Déclaration de M. Jean-Michel Lemétayer, président de la FNSEA, sur la crise de la filière bovine, Paris le 7 février 2002.

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Circonstance : Assemblée générale de la Fédération nationale bovine (FNB) à Paris le 7 février 2002

Texte intégral

Madame la représentante du Ministre,
Monsieur le Président,
Chers amis,


Ce n'est pas la première fois que j'interviens à votre Assemblée générale, mais bien la première fois en tant que président de la FNSEA.
Elu depuis le 17 mai, j'espère, mon Cher Président, que je n'ai pas failli aux excellentes relations qui ont toujours lié la FNB à la FNSEA;
En tout cas, lorsque les journalistes me demandaient quelles seraient mes priorités au soir du 17 mai, j'avais répondu sans hésiter : tout mettre en uvre pour sortir l'élevage bovin de la crise. La situation était telle qu'elle appelait à la mobilisation non seulement de la FNB et la FNPL, mais bien aussi de la FNSEA.

Une année éprouvante malgré un certain nombre de satisfactions

Car la situation était bel et bien dramatique du fait de la chute de la consommation. Et comme si cela ne suffisait pas, la fièvre aphteuse est venue se rajouter à l'ESB, amenant ainsi certains médias à tirer à boulets rouges sur notre agriculture et son développement.
Vous avez parlé d'éleveurs " dans la tourmente ". J'ai bien envie de parler de tornade et je m'étonne parfois que les dégâts n'aient pas été encore plus graves.
Si le pire a pu être évité, c'est en grande partie grâce à la mobilisation des éleveurs. Qu'il s'agisse d'obtenir un meilleur dégagement du marché, un plan d'accompagnement ou une revalorisation des prix payés au producteur, nous avons été sur tous les fronts. Les combats que nous avons menés ont été toujours difficiles. Mais à chaque fois que nous avons obtenu une avancée, ce fut un peu d'espoir et de perspectives en plus pour notre élevage.
La première avancée que nous avons obtenue, c'est un début de réorganisation de la filière bovine. Nous avions annoncé avant l'été 2001 que nous ferions le ménage dans la filière et nous l'avons fait.
Nos opérations de contrôle de prix et d'origine ont révélé ce que nous savions déjà mais que l'opinion publique ignorait. A savoir que certains maillons de la chaîne agroalimentaire ont beaucoup moins souffert que d'autres au cours de cette crise et qu'ils en ont même profité pour accroître leurs marges au détriment des producteurs, voire des consommateurs.

