Interview de M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche, à Europe 1, le 11 janvier 2002, sur l'éventuelle candidature de Lionel Jospin à l'élection présidentielle 2002 et les aides financière pour la filière bovine.

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Média : Europe 1

Texte intégral

J.-P. Elkabbach : Je poserai trois questions au ministre de l'Agriculture. Mais d'abord, vous êtes un des poids-lourds de l'équipe Jospin qui se met en place. Nous sommes à 100 jours de la présidentielle, la campagne va durer moins de 50 jours pour un mandat de cinq ans. Vous avez vu, lu, entendu la majeure partie des voeux des "deux". Pour le moment, leurs promesses, leur projet font qu'ils se ressemblent. Qu'est-ce qui va les départager ?
- "Rien de ce qu'ils ont dit ne se ressemble. Je ne suis pas du tout d'accord avec cette thèse. Je sais bien que certains qui ont du mal à se positionner ou à se faire une place dans le débat politique essaient de faire croire que le président de la République sortant et L. Jospin seraient "bonnet blanc et blanc bonnet". Mais personne n'y croit..."
Non, attendez. Je prends un exemple : devant la presse, le président de la République disait hier "les trois exigences pour l'avenir" : l'ouverture au monde - Jospin est contre ? L'action au service de l'intérêt supérieur de la nation - Jospin peut être contre ? L'exigence démocratique et républicaine - L. Jospin pourrait signer des deux mains !
- "Effectivement, si on présente le débat politique autour de généralités de ce type, voire de - excusez-moi de le dire - banalités de ce type, évidemment, on ne va pas trouver de caractère discriminant aux discours. C'est bien le problème du Président sortant qui, effectivement, depuis sept ans, se fait succéder des discours qui sont - comment dire ? - de répondre tout à fait aux voeux des Français, puisque le discours est bâti pour donner l'impression d'une proximité aux Français. Donc, on est toujours, à chaque discours bâti, pour montrer que le Président sortant est proche des Français."
Qu'est-ce qui va les départager ?
- "La différence est que L. Jospin, lui, est proche des problèmes des Français, il est aussi en recherche de solution et il en trouve. Donc, je pense que la différence va tenir beaucoup à cela : il y en a un qui est proche des Français, parce que tout son discours est bâti pour donner cette impression, à mon avis factice, alors que l'autre est proche des problèmes des Français et il a cherché et trouvé des solutions."
Vous ne croyez pas que ce sont les deux fonctions qui sont différentes et qui exigent ce que vous dites ?
- "Oui, mais un président de la République ne peut pas être dispensé de participer aux solutions aux problèmes. Je pense que c'est un des grands débats de l'élection présidentielle. Un Président qui, effectivement, se contenterait d'enfiler des banalités comme on enfile des perles sur un collier, sans aucune espèce de responsabilité par rapport aux solutions qu'il faut trouver aux problèmes des Français, c'est quelque chose qui est très archaïque dans sa conception. Je ne pense pas que ce soit effectivement ce type de Président-là que les Français recherchent."
Oui, mais vous êtes déjà entré en campagne. Mais le président de la République n'a pas pu réaliser toutes les promesses du candidat Chirac de 1995, on n'a pas encore tout vu...
- "C'est le moins qu'on puisse dire, parce qu'effectivement, quand on recherche le bilan du Président sortant et de sa majorité présidentielle, évidemment tout s'arrête après le dépôt de bilan et la faillite du gouvernement Juppé en 1997 !"
D'accord. Mais le Premier ministre, L. Jospin, vainqueur de la dissolution, a disposé des cinq ans de la législature pour agir librement. On a tout vu. Est-ce que le vrai changement, ce ne sera pas J. Chirac ?
- "Non, on n'a pas tout vu justement. Parce qu'on a vu un L. Jospin, un Premier ministre, et maintenant je pense que la France aura besoin d'un L. Jospin Président, et ça ne sera pas la même chose, ça ne pourra pas être la même chose. Parce que L. Jospin Premier ministre était dans une logique de chef de gouvernement, et le candidat, s'il doit l'être, mais personne n'en doute plus maintenant, devra se présenter avec un projet présidentiel et d'essence présidentielle. Ce ne peut pas être un projet qui enfile les perles, comme je le disais tout à l'heure. C'est un projet qui devra aussi parler des problèmes des Français."
