Interviews de M. Jean-Marie Le Pen, président du Front national et candidat à l'élection présidentielle 2002, sur "France Inter", le 21 mars 2002 notamment sur la question de l'obtention des 500 signatures et sur certains aspects de son programme électoral comme ses propositions en matière d'immigration ou en matière de réforme fiscale.

Prononcé le

Média : France Inter

Texte intégral


Première partie - 7h45
J.-L. Hees
: Serez-vous candidat, la semaine prochaine, après l'examen par le Conseil constitutionnel des parrainages qui sont nécessaires ? Et j'aimerais connaître votre "état de nerfs" si j'ose dire, si vous n'étiez pas validé par le Conseil constitutionnel, alors qu'un de vos anciens amis, B. Mégret, n'a pas l'air de se poser beaucoup de souci à cet égard...
- "Je réponds par la fin, si vous voulez. Monsieur Mégret reçoit, lui, l'aide de J. Chirac, alors que J. Chirac empêche que j'ai le nombre de signatures nécessaires. C'est ce qui fait la différence."
J.-L. Hees : Mais ça vous avez pu le constater auprès des maires que vous avez
interrogés ?
- "Oui, tout à fait. D'ailleurs ça a été confirmé par messieurs Pandraud, Pasqua, qui ont dit qu'il y a des ordres pour, non seulement ne pas donner de signatures à J.-M. Le Pen, mais d'en donner au contraire à un certain nombre de petits candidats qui sont chargés de rabattre les voix pour le deuxième tour, au cas où monsieur Chirac y serait."
J.-L. Hees : Alors, complot ? Ou c'est simplement les maires de France...?
- "Non, non. Je crois qu'il y a vraiment une machination. Et peut-être qu'elle vient de longue date. D'abord, il y a "la grève des maires", grève tout à fait étonnante puisque la loi enjoint aux maires de consentir des parrainages et ceci, en-dehors de toute notation politique, c'est presque qu'administratif. Cette loi avait pour but, vous le savez, d'écarter les candidats fantaisistes ou commerciaux. Bon. Ce n'est pas mon cas. J'ai eu deux fois 4,5 millions de voix, et je suis actuellement, dans les derniers sondages, en troisième position. Par conséquent, cette "grève des maires" serait justifiée, paraît-il, ou expliquée, par l'hostilité ou l'aigreur qu'ils auraient à l'égard des pouvoirs publics et de la manière dont ils sont traités. Or, je constate que personne n'a rien fait pour desserrer cet étau. Le président de l'Association des maires, qui est un sénateur RPR, s'est borné, au Congrès des maires, à constater cela, sans rappeler les maires à leur devoir."
J.-L. Hees : Et vous en êtes où aujourd'hui ? Est-ce que vous vous dites : j'ai mes signatures ou je ne les ai pas ?
- "Eh bien, j'en suis assez loin, parce que, j'avais compté sur les signatures, les pré-signatures, que j'avais pris la précaution de demander par avance, cette espèce d'engagement d'honneur, signé, de maires, qu'ils m'accorderaient, au jour venu, le parrainage. Et il faut bien reconnaître - et ça c'est un fait de moralité publique -, qu'il y a plus de 120 d'entre eux qui ont refusé d'honorer leur signature. Ce qui prouve que la moralité ne règne pas seulement en haut de l'édifice politique, mais aussi à tous ses niveaux."
J.-L. Hees : Que ferez-vous si vous n'avez pas vos signatures, donc si vous n'êtes candidat à la présidence de la République ?
- "D'abord, si je n'étais pas candidat à la présidence de la République, je participerais quand même à la campagne électorale. Et je pense que pourrais dire tout de même un certain nombre de choses - si on m'accorde l'antenne. Parce que vous pouvez bien vous en rendre compte, messieurs Jospin et Chirac, dans l'ambiguïté de leur double fonction de Président-candidat et de Premier ministre-candidat, occupent pratiquement 90 % de l'espace médiatique, n'en laissant que quelques minutes à leurs concurrents..."
J.-L. Hees : On va déjà faire 45 minutes, aujourd'hui, monsieur Le Pen, quand même...
- "C'est la première fois depuis un an, mais je vous en remercie beaucoup."
J.-L. Hees : Il y a un début à tout !
- "C'est vrai, ça fait une bonne moyenne. Je vous rappelle pour les auditeurs, qu'en 18 mois, 2000 et 2001, le CSA a reconnu que j'avais eu 0,2 % du temps d'antenne. On ne peut pas dire que j'ai abusé des antennes nationales, périphériques ou privées. Cela étant, ce dont il s'agit, c'est beaucoup plus grave, c'est l'élection du président de la République, c'est la plus importante élection de notre système constitutionnel. Or, cette élection risque tellement d'être faussée, que des gens comme monsieur Borloo, qui ne sont pas de ma paroisse, ont rendu visite au Conseil constitutionnel pour demander la suspension de la campagne électorale. Parce que le jeu de cette loi, l'attitude des maires et les pressions qui sont faites sur les maires ont complètement perverti cette institution, et en quelque sorte, ramené à la IVème République, ce qu'avait voulu formellement exclure le constituant de 1958, le général de Gaulle, à savoir écarter les partis. Autrefois, vous le savez, le président de la République était élu par un Collège restreint, mais secret tout de même. Alors que là, nous avons une élection en principe au suffrage universel public, qui est celle du jour de l'élection, mais qui est précédée d'un suffrage restreint - plutôt secret - public. Là, les maires doivent dire qui ils vont parrainer. Or, cette institution, qui n'est pas politique, a, qu'on le veuille ou non, pris un tour politique, d'autant qu'elle a été politisée par un certain nombre d'acteurs, et en particulier par J. Chirac qui a préparé en quelque sorte sa réélection. Il a des raisons sans doute supplémentaires à celles d'un candidat normal pour essayer de réussir, en toute hypothèse..."
J.-L. Hees : Lesquelles, soyons clairs ?
- "Eh bien, il faut aller lui demander à lui. Je pense que..."
