Texte intégral
(Propos tenus à Kaboul, le 24 mars 2002) :
Q - Où en est l'Afghanistan ? Et que disent ses dirigeants ?
R - Je trouve que si on repense à la situation de l'Afghanistan avant la conférence de Bonn, si on regarde le chemin parcouru, si on voit ce qu'a fait ce gouvernement intérimaire déjà à l'heure actuelle avec M. Karzaï et le travail fait par rapport aux partenaires étrangers et aux donateurs, franchement, il ne pouvait pas faire mieux ni plus vite en trois mois. Ce que je souhaite maintenant, c'est que les Afghans parviennent à poursuivre le processus tel qu'il est prévu, ce qui veut dire qu'il faut réussir la Loya jirga du mois de juin. C'est la prochaine étape.
Q - Vos interlocuteurs vous ont-ils donnés les raisons du retard du retour de Zaher Shah ?
R - Non, ils ont expliqué que ceci était dû à des difficultés techniques, logistiques, d'accueil et de sécurité, mais je n'ai pas eu le sentiment qu'il y ait un problème de principe.
Ils se sont mis d'accord sur le fait qu'à un moment, il rentrerait pour apporter son soutien à ce processus, qu'il pouvait y jouer un rôle utile, je n'ai pas eu le sentiment que ce soit contesté.
Q - Le gouvernement afghan demande encore plus à la France dans certains domaines bien précis si j'ai bien compris ?
R - Le gouvernement afghan est, je crois, sensible à ce que nous avons déjà fait et le président Karzaï, le ministre des Affaires étrangères, le ministre de l'Intérieur m'ont redit à quel point ils avaient été sensibles à l'aide de la France sur des formes publiques et privées d'ailleurs pendant les années les plus noires.
M. Abdullah était aux côtés du commandant Massoud lors du petit-déjeuner que j'avais donné pour lui. Chaque fois, nous en parlons un peu car c'est un symbole très fort et je vois que cette équipe veut appliquer un certain nombre de principes politiques. Cette équipe avait animé le combat de Massoud contre les Taleban. Ils savent bien qu'il y a une passion française pour l'Afghanistan. Certains d'entre eux sont allés en France. M. Karzaï a même fait un stage à l'école de journalisme de Lille, plusieurs d'entre eux parlent un peu français. Ils voient bien que c'est profond, ce n'est pas seulement une posture diplomatique de circonstance.
Q - C'est pourquoi ils demandent beaucoup à la France ?
R - Ils sont je crois très contents de ce que nous avons déjà commencé de faire en matière d'éducation, en matière de santé. Ce sont des domaines dans lesquels nous avons été forts dans le passé, nous pouvons donc redémarrer encore plus efficacement et plus vite. Ils sont sensibles à ce que nous pourrions faire sur le plan juridique et constitutionnel, c'est un juriste français qui avait été l'élément clef de la constitution afghane qui fut très remarquable et qui ne comportait notamment aucune discrimination, avec un pouvoir intelligent. Ils sont ouverts à une bonne coopération dans ce domaine. Ils attendent de nous des choses dans beaucoup d'autres domaines culturels. Cela n'a pas l'air prioritaire lorsque l'on voit les ruines d'une grande partie de Kaboul, mais c'est aussi un élément du patrimoine, de leur identité, pour un pays qui veut retrouver foi en lui-même et confiance dans l'avenir. Ils nous demandent aussi de participer à la formation de démineurs, de police spécialisée dans la lutte contre la drogue, d'apporter notre concours sur le plan agricole où tout est à refaire. Il faut trouver des cultures de substitution à la drogue précisément, il faut réensemencer, reconstituer le cheptel, tout est à faire et sur tous les plans.
Q - Et que répondez-vous à ces demandes ?
