Texte intégral
I - La " santé retrouvée " de l'UDF
Un grand quotidien national titrait cette semaine sur " la santé retrouvée de l'UDF ". Et il développait notre histoire récente en prenant comme point de départ la perte de la présidence du Sénat en octobre, comme moments cruciaux l'élection d'Anne-Marie Comparini à la présidence de la région Rhône-Alpes, puis la décision que nous avons prise de présenter une liste aux élections européennes, et comme point d'arrivée, comme apogée, l'élection de Nicole Fontaine à la présidence du Parlement européen en juillet.
Cette année-là résume l'aventure de renaissance qui a été la nôtre. L'élection de Nicole Fontaine a été pour nous un moment très important, pas seulement parce qu'elle a marqué aux yeux des plus sceptiques quels avaient été le sens et l'importance de l'aventure que nous conduisions, mais aussi parce que pour notre famille politique, retrouver le rôle de moteur en Europe qui a été le sien dans l'histoire, c'était essentiel. Nous avons su redevenir entraînants et rassembleurs. Mais l'élection triomphale de Nicole Fontaine au premier tour n'est pas seulement due aux rapports de force. Ses qualités propres ont permis de rassembler bien au-delà des rangs politiques du PPE et de nos alliés libéraux. Et il est sans exemple qu'une personnalité puisse marquer de la sorte une assemblée. C'est un succès dont je veux dire en votre nom que nous en ressentons une très grande fierté.
Je reviens à l'article que je citais en commençant : son auteur a dû avoir le sentiment d'un bien long chemin pour aller d'une élection à l'autre, de la présidence du Sénat à celle du parlement européen, car, à deux reprises, il chiffre le temps qui a séparé l'une de l'autre à vingt et un mois ! Or, même si c'est difficile à croire, même pour nous, je suis obligé par la vérité historique de préciser qu'entre octobre 1998 et juillet 1999, il ne s'est écoulé effectivement que neuf mois ! C'est dire que, même pour les observateurs attentifs, cette renaissance, après une longue période d'enlisement, d'effacement, et donc de revers, cette renaissance était difficile à croire.
Nous avons gagné une reconnaissance que nous n'avions pas, et cette reconnaissance nous donne un double devoir. Il nous faut maintenant construire un grand mouvement politique pour le XXIe siècle et reconstruire la démocratie française.
Quitte à continuer à surprendre.
II - La politique malade
Cette détermination serait évidemment indispensable pour nous : nous ne vivrons et n'intéresserons qu'en allant de l'avant. Mais le sujet nous dépasse; il est beaucoup plus important que nous-même et notre avenir : c'est la vie politique française tout entière qui a besoin de sortir des ornières, qui a besoin de retrouver son sens, qui a besoin de passionner et de se passionner, qui a besoin de redevenir simple, juste et forte. J'ai eu, pendant les vacances, le sentiment que jamais, peut-être, pour les Français, l'été n'avait été si loin de la politique.
Cette distance entre les citoyens et l'engagement politique, c'est notre adversaire. Et il est facile de voir que l'éloignement de la politique ressenti par beaucoup de Français n'est que la conséquence ou que la sanction de cette absence de simplicité, de justesse et de force dont nous avons besoin.
Alors pour que la politique redevienne passionnante, simple, juste et forte, il convient de poser les véritables questions de l'heure. La première question est celle de la politique elle-même.
Dans les articles de l'été, j'ai été frappé du retour continuel de cette antienne " il n'y a plus d'idées ". Les uns disant : " il n'y a plus d'idées à droite ". Et les autres " il n'y a plus d'idées du tout " !
Et en effet, lorsqu'on voit dans le champ économique, fiscal et social, la succession des gouvernements, et qu'on veut dépasser les apparences, on a l'impression que sous des noms différents, pour l'essentiel, c'est la même politique qui se fait, ou qu'on laisse faire, depuis des générations. Il y a eu une polémique amusante qui a duré quelques heures pendant l'été pour savoir qui avait privatisé le plus entre 1993 et aujourd'hui. Même en chiffres bruts, sans tenir compte de ce que beaucoup de chemin a déjà été fait, c'est Jospin qui a privatisé le plus. Et quand un gouvernement dit " de gauche " devient recordman des privatisations, on conçoit que bien des Français ne s'y retrouvent pas ! Pour la création d'impôts, les contribuables actifs ont l'impression que le mouvement est toujours le même, vers toujours plus d'impôts. Et Monsieur Fabius en profite pour glisser un caillou dans la chaussure de Monsieur Jospin en prophétisant qu'il pourrait être " battu par les impôts ". Si vous prenez une autre matière, les rapports entre les citoyens et son administration, on a la même impression de continuité, de "déjà vu". On a l'impression que comme cet animal mythique de l'antiquité, l'Hydre de Lerne, chaque fois qu'on annonce qu'on lui coupe la tête, il y en a deux qui repoussent. Et donc la première impression des citoyens est celle-là : " tout ça, c'est la même chose ! ".
Et il existe une deuxième impression, celle de la même impuissance. Cette idée de l'impuissance du politique, elle est forte, elle est profondément nuisible, elle est en partie fondée. Nous avons changé d'époque. Comme toujours, les changements de siècles, de millénaires plus encore, ne sont pas anodins: mystérieusement, ce sont des pages qui se tournent, souvent avec un léger décalage, un peu après, un peu avant, dans l'histoire collective des hommes. Pour le XXe siècle, cela aura correspondu à peu près au chiffre rond. C'est à l'approche de l'an 2ooo que deux phénomènes stupéfiants l'un et l'autre auront conjointement emporté une digue que l'on croyait aussi résistante que le roc. Ce qui est arrivé, vous le savez bien, c'est que le modèle politique socialiste, concurrent du capitalisme, s'est effondré d'un coup, mettant fin à la concurrence historique de la deuxième partie du XXe siècle. L'idée de la gestion de l'économie par l'État centralisé s'est effondrée sur elle-même comme une construction de bois minée par les termites. On s'est aperçu que les idéalistes qui prétendaient faire rimer socialisme avec liberté se trompaient. Que la liberté était pour le socialisme un poison mortel. Que dès qu'il y avait la moindre once de liberté, liberté des échanges, liberté des propos, liberté des images, liberté du marché, il n'y avait plus de socialisme. De sorte que ce que l'on essaie encore de nous vendre sous ce nom en notre France de 1999, c'est moins qu'un ersatz, et tout le monde le sait. C'est une social-démocratie, c'est-à-dire, selon tous les fondateurs du parti socialiste depuis vingt ans, l'ennemi implacable de l'idée qu'ils se faisaient du socialisme à la française. Un reniement historique majeur. Le socialisme a disparu du paysage.