Une telle situation ne pouvait pas durer et nous avons arraché, par la négociation et par l'action syndicale, un accord permettant un partage un peu plus équitable de la valeur ajoutée. Je voudrais d'ailleurs, au passage, saluer le travail réalisé par Guy Hermoet dans cette difficile négociation.
Tout le monde sait ce qu'il est advenu de cet accord. Les foudres communautaires qu'il nous a attirées. Les protestations indignées de certains de nos voisins, ceux-là même qui avaient refusé d'assumer leur responsabilité en matière de dégagement du marché, au risque de déstabiliser le nôtre. L'incident est clos. Du moins, je l'espère. En tous cas, nous n'avons rien à regretter.
Notre combat n'était peut être pas tout à fait légal mais il était complètement légitime. En tous cas il a porté ses fruits comme en témoigne le redressement des cours au mois de novembre 2001. Un redressement qui n'a d'ailleurs eu aucun impact sur les prix à la consommation : notre accord n'a jamais eu pour but de faire payer les consommateurs plus cher.
En tous cas, nous continuerons de revendiquer le droit de nous organiser et de peser sur l'évolution du prix de nos produits. Les agriculteurs ne tolèreront plus d'être considérés comme de simples variables d'ajustement à chaque fois qu'une crise survient. Nos partenaires de la filière doivent en prendre conscience. Sinon, nous nous chargerons de leur rappeler.
Le dégagement du marché et la compensation des pertes subies par les producteurs ont été l'autre grand objectif que nous avons poursuivi en 2001. Avec moins de succès, il est vrai. Mais, dans ce domaine, nous n'étions pas maître d'uvre. Seulement prescripteurs.
En ce qui concerne le dégagement du marché, je dois reconnaître, Madame la Directrice de cabinet, qu'à défaut de faire tout ce que vous auriez du, vous avez fait ce que vous avez pu. Même s'il vous a fallu plusieurs semaines avant de réagir. C'est vrai, vous avez fait plus que vos collègues de l'Union européenne qui - consciemment ou non - ont choisi d'exporter leurs problèmes chez nous.
Ce satisfecit ne vaut pas solde de tout compte. Même si la situation s'améliore, l'importance des stocks sur pied accumulés sur nos exploitations fait peser de sérieuses menaces pour l'équilibre des marchés. 40 000 tonnes par trimestre d'achat spécial. C'est trop peu. Il faut à tout prix que vous obteniez le relèvement de ce plafond. De même, le régime d'achat spécial doit impérativement être prolongé au-delà du 31 mars. Ne relâchons pas nos efforts. Pas au moment où les choses commencent à s'améliorer.
Pour ce qui est du plan d'accompagnement, le bilan est beaucoup moins positif. Vous le savez, nous attendions un signe fort des Pouvoirs publics. Un signe qui redonne espoir aux éleveurs. Notre déception a donc été grande le 7 janvier 2002. Comment voulez-vous que les éleveurs se satisfassent d'un dispositif qui leur accorde 1000 euros en moyenne ? Non, votre plan de solidarité n'a pas été à la hauteur de la situation. Et puisqu'il semble que le ministère de l'agriculture manque de moyens, vous comprendrez que je réitère mon appel au Premier ministre pour que les éleveurs puissent, eux aussi, bénéficier de la solidarité nationale.
Je n'en dirai pas plus sur l'année qui vient de s'écouler. Nous en connaissons tous les faits marquants ; ses dures épreuves et ses réussites. Même si nous ne sommes pas encore sortis de la crise, loin s'en faut ; il nous faut dès maintenant songer à l'avenir. Redonner espoir et perspectives à nos éleveurs. Et nous serons d'autant plus efficaces que nous défendrons les mêmes projets et porterons les mêmes ambitions.