J.-L. Hees : Oui, mais c'est vous qui en parlez, alors...
- "Ca vaudrait peut-être mieux de parler de ça que de parler des confidences dans les avions qui occupent l'espace politique, alors qu'on entend très peu parler de la France, de son avenir. La France est-elle encore un pays indépendant ? Et si elle l'est encore, ce dont je doute, va-t-elle le rester ? Quel va être l'avenir de la liberté des Français, de leur sécurité ? Tout cela... On entend le "blablabla" ordinaire de gens qui n'ont pas fait hier ce qu'ils promettent aujourd'hui et qu'ils ne tiendront évidemment pas !"
P. Le Marc : Si vous n'aviez pas vos signatures vous participeriez, dites-vous, de l'élection et au débat sur cette élection, avec une volonté de rétorsion à l'égard de J. Chirac ?
- "Je crois que ça serait une volonté de justice. Un homme qui est chargé de défendre la Constitution et la démocratie, et qui la viole, doit être écarté, c'est évident. Mais je dois dire que dans ce domaine, monsieur Jospin qui eût pu se démarquer - il ne se démarque pas beaucoup autrement que dans les pantomimes de - comment dirais-je ? - de chocs de gants, n'est-ce pas, que l'on voit sur le ring. Car sollicités tous les deux de donner leur avis sur la question, monsieur Chirac a répondu : "La Constitution a ses règles". Il s'est trompé une fois de plus. Ce n'est pas la Constitution, c'est la loi. Mais ce qui est étonnant, c'est que exactement dans les mêmes termes, madame Aubry, parlant au nom de monsieur Jospin, a dit : "La Constitution a ses règles". On sait que les élèves ont triché quand deux élèves ont fait la même erreur, et qu'ils sont l'un près de l'autre. Et là, on s'aperçoit qu'ils ont triché tous les deux. Alors, on s'aperçoit qu'il y a donc le Premier ministre et J. Chirac qui ont un intérêt commun à ce que le principal candidat de l'opposition, celui qui n'est pas tenu par les affaires, celui qui a la liberté de parler d'un certain nombre de sujets tabous, dont un sujet qu'ils sont convenus de ne jamais parler, à savoir l'immigration, d'une part, et d'autre part, la relation directe qu'il y a entre l'insécurité et sa poussée et l'immigration. Donc, Le Pen c'est celui qui parlera des sujets tabous. C'est la raison pour laquelle ils font tous leurs efforts, surtout J. Chirac, je dois le dire. Je prends un exemple : il a lancé, ces jours derniers, une demande à l'ensemble du corps restreint, pour lui donner des signatures. Or, il est bien évident que J. Chirac n'a pas besoin de plus de 500 signatures. Alors pourquoi fait-il ça ? C'est la terre brûlée. C'est-à-dire qu'on pompe, si possible, soi-même, avec tous ces petits candidats-satellites, le maximum de signatures, de façon à ce que J.-M. Le Pen n'ait pas les siennes."
J.-L. Hees : Il y a 36.000 communes en France tout de même !
- "Oui..."
S. Paoli : Monsieur Le Pen, de plus, c'est votre quatrième candidature. Donc, qu'allez-vous dire aux militants du Front national si vous n'y êtes pas, si vous n'avez pas vos 500 signatures ? Quelles consignes allez-vous donner dans cette bataille pour la présidentielle ?
- "Je ne sais pas, nous verrons bien à ce moment-là. Pour l'instant, la consigne qu'ils ont c'est d'aller visiter les maires pour essayer d'obtenir d'eux un geste de courage, puisque le grand argument qui nous ait donné par les maires c'est la peur : "Nous avons peur", "nous avons peur pour nos subventions", "nous avons peur pour nos investitures"... La peur semble être devenue aujourd'hui le sentiment le plus commun en France. Or, c'est quand même assez extraordinaire. Je représente 15 % des voix aux élections présidentielles, et je n'ai pas réussi à avoir 1 % - 1% !! - des voix de maires, alors que ces maires disent dans leurs conversations : "Oui, nous votons pour J.-M. Le Pen, mais nous ne donnerons pas la signature, nous ne signerons pour personne". Car c'étaient ce qu'avaient dit 60 % des maires dans un sondage, lors du Congrès des maires de France. Monsieur Delevoye a simplement pris acte de cela, il ne s'en est pas étonné. "Nous ne signerons pour personne". Il s'agit là d'une violation directe du fonctionnement des pouvoirs publics, et les hommes qui sont chargés de contrôler et de faire fonctionner les pouvoirs publics c'est : le président de la République, le Premier ministre et le président du Conseil constitutionnel. Ces gens-là sollicités de donner leur avis ? Moi, qu'est-ce que je demandais ? Qu'ils appellent les maires en disant : "Messieurs les maires, ceci n'est pas un vote politique. Vous ne serez pas l'objet de rétorsions, vous ne devez pas avoir peur des menaces. Nous vous demandons de remplir la fonction que la loi vous a donnée". Aucune des ces trois personnalités n'a lancé cet appel."
J.-L. Hees : J'ai vu, hier soir, à la télévision, sur Arte, un portrait de vous, un portrait du représentant de l'extrême droite en France depuis de nombreuses années. Et puis on a devant nous, depuis quelques temps, depuis quelques jours, depuis le début de la campagne, un homme qui a l'air différent, qui est, j'allais dire moins belliqueux, si cela ne vous dérange pas. Et je me demandais si c'était un effet de l'âge, puisque l'âge est la mode dans cette campagne, ou bien...
- "Ah oui !"
J.-L. Hees : Ou bien si c'était une maturation ? Ou bien si c'était le fait que B. Mégret avait peut-être raison, que pour être un parti de gouvernement, il faut y participer, donc peut-être avoir une image différente ? Je voudrais avoir votre avis là-dessus, les Français sûrement aussi.
- "Oui, c'est ça, il ne faut pas être dans l'opposition quoi ! Il faut être de connivence ou de complicité..."
J.-L. Hees : Je n'ai pas d'avis ...