R - Je réponds que nous ferons le mieux possible, dans la limite de nos moyens et de notre budget. Nous le ferons avec beaucoup de cur et vraiment, si je suis là aujourd'hui, c'est pour redire à Kaboul que nous voulons être, durablement aux côtés de nos amis afghans, et c'est vrai, quelle que soit la configuration politique en France.
Q - Y a-t-il une demande d'extension de l'Isaf ?
R - Moins qu'il y a quelques semaines car M. Karzaï a vu, au travers de ses contacts et de ses voyages que la demande de poursuivre l'Isaf était acceptée avec des contingents dont le nombre peut être modulé. Ce n'est pas fondamental, mais par contre, l'extension de l'Isaf à l'ensemble du pays posait beaucoup de problèmes à tous les participants et il faut traiter cette question de sécurisation du pays par d'autres procédés. L'Isaf est un élément de stabilisation, de dissuasion même, tout à fait important et nous mettrons l'accent sur la formation. Ce pays a besoin d'une vraie police, il a besoin d'une vraie armée dans laquelle l'ensemble des groupes des ethnies, des régions parviennent à coopérer ensemble. Ils ont besoin de se projeter dans l'avenir. Moi, je suis assez optimiste, contrairement à ce qui s'était passé il y a quelques années où les Afghans avaient été complètement abandonnés à eux-mêmes après le retrait soviétique et cela avait été le règne sans partage des seigneurs de la guerre. Aujourd'hui, le monde entier est avec eux pour les accompagner.
Il y a cette action militaire qui se poursuit à juste titre contre tous les résidus d'Al Qaïda qui sont dispersés, sur la défensive, qui peuvent garder la haine et une capacité de nuisance, c'est une chose, mais c'est surtout la construction et la reconstruction qui doit nous animer.
Nous, Français, nous faisons des propositions, nous fourmillons d'idées. Les Afghans font des demandes, ensuite, il faut coordonner tout cela et c'est d'ailleurs pour cela que je suis également passé voir M. Brahimi pour voir dans quel cadre rationnel d'ensemble ceci peut se situer. Car, nous ne devons pas leur imposer des coopérations ou que 3 pays européens proposent la même chose en même temps. J'avais d'ailleurs associé le représentant de l'Union européenne à nos entretiens. Il faut maintenant coordonner tout cela, pour que cela réponde bien aux besoins des Afghans et aux priorités qu'ils vont dégager.
Ils ont une tâche immense devant eux, et je ne vois même pas à quoi d'autre elle peut se comparer dans le monde actuel.
Q - Quelle est la position de la France sur la prolongation du mandat de l'Isaf ?
R - La prolongation, oui. L'extension géographique, aucun des pays participants ne le souhaite car c'est un engrenage compliqué qui, plutôt que d'apporter la sécurité et la stabilité risquerait de provoquer des polémiques entre les différentes forces afghanes, ce qui pourrait finalement ne pas être si bon que cela. En revanche, nous apportons tout notre soutien à la prolongation dans le temps de l'Isaf avec le mandat actuel, et d'autre part, au processus politique qui passe par la réussite de la Loya Jirga du mois de juin. Ensuite, 18 mois de transition et toutes les étapes définies durant la conférence de Bonn.
Q - Est-ce la première fois que vous venez à Kaboul ?
R - C'est la seconde fois, je suis venu en 1969, en voiture depuis Paris.
Q - Quel sentiment avez-vous eu en revoyant ce pays aujourd'hui ?
R - C'était un pays rude, fier, mais il n'était pas détruit et meurtri comme cela. Ce que nous venons de traverser ensemble est absolument poignant. Ce morceau de ville est anéanti, on peut ainsi mesurer le chemin qu'ils ont à accomplir et on a envie de les aider encore plus.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 26 mars 2002)
(Conférence de presse à Kaboul, le 24 mars 2002) :
Je voudrais dire simplement que je suis heureux, même ému d'être à Kaboul aujourd'hui et que, tous les membres de ma délégation, les parlementaires, représentants du Sénat et de l'Assemblée nationale, les hauts fonctionnaires du ministère des Affaires étrangères et nos différents invités, représentant aussi bien France Culture que des ONG importantes, nous ne vivons pas du tout cette visite comme si elle était normale et ordinaire. Il y a en France et depuis longtemps, une vraie passion pour l'Afghanistan qui s'est exprimée de différentes manières et qui aujourd'hui veut se traduire par l'aide la plus constructive possible.
