Déclaration de Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication, sur les Journées du patrimoine, notamment les notions de patrimoine et de citoyenneté, Paris le 6 septembre 1999.

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Circonstance : Lancement de la 16 ème édition des journées du patrimoine à Paris le 6 septembre 1999

Texte intégral

Monsieur le Président,
Monsieur l'Ambassadeur,
Monsieur le représentant du Délégué général de l'UNESCO,
Mesdames et Messieurs,
Nous voici une nouvelle fois réunis à l'occasion des Journées du Patrimoine, en un lieu emblématique du thème retenu cette année et où le président de l'Assemblée nationale nous fait le plaisir et l'honneur de nous accueillir.
" Patrimoine et citoyenneté " et patrimoine commun européen, tels sont les thèmes sous lesquels j'ai souhaité placer cette seizième édition des Journées du Patrimoine. Une thématique qui est aussi un programme, puisque les dimensions citoyenne et européenne sont des principes refondateurs de la politique patrimoniale que je mène depuis deux ans.
" L'usage est un genre de vandalisme lent " constatait Ludovic Vitet au siècle dernier. Certes, et il nous faut prendre les plus grandes précautions pour préserver les richesses qui nous entourent. Mais gardons nous aussi de transformer notre patrimoine en un objet figé, relégué au rang du " beau mort ". La vitalité de notre patrimoine procède autant de l'attachement esthétique que de l'attachement affectif et sentimental que chacun lui porte, que des savoirs qui s'y attachent. Si l'usage du patrimoine doit être évidemment encadré - et parfois même strictement -, il doit être ouvert et accessible à tous pour rester vivant. Permettez-moi de citer en exemple la cathédrale de Strasbourg, joyau gothique emblématique de la ville, parfaitement insérée dans le tissu urbain, patrimoine national et international visité par des milliers de touristes, mais qui continue néanmoins à vivre au même rythme que la ville et ses habitants.
Cette préoccupation m'a conduit à privilégier une intervention globale sur le cadre de vie des citoyens, à ne pas dissocier le monument de la ville alentour, la ville ancienne de la ville contemporaine. Telle est la priorité fondamentale qui anime la politique patrimoniale et architecturale de mon ministère et qui, ce faisant, revient aux sources mêmes de la polis grecque : traduire un projet politique dans l'espace et retrouver, derrière la ville, la cité.
Aujourd'hui comme hier, l'exercice de la citoyenneté dans la ville passe précisément par une appropriation et un usage par chacun de son patrimoine, de ses espaces publics, de ses lieux de vie commune. Or, on a trop souvent oublié que " l'architecture diffère de la peinture en ce qu'elle est un art de cumul ", comme le signalait au siècle dernier John Ruskin ; l'indispensable cohérence de l'espace urbain a parfois été niée, aboutissant à la perte de sens d'une ville contemporaine morcelée, juxtaposition d'éléments disparates sans véritables liens entre eux. Une des tâches fondamentales des politiques aujourd'hui est de redonner sens à ces espaces : en jouant de manière adéquate sur les échelles d'intervention, il s'agit notamment de rendre sa vitalité à la notion d'espace public, cadre de la vie civique.
Mais ce souci ne peut évidemment émerger que du corps même des citoyens, de leur capacité d'impulsion et de réappropriation d'un cadre de vie trop souvent subi.. L'exercice de la citoyenneté passe aussi par la capacité à peser, dans le dialogue et l'échange, sur l'aménagement du cadre de vie.
Mais au-delà de la qualité de l'espace construit, du plaisir qu'il laisse, ou pas, à la déambulation libre de chacun dans la cité, il existe des obstacles économiques, sociaux et culturels au libre accès aux centres-villes, aux monuments, aux équipements culturels, à ce qui relève d'un bien commun à partager.
C'est pourquoi j'ai placé la démocratisation de l'accès à la culture au cur de mon action, en mettant notamment en place des mesures de gratuité dans les monuments historiques gérés par la Caisse nationale des monuments historiques et des sites : gratuité pour les moins de 18 ans, gratuité un dimanche par mois pour tous en basse saison.
Cette politique tarifaire s'accompagne d'une politique globale de transmission des connaissances, favorisant l'émergence d'une culture partagés du patrimoine et de l'espace bâti en général.
J'ai en effet engagé un grand chantier d'éducation du public, en particulier des jeunes, à leur environnement et leur cadre de vie, dans le cadre d'un partenariat renforcé avec l'Education nationale : ateliers du patrimoine, enseignement artistique, classes du patrimoine et classes et ateliers d'architecture forment autant de dispositifs de sensibilisation des élèves à l'esthétique et à l'environnement.
Ce travail d'éducation de longue haleine, qui formera le socle de la culture de la cité que j'appelle de mes vux, doit évidemment être encadré par des opérations de diffusion et de communication ciblées, qui utilisent désormais toutes les ressources des technologies modernes en matière d'information. Plusieurs sites ont ainsi été récemment créés sur l'Internet, et à l'occasion même des Journées du patrimoine, un forum sur la citoyenneté est installé en ligne.