- "Non, non, mais vous parlez de Mégret, alors je vous dis : il faut être de complicité ou de connivence avec le pouvoir, il faut annoncer par avance que l'on se désistera pour monsieur Chirac et à ce moment-là, non seulement on n'est pas l'objet de son ire ou de sa colère, mais au contraire de ses soutiens, et ils peuvent être nombreux, vous le pensez bien, pour un président de la République. Ce que vont en penser les Français, mais c'est un cataclysme, c'est une affaire d'une importance gravissime qui aura des répercussions en France, mais aussi à l'étranger, dans le monde. Parce que la France a une image plus ou moins justifiée d'ailleurs, de démocratie... Elle se considère souvent d'ailleurs, par la bouche de ses représentants, comme "une démocratie-modèle"."
J.-L. Hees : C'était sur le style monsieur Le Pen : est-ce que quelque chose a changé dans le style Le Pen ?
- "Non. Ce qui a changé, ce qui est étonnant en tout cas, c'est que l'on voit, chaque semaine, apparaître, à la télévision, des émissions sur l'extrême droite, voire même, il est annoncé un film, qui est de pure diffamation, qui sont des films de la "propaganda Staffel" ! C'est-à-dire que l'on met ça en pleine campagne électorale. Ce film sera programmé trois jours avant le scrutin. Bon. Eh bien... Ce sont des films qui ne correspondent pas du tout à la réalité, qui sont des films partisans. Mais non seulement ce sont des films partisans mais ce sont des films partisans qui reflètent, qui ont été pris à partir d'une réalité d'il y a dix ans, d'il y a quinze ans. Ce sont des films, vous savez, où on mêle les discours du Front national, les défilés de la Veermacht, un certain nombre de choses comme ça, qui sont des films de politique de combat. Or, je trouve ça étonnant. Ca prouve qu'on me craint et qu'on est prêts à faire n'importe quoi pour éviter que des millions de Français, car ce sont eux qui sont lésés dans cette affaire plus que moi encore... Moi, oui, j'ai engagé 45 millions de francs de dépenses électorales. Eh bien, si je ne suis pas candidat ils ne seront pas remboursés et bien sûr, c'est aussi un des effets espérés par les adversaires. Si on pouvait liquider en même temps que Le Pen son mouvement etc., dégoûter à jamais ces millions d'électeurs patriotes qui restent et qu'on se mettra dans la poche par des promesses directes ou qui simplement se réfugieront dans l'abstention, ah, quelle bonne affaire ! Mais ce n'est pas la démocratie et ce n'est pas la République !"
S. Paoli : Mais monsieur Le Pen, on n'échappe pas à son tempérament. Vous êtes vous-même un guerrier. Alors, est-ce que vous vous apprêtez à faire la guerre à Chirac si vous n'obtenez pas ces [signatures] ? Vous n'avez pas répondu vraiment à la question tout à l'heure...
- "Je ferais la guerre ? "La guerre", c'est un grand mot, parce que l'élection n'est pas un ballet de jeunes filles, n'est-ce pas, contrairement à ce qu'on semble... Parce que je vois les gens s'excuser - "Excusez-moi de vous demander pardon".... "Oh là, là ! Mea culpa, j'ai parlé de l'âge de J. Chirac !" etc. Mon Dieu ! Quand J. Chirac et Jospin, du perron de leur Palais respectif, en pleine campagne régionale, disaient : "Le Front national est un mouvement raciste, xénophobe et antisémite", ils ne se gênaient pas pour insulter les gens. Mais il est vrai qu'ils sont entre gens du même monde. J'entendais tout à l'heure votre chronique sur l'entreprise qui me faisait bien rire, puisque je suis le seul chef d'entreprise de cette campagne électorale. Donc, je ne suis pas pris en considération par les chefs d'entreprise. C'est vrai, tous ces hommes-là sortent du même moule ; ils sortent tous de l'ENA, ce sont tous des hauts fonctionnaires. Mais il n'y a aucune surprise à avoir car, vous l'avez dit à l'antenne tout à l'heure : 90 % du personnel politique français est composé de fonctionnaires ou d'anciens fonctionnaires. Ceci explique sans doute cela. On a horreur des hommes libres dans ce pays et on essaye de les faire taire !"

Deuxième partie - 8h15
S. Paoli : On vient d'entendre, dans le journal d'A. Passerel, B. Mégret dire que c'est la gauche socialiste qui vous soutient dans cette bataille que vous menez contre J. Chirac...
- "Cela n'apparaît qu'aux yeux de ce petit supplétif chiraquien et cela fait partie des calomnies que Chirac n'ose pas lancer lui-même et qu'il fait lancer par ses sbires. Toujours dans la marginalisation de nos idées, je voudrais rappeler que B. Mégret pèse actuellement 0,5 % dans les sondages et moi 11 %, c'est-à-dire 22 fois plus que lui. Au moins dans les sondages, les électeurs ont compris ce qu'il était et ce qu'il représentait."
J.-L. Hees : Ce n'est tout même pas évident de s'y retrouver : imaginez que je sois un électeur de droite, j'aurais peut-être du mal aujourd'hui à m'y retrouver, entre vous, entre monsieur Pasqua, entre monsieur Chevènement, pour qui vous avez d'ailleurs des gentillesses - je crois que vous l'avez appelé "Marie-Louise du 3ème âge", lors d'un congrès du FN le mois dernier... Mais avouez que ce n'est pas évident de s'y retrouver !