Il faut travailler à ce que cette aide se traduise par un engagement auprès de nos amis afghans, du peuple afghan, des femmes afghanes, des hommes d'Afghanistan pour les aider dans ce travail fantastiquement difficile qui n'est même pas de reconstruction, car je trouve le terme faible mais de construction d'un Afghanistan nouveau sur beaucoup de plans. C'est une tâche de longue haleine et lorsque l'on parle avec eux, de ce qu'il faudrait faire, on voit bien que tout est prioritaire. C'est pour cela que c'est si difficile. Nous Français, nous avons un certain nombre de domaines dans lesquels nous avons travaillé dans le passé avec ce pays. Nous pouvions donc redémarrer plus vite et nous l'avons mis en avant. Mais, je suis venu avec l'idée de rechercher la meilleure adéquation possible entre ce que nous sommes en mesure de proposer et ce que peuvent souhaiter les Afghans qui eux-mêmes sont dans un processus de gouvernement qui se construit, un processus politique qui passe par des étapes comme cela a été prévu à Bonn.
Il faut ajuster au mieux les deux, tout en sachant qu'il y a les offres françaises de coopération et d'aide ainsi qu'énormément d'initiatives européennes ou internationales.
Il faut que ceci soit coordonné pour qu'il n'y ait pas de double emploi ni de perte de temps ou d'énergie. C'est dans cet esprit que je suis venu exprimer notre amitié à l'Afghanistan, notre disponibilité et notre désir de les accompagner.
Ce que j'ai entendu de la part du président Karzaï, du ministre des Affaires étrangères et du ministre de l'Intérieur, ainsi que de la part de M. Brahimi m'a paru vraiment encourageant. Certes, les actions militaires ne sont pas terminées dans ce pays, et c'est une très bonne chose que, les Etats-Unis notamment, avec l'aide de quelques pays sur des points particuliers dont le nôtre, poursuivent l'indispensable travail pour s'assurer que les résidus d'Al Qaïda ne puissent plus nuire. C'est fondamental, c'est la logique de la lutte contre le terrorisme qui doit être poursuivie sans relâche.
Mais, il y a cet autre immense chantier qui a débuté. Pensons à ce qu'était l'Afghanistan il y a quelques mois, aux incertitudes d'avant la conférence de Bonn, beaucoup pensaient qu'elle ne pourrait pas aboutir véritablement, or elle a abouti et les choses ne pouvaient pas aller mieux ni plus vite. Ce qu'ont fait le gouvernement de M. Karzaï ainsi que les Afghans est formidable. Il y a un peuple impatient de sortir de ce tunnel, de cette tragédie, pour tourner la page.
Nous ne pouvions pas être là hier, pour cette prérentrée scolaire, mais tout ceux qui y ont assisté, qui ont pu vivre ces moments ont écrit quelque chose de tout à fait touchant et qui donne confiance : les petites filles et les petits garçons qui se ruent sur le savoir, sur la connaissance, c'est l'une des clefs pour sortir de ce qu'ils ont vécu. C'est vraiment bien que la France puisse apporter la contribution que vous connaissez, au lycée des filles et à celui des garçons, reprenant le fil d'une ancienne tradition. Je voudrais là-dessus rendre hommage à ce qui a été fait par l'Education nationale mais aussi par France-Culture et par le ministère des Affaires étrangères bien sûr.