Votre candidat est de moins en moins probable et de plus en plus sûr, vous le laissez entendre vous-même. Qu'est-ce que vous lui suggérez pour qu'il réussisse à passer d'un rôle à l'autre ?
- "Ce que je lui suggère, je ne vais pas le suggérer sur votre antenne, mais ce qui est vrai et ce que je crois profondément, c'est que L. Jospin doit se présenter devant les Français avec un projet présidentiel et évidemment, il ne peut pas être question pour lui de dire : "Continuons ensemble simplement ce que nous avons entrepris". Parce que, ce qu'il a entrepris, lui, vous avez raison de le dire, c'était comme Premier ministre, et demain il va venir devant les Français avec un projet présidentiel."
Donc, il faut une rupture ?
- "Mais bien sûr, cela sera quelque chose de différent. Evidemment, il y aura une continuité dans le rapport de Jospin aux Français, mais différent dans la mission qu'il recherchera auprès d'eux."
Vous voulez qu'il devienne aussi personnellement ce qu'il n'était pas, qu'il y ait une sorte de rupture et de métamorphose ?
- "Mais bien entendu. L'élection présidentielle est une espèce d'histoire personnelle entre un homme et une équipe, et un homme et le peuple. Il faut que ce dialogue s'instaure au niveau présidentiel."
Vous êtes directeur de campagne de moins en moins probable, de plus en plus sûr. Est-ce que de votre fait, dans votre camp, avec votre candidat, vous éviterez les affaires, les coups bas, les coups tordus etc. ?
- "J'ai entendu monsieur Sarkozy déclarer que "ce serait une campagne de chiens"..."
"Un combat de chiens"...
- "Je lui laisse le mot et la responsabilité. Je pense que la démocratie française mérite mieux que cela. Je crois que les Français ont soif de débat, de débat démocratique. Ils ont soif surtout d'éclaircissement, ils veulent être éclairés sur le chemin qui est devant eux. Vous me parliez du changement tout à l'heure. Qui incarnera le changement ? Je crois que la société française a énormément changé ces 20 dernières années. D'abord, il y a eu ce million de personnes qui sont sorties du chômage - c'est un phénomène très important - ; il y a eu des bouleversements sociologiques, de psychologie collective, la parité..."
Et pourquoi seriez-vous les seuls à l'avoir remarqué ?
- "... le nombre de divorces qui ont augmenté, la mobilité professionnelle qui s'est accrue, les diplômes qui sont de plus en plus nombreux, l'élévation du niveau de connaissance. Cette société française a énormément changé et elle aspire à continuer à changer. Mais ce qui est vrai peut-être, c'est que la société française est un peu déboussolée, elle a besoin qu'on donne un sens à tous ces changements et qu'on ordonne ce changement. Je pense que ceux qui ont voulu le changement ou qui l'ont parfois provoqué ou accompagné, sont mieux à même de donner un sens au changement que ceux qui, parce qu'ils sont conservateurs, parce qu'ils n'ont pas vu le changement, ont toujours combattu ça. Je crois que le débat entre les gens de gauche, les gens de progrès, entre L. Jospin, et puis des conservateurs comme le Président sortant, c'est un débat qui va être très politique à propos du changement."
N. Sarkozy, qui sera là mercredi matin, vous répondra et vous dira que le vrai changement passe par lui, par son camp, par son candidat... C'est le jeu...
- "Mais les Français se souviennent de lui et de ce qu'il a fait quand il était au gouvernement. C'est un débat qu'on abordera tout à fait sereinement."
Au passage, vous avez fait sensation chez L. Ruquier, avec votre carte de voeux, avec, d'un côté la mer, un côté la campagne, et puis un beau champ de blé.
- "Oui, parce que je suis ministre de l'Agriculture et de la Pêche et que quand je fais une carte de voeux, je ne veux surtout pas oublier les pêcheurs, que trop souvent on oublie quand on me dit simplement ministre de l'Agriculture."