Et en même temps, concurremment, l'incroyable explosion des échanges, l'ubiquité totale, l'instantanéité absolue dans le domaine de l'information, la fin des frontières, ont installé en maître du monde une sorte de capitalisme absolu, désormais sans frontière et sans limites, dont l'arrogance des acteurs n'est bornée que par l'insécurité constante, l'épée de Damoclès perpétuelle de la course éperdue à la concentration.
En face de ce capitalisme absolu, il n'est aucune considération que la puissance publique paraisse en mesure de défendre. Que la démocratie, la République, l'Etat, n'ont aucun moyen de faire respecter leur vocation, c'est-à-dire défendre l'intérêt général. Ni le social, ni le souci de l'emploi, ni l'intérêt national ou européen ne paraissent des arguments audibles. Pour la première fois dans l'histoire de l'humanité, l'intérêt général paraît se trouver ouvertement sans défenseurs !
Il n'y a plus que des intérêts privés, des intérêts financiers, qui parlent haut et commandent en maîtres. Et s'il devait y avoir confrontation entre les intérêts privés et un intérêt général, on ne voit même pas quelles armes pourraient être saisies par un peuple qui voudrait défendre autre chose que des intérêts privés ! Je suis persuadé, je l'ai dit souvent, qu'un jour, cela sera une question majeure pour le monde. Mais c'est spécialement une question pour la France. Parce qu'en France, pour le citoyen, pour l'histoire politique, la politique, c'était l'étatisme. C'est une constante française. L'idée que l'État central et souverain prend en charge, pour la société tout entière, en son nom et à sa place, ses chances et ses carences, pour défendre les unes et corriger les autres, à l'intérieur comme à l'extérieur. Et cela ne date pas d'aujourd'hui !
Sully que j'aime tant faisait du Colbertisme avant Colbert. L'ancien régime y contribua, autant que le Jacobinisme révolutionnaire. Napoléon alla plus loin que tous. Napoléon III égala, même si on le sait moins, sauf par le livre de Philippe Séguin, son illustre oncle. Et de Gaulle en écrivit au XXe siècle une des pages les plus glorieuses. La gauche et la droite ont également défendu et illustré cette idée. La gauche et la droite ont également défendu ce mythe et illustré cette réalité de la démocratie incarnée dans l'Etat Voilà la question qui est devant nous : comment faire de la politique, comment justifier la politique, dans un pays comme la France, quand s'achève et s'épuise la conception étatiste et purement nationale, jacobine, de l'Etat ?
Le jacobinisme, c'est fini, parce qu'il supposait un espace clos, la nation enfermée dans ses frontières, et un acteur unique, l'Etat. Désormais l'espace est ouvert et les acteurs multiples. Il nous faudra du temps pour faire ensemble la théorie d'une démocratie et d'une république qui ne soient pas jacobines.
III - Un projet : contre le "socialisme dépassé", contre le "capitalisme absolu", "l'humanisme intégral"
Cela suppose d'abord un projet nouveau.
Je ne confonds pas le mot " projet " et le mot " programme ". Un programme, c'est une série de mesures, c'est un plan d'action, autour duquel on peut se regrouper, même si l'on n'a pas exactement la même vision de l'avenir. Un projet, c'est une boussole. C'est dire où l'on veut aller, quel monde on veut construire.
Nous voyons les deux mondes qu'on nous propose. D'un côté, un socialisme qui a disparu comme pensée, qui survit comme la lumière des étoiles éteintes, qui s'est affaissé dans la social-démocratie qu'il prétendait refuser. De l'autre, bien présent, bien réel, omniprésent, sans rival et sans contrepoids, le " capitalisme absolu " que je décrivais à l'instant. Ni l'un, ni l'autre, ne sont notre projet. Nous avons combattu l'un quand il était menaçant et nous avons eu raison. De la même manière, il nous faut offrir une alternative à l'autre. Et notre projet, appelons-le par son nom, c'est de construire une société humaniste.
Le mot s'est affadi, il faut lui rendre sa force. Humaniste ! Cela veut dire à la fois une société plus humaine, plus généreuse, plus attentive, et une société dont le but et l'idéal soient d'épanouir l'humanité dans l'homme, ceux qui sont leaders et ceux qui ont du mal à suivre. Epanouir l'humanité dans chaque homme, avec toutes ses richesses, créatives, artistiques, intellectuelles, communautaires, spirituelles, et en faire le but de la société que nous allons construire. Et si vous y réfléchissez bien, cet humanisme, cet " humanisme intégral ", sans concession, c'est le seul projet concurrent que l'on puisse offrir face au " capitalisme absolu ". J'ai même l'impression que ce sera la grande interrogation démocratique du prochain siècle. Les hommes accepteront-ils d'être dessaisis de leur destin par des acteurs animés du seul souci des intérêts privés, ou au contraire voudront-ils le ressaisir ? Et si l'on pose la question sous cette forme, alors voilà une réponse aux grands débats de la politique. Nous retrouvons la République puisque la République, c'est la définition d'un intérêt général, de valeurs communes défendues par la Loi.
Je m'inscris au nombre de ceux qui pensent à trouver une nouvelle incarnation de la République dans la République européenne. C'est un des concepts sur lesquels nous aurons à travailler dans les années qui viennent. Nous retrouvons la démocratie, puisque la démocratie c'est le pouvoir rendu aux citoyens sur leur vie, ce ressaisissement dont je parlais à l'instant, et la diffusion de la responsabilité dans la société, jusqu'à chacun d'entre nous.