Vous savez que nous avons entamé des projets précis en matière de santé, d'agriculture, d'administration, de patrimoine, concernant le statut des femmes dans ce pays, la future constitution et dans des domaines un peu différents, la formation pour la future armée afghane, peut-être la question de la police notamment de lutte anti-drogue, car en plus de ce que nous avons déjà proposé ou entamé, les ministres que j'ai vus m'ont fait d'autres propositions. Je ne dis non à rien a priori, mais nous avons évidemment un budget, des moyens limités et nous ne pouvons pas tout faire. Il faut surtout s'assurer que cela s'articule bien, comme je l'indiquais avec ce que font les autres qui sont nombreux à agir. C'est le point dont j'ai parlé en particulier avec M. Brahimi pour la coordination et que notre aide soit la plus décisive, la mieux ajustée.
Voilà l'état dans lequel nous avons travaillé la délégation et moi-même dans tous nos contacts. C'est très rapide, c'est trop rapide mais c'est intense, ce n'est pas une visite comme une autre. A partir delà, nous pourrons rendre plus pertinente notre action par rapport à cet Afghanistan de demain. Je serai très heureux si ce message d'amitié et de confiance était entendu aujourd'hui.
Q - Vos interlocuteurs vous ont-ils parlé de leurs souhaits de voir l'Isaf sortir de Kaboul ?
R - C'est une question que nous avons traité avant avec M. Karzaï à Paris et également à différents niveaux. Concernant la prolongation dans le temps, l'accord est fait, nous avions de suite dit oui. Différents pays peuvent moduler l'importance des contingents, mais ce qui est important, c'est que cela se poursuive. En ce qui concerne l'extension géographique du mandat, M. Karzaï dans ses tournées a constaté une réticence générale de la part de ses partenaires quels qu'ils soient, car cela expose quand même cette force à être dans des situations difficiles. Malgré elle, elle aurait à arbitrer peut-être des conflits qui doivent relever du pouvoir afghan. Il y a donc une prudence assez grande dont nous n'avons pas reparlé aujourd'hui.
Q - Avez-vous abordé la question du désarmement ?
R - Non, pas directement. Indirectement par le biais de la question de la formation de l'armée nationale, puisque j'ai été questionné sur cette affaire qui est fondamentale comme pour la police d'ailleurs. Il faut absolument une armée dans ce pays qui échappe aux jeux des influences des groupes ethniques ou régionaux, des clientèles politiques ou du jeu des seigneurs de la guerre. Ils sont tous convaincus que cette aide est une nécessité. Ce dont vous parlez en fait partie, mais cela ne peut réellement fonctionner que si une armée réelle est en cours de constitution et que ceux qui attendaient leur sécurité d'une armée spécialisée commencent à penser qu'il y a une armée dans ce pays qui assurera la sécurité de tous. Les deux problèmes sont donc étroitement liés.
Q - Pensez-vous que l'armée afghane sera à même de reprendre le commandement du pays sans dérapage ou êtes-vous inquiet ?
R - Je crois qu'il ne faut pas les enfermer dans des calendriers stricts et bureaucratiques. Objectivement, le délai est court, je crois qu'il ne faut pas reconduire de façon aveugle l'Isaf parce que nous avons une expérience dans le passé d'opérations des Nations unies qui finalement se sont enlisées et dont les missions se perdaient. Il faut donc des délais courts pour que l'on en reparle politiquement et que l'on voit si les choses progressent bien. En même temps, il faut tout faire pour les aider à bâtir cette armée afghane, cette police afghane, nous verrons à chaque étape. Mais, je ne pense pas qu'il faille aujourd'hui être péremptoire, brutal et catégorique sur le délai. Nous avancerons le mieux possible d'ici là et nous verrons.
Q - Sur le retour du Roi, que vous a dit M. Karzaï ?