Justement, j'y arrive, trois questions rapides. Vous avez proposé 150 millions d'euros d'aide aux éleveurs bovins qui sont insatisfaits et réclament davantage. Combien vont-ils obtenir ?
- "C'est 150 millions d'euros..."
J'ai dit "euros"...
- "Oui, oui. Ils obtiendront ce plan, qui est un plan ciblé et plafonné, comme je l'avais souhaité. J'ai refusé l'idée qu'on fasse un saupoudrage pour tous..."
Mais vous leur donnerez plus ou vous allez payer plus vite...
- "Voilà, c'est le plus important. C'est que je pense qu'il y a, parmi les éleveurs français, 40.000 éleveurs qui sont en situation de difficulté. Ce sont eux que j'ai ciblé et que je vais aider vite et en urgence. Et quand ce plan se traduira concrètement, quand les aides seront versées dans quelques semaines, on verra que ce plan était efficace et juste."
L'Afssa - l'Agence française de sécurité sanitaire - est favorable à l'abattage sélectif, quand on a diagnostiqué un cas de vache folle. Etes-vous pour ?
- "Elle y est favorable, parce que je le lui ai demandé. Donc, c'est parce que le Gouvernement lui a proposé un projet d'arrêté mettant en place cet abattage sélectif. Nous sommes contraints, compte tenu de la loi, de demander l'avis de l'Afssa sur ce projet d'arrêté. Elle a donné un feu vert. Je pense que maintenant, après les consultations interministérielles et la consultation du Conseil national de l'alimentation, on devrait pouvoir mettre enfin cet abattage sélectif en place d'ici quelques jours."
La décision sera très bientôt prise...
- "Au mois de janvier."
L'Afssa trouve que les Français mangent trop de salé ... Je ne sais pas si vous le pensez, je ne sais pas comment vous organisez votre propre nutrition. Mais faut-il renforcer l'étiquetage ?
- "Je le pense aussi... C'est un problème difficile qui ne dépend pas seulement ou essentiellement du ministère de l'Agriculture, mais surtout celui du ministère de la Consommation et du ministère de la Santé. Mais à défaut de renforcer l'étiquetage, il faut sûrement renforcer l'éducation sanitaire des Français."
Puis-je vous demander - on revient à la campagne -, en faisant un et l'autre du surplace, Jospin et Chirac, et en étouffant pour le moment le débat, est-ce qu'il n'encourage pas les golfeurs et les pêcheurs à la ligne ?
- "Non, on ne peut pas laisser dire cela. Parce que d'abord, ces deux candidats qui sont probables, voire maintenant certains, tout le monde les connaît, d'une part, tout le monde les a vus à l'oeuvre, l'un comme Président sortant, l'autre comme Premier ministre, L. Jospin. Donc, il n'y a pas de mystère, il n'y a pas de démocratie étouffée. Deuxièmement, parce qu'une campagne électorale de sept semaines, cela permet de développer des idées et un projet. Ce qui serait frustrant, c'est qu'il n'y ait pas de projet d'un côté. C'est vrai que, pour le moment, on ne voit pas grand chose venir du côté de la droite."
Autrement dit, vous êtes prêts...
- "Oui, parce que M. Aubry a très bien travaillé avec les équipes du PS et qu'on a un projet dont on est d'ailleurs en train de débattre pour l'enrichir, et nous, on aura des idées à proposer. Cela dit, je réponds de manière simple à votre question : L. Jospin est toujours Premier ministre, parce que c'est la tâche que lui ont confié les Français. Et s'il n'était plus Premier ministre, s'il était déjà en campagne... Regardez l'actualité, les problèmes de Français qui se posent... Si on ne réformait pas l'arrêt Perruche, si on ne réformait pas ou on n'ajustait pas la loi sur la présomption d'innocence, si on ne traitait pas le problème des médecins généralistes, il ne serait plus Premier ministre et les Français lui diraient "abandon de poste". Donc, il a le devoir de continuer à être proche des problèmes des Français et des solutions à ces problèmes."
(Source http://Sig.premier-ministre.gouv.fr, le 11 janvier 2002)