- "Vous plaisantez ? C'est cela l'essence d'une élection ! Une élection consiste à choisir quelqu'un parmi de nombreux candidats ; ça a l'air de vous étonner ?! Il est évident que cela se prête à toute sorte de manoeuvres. Il y a des candidats qui ne sont là que pour assécher le marécage des parrainages - il y a de l'eau, il faut la pomper, parce que quand elle est pompée, les autres ne l'ont pas. D'autres sont chargés de rabattre les voix, pour essayer de les apporter aux candidats au second tour. Moi, je ne suis pas un candidat de ce style, je suis un candidat libre et je crois que c'est ce qui n'est pas supporté par la classe politique qui, on le voit bien, est de connivence sur tant de sujets. Pour clore sur ce sujet, je voudrais dire une chose : la balle est maintenant dans le camp des maires. Il y a, d'après les sondages, 18.000 maires qui n'auraient donné leur signature à personne. Ceux-là, je voudrais les appeler à respecter ce qu'a voulu le législateur, à savoir que les grands courants politiques puissent être représentés. Leur choix n'a rien de politique, on le sait, même si cela n'a pas été rappelé par le Conseil constitutionnel. La balle est aussi dans le camp de leurs électeurs, parce qu'il n'est pas du tout inutile que les électeurs, après tout, prennent contact avec leur maire pour leur demander de faire ce qu'ils croient devoir être fait. C'est ainsi, par exemple, que j'ai rencontré un maire qui m'a dit qu'il n'avait pas l'intention de me donner sa signature, et que ce sont les ouvriers de son usine qui sont venus le voir pour lui demander de signer pour moi, parce qu'ils avaient l'intention de voter pour moi. Il m'a fait part de sa surprise, mais il l'a fait. Je crois que les électeurs peuvent faire beaucoup en téléphonant à leur maire, en allant leur rendre visite à la mairie, et les maires, je pense, peuvent peut-être accepter, cette fois-ci, de remplir la mission que la loi leur a donnée. Parce qu'ils sont des élus mais ils ont des missions particulières et ils doivent les remplir."
P. Le Marc : Parlons projet. Ce projet est tout à fait radical, ses deux principaux points, c'est d'une part, la rupture des engagements européens et d'autre part, la préférence nationale, c'est-à-dire la réduction du droit des immigrés. Est-ce que ce projet ne souffre pas de quelques contradictions majeures et est-ce que l'une de ces contradictions majeures, ce n'est pas que ce projet est tout à fait contraire au choix des Français, aux choix européen des Français mais aussi au choix d'un pays ouvert sur les autres, humaniste et non xénophobe ? N'est-ce pas la source de votre difficulté ?
- "Ma démarche n'a rien de xénophobe ; je ne suis pas xénophobe, je suis francophile, c'est tout à fait différent. C'est-à-dire que je n'ai aucune hostilité à l'égard des autres pays et singulièrement pas à l'égard des pays européens. Je suis d'ailleurs partisan d'une coopération européenne, non pas dans un cadre fédéral dans lequel la France disparaît, dans lequel l'Etat français devient non plus un Etat libre... C'est l'inverse de la démarche de Clinton, qui était gouverneur de l'Arkansas et il est devenu Président des Etats-Unis ; Chirac était Président de la France, il va devenir maintenant le gouverneur de la France."
P. Le Marc : Visiblement, les Français ne vous entendent pas, puisqu'ils ne souscrivent pas à votre projet.
- "Je vous rappelle quand même que Maastricht a été voté à quelques voix de majorité et qu'il y a avait une très forte minorité de Français..."
P. Le Marc : Depuis, il s'est passé des choses, l'euro a été adopté par les Français de manière...
- "Non, l'euro a été imposé aux Français, il n'a pas été adopté par eux. D'ailleurs, pour ce qui touche l'euro, je voudrais préciser que j'étais d'accord pour la monnaie commune, mais pas pour la monnaie unique."
P. Le Marc : Il ne s'est rien passé en ce début d'année, à votre avis ?
- "Qu'est-ce qui aurait pu se passer ? Ce qui s'est passé avec l'euro, c'est qu'en deux ans, il a perdu 35 % de sa valeur alors qu'il avait été annoncé comme l'instrument de combat contre le dollar. Pour l'instant, il lui est complètement soumis et on n'est pas sûr qu'avec les évolutions économiques, l'euro ne nous mette pas dans des situations intenables. Je vous rappelle que compte tenu des traités et de la modération des déficits, s'il y avait une crise, le Gouvernement n'aurait qu'une seule possibilité : celle de diminuer les salaires et les traitements. Il n'y en aurait pas d'autres, à cause, précisément, des accords européens."
S. Paoli : Où nous conduirait - ce qui figure aussi dans votre programme - ce protectionnisme que vous revendiquez aujourd'hui pour la France, dans un espace qui est celui de l'Europe ? Ce serait l'isolement total ?
- "Non, ce n'est pas l'isolement. Les frontières, c'est un peu comme votre fenêtre : elle peut être fermée quand il fait froid, elle peut être ouverte, elle peut aussi être entrouverte ou modulée - à moins que vous ayez un climatiseur, ce que je vous souhaite ! Mais si vous n'avez pas de climatiseur, vous modulez vous-même les ouvertures et les fermetures de vos fenêtres, comme de vos frontières."
S. Paoli : Le protectionnisme est un mot qui a un sens plus fort que ce que vous décrivez.
- "Je n'ai jamais dit que c'était un protectionnisme, ou en tous les cas, un protectionnisme éclairé. Nous sommes nombreux à contester les effets néfastes de la mondialisation. Et ces effets sont clairs : nous ne sommes pas en mesure de lutter, tant sur les produits manufacturés que sur les produits agricoles ou sur le poisson ; nous ne sommes pas en mesure de lutter contre des pays qui n'ont pas de législation sociale et dont les coûts sont infiniment moindres que les nôtres. Ce qui veut dire que cette concurrence se traduira par la ruine de la prospérité française. A moins que celle-ci, ce qui est normale, ne se protège. Ce qui ne veut pas dire qu'elle élève une ligne Maginot : cela veut dire qu'elle protège un certain nombre de ses productions. Je voudrais rappeler que la meilleure garantie de la stabilité économique d'un pays, c'est son marché intérieur. Ce qui fait la force des Etats-Unis, c'est de n'exporter que 20 % et d'importer 20 %. En fait, 80 % de leur production va sur leur marché intérieur. Nous nous flattons d'être des exportateurs, des champions de l'exportation. Il n'y a qu'un malheur, c'est que quand on est exportateur, on est aussi importateur. Et ce qui était, par exemple, dans le domaine du pétrole, très favorable il y a quelques mois - à 17 $ le baril - le devient beaucoup moins à 25 $ le baril et pourrait être terrible à 32 $ le baril."