R - J'en ai parlé, il m'a donné des informations et je n'ai pas eu du tout le sentiment qu'il y ait un problème de principe. Je crois qu'en ce qui concerne le retour de Zaher Shah, nous sommes toujours sur la base des conclusions de la Conférence de Bonn. Il y a eu un certain nombre de problèmes de logistiques, de sécurité, d'accueil, d'organisation, je n'ai pas l'impression qu'il s'agisse d'autre chose.
Q - A-t-on une date ?
R - Il m'a dit que cela se ferait bientôt, je n'ai pas de date précise. Je n'ai pas eu le sentiment qu'ils aient changé de ligne par rapport au consensus qui s'était établi à Bonn. Si je me souviens bien, il était prévu que Zaher Shah vienne ouvrir la Loya Jirga de juin et c'est toujours prévu.
Q - Avez-vous fait un petit tableau des provinces, y a-t-il des endroit où les choses sont plus difficiles ?
R - Oui, il a fait un tour d'horizon rapide, nous avons parlé de cela, de même que nous avons parlé de la coopération des différents pays de la région à la mise en oeuvre de ce processus politique afghan. J'ai le sentiment que tous ces problèmes sont pris au sérieux mais n'étaient pas de nature à corriger un sentiment globalement assez positif. Je ne les ai pas trouvé trop inquiets. Il y a des problèmes mais personne ne pouvait imaginer qu'il n'y en ait pas. J'ai plutôt une bonne impression aujourd'hui.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 26 mars 2002)
Q - Où en est l'Afghanistan ? Et que disent ses dirigeants ?
R - Je trouve que si on repense à la situation de l'Afghanistan avant la conférence de Bonn, si on regarde le chemin parcouru, si on voit ce qu'a fait ce gouvernement intérimaire déjà à l'heure actuelle avec M. Karzaï et le travail fait par rapport aux partenaires étrangers et aux donateurs, franchement, il ne pouvait pas faire mieux ni plus vite en trois mois. Ce que je souhaite maintenant, c'est que les Afghans parviennent à poursuivre le processus tel qu'il est prévu, ce qui veut dire qu'il faut réussir la Loya jirga du mois de juin. C'est la prochaine étape.
Q - Vos interlocuteurs vous ont-ils donnés les raisons du retard du retour de Zaher Shah ?
R - Non, ils ont expliqué que ceci était dû à des difficultés techniques, logistiques, d'accueil et de sécurité, mais je n'ai pas eu le sentiment qu'il y ait un problème de principe.
Ils se sont mis d'accord sur le fait qu'à un moment, il rentrerait pour apporter son soutien à ce processus, qu'il pouvait y jouer un rôle utile, je n'ai pas eu le sentiment que ce soit contesté.
Q - Le gouvernement afghan demande encore plus à la France dans certains domaines bien précis si j'ai bien compris ?
R - Le gouvernement afghan est, je crois, sensible à ce que nous avons déjà fait et le président Karzaï, le ministre des Affaires étrangères, le ministre de l'Intérieur m'ont redit à quel point ils avaient été sensibles à l'aide de la France sur des formes publiques et privées d'ailleurs pendant les années les plus noires.
M. Abdullah était aux côtés du commandant Massoud lors du petit-déjeuner que j'avais donné pour lui. Chaque fois, nous en parlons un peu car c'est un symbole très fort et je vois que cette équipe veut appliquer un certain nombre de principes politiques. Cette équipe avait animé le combat de Massoud contre les Taleban. Ils savent bien qu'il y a une passion française pour l'Afghanistan. Certains d'entre eux sont allés en France. M. Karzaï a même fait un stage à l'école de journalisme de Lille, plusieurs d'entre eux parlent un peu français. Ils voient bien que c'est profond, ce n'est pas seulement une posture diplomatique de circonstance.
Q - C'est pourquoi ils demandent beaucoup à la France ?