Faut-il jeter l'État avec l'étatisme ? Faut-il jeter l'État avec le jacobinisme ? Je crois que non. Il faut donc inventer un modèle " d'État actif ".
Cet État n'est pas le serviteur d'un clan, même pas celui du parti au pouvoir. Il est le serviteur de l'intérêt général, défini par la loi. Au lieu de commander à la société, et quelquefois de la nier, il en est un partenaire agissant et respecté. Il assure la transparence démocratique, en matière de réforme de l'Etat, en matière budgétaire par exemple. Cela nous oblige à répondre à la question des priorités. Comment fait-on pour alléger la dépense publique ? Les enseignants, les policiers, les infirmières : on ne diminuera pas le service public de terrain, qui doit être défendu et valorisé, parce qu'il existe une réelle demande de la société.
En revanche, dans la fonction publique et parapublique de gestion, celle que j'appelle l'administration de papier, il y a des progrès de productivité considérables à faire. Mais jusque ici, vous observerez que, sous l'influence de Bercy, on s'est refusé à faire la différence entre les deux.
La question du social. Nous devons être le parti de la participation. Et c'est très concret: il n'y aura pas de participation si l'on invente pas les institutions de la participation. La question de la communauté nationale. Je suis de ceux pour qui les mots de fracture sociale ne sont pas de vains mots. La communauté est en effet menacée d'une double fracture.
Quand les plus inventifs s'en vont, et que les moins adaptables sont exclus, il ne reste plus qu'une communauté minimale. La France a besoin des deux. Que les meilleurs restent et valorisent leurs aptitudes dans la société, et que les plus éloignés du modèle dominant trouvent à exprimer les leurs dans la société de performance.
L'utilisation des fruits de la croissance doit donc répondre à deux attentes : l'insertion par le travail, pour intégrer ceux qui sont exclus, et. une réflexion sur l'impôt sur le revenu, qui permette de retenir ceux qui veulent s'en aller. Le courage consiste à alléger la charge lorsque l'impôt devient confiscatoire. Et la baisse des charges pour qu'existent enfin les emplois qui pourraient exister, dont la charge de travail existe réellement, songez à l'artisanat, aux entreprises nouvelles, aux associations, aux emplois de proximité, mais qui ne peuvent pas se créer en raison de la hauteur du seuil SMIC+charges.
L'Europe ! Ce n'était pas le sujet d'une élection, c'est le grand sujet du siècle.
Le grand sujet pour nous. Si nous avons choisi d'être, depuis le premier jour, constructeurs de l'Europe, c'est parce que nous pensons que seule l'Union européenne peut permettre aux citoyens de choisir leur destin. L'Europe, ce n'est pas comme certains le disent, le renoncement à la politique, le renoncement à la République, c'est la seule voie pour retrouver la politique et ressaisir la République. Nous le savons, il y a une fracture européenne qui s'est creusée avec le temps. Comme si le peuple français, mais les autres peuples de l'Union aussi, avaient cessé de comprendre le projet européen. Comme si les défenseurs et les constructeurs de l'Europe avaient oublié qu'il convient, lorsqu'on s'adresse à un peuple, lorsqu'on veut entraîner un peuple vers un grand dessein de convaincre de la même manière ceux qui marchent devant et ceux dont le pas est plus lent.
S'il y a un objectif que nous nous fixons pour les années qui viennent, c'est d'abord celui-là, priorité des priorités : réconcilier le peuple français avec l'idéal européen. Et pour cela, nous devons nous placer hardiment parmi les réformateurs de l'Europe, parmi les simplificateurs, parmi les reconstructeurs. Et je reparle devant vous du projet de constitution européenne, parce que si nous y arrivons, je suis persuadé que nous aurons franchi une étape essentielle vers la réconciliation européenne. L'idée fédérale de l'Europe, qui est la seule possible, et la seule efficace, la seule qui nous permettra de défendre le projet de société humaniste qui est le nôtre, c'est d'abord la protection des identités, le respect de la proximité. A la société du "capitalisme absolu", à la société du " socialisme dépassé ", nous opposons la société de "l'humanisme intégral". Le projet de cette société humaniste, seul but qui vaille, ce projet n'existe pas encore.
Ce n'est pas en ressortant les brouillons qui ont déjà servi dix fois depuis vingt ans qu'on écrira ce projet. Il va nous falloir beaucoup de travail et d'imagination, de générosité, de compréhension, d'équilibre pour l'écrire. Et il va nous falloir nous servir de la diversité de l'opposition.
IV- L'opposition : un pacte nouveau avec les Français
Et pour cela, il faut que l'opposition passe un pacte nouveau avec les Français. L'ancien pacte a été rompu.
Nous nous présentions comme meilleurs gestionnaires que les autres ; nous allégions les impôts quand les autres les alourdissaient ; nous savions retrouver des marges de manuvre quand les autres ne savaient que dépenser; nous étions plus respectueux des libertés individuelles ; nous défendions mieux les valeurs de la famille, de la sécurité et de la nation. Sur tous ces points, la preuve n'a pas été vraiment apportée que nous respections notre part du contrat. Et les Français en ont tiré les conséquences en nous retirant, non pas toujours leurs voix, mais une grande partie de leur confiance. C'est cette confiance-là qu'il convient de reconstruire.
Nous ne répondrons pas aux questions de demain avec les réponses d'hier.
Un immense effort doit être entrepris. Le travail que des hommes comme Tony Blair ont fait à gauche, il faut que nous le fassions pour la droite et le centre, pour l'opposition française et européenne. Un changement profond qui conduise à une nouvelle image et à une confiance nouvelle. Et pour cela, il nous faut répondre à la question que nous posent les Français, même si ce n'est pas la seule, c'est la question de nos divisions.