Le projet syndical de la FNB pour 2002 s'inscrit dans celui de la FNSEA

Compte tenu des priorités que vous affichez, je me fais peu de soucis de ce côté là. Votre projet syndical s'inscrit pleinement dans celui de la FNSEA. Je dirais même qu'il en est la traduction sectorielle la plus exacte. Il faut dire que les évènements que vous avez traversés et les actions que nous avons menées ensemble ont joué un rôle essentiel dans l'aboutissement de notre réflexion.
Préserver les outils de régulation de la PAC ? Assurément ! Je n'ai jamais cru aux vertus de la dérégulation et de la baisse de prix. J'y crois encore moins aujourd'hui quand je vois que l'Union européenne, faute de moyens, se révèle incapable de restaurer l'équilibre du marché de la viande bovine.
A trop affaiblir les OCM, voire à les démanteler, on court à la catastrophe. On prend le risque de voir chaque accident conjoncturel se transformer en catastrophe de grande ampleur. Il est urgent d'inverser la tendance. Il faut sortir de la ligne directrice fixée à Bruxelles ; celle qui vise à aligner toutes nos secteurs sur le moins disant mondial.
Le secteur de la viande bovine doit conserver un filet de sécurité digne de ce nom et donc un mécanisme efficace d'intervention au-delà du 1er juillet. Cela doit être la priorité de la " révision à mi-parcours des accords de Berlin ", au même titre que le renforcement de l'OCM viticole et la mise en uvre d'un plan protéine.
Vous proposez d'agir en faveur de relations de filières transparentes et pérennes. La FNSEA sera à vos côtés dans ce combat. Nous devons progresser sur les modalités de gestion de l'offre si nous voulons tenir la politique des prix. Le temps du chacun pour soi et de l'opacité est révolu. Nos partenaires de la filière agroalimentaire doivent le comprendre et accepter un droit de regard sur leurs marges et leurs pratiques.
Pour cela, nous avons besoin d'interprofessions fortes et ambitieuses. Des interprofessions où l'on ne sacrifie pas l'efficacité au nom du pluralisme syndical. Et si le dialogue ne suffit pas, nous ne devons pas hésiter à recourir à l'action syndicale, comme à l'automne dernier lorsque nous avons fait le siège des abattoirs. Dans la filière bovine, beaucoup reste à faire même si des progrès remarquables ont été accomplis depuis un an. Puisque la machine à classer est votre priorité pour 2002, vous nous trouverez à vos côtés pour faire aboutir ce dossier.
Quant au nouveau dialogue que vous entendez instaurez avec la société, je ne vous apprendrai rien en vous disant qu'il figure au premier rang de mes préoccupations depuis que je suis à la tête de la FNSEA.
Pour combler le fossé qui s'est creusé entre la réalité de notre agriculture et son image dans l'opinion publique, nous devons agir dans deux directions. Mieux communiquer sur nos pratiques et poursuivre nos efforts en faveur d'une agriculture répondant aux attentes de nos concitoyens. C'est tout l'enjeu de la charte des bonnes pratiques d'élevage. Un projet que vous avez initié et qui s'inscrit pleinement dans la démarche, plus générale, de l'agriculture raisonnée. C'est aussi l'objectif du chantier de la communication sur le métier d'éleveur que vous avez ouvert avec la FNPLait. Tout cela contribue à retrouver la confiance de nos concitoyens.
Pour ce qui est des consommateurs, vous avez déjà engagé, grâce au CIV et Interbev, un important travail de communication. Il faudra se montrer ferme sur l'étiquetage et l'information des clients de la restauration collective. Je pense que Mme Nicoli sera d'accord avec moi.
Et puisque la question de l'abattage sélectif est aujourd'hui posée, je me tourne vers le Ministère de l'agriculture, pour lui demander de prendre toutes ses responsabilités sur ce dossier. L'abattage sélectif, nous le réclamons depuis près d'un an. Il est urgent de le mettre en uvre et de donner toutes garanties aux éleveurs concernés quant à la commercialisation des produits issus du cheptel épargné, y compris à l'export.
Enfin, il va s'en dire que nous serons avec la FNB pour réfléchir et agir en faveur de l'avenir du troupeau de races à viande. Car si le dossier de la viande bovine concerne tous les types d'éleveurs bovins, ceux qui se sont spécialisés dans les races allaitantes ont été particulièrement éprouvés par la crise et méritent donc une attention particulière. Trop d'enjeux - économiques, sociaux, territoriaux - sont liés à l'élevage allaitant pour qu'on accepte de le voir sacrifier au nom de je ne sais quels principes de réalisme économique. La viande bovine n'est pas et ne doit pas devenir un sous produit du lait. Et c'est un laitier qui vous le dit !
Des marchés régulés, des filières organisées, des agriculteurs ouverts aux attentes de la société et tirant parti de toutes les opportunités que leur offre le marché : tous les ingrédients de la réussite sont là. Car pour faire vivre notre agriculture, il faut d'abord que les agriculteurs puissent en vivre. Qu'ils tirent un revenu décent de leur travail et, surtout, qu'ils soient fiers de leur métier. Il n'y a pas d'autre alternative.

Mers chers Amis,

On dit que traverser des épreuves renforce. Sans doute. En tous cas, cela unit. Le travail que nous avons mené - FNB, FNSEA, JA, FNPLait réunis - depuis le début de cette crise en témoigne. Cette coopération sans faille est mon plus grand motif de satisfaction et vous pouvez compter sur moi pour poursuivre sur cette voie là : c'est tous ensemble que nous devons nous battre pour l'avenir des producteurs de viande bovine.

(Source http://www.fnsea.fr, le 1er mars 2002