J.-L. Hees :
Je change de sujet. Les journalistes qui sont présents dans ce studio étaient, il y a trois jours à Alger, pour une série d'émissions en direct à l'occasion du 40ème anniversaire des accords d'Evian. Vous parliez tout à l'heure de votre francophilie et nous, on a senti là-bas une extraordinaire francophilie chez les Algériens d'Algérie aujourd'hui. Quelle vision avez-vous des relations qu'on devrait avoir avec l'Algérie 40 ans après ?
- "Disons d'abord, tant mieux si le Gouvernement algérien, et les Algériens en règle générale, sont francophiles ; ils sont d'ailleurs souvent francophone, ce qui aide un peu. Je souhaite tout à fait que d'excellentes relations s'établissent entre ce territoire qui a appartenu pendant 130 ans à la France et qui reste prodigieusement marqué par lui, même si le retour de la férocité et de la barbarie sont de nature à inquiéter sur la stabilité et la possibilité de développement économique de ce pays. Mais c'est un pays étranger, qui s'est voulu tel - et dans quelles circonstances, on le sait. Par conséquent, que nous ayons avec ce pays des relations qui sont d'autant plus normales qu'il est au sud de la Méditerranée, qu'il est proche de nous. Mais ceci ne doit pas nous amener à être le réservoir du trop-plein de la population algérienne."
J.-L. Hees : Vous ne vous êtes pas réconcilié avec cette partie de la population algérienne qui est venue en France et qui s'est établie et qui est française ?
- "Je n'ai jamais été fâché avec les immigrés. Je reçois généralement dans la rue, de leur part, qu'ils soient Africains ou Nord-Africains, le meilleur accueil, ce qui vous paraîtra sans doute paradoxal, parce que je crois que je suis regardé avec des oeillères et à travers des lunettes partisanes."
S. Paoli : Vous avez souvent tenu des propos qui pouvaient permettre de penser le contraire...
- "Par exemple ? "
S. Paoli : Nombres de déclarations sur l'immigration...
- "Sans faire une querelle sémantique, la nuance est d'importance. Je n'ai jamais condamné les immigrés, mais la politique d'immigration. J'ai toujours dit dans tous mes discours, sans exception, que ce ne sont pas les immigrés qui sont responsables de la politique d'immigration, c'est exclusivement les politiciens français de droite et de gauche. C'est clair ça !"
P. Le Marc : Mais vous voulez réduire...
- "...le nombre des immigrés, oui, bien sûr !"
P. Le Marc : ...et le droit des immigrés en France.
- "Bien sûr que oui, parce que qu'est-ce qui fait venir les immigrés en France ? C'est l'égalitarisme des mesures sociales, ce que j'appelle "les pompes aspirantes". Tout individu qui rentre dans notre territoire, fût-ce de façon illégale, pratiquement, reçoit des avantages qui lui donne un statut social 100 fois supérieur à celui qu'il a dans son propre pays ! Il est bien évident que les milliards de gens du Tiers-Monde pensent tous venir en France, et ils viennent. Car ce que nous vivons comme phénomène de l'immigration n'est que le début du commencement, puisque la commission de l'ONU elle-même nous a dit que dans les 20 prochaines années, nous devrions nous préparer à recevoir 27 millions d'immigrés supplémentaires. Ce n'est pas moi qui le dis, c'est la commission de l'ONU. Il y a des gens qui pensent que les frontières, les nations sont détruites, qu'on va égaliser le monde. Je dis aux Français que cette égalisation du monde se fera bien évidemment à leur détriment, qu'ils ne seront plus les maîtres chez eux, qu'ils seront submergés et que leur niveau social descendra de 2 000 % pour commencer."

Troisième partie - 8h45
S. Paoli : Pendant sa revue de presse, Y. Decaen faisait allusion à un éditorialiste ce matin qui parle de ce qu'il juge être une forme d'hystérie relative au thème de l'insécurité. Dans votre programme, vous proposez l'instauration de l'état d'urgence. Est-ce que ce n'est pas participer d'une forme d'hystérie sur le thème de l'insécurité ?
- "Est-ce que je pourrais dire quelque chose avant, pour répondre à la revue de presse et à M. Caviliolo [phon.] qui, je crois savoir, a vieilli et assez mal vieilli, car j'ai trouvé son papier assez laborieux et plein de poncifs. Visiblement, M. Caviliolo ne m'a jamais entendu parler ailleurs peut-être que dans quelques extraits télévisés - et encore - ou radiophoniques. Alors, je voudrais simplement faire un sort à un poncif qu'il a utilisé, qui est souvent utilisé d'ailleurs, relatif à la guerre mondiale, au nazisme et à tout cela. Je n'ai jamais été un admirateur du "pas de l'oie". Mon père est mort pour la France pendant la deuxième guerre mondiale et j'ai moi-même été un résistant, même si je n'ai pas crié ça sur les toits. Il y a des tas de gens qui le sont devenus après la guerre. Moi, pendant la guerre, je détenais des armes chez moi. J'avais, quand mon père est mort, 14 ans. Je les ai gardées et ceci vous faisait risquer la peine de mort car j'étais en zone interdite, sur les côtes bretonnes. Par conséquent, je n'aime pas beaucoup qu'on vienne me raconter cette histoire-là. Mais il est vrai que L. Malle, m'invitant un jour à déjeuner m'avait dit : "J.-M. Le Pen, je vais faire un film n'est-ce pas et je m'adresse à vous parce que je sais que vous êtes un ancien officier de Waffen SS". Alors, je lui ai dit : "Ecoutez, je tombe des nues. Vous pouvez dire que vous croyez mais pas que vous savez". Il me dit : "Mais tout Paris, M. Le Pen, sait que vous êtes un ancien officier de Waffen SS". J'ai dit : "D'abord, j'avais seize ans lors du débarquement et, ensuite, ce que le peu que j'ai fait, je l'ai fait dans l'autre camp, pas dans celui-là". Ah, il était désolé, mais il croyait, comme tout Paris, comme tout ce show-bizz qui accorde ses voix aux uns et aux autres Je suis assez flatté, moi, que cet esthablissement clinquant et présomptueux ne donne pas ses voix à J.-M. Le Pen. Moi, je préfère les voix des ouvriers, des commerçants, des artisans..."