Si l'on interrogeait les Français aujourd'hui, le mot qui viendrait le plus souvent à propos de l'opposition, c'est le mot " division ", même si c'est une impression souvent fausse. Elle repose néanmoins sur une réalité : pendant longtemps, on a fait croire qu'il n'y avait qu'une vertu, c'était l'uniformité. Non pas l'unité, mais l'uniformité.
Or la société de demain ne sera plus une société uniforme. C'est une société qui a besoin d'assumer sa diversité. Mais diversité ne veut pas dire division. On a besoin de diversité et on a besoin de rassemblement. On le verra dans l'opposition. Il y a des Européens et il y a des nationaux. Chacune des deux sensibilités est de bonne foi. Et chacune a à apprendre de l'autre. Pour ma part, je ne désespère pas de montrer que l'Europe que nous construisons servira l'identité nationale et ne la supprimera pas, qu'elle est même la seule chance de l'identité, des valeurs, et de la culture française dans l'avenir. Il y a des jacobins, ou des colbertistes, et il y a des décentralisateurs. De la même manière, il y a des libéraux et il y a des sociaux. De la même manière, il y a des traditionnels et il y a des progressistes. Je veux dire qu'il y a une immense partie de la société française, représentée dans nos rangs, qui a besoin de repères stables pour l'avenir. Et il y a une immense partie de la société française qui a besoin d'une reconnaissance nouvelle.
Repères, reconnaissance. Je crois que dans le débat sur le PACS, l'opposition s'est largement fait piéger. Parce qu'on a donné l'impression d'avoir une vision caricaturale des choses et on aurait été beaucoup plus intelligent, beaucoup plus fort, en assumant le débat nécessaire entre les deux demandes, ceux qui demandent de la stabilité et des repères, y compris moraux, je n'ai pas l'intention de les laisser à la porte, je n'ai pas l'intention de les rejeter, et ceux qui demandent une reconnaissance nouvelle des réalités qu'ils vivent. Il faut les entendre, les comprendre et répondre à leurs demandes. Et c'est notre mission. Je n'ai pas envie, malgré la tentation perpétuelle qui est celle de la politique, je n'ai pas envie que nous soyons le parti des uns contre les autres. Et si nous avons eu un tort, c'est d'apparaître comme le parti des uns contre les autres. Dans tous les débats que nous allons conduire, il faut que nous montrions cette double compréhension. On a besoin des deux. C'est cette diversité-là qui est l'attente de la société française. Et c'est pourquoi il faut que cette diversité soit également reconnue au sein de l'opposition. Le temps du caporalisme, c'est fini. Un temps nouveau s'ouvre. Quand on veut respecter la diversité, donner à chacun sa chance, permettre à chacun de se faire entendre, ouvrir des voies nouvelles, et en même temps faire travailler ensemble ces identités différentes, il n'existe qu'un seul modèle, et c'est le modèle fédéral. C'est pourquoi j'appelle à une organisation fédérale de l'opposition, qui respectera les identités et permettra de travailler ensemble.
Organisation fédérale, cela ne veut pas dire parti unique. Cela veut dire exactement ceci, pour l'opposition, comme pour l'Europe: on respecte l'identité et la sensibilité de chacun, des plus nationaux aux plus européens, des plus libéraux aux plus sociaux, des plus traditionnels aux plus progressistes. On donne à chacun l'occasion de faire entendre sa voix, notamment de concevoir, dans une première étape, son propre projet. On donne à tous l'occasion de réussir le renouvellement nécessaire des personnalités et des équipes. Et on fait ensemble ce qui ne peut être réussi qu'en commun, par exemple la préparation des élections locales et, le jour venu, un programme d'alternance. Ainsi, chacun a l'occasion d'apporter au combat commun ce qu'il a de plus original, de plus fort et donc de plus riche.
C'est à nous qu'il revient de faire cette proposition et de la conduire à son terme.
Nous avons retrouvé, ou nous avons commencé à retrouver notre place, notre message, nous avons défendu une certaine idée de la vérité en politique. Cela nous a rendu la santé et la crédibilité nécessaires.
Maintenant, il faut construire notre XXIe siècle. Et le construire à la fois pour nous-mêmes et avec, et pour nos partenaires, qui ont évidemment leur place et leur message à apporter à cette reconstruction de l'opposition. Conclusion Voyez-vous, il y a deux scénarios devant nous. Le scénario que, sans le dire, beaucoup de politiques déçus, désenchantés, privilégient aujourd'hui : nous allons vers un monde où la politique comptera de moins en moins ! Ce qui comptera, ce qui vaudra la peine, les vrais décideurs, ce seront les décideurs financiers, les détenteurs du capital. Et dans l'anesthésie générale, le reste sera sympathique apparence, chacun dans sa bulle. C'est pourquoi le communautarisme, chacun chez soi, est l'autre face du capitalisme absolu. Puisque le monde est conduit par des intérêts privés, il faut bien des lieux pour protéger son intimité, sa conviction, sa croyance, entre soi. Et bien ce n'est pas notre vision ni notre conception des choses. Dans ce scénario, entre l'univers capitaliste et l'univers privé, il n'y a plus de place pour l'histoire et plus de place pour la politique. Alors, mes chers amis, qu'est ce que vous faites là ? Au mieux, vous serez peut-être des élus locaux, mais pas des militants d'un monde à construire. Si nous sommes là, et si nous sommes conscients, si nous ne sommes pas à la poursuite vaine des hochets de carrières, alors il y a une révolution à conduire.
C'est à nous, les volontaires de l'humanisme intégral, qu'il revient de défendre une certaine idée de la république et une certaine idée de la démocratie. C'est-à-dire la définition et la défense d'un intérêt général, la définition et la défense des armes que les citoyens se donnent pour que l'avenir ressemble à leur espoir, pour que, de génération en génération, le monde se construise et non pas se constate, se laisse faire, se laisse aller. Dans ce domaine, tout est à inventer. Nulle part, ou presque, dans le monde, on ne s'est attelé à cette tâche formidable. Nous sommes des bâtisseurs. La tâche est immense, mais si nous osons affronter cette mission, tout le reste, et même la victoire, nous sera donné par surcroît.
Je vous remercie.