Dans une société qui est aujourd'hui en mal de repères, la culture est génératrice de lien social, et plus particulièrement la culture du patrimoine et de l'architecture, qui apparaît comme un moyen de réinventer l'avenir à partir des sources de notre identité et de notre histoire. La cité est née là où les hommes ont bâti des murs, des temples, des places, pour se regrouper et s'organiser librement. Il nous faut aujourd'hui retrouver ce lien invisible qui unit une organisation sociale à son environnement bâti. Il nous faut, par le souci de l'histoire, du patrimoine et de l'architecture, réinventer cette culture, renouer avec cette ville héritée de la cité antique qui est l'une des caractéristiques de la culture européenne en privilégiant les interventions adaptées à chaque espace, à chaque échelle, pour redonner à la ville contemporaine un peu de sa capacité à fabriquer du lien social.
Cette ambition est un enjeu européen. C'est la raison pour laquelle j'ai souhaité que ces Journées du Patrimoine soient également placées sous le signe de la campagne organisée par le Conseil de l'Europe pour son cinquantième anniversaire, consacrée au patrimoine commun européen.
Poursuivant un objectif similaire, les Rencontres européennes de l'architecture qui auront lieu à l'Institut du monde arabe de Paris les 23 et 24 septembre prochain, réuniront les responsables des ministères en charge de l'architecture dans les quinze pays de l'Union ainsi que des organismes professionnels. Il s'agira, à l'heure où vont s'engager les négociations commerciales OMC-GATS sur les services, de faire le point sur le métier d'architecte et de définir une position européenne commune. Enfin sera lancé en novembre 2000 un réseau européen d'institutions et d'organismes chargés de la diffusion et de la promotion de la culture architecturale et urbaine. Et je souhaite vous assurer que nous mettrons à profit la présidence française de l'Union européenne, qui débute en juillet 2000, pour promouvoir une politique de l'architecture et du patrimoine à l'échelle européenne.
J'attacherai, dans ce cadre européen comme au plan national, une attention particulière à la mise en place d'une politique de protection du patrimoine du XXème siècle, car il s'agit d'un patrimoine souvent particulièrement vulnérable. Les mutations de l'ère industrielle et le développement des activités de service nous font notamment prendre conscience de la valeur, jusqu'ici largement ignorée, du patrimoine industriel récent : moment charnière où nous prenons conscience de la valeur et de la fragilité d'un patrimoine essentiel pour la construction de l'identité citoyenne de demain, sans pour autant bénéficier du recul nécessaire permettant d'intervenir de manière sélective et définitive. Il faut porter une attention particulière à cet instant fugitif où la création contemporaine devient le patrimoine de demain et penser l'innovation architecturale dans ce continuum passé-présent-futur. Les Journées du Patrimoine célébreront d'ailleurs l'an 2000 en consacrant leur 17ème édition à ce Patrimoine du XXe siècle.
Par cette politique des espaces et du patrimoine, par l'élaboration de nouveaux modes d'intervention, nous concilions, je le crois, les impératifs de protection des principales richesses nationales, l'adaptation de la politique culturelle à l'extension du champ du patrimoine, et la recherche d'une nouvelle manière d'habiter la ville.
Cette attention doit être celle de tous les citoyens, porteurs d'une culture et d'un souci communs, responsables de leur cadre de vie et redevables du patrimoine qu'ils légueront aux générations futures. Le rôle de l'Etat en ce domaine est essentiel, mais il ne peut être qu'incitatif, ne devenant impératif que dans les cas les plus extrêmes ou les plus urgents. Je souhaite donc que tous les acteurs du patrimoine et de l'architecture, collectivités territoriales, architectes, partenaires privés, associations, se mobilisent aux côtés de l'Etat autour de cette cause commune, de cette cause citoyenne. Depuis deux ans, grâce en particulier aux efforts de François Barré, Directeur de l'architecture et du patrimoine, et de toute son équipe, des résultats essentiels ont été obtenus. Mais la route est encore longue. Merci donc de continuer à bâtir, pierre après pierre, cette culture du patrimoine et de la cité, qui fera de nous, pleinement, des citoyens libres et responsables.
ean-Jacques Rousseau écrivait dans " Le Contrat Social " : " Le vrai sens du mot citoyen s'est presque entièrement effacé chez les Modernes : la plupart prennent une ville pour une cité et un bourgeois pour un citoyen. Ils ne savent pas que les maisons font la ville, mais que les citoyens font la cité. ". Nous voulons faire les deux, la ville et la cité, l'édification et la citoyenneté.