R - Ils sont je crois très contents de ce que nous avons déjà commencé de faire en matière d'éducation, en matière de santé. Ce sont des domaines dans lesquels nous avons été forts dans le passé, nous pouvons donc redémarrer encore plus efficacement et plus vite. Ils sont sensibles à ce que nous pourrions faire sur le plan juridique et constitutionnel, c'est un juriste français qui avait été l'élément clef de la constitution afghane qui fut très remarquable et qui ne comportait notamment aucune discrimination, avec un pouvoir intelligent. Ils sont ouverts à une bonne coopération dans ce domaine. Ils attendent de nous des choses dans beaucoup d'autres domaines culturels. Cela n'a pas l'air prioritaire lorsque l'on voit les ruines d'une grande partie de Kaboul, mais c'est aussi un élément du patrimoine, de leur identité, pour un pays qui veut retrouver foi en lui-même et confiance dans l'avenir. Ils nous demandent aussi de participer à la formation de démineurs, de police spécialisée dans la lutte contre la drogue, d'apporter notre concours sur le plan agricole où tout est à refaire. Il faut trouver des cultures de substitution à la drogue précisément, il faut réensemencer, reconstituer le cheptel, tout est à faire et sur tous les plans.
Q - Et que répondez-vous à ces demandes ?
R - Je réponds que nous ferons le mieux possible, dans la limite de nos moyens et de notre budget. Nous le ferons avec beaucoup de cur et vraiment, si je suis là aujourd'hui, c'est pour redire à Kaboul que nous voulons être, durablement aux côtés de nos amis afghans, et c'est vrai, quelle que soit la configuration politique en France.
Q - Y a-t-il une demande d'extension de l'Isaf ?
R - Moins qu'il y a quelques semaines car M. Karzaï a vu, au travers de ses contacts et de ses voyages que la demande de poursuivre l'Isaf était acceptée avec des contingents dont le nombre peut être modulé. Ce n'est pas fondamental, mais par contre, l'extension de l'Isaf à l'ensemble du pays posait beaucoup de problèmes à tous les participants et il faut traiter cette question de sécurisation du pays par d'autres procédés. L'Isaf est un élément de stabilisation, de dissuasion même, tout à fait important et nous mettrons l'accent sur la formation. Ce pays a besoin d'une vraie police, il a besoin d'une vraie armée dans laquelle l'ensemble des groupes des ethnies, des régions parviennent à coopérer ensemble. Ils ont besoin de se projeter dans l'avenir. Moi, je suis assez optimiste, contrairement à ce qui s'était passé il y a quelques années où les Afghans avaient été complètement abandonnés à eux-mêmes après le retrait soviétique et cela avait été le règne sans partage des seigneurs de la guerre. Aujourd'hui, le monde entier est avec eux pour les accompagner.
Il y a cette action militaire qui se poursuit à juste titre contre tous les résidus d'Al Qaïda qui sont dispersés, sur la défensive, qui peuvent garder la haine et une capacité de nuisance, c'est une chose, mais c'est surtout la construction et la reconstruction qui doit nous animer.
Nous, Français, nous faisons des propositions, nous fourmillons d'idées. Les Afghans font des demandes, ensuite, il faut coordonner tout cela et c'est d'ailleurs pour cela que je suis également passé voir M. Brahimi pour voir dans quel cadre rationnel d'ensemble ceci peut se situer. Car, nous ne devons pas leur imposer des coopérations ou que 3 pays européens proposent la même chose en même temps. J'avais d'ailleurs associé le représentant de l'Union européenne à nos entretiens. Il faut maintenant coordonner tout cela, pour que cela réponde bien aux besoins des Afghans et aux priorités qu'ils vont dégager.
Ils ont une tâche immense devant eux, et je ne vois même pas à quoi d'autre elle peut se comparer dans le monde actuel.
Q - Quelle est la position de la France sur la prolongation du mandat de l'Isaf ?