S. Paoli : Mais, pour en finir avec ça, M. Le Pen, c'est vrai quand même que lorsque vous aviez la SERP, votre maison de disques, vous avez édité des chants du IIIème Reich
- "Et puis, les discours de Lénine aussi ! Parce que quand on fait de l'édition historique, sauf si l'on est un partisan, on n'a pas d'illères. J'ai fait douze disques sur les discours du Général de Gaulle, j'ai fait un disque de F. Mitterrand. Mais j'en ai fait, il est vrai aussi, un de Tixier-Vignancourt. Voilà... Ce n'est pas parce qu'on fait des disques de Wagner qu'on est nazi..."
S. Paoli : Non, mais enfin, le Reich, c'est autre chose. Ca a un peu marqué.
- "Mais écoutez, M., le Reich, ça a été un élément de l'histoire. La musique militaire du Reich est un élément de l'histoire ! J'ai fait aussi un triple disque sur l'histoire d'Israël mais, de cela, on ne parle jamais !"
S. Paoli : Alors, sur la campagne, sur l'insécurité et peut-être l'hystérie de l'insécurité ?
J.-L. Hees : Si je puis me permettre tout de même, pour clore avec ça, M. Le Pen, il n'y a pas quelqu'un dans ce monde médiatique ou du show-bizz à Paris, dont vous aimeriez avoir le soutien, un soutien public, quelqu'un que vous admirez, que vous aimez bien - enfin sentir que quelqu'un vous aime bien et qui dit "Voilà, aux yeux de la France, je vote Le Pen" ?
- "Vous savez, j'étais l'ami de Pierre Fresnay, d'Arletty... Mais ils sont morts, ils sont morts ! Dans la jeune génération, je connaissais un certain nombre de chanteurs mais, généralement, ça leur a coûté cher d'être mon ami, parce qu'à partir du moment où ils ont chanté une fois à la fête des VVR, ils n'ont plus jamais été invités nulle part et leurs éditeurs leur ont coupé les vivres."
S. Paoli : Concernant cet éditorialiste qui pose la question de l'hystérie. Est-ce qu'il y a une hystérie autour du thème ?
- "Autrement dit, ce que dit ce monsieur, c'est qu'il y a une hystérie sécuritaire ? Mais c'est à tomber par terre ! Car l'hystérie me paraît être l'hystérie criminelle et délinquante, telle qu'elle se révèle dans son horreur et quelquefois dans sa barbarie nouvelle, à chaque détour des journaux, soit radiophoniques, télévisuels ou encore de presse écrite. Or, je voudrais vous rappeler que, justement, c'est ce qui m'est interdit de faire et ce que s'interdisent de dire les gens qui sont au pouvoir : c'est qu'il y a une relation très directe, que tout le monde voit, entre l'immigration et l'insécurité. Il suffit, pour s'en convaincre, d'ouvrir les pages de faits divers de nos journaux. Mais de cela, on ne veut pas parler et tant qu'on ne voudra pas regarder la réalité en face, qu'on ne voudra pas parler avec vérité, eh bien, on ne résoudra aucun problème - d'autant qu'on s'attache exclusivement à porter des remèdes aux conséquences mais jamais aux causes. Je prends un cas, par exemple. Il y a dans l'administration de la justice et la lutte contre l'insécurité ce qu'on peut appeler les "goulots d'étranglement". Il y en a un à la police, parce que le rapport entre le nombre des policiers et le nombre des délinquants et des criminels est tel qu'ils ne peuvent traiter qu'une partie des affaires. Il y a un goulot d'étranglement à la justice, parce que nous n'avons pratiquement pas plus de juges que nous n'en avions au XIXème siècle et que le budget du ministère de la Justice est pitoyable. Et puis, nous avons 50.000 places de prison, alors que les Etats-Unis en ont 1.500.000. Ce qui veut dire que le sursis est aujourd'hui pratiquement toujours appliqué, presque toujours : parce que pour mettre quelqu'un qui est condamné à deux ans de prison ferme en prison, il faudrait libérer un type qui est condamné à trois ans. Alors, on le laisse dehors. Il peut être condamné cinq fois, six fois, sept fois, douze fois avec sursis. Ceci évidemment crée un phénomène général d'impunité, renforce les criminels et les délinquants dans leur volonté de nuire et décourage absolument les serviteurs de l'Etat et les citoyens qui sont eux, et eux d'abord, les victimes. Car l'insécurité, comme l'anarchie, touche d'abord les faibles, les vieux, les pauvres, les femmes, les enfants..."
S. Paoli : Mais il faudrait aller jusqu'à l'état d'urgence ?
- "Mais pourquoi pas, mais pourquoi pas ? Il faut prendre les mesures qui s'imposent. Je ne suis pas un doctrinaire, moi. Il y a une situation très étonnante quand même : M. Chirac a découvert ça, le phénomène de l'insécurité, il s'est retourné et, brusquement, il a vu de l'insécurité. Mais mon Dieu, lui, il ne pouvait pas savoir ça, il venait de Sirius, vous savez, où il a été pendant sept ans ! Mais pendant sept ans, il ne s'est jamais aperçu d'un phénomène grandissant. Mais, maintenant, il s'en est rendu compte et on va voir ce qu'on va voir, croyez-moi ! Jospin, lui, il a été un peu naïf. Il avait cru que c'était le chômage qui créait l'insécurité. Eh bien, quand on a cet aveuglement comme homme politique, on a la pudeur de ne plus se représenter..."