Je voudrais, avant de terminer, vous présenter en quelques mots cette nouvelle édition des Journées du Patrimoine. Il m'est évidemment impossible de vous présenter le détail des ouvertures et animations proposées au public pendant ces deux jours. Je vous renvoie au volumineux dossier qui vous a été remis et qui recense région par région les manifestations présentées dans toute la France. Comme vous le noterez, de nombreuses initiatives sont organisées sur les thèmes de cette année ; elles donneront ainsi à chaque citoyen l'occasion de découvrir et d'exercer une dimension essentielle de sa citoyenneté, à l'échelle qu'il souhaitera. Le programme complet est par ailleurs disponible sur le serveur Minitel du ministère de la Culture et de la Communication et sur Internet.
Je veux juste attirer votre attention sur quelques moments forts de ces deux jours. Une présentation des travaux, faite par les acteurs de la restauration, saluera la fin du grand chantier de la cathédrale Notre-Dame du Puy-en-Velay, entrepris en septembre 1994. La restauration du parlement de Bretagne à Rennes, monument historique réalisé par Salomon de Brosse et dont l'incendie, les 4 et 5 février 1994, avait ému tous les défenseurs du patrimoine, touche également à son terme : la cour d'appel y sera réinstallée dès le mois prochain, et le bâtiment réouvert à la visite à compter du mois de novembre. Il sera accessible en avant-première et gratuitement à l'occasion des Journées. Enfin, je saluerai à titre personnel l'ouverture exceptionnelle des salons de l'hôtel de ville de Strasbourg et celle de l'ENA. Le service public et le sens du bien commun sont évidemment des éléments actifs de la citoyenneté.
De nombreuses mairies, mais encore des conseils généraux et des conseils régionaux, des palais de justice, des préfectures, des écoles, des collèges, des lycées, des bibliothèques, des archives, des musées d'art et d'histoire, des maisons des associations, des casernes de militaires, de gendarmes, de pompiers, des maisons des syndicats, des coopératives, des hôpitaux et des hospices, des sites des deux dernières guerres, des lieux de la résistance, des sites archéologiques ... nous conteront la longue histoire de la citoyenneté, ses lieux et ses conquêtes, de l'antiquité à nos jours, du Moyen-Age à l'émergence des droits de l'Homme, de la naissance de Marianne en 1792, à la consolidation de la démocratie et du Parlement. Cette conquête de nos libertés, c'est à la fois le livre de pierre dont parlait Hugo, mais aussi celui d'une conscience active et d'une participation citoyenne.
Il ne me reste plus qu'à remercier les acteurs de cette manifestation, au premier rang desquelles les directions régionales des affaires culturelles, qui ont cette année encore fait preuve de beaucoup d'initiative et d'originalité dans la mise en place des animations. Elles assurent, avec la caisse nationale des monuments historiques, les services départementaux de l'architecture et du patrimoine, les propriétaires privés et publics, les architectes des monuments historiques et les architectes des Bâtiments de France le succès de ces Journées. A tous, j'adresse mes plus vifs remerciements.
Je tiens aussi à remercier ceux qui, durant ces deux jours, sont nos partenaires : France-Loisirs, qui coédite l'ouvrage Patrimoine et citoyenneté, à l'occasion de ces Journées, ouvrage qui vous sera offert à l'issue de cette conférence, Reflets de France, RTL, les associations dont la Demeure historique, Vieilles maisons françaises, la Fondation du Patrimoine. Merci enfin à la société ITI de France Télécom qui aide le ministère à présenter le programme national sur Internet.
Je tiens aussi à remercier ceux qui, durant ces deux jours, sont nos partenaires : France-Loisirs, qui coédite l'ouvrage Patrimoine et citoyenneté, à l'occasion de ces Journées, ouvrage qui vous sera offert à l'issue de cette conférence, Reflets de France, RTL, les associations dont la Demeure historique, Vieilles maisons françaises, la Fondation du Patrimoine. Merci enfin à la société ITI de France Télécom qui aide le ministère à présenter le programme national sur Internet.
Je souhaite à tous les participants de très enrichissantes découvertes durant ces deux jours. Pour ma part, j'ouvrirai le samedi 18 septembre à 9 heures, les portes du Ministère de la Culture au Palais Royal, où j'accueillerai les premiers visiteurs. Je me rendrai ensuite en Val-de-Marne, à Périgny-sur-Yerre, pour voir un monument historique récent classé il y a peu : la villa-closerie Falbala, uvre exceptionnelle de Jean Dubuffet, créée par l'artiste de 1971 à 1973. Toujours dans la Val-de- Marne, j'envisage de visiter à Saint Maurice l'hôpital Esquirol, ancien asile d'aliénés de Charenton où fut enfermé le marquis de Sade. L'hospice a été entièrement reconstruit, entre 1834 et 1880, selon les règles hygiénistes de l'époque. Je conclurerai ce programme de visites au Panthéon, monument national et temple de la citoyenneté. Une exposition de l'artiste Ming y est actuellement accueillie : éloge du métissage, elle présente 63 portraits d'enfants de Soweto, de la Réunion et d'Aubervilliers.
(Source http://www.culture.gouv.fr, le 7 septembre 1999)