(source http://www.udf.org, le 1er septembre 1999)
Un grand quotidien national titrait cette semaine sur " la santé retrouvée de l'UDF ". Et il développait notre histoire récente en prenant comme point de départ la perte de la présidence du Sénat en octobre, comme moments cruciaux l'élection d'Anne-Marie Comparini à la présidence de la région Rhône-Alpes, puis la décision que nous avons prise de présenter une liste aux élections européennes, et comme point d'arrivée, comme apogée, l'élection de Nicole Fontaine à la présidence du Parlement européen en juillet.
Cette année-là résume l'aventure de renaissance qui a été la nôtre. L'élection de Nicole Fontaine a été pour nous un moment très important, pas seulement parce qu'elle a marqué aux yeux des plus sceptiques quels avaient été le sens et l'importance de l'aventure que nous conduisions, mais aussi parce que pour notre famille politique, retrouver le rôle de moteur en Europe qui a été le sien dans l'histoire, c'était essentiel. Nous avons su redevenir entraînants et rassembleurs. Mais l'élection triomphale de Nicole Fontaine au premier tour n'est pas seulement due aux rapports de force. Ses qualités propres ont permis de rassembler bien au-delà des rangs politiques du PPE et de nos alliés libéraux. Et il est sans exemple qu'une personnalité puisse marquer de la sorte une assemblée. C'est un succès dont je veux dire en votre nom que nous en ressentons une très grande fierté.
Je reviens à l'article que je citais en commençant : son auteur a dû avoir le sentiment d'un bien long chemin pour aller d'une élection à l'autre, de la présidence du Sénat à celle du parlement européen, car, à deux reprises, il chiffre le temps qui a séparé l'une de l'autre à vingt et un mois ! Or, même si c'est difficile à croire, même pour nous, je suis obligé par la vérité historique de préciser qu'entre octobre 1998 et juillet 1999, il ne s'est écoulé effectivement que neuf mois ! C'est dire que, même pour les observateurs attentifs, cette renaissance, après une longue période d'enlisement, d'effacement, et donc de revers, cette renaissance était difficile à croire.
Nous avons gagné une reconnaissance que nous n'avions pas, et cette reconnaissance nous donne un double devoir. Il nous faut maintenant construire un grand mouvement politique pour le XXIe siècle et reconstruire la démocratie française.
Quitte à continuer à surprendre.
II - La politique malade
Cette détermination serait évidemment indispensable pour nous : nous ne vivrons et n'intéresserons qu'en allant de l'avant. Mais le sujet nous dépasse; il est beaucoup plus important que nous-même et notre avenir : c'est la vie politique française tout entière qui a besoin de sortir des ornières, qui a besoin de retrouver son sens, qui a besoin de passionner et de se passionner, qui a besoin de redevenir simple, juste et forte. J'ai eu, pendant les vacances, le sentiment que jamais, peut-être, pour les Français, l'été n'avait été si loin de la politique.
Cette distance entre les citoyens et l'engagement politique, c'est notre adversaire. Et il est facile de voir que l'éloignement de la politique ressenti par beaucoup de Français n'est que la conséquence ou que la sanction de cette absence de simplicité, de justesse et de force dont nous avons besoin.
Alors pour que la politique redevienne passionnante, simple, juste et forte, il convient de poser les véritables questions de l'heure. La première question est celle de la politique elle-même.
Dans les articles de l'été, j'ai été frappé du retour continuel de cette antienne " il n'y a plus d'idées ". Les uns disant : " il n'y a plus d'idées à droite ". Et les autres " il n'y a plus d'idées du tout " !
Et en effet, lorsqu'on voit dans le champ économique, fiscal et social, la succession des gouvernements, et qu'on veut dépasser les apparences, on a l'impression que sous des noms différents, pour l'essentiel, c'est la même politique qui se fait, ou qu'on laisse faire, depuis des générations. Il y a eu une polémique amusante qui a duré quelques heures pendant l'été pour savoir qui avait privatisé le plus entre 1993 et aujourd'hui. Même en chiffres bruts, sans tenir compte de ce que beaucoup de chemin a déjà été fait, c'est Jospin qui a privatisé le plus. Et quand un gouvernement dit " de gauche " devient recordman des privatisations, on conçoit que bien des Français ne s'y retrouvent pas ! Pour la création d'impôts, les contribuables actifs ont l'impression que le mouvement est toujours le même, vers toujours plus d'impôts. Et Monsieur Fabius en profite pour glisser un caillou dans la chaussure de Monsieur Jospin en prophétisant qu'il pourrait être " battu par les impôts ". Si vous prenez une autre matière, les rapports entre les citoyens et son administration, on a la même impression de continuité, de "déjà vu". On a l'impression que comme cet animal mythique de l'antiquité, l'Hydre de Lerne, chaque fois qu'on annonce qu'on lui coupe la tête, il y en a deux qui repoussent. Et donc la première impression des citoyens est celle-là : " tout ça, c'est la même chose ! ".
Et il existe une deuxième impression, celle de la même impuissance. Cette idée de l'impuissance du politique, elle est forte, elle est profondément nuisible, elle est en partie fondée. Nous avons changé d'époque. Comme toujours, les changements de siècles, de millénaires plus encore, ne sont pas anodins: mystérieusement, ce sont des pages qui se tournent, souvent avec un léger décalage, un peu après, un peu avant, dans l'histoire collective des hommes. Pour le XXe siècle, cela aura correspondu à peu près au chiffre rond. C'est à l'approche de l'an 2ooo que deux phénomènes stupéfiants l'un et l'autre auront conjointement emporté une digue que l'on croyait aussi résistante que le roc. Ce qui est arrivé, vous le savez bien, c'est que le modèle politique socialiste, concurrent du capitalisme, s'est effondré d'un coup, mettant fin à la concurrence historique de la deuxième partie du XXe siècle. L'idée de la gestion de l'économie par l'État centralisé s'est effondrée sur elle-même comme une construction de bois minée par les termites. On s'est aperçu que les idéalistes qui prétendaient faire rimer socialisme avec liberté se trompaient. Que la liberté était pour le socialisme un poison mortel. Que dès qu'il y avait la moindre once de liberté, liberté des échanges, liberté des propos, liberté des images, liberté du marché, il n'y avait plus de socialisme. De sorte que ce que l'on essaie encore de nous vendre sous ce nom en notre France de 1999, c'est moins qu'un ersatz, et tout le monde le sait. C'est une social-démocratie, c'est-à-dire, selon tous les fondateurs du parti socialiste depuis vingt ans, l'ennemi implacable de l'idée qu'ils se faisaient du socialisme à la française. Un reniement historique majeur. Le socialisme a disparu du paysage.