J.-L. Hees : Mais est-ce que la violence et l'insécurité sont seulement la carence des hommes politiques ? Sérieusement, honnêtement, M. Le Pen, est-ce que ça ne peut être que ça ou bien est-ce que c'est un phénomène beaucoup plus complexe et qu'on ne résout pas simplement en doublant le nombre des cellules dans un pays comme la France ?Je voudrais avoir votre sentiment là-dessus, parce que tout le monde en parle, c'est vrai que ça devient hystérique...
- "Ne me prenez pas non plus, moi, pour un naïf, parce que j'ai toujours dit que ce phénomène d'insécurité était un phénomène complexe, qu'il touchait à la fois à la religion, à la famille, à l'école, à l'armée ! Tous étaient les piliers de la sécurité, c'était ce qui formait l'âme, en quelque sorte, et le comportement des citoyens pris dès l'enfance, l'adolescence et la jeunesse et les amenait au respect des lois, car ce sont quand même les lois que font la politique qui gouvernent le pays et qui donnent la ligne. Et quand on ne peut pas prévenir - Dieu sait si on a entendu des discours préventifs depuis trente ans, la prévention, la supériorité de la prévention sur la répression -, tout ça est bien joli ! Mais quand on n'a pas prévenu, eh bien, il faut réprimer, réprimer pour éviter que les voyous ne fassent la loi partout. Je regardais, l'autre jour, un reportage : c'étaient des immigrés musulmans et ils disaient : "Vous savez, nos enfants, nous ne les avons plus en main. C'est eux qui commandent. Autrefois, on leur donnait la fessée, quand ils faisaient mal, comme on nous la donnait à nous pour faire de nous des honnêtes citoyens. Maintenant, on leur a donné le 119, c'est-à-dire qu'ils appellent, pour faire un chantage sur les parents, ils disent "Ah, tu ne veux pas me payer des baskets ? Eh bien je vais téléphoner au 119 que tu me fais des mauvais traitements !". Eh bien, il y a là un effondrement, un laxisme moral dont les hommes politiques sont responsables. Et c'est pour ça qu'ils sont européistes. Ils sont européistes, parce qu'ils vont renvoyer le bébé à d'autres et ils vont dégager leurs responsabilités. Ils ont été incapables de s'opposer, incapables de regarder la réalité en face et d'imposer des solutions courageuses. Autrement dit, en toutes circonstances, on capitule, on recule, on veut éviter l'explosion. On donne de l'argent, des motos. Tenez, c'est le maire de Sevran qui s'est fait casser la figure par de jeunes immigrés parce que, cette année, il ne les avait pas envoyés aux sports d'hiver. Ah, les pauvres, tout de même, comme c'est triste ! Mais, lui, ce n'est pas volé à mon avis, car je ne crois pas qu'on résoudra ces problèmes et dites-vous bien une chose : c'est que la majeure partie des populations françaises, mais aussi immigrées, pensent que c'est un type comme Le Pen qu'il faudrait, parce qu'elles sont elles-mêmes victimes, elles sont victimes de cet état de chose. Elles subissent la terreur que font régner ces bandes..."
J.-L. Hees : Mais les maires des cités devraient vous donner des parrainages par milliers ! Je ne comprends pas...
- "Mais oui, mais oui, les maires devraient me donner des parrainages par milliers, pourquoi ne les donnent-ils pas ? Parce qu'ils ont peur des représailles, disent-ils, ils ont peur des représailles, comme les policiers ont peur des représailles, parce que les criminels et les délinquants leur disent "Toi, on te connaît, tu habites à tel endroit, tu as trois petites filles qui vont à l'école à tel endroit. Alors, tu vas cesser de nous casser les pieds parce que, sans ça, il va t'arriver quelque chose, crois-moi ". Et voilà, l'état d'esprit, c'est un véritable état d'esprit d'occupation de la pègre, qui est en train de s'installer. Alors, s'il faut établir l'état d'urgence, s'il faut durcir les lois, eh bien, on prendra les lois qui sont nécessaires pour faire face à la délinquance et au crime, dont je rappelle qu'ils sont passés, d'après l'Insee, l'an dernier, de 16 à 18 millions et non pas, selon les chiffres du ministère de l'Intérieur, de 3,5 millions à 4, ce qui serait déjà une progression fantastique. C'est que l'Insee prend en compte ce qu'on appelle "les enquêtes de victimisation", c'est-à-dire les gens qui ont été vraiment victimes d'une agression quelconque, alors que le ministère de l'Intérieur ne prend en compte que les plaintes avec constitution de partie civile. Il y a bien longtemps que les gens ne portent plus plainte, car ils savent, eux aussi, qu'en portant une plainte, leur adresse est sur la procédure et qu'ils peuvent être en effet repérés par leurs agresseurs."
P. Le Marc : Vous affichez votre volonté de lutter, je vous cite, "contre les féodalités politiques et syndicales". Alors, quelles mesures envisagez-vous concrètement pour atteindre cet objectif ?
- "Voulez-vous que je prenne une féodalité syndicale, par exemple ? Le syndicat de la magistrature, qui est un syndicat gauchiste, dont la proclamation de fondation portait ces mots : "Nous serons toujours contre le créancier pour le débiteur, contre le patron pour l'ouvrier, contre le délinquant contre le flic" et leur dernière brochure - ils représentent 30 % des magistrats français -, leur dernière brochure représente un policier avec une tête de cochon !"
P. Le Marc : Alors, vous voulez interdire ce syndicat ?
- "Ah non, je voudrais supprimer le syndicalisme dans la magistrature."
