frappé par la beauté dune jeune fille. Happé par la vie, il en oublia sa mission. Au soir de son existence, il entendit la voix de Vishnou qui lui demanda : « Mon enfant, où est leau ? Jai attendu plus dune demi-heure... ».
Cette histoire, Malraux la rapprocha de lune de nos légendes. Celle de ce moine, perdu dans la forêt à la poursuite dun oiseau merveilleux, et qui, au terme de sa course, retrouve enfin son couvent mais transformé par le temps, tous ses frères morts et son Supérieur dautrefois devenu un vieillard.
Ces deux histoires qui se répondent, Monsieur le Président, cette sagesse de nos deux pays, rappellent, notamment à tous ceux qui ont lhonneur et la responsabilité de conduire le destin de nos peuples, notre humilité au regard de la marche du monde. Elles soulignent linsignifiance de nos vies, notre ardente obligation de les mettre au service dun grand dessein, sans quoi elles ne sont quillusion et vanité.
Ce grand dessein, cest le bonheur et la prospérité de nos peuples. Cest la paix qui devra bien un jour simposer dans le monde. Cest la dignité de chaque homme. Ce grand dessein pour lequel lInde et la France ont convenu de sunir.
Cest fort de cette volonté que je souhaite, Monsieur le Président, porter un toast. Je lève mon verre en votre honneur. Je le lève en lhonneur des hautes personnalités indiennes et françaises qui nous font lamitié de leur présence ce soir. Je le lève en lhonneur du grand peuple indien. Je bois à son bonheur et à sa prospérité. Je bois à la profonde amitié entre lInde et la France.