Et en même temps, concurremment, l'incroyable explosion des échanges, l'ubiquité totale, l'instantanéité absolue dans le domaine de l'information, la fin des frontières, ont installé en maître du monde une sorte de capitalisme absolu, désormais sans frontière et sans limites, dont l'arrogance des acteurs n'est bornée que par l'insécurité constante, l'épée de Damoclès perpétuelle de la course éperdue à la concentration.
En face de ce capitalisme absolu, il n'est aucune considération que la puissance publique paraisse en mesure de défendre. Que la démocratie, la République, l'Etat, n'ont aucun moyen de faire respecter leur vocation, c'est-à-dire défendre l'intérêt général. Ni le social, ni le souci de l'emploi, ni l'intérêt national ou européen ne paraissent des arguments audibles. Pour la première fois dans l'histoire de l'humanité, l'intérêt général paraît se trouver ouvertement sans défenseurs !
Il n'y a plus que des intérêts privés, des intérêts financiers, qui parlent haut et commandent en maîtres. Et s'il devait y avoir confrontation entre les intérêts privés et un intérêt général, on ne voit même pas quelles armes pourraient être saisies par un peuple qui voudrait défendre autre chose que des intérêts privés ! Je suis persuadé, je l'ai dit souvent, qu'un jour, cela sera une question majeure pour le monde. Mais c'est spécialement une question pour la France. Parce qu'en France, pour le citoyen, pour l'histoire politique, la politique, c'était l'étatisme. C'est une constante française. L'idée que l'État central et souverain prend en charge, pour la société tout entière, en son nom et à sa place, ses chances et ses carences, pour défendre les unes et corriger les autres, à l'intérieur comme à l'extérieur. Et cela ne date pas d'aujourd'hui !
Sully que j'aime tant faisait du Colbertisme avant Colbert. L'ancien régime y contribua, autant que le Jacobinisme révolutionnaire. Napoléon alla plus loin que tous. Napoléon III égala, même si on le sait moins, sauf par le livre de Philippe Séguin, son illustre oncle. Et de Gaulle en écrivit au XXe siècle une des pages les plus glorieuses. La gauche et la droite ont également défendu et illustré cette idée. La gauche et la droite ont également défendu ce mythe et illustré cette réalité de la démocratie incarnée dans l'Etat Voilà la question qui est devant nous : comment faire de la politique, comment justifier la politique, dans un pays comme la France, quand s'achève et s'épuise la conception étatiste et purement nationale, jacobine, de l'Etat ?
Le jacobinisme, c'est fini, parce qu'il supposait un espace clos, la nation enfermée dans ses frontières, et un acteur unique, l'Etat. Désormais l'espace est ouvert et les acteurs multiples. Il nous faudra du temps pour faire ensemble la théorie d'une démocratie et d'une république qui ne soient pas jacobines.
III - Un projet : contre le "socialisme dépassé", contre le "capitalisme absolu", "l'humanisme intégral"
Cela suppose d'abord un projet nouveau.
Je ne confonds pas le mot " projet " et le mot " programme ". Un programme, c'est une série de mesures, c'est un plan d'action, autour duquel on peut se regrouper, même si l'on n'a pas exactement la même vision de l'avenir. Un projet, c'est une boussole. C'est dire où l'on veut aller, quel monde on veut construire.
Nous voyons les deux mondes qu'on nous propose. D'un côté, un socialisme qui a disparu comme pensée, qui survit comme la lumière des étoiles éteintes, qui s'est affaissé dans la social-démocratie qu'il prétendait refuser. De l'autre, bien présent, bien réel, omniprésent, sans rival et sans contrepoids, le " capitalisme absolu " que je décrivais à l'instant. Ni l'un, ni l'autre, ne sont notre projet. Nous avons combattu l'un quand il était menaçant et nous avons eu raison. De la même manière, il nous faut offrir une alternative à l'autre. Et notre projet, appelons-le par son nom, c'est de construire une société humaniste.
Le mot s'est affadi, il faut lui rendre sa force. Humaniste ! Cela veut dire à la fois une société plus humaine, plus généreuse, plus attentive, et une société dont le but et l'idéal soient d'épanouir l'humanité dans l'homme, ceux qui sont leaders et ceux qui ont du mal à suivre. Epanouir l'humanité dans chaque homme, avec toutes ses richesses, créatives, artistiques, intellectuelles, communautaires, spirituelles, et en faire le but de la société que nous allons construire. Et si vous y réfléchissez bien, cet humanisme, cet " humanisme intégral ", sans concession, c'est le seul projet concurrent que l'on puisse offrir face au " capitalisme absolu ". J'ai même l'impression que ce sera la grande interrogation démocratique du prochain siècle. Les hommes accepteront-ils d'être dessaisis de leur destin par des acteurs animés du seul souci des intérêts privés, ou au contraire voudront-ils le ressaisir ? Et si l'on pose la question sous cette forme, alors voilà une réponse aux grands débats de la politique. Nous retrouvons la République puisque la République, c'est la définition d'un intérêt général, de valeurs communes défendues par la Loi.
Je m'inscris au nombre de ceux qui pensent à trouver une nouvelle incarnation de la République dans la République européenne. C'est un des concepts sur lesquels nous aurons à travailler dans les années qui viennent. Nous retrouvons la démocratie, puisque la démocratie c'est le pouvoir rendu aux citoyens sur leur vie, ce ressaisissement dont je parlais à l'instant, et la diffusion de la responsabilité dans la société, jusqu'à chacun d'entre nous.