P. Le Marc : Vaste projet !
- "Dans la magistrature, parce qu'il existe dans d'autres pays du monde, pour régler les problèmes sociaux, les conflits sociaux, qui sont normaux dans toutes sortes de société, des procédures d'arbitrage obligatoire, parce que là où entrent en France le syndicat et le syndicalisme, entre la politique. Or, la justice doit être neutre. Un exemple : la présidente de ce Syndicat de la magistrature est venue, l'autre jour, proposer de témoigner en faveur des terroristes qui avaient fait sauter quinze fois à la bombe, soit des appartements, soit des bâtiments du Front national. Et elle est venue leur apporter son soutien moral - la présidente du Syndicat de la magistrature ! - uniquement parce qu'ils avaient attaqué le Front national. Alors, quand on est jugé par des gens comme ça, on a du souci à se faire. En revanche, quand on est un petit truand ou un gangster politique, on n'a aucune crainte à avoir quand ces juges-là sont en place, sans parler de ceux qui ont de vastes indulgences pour la pédophilie et tant d'autres histoires, y compris de haute politique."
J.-L. Hees : L'heure tourne, il nous reste quelques minutes seulement. Rapidement, si vous le permettez, J.-M. Le Pen, à propos de la fiscalité. C'est une année extraordinaire pour les électeurs de ce pays, parce qu'on leur propose beaucoup de réductions, beaucoup d'abaissements de la fiscalité, mais avec vous, alors, c'est encore mieux, il n'y aurait plus d'impôt sur le revenu ! Je dois dire que c'est une idée qui ne vous est pas née cette année, parce que c'est une idée que vous défendez depuis longtemps. Mais on a du mal à comprendre comment on peut ne pas payer d'impôt sur le revenu et puis, améliorer la justice, la police, l'éducation...
- "C'est une idée qui n'est défendue que par six Prix Nobel d'économie, y compris le Prix Nobel français, M. Allais. Voyez-vous, ce n'est pas une idée originale ! Pourquoi ? Je propose, non pas de saupoudrage qui est destiné à faire plaisir à tout le monde et dont évidemment les promesses seront oubliées après-demain. Mais je propose deux choses. D'abord, la suppression utile d'impôts. Le premier, c'est l'impôt sur les successions en ligne directe -8 milliards, c'est très peu de chose, c'est beaucoup moins que les pertes de France Télécom, c'est le dixième... Ces 8 milliards représentent, en fait, quelque chose de beaucoup plus néfaste. L'impôt sur les successions fait éclater les PME, qu'elles soient agricoles, qu'elles soient industrielles, artisanales ou commerciales et, pour maintenir ça, je crois qu'il faut supprimer cet impôt. Et il faut supprimer sur cinq ans, c'est ce que je propose, l'impôt sur les revenus du travail. La France est un pays qui ne travaille pas assez et elle travaille d'autant moins qu'on a réduit l'âge de la retraite et qu'on a obligé les entreprises aux 35 heures, alors qu'il faudrait travailler plus pour pouvoir faire face à la rivalité que nous oppose bien sûr le reste du monde. Alors, pourquoi l'impôt sur le revenu ? Parce que c'est un impôt qui est paralysant et qu'il frappe ceux qui se donnent la peine de s'efforcer de gagner de l'argent, qu'ils soient travailleurs ou qu'ils soient cadres ou entrepreneurs. Or, la France a besoin qu'il y ait des entrepreneurs et des travailleurs et ils ont besoin que ceux-là sachent que la plus grande partie de ce qu'ils vont gagner en faisant un effort supplémentaire de travail restera dans leur poche. Je vous rappelle que, dans ce domaine, la France est tout à fait en tête des prélèvements obligatoires, avec 45 % de prélèvements obligatoires et 54 % de dépenses publiques. Nous sommes quatre points de PIB, au-dessus..."
J.-L. Hees : PIB, Produit intérieur brut...
- "Oui, c'est ça. Nous sommes quatre points de prélèvements obligatoires PIB au-dessus de la moyenne des pays européens. La suppression de l'impôt sur le revenu aurait pour résultat, en cinq ans, de justement ramener le niveau de la France au niveau moyen des pays européens."
J.-L. Hees : Une dernière question, il nous reste un petit peu plus d'une minute seulement: c'est votre dernière campagne présidentielle ?
- "Je n'en sais rien. Vous savez, j'ai l'âge qu'avait Clémenceau en 1914. On ne peut pas dire qu'il ait été totalement inutile à la victoire de la France. Alors, par conséquent, tant que j'en aurais la force - je crois encore l'avoir dans un certain nombre de domaines -, j'assurerais ce que je crois être mon devoir pour un pays qui est extrêmement menacé mais qui, dramatiquement, ne le sait pas encore. Je crains qu'il ne le sache que quand il sera trop tard."
S. Paoli : Vous n'avez pas, vous aussi - j'ai lu ça quelque part - votre "tentation de Venise", aller marcher sur la plage avec votre épouse et vous occuper de vos petits-enfants ?
- "J'essaye de temps en temps de le faire quand même. Je fais des petites pauses. Je sais gérer mon temps et mon effort, ma santé..."
S. Paoli : Si vous n'y allez pas cette fois-ci, est-ce que c'est fini ?
- "Je n'en sais rien. Cela me donnerait plutôt envie de revenir à la barre, d'autant qu'on n'est jamais sûr tout de même, n'est-ce pas, que le président de la République attendra cinq ans avant de partir."
J.-L. Hees : Mais admettons que ce soit la dernière campagne de J.-M. Le Pen. D'abord, très rapidement, est-ce qu'il aurait des regrets ? Et puis, ensuite, qui incarnerait vos idées, les idées du Front ?
- "Eh bien, le président du Front National qui me succèderait tout naturellement, après avoir été élu par le congrès de cette organisation."
J.-L. Hees : Il y a des Dauphins ? Cela pousse derrière ?
- "Quant à moi, je me mettrai à la rédaction de mes mémoires, entre autres, ce qui pourrait faire trembler un certain nombre de gens, je pense."
J.-L. Hees : Vous pensez à qui ? Enfin... On se doute bien à qui vous pensez !
- "Je mettrai quelques pendules à l'heure que, pour l'instant, je me suis abstenu de toucher, parce que je suis dans l'action politique mais si je recouvrais, par hasard, ma liberté, eh bien, j'écrirais moi aussi des choses, peut-être plus intéressantes que d'aucuns."
(Source :Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 21 mars 2002)