Faut-il jeter l'État avec l'étatisme ? Faut-il jeter l'État avec le jacobinisme ? Je crois que non. Il faut donc inventer un modèle " d'État actif ".
Cet État n'est pas le serviteur d'un clan, même pas celui du parti au pouvoir. Il est le serviteur de l'intérêt général, défini par la loi. Au lieu de commander à la société, et quelquefois de la nier, il en est un partenaire agissant et respecté. Il assure la transparence démocratique, en matière de réforme de l'Etat, en matière budgétaire par exemple. Cela nous oblige à répondre à la question des priorités. Comment fait-on pour alléger la dépense publique ? Les enseignants, les policiers, les infirmières : on ne diminuera pas le service public de terrain, qui doit être défendu et valorisé, parce qu'il existe une réelle demande de la société.
En revanche, dans la fonction publique et parapublique de gestion, celle que j'appelle l'administration de papier, il y a des progrès de productivité considérables à faire. Mais jusque ici, vous observerez que, sous l'influence de Bercy, on s'est refusé à faire la différence entre les deux.
La question du social. Nous devons être le parti de la participation. Et c'est très concret: il n'y aura pas de participation si l'on invente pas les institutions de la participation. La question de la communauté nationale. Je suis de ceux pour qui les mots de fracture sociale ne sont pas de vains mots. La communauté est en effet menacée d'une double fracture.
Quand les plus inventifs s'en vont, et que les moins adaptables sont exclus, il ne reste plus qu'une communauté minimale. La France a besoin des deux. Que les meilleurs restent et valorisent leurs aptitudes dans la société, et que les plus éloignés du modèle dominant trouvent à exprimer les leurs dans la société de performance.
L'utilisation des fruits de la croissance doit donc répondre à deux attentes : l'insertion par le travail, pour intégrer ceux qui sont exclus, et. une réflexion sur l'impôt sur le revenu, qui permette de retenir ceux qui veulent s'en aller. Le courage consiste à alléger la charge lorsque l'impôt devient confiscatoire. Et la baisse des charges pour qu'existent enfin les emplois qui pourraient exister, dont la charge de travail existe réellement, songez à l'artisanat, aux entreprises nouvelles, aux associations, aux emplois de proximité, mais qui ne peuvent pas se créer en raison de la hauteur du seuil SMIC+charges.
L'Europe ! Ce n'était pas le sujet d'une élection, c'est le grand sujet du siècle.
Le grand sujet pour nous. Si nous avons choisi d'être, depuis le premier jour, constructeurs de l'Europe, c'est parce que nous pensons que seule l'Union européenne peut permettre aux citoyens de choisir leur destin. L'Europe, ce n'est pas comme certains le disent, le renoncement à la politique, le renoncement à la République, c'est la seule voie pour retrouver la politique et ressaisir la République. Nous le savons, il y a une fracture européenne qui s'est creusée avec le temps. Comme si le peuple français, mais les autres peuples de l'Union aussi, avaient cessé de comprendre le projet européen. Comme si les défenseurs et les constructeurs de l'Europe avaient oublié qu'il convient, lorsqu'on s'adresse à un peuple, lorsqu'on veut entraîner un peuple vers un grand dessein de convaincre de la même manière ceux qui marchent devant et ceux dont le pas est plus lent.
S'il y a un objectif que nous nous fixons pour les années qui viennent, c'est d'abord celui-là, priorité des priorités : réconcilier le peuple français avec l'idéal européen. Et pour cela, nous devons nous placer hardiment parmi les réformateurs de l'Europe, parmi les simplificateurs, parmi les reconstructeurs. Et je reparle devant vous du projet de constitution européenne, parce que si nous y arrivons, je suis persuadé que nous aurons franchi une étape essentielle vers la réconciliation européenne. L'idée fédérale de l'Europe, qui est la seule possible, et la seule efficace, la seule qui nous permettra de défendre le projet de société humaniste qui est le nôtre, c'est d'abord la protection des identités, le respect de la proximité. A la société du "capitalisme absolu", à la société du " socialisme dépassé ", nous opposons la société de "l'humanisme intégral". Le projet de cette société humaniste, seul but qui vaille, ce projet n'existe pas encore.
Ce n'est pas en ressortant les brouillons qui ont déjà servi dix fois depuis vingt ans qu'on écrira ce projet. Il va nous falloir beaucoup de travail et d'imagination, de générosité, de compréhension, d'équilibre pour l'écrire. Et il va nous falloir nous servir de la diversité de l'opposition.
IV- L'opposition : un pacte nouveau avec les Français
Et pour cela, il faut que l'opposition passe un pacte nouveau avec les Français. L'ancien pacte a été rompu.
Nous nous présentions comme meilleurs gestionnaires que les autres ; nous allégions les impôts quand les autres les alourdissaient ; nous savions retrouver des marges de manuvre quand les autres ne savaient que dépenser; nous étions plus respectueux des libertés individuelles ; nous défendions mieux les valeurs de la famille, de la sécurité et de la nation. Sur tous ces points, la preuve n'a pas été vraiment apportée que nous respections notre part du contrat. Et les Français en ont tiré les conséquences en nous retirant, non pas toujours leurs voix, mais une grande partie de leur confiance. C'est cette confiance-là qu'il convient de reconstruire.
Nous ne répondrons pas aux questions de demain avec les réponses d'hier.
Un immense effort doit être entrepris. Le travail que des hommes comme Tony Blair ont fait à gauche, il faut que nous le fassions pour la droite et le centre, pour l'opposition française et européenne. Un changement profond qui conduise à une nouvelle image et à une confiance nouvelle. Et pour cela, il nous faut répondre à la question que nous posent les Français, même si ce n'est pas la seule, c'est la question de nos divisions.
Si l'on interrogeait les Français aujourd'hui, le mot qui viendrait le plus souvent à propos de l'opposition, c'est le mot " division ", même si c'est une impression souvent fausse. Elle repose néanmoins sur une réalité : pendant longtemps, on a fait croire qu'il n'y avait qu'une vertu, c'était l'uniformité. Non pas l'unité, mais l'uniformité.
Or la société de demain ne sera plus une société uniforme. C'est une société qui a besoin d'assumer sa diversité. Mais diversité ne veut pas dire division. On a besoin de diversité et on a besoin de rassemblement. On le verra dans l'opposition. Il y a des Européens et il y a des nationaux. Chacune des deux sensibilités est de bonne foi. Et chacune a à apprendre de l'autre. Pour ma part, je ne désespère pas de montrer que l'Europe que nous construisons servira l'identité nationale et ne la supprimera pas, qu'elle est même la seule chance de l'identité, des valeurs, et de la culture française dans l'avenir. Il y a des jacobins, ou des colbertistes, et il y a des décentralisateurs. De la même manière, il y a des libéraux et il y a des sociaux. De la même manière, il y a des traditionnels et il y a des progressistes. Je veux dire qu'il y a une immense partie de la société française, représentée dans nos rangs, qui a besoin de repères stables pour l'avenir. Et il y a une immense partie de la société française qui a besoin d'une reconnaissance nouvelle.
Repères, reconnaissance. Je crois que dans le débat sur le PACS, l'opposition s'est largement fait piéger. Parce qu'on a donné l'impression d'avoir une vision caricaturale des choses et on aurait été beaucoup plus intelligent, beaucoup plus fort, en assumant le débat nécessaire entre les deux demandes, ceux qui demandent de la stabilité et des repères, y compris moraux, je n'ai pas l'intention de les laisser à la porte, je n'ai pas l'intention de les rejeter, et ceux qui demandent une reconnaissance nouvelle des réalités qu'ils vivent. Il faut les entendre, les comprendre et répondre à leurs demandes. Et c'est notre mission. Je n'ai pas envie, malgré la tentation perpétuelle qui est celle de la politique, je n'ai pas envie que nous soyons le parti des uns contre les autres. Et si nous avons eu un tort, c'est d'apparaître comme le parti des uns contre les autres. Dans tous les débats que nous allons conduire, il faut que nous montrions cette double compréhension. On a besoin des deux. C'est cette diversité-là qui est l'attente de la société française. Et c'est pourquoi il faut que cette diversité soit également reconnue au sein de l'opposition. Le temps du caporalisme, c'est fini. Un temps nouveau s'ouvre. Quand on veut respecter la diversité, donner à chacun sa chance, permettre à chacun de se faire entendre, ouvrir des voies nouvelles, et en même temps faire travailler ensemble ces identités différentes, il n'existe qu'un seul modèle, et c'est le modèle fédéral. C'est pourquoi j'appelle à une organisation fédérale de l'opposition, qui respectera les identités et permettra de travailler ensemble.
Organisation fédérale, cela ne veut pas dire parti unique. Cela veut dire exactement ceci, pour l'opposition, comme pour l'Europe: on respecte l'identité et la sensibilité de chacun, des plus nationaux aux plus européens, des plus libéraux aux plus sociaux, des plus traditionnels aux plus progressistes. On donne à chacun l'occasion de faire entendre sa voix, notamment de concevoir, dans une première étape, son propre projet. On donne à tous l'occasion de réussir le renouvellement nécessaire des personnalités et des équipes. Et on fait ensemble ce qui ne peut être réussi qu'en commun, par exemple la préparation des élections locales et, le jour venu, un programme d'alternance. Ainsi, chacun a l'occasion d'apporter au combat commun ce qu'il a de plus original, de plus fort et donc de plus riche.
C'est à nous qu'il revient de faire cette proposition et de la conduire à son terme.
Nous avons retrouvé, ou nous avons commencé à retrouver notre place, notre message, nous avons défendu une certaine idée de la vérité en politique. Cela nous a rendu la santé et la crédibilité nécessaires.
Maintenant, il faut construire notre XXIe siècle. Et le construire à la fois pour nous-mêmes et avec, et pour nos partenaires, qui ont évidemment leur place et leur message à apporter à cette reconstruction de l'opposition. Conclusion Voyez-vous, il y a deux scénarios devant nous. Le scénario que, sans le dire, beaucoup de politiques déçus, désenchantés, privilégient aujourd'hui : nous allons vers un monde où la politique comptera de moins en moins ! Ce qui comptera, ce qui vaudra la peine, les vrais décideurs, ce seront les décideurs financiers, les détenteurs du capital. Et dans l'anesthésie générale, le reste sera sympathique apparence, chacun dans sa bulle. C'est pourquoi le communautarisme, chacun chez soi, est l'autre face du capitalisme absolu. Puisque le monde est conduit par des intérêts privés, il faut bien des lieux pour protéger son intimité, sa conviction, sa croyance, entre soi. Et bien ce n'est pas notre vision ni notre conception des choses. Dans ce scénario, entre l'univers capitaliste et l'univers privé, il n'y a plus de place pour l'histoire et plus de place pour la politique. Alors, mes chers amis, qu'est ce que vous faites là ? Au mieux, vous serez peut-être des élus locaux, mais pas des militants d'un monde à construire. Si nous sommes là, et si nous sommes conscients, si nous ne sommes pas à la poursuite vaine des hochets de carrières, alors il y a une révolution à conduire.
C'est à nous, les volontaires de l'humanisme intégral, qu'il revient de défendre une certaine idée de la république et une certaine idée de la démocratie. C'est-à-dire la définition et la défense d'un intérêt général, la définition et la défense des armes que les citoyens se donnent pour que l'avenir ressemble à leur espoir, pour que, de génération en génération, le monde se construise et non pas se constate, se laisse faire, se laisse aller. Dans ce domaine, tout est à inventer. Nulle part, ou presque, dans le monde, on ne s'est attelé à cette tâche formidable. Nous sommes des bâtisseurs. La tâche est immense, mais si nous osons affronter cette mission, tout le reste, et même la victoire, nous sera donné par surcroît.
Je vous remercie.
(source http://www.udf.org, le 1er septembre 1999)