R - La prolongation, oui. L'extension géographique, aucun des pays participants ne le souhaite car c'est un engrenage compliqué qui, plutôt que d'apporter la sécurité et la stabilité risquerait de provoquer des polémiques entre les différentes forces afghanes, ce qui pourrait finalement ne pas être si bon que cela. En revanche, nous apportons tout notre soutien à la prolongation dans le temps de l'Isaf avec le mandat actuel, et d'autre part, au processus politique qui passe par la réussite de la Loya Jirga du mois de juin. Ensuite, 18 mois de transition et toutes les étapes définies durant la conférence de Bonn.
Q - Est-ce la première fois que vous venez à Kaboul ?
R - C'est la seconde fois, je suis venu en 1969, en voiture depuis Paris.
Q - Quel sentiment avez-vous eu en revoyant ce pays aujourd'hui ?
R - C'était un pays rude, fier, mais il n'était pas détruit et meurtri comme cela. Ce que nous venons de traverser ensemble est absolument poignant. Ce morceau de ville est anéanti, on peut ainsi mesurer le chemin qu'ils ont à accomplir et on a envie de les aider encore plus.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 26 mars 2002)
(Conférence de presse à Kaboul, le 24 mars 2002) :
Je voudrais dire simplement que je suis heureux, même ému d'être à Kaboul aujourd'hui et que, tous les membres de ma délégation, les parlementaires, représentants du Sénat et de l'Assemblée nationale, les hauts fonctionnaires du ministère des Affaires étrangères et nos différents invités, représentant aussi bien France Culture que des ONG importantes, nous ne vivons pas du tout cette visite comme si elle était normale et ordinaire. Il y a en France et depuis longtemps, une vraie passion pour l'Afghanistan qui s'est exprimée de différentes manières et qui aujourd'hui veut se traduire par l'aide la plus constructive possible.
Il faut travailler à ce que cette aide se traduise par un engagement auprès de nos amis afghans, du peuple afghan, des femmes afghanes, des hommes d'Afghanistan pour les aider dans ce travail fantastiquement difficile qui n'est même pas de reconstruction, car je trouve le terme faible mais de construction d'un Afghanistan nouveau sur beaucoup de plans. C'est une tâche de longue haleine et lorsque l'on parle avec eux, de ce qu'il faudrait faire, on voit bien que tout est prioritaire. C'est pour cela que c'est si difficile. Nous Français, nous avons un certain nombre de domaines dans lesquels nous avons travaillé dans le passé avec ce pays. Nous pouvions donc redémarrer plus vite et nous l'avons mis en avant. Mais, je suis venu avec l'idée de rechercher la meilleure adéquation possible entre ce que nous sommes en mesure de proposer et ce que peuvent souhaiter les Afghans qui eux-mêmes sont dans un processus de gouvernement qui se construit, un processus politique qui passe par des étapes comme cela a été prévu à Bonn.
Il faut ajuster au mieux les deux, tout en sachant qu'il y a les offres françaises de coopération et d'aide ainsi qu'énormément d'initiatives européennes ou internationales.
Il faut que ceci soit coordonné pour qu'il n'y ait pas de double emploi ni de perte de temps ou d'énergie. C'est dans cet esprit que je suis venu exprimer notre amitié à l'Afghanistan, notre disponibilité et notre désir de les accompagner.
Ce que j'ai entendu de la part du président Karzaï, du ministre des Affaires étrangères et du ministre de l'Intérieur, ainsi que de la part de M. Brahimi m'a paru vraiment encourageant. Certes, les actions militaires ne sont pas terminées dans ce pays, et c'est une très bonne chose que, les Etats-Unis notamment, avec l'aide de quelques pays sur des points particuliers dont le nôtre, poursuivent l'indispensable travail pour s'assurer que les résidus d'Al Qaïda ne puissent plus nuire. C'est fondamental, c'est la logique de la lutte contre le terrorisme qui doit être poursuivie sans relâche.
Mais, il y a cet autre immense chantier qui a débuté. Pensons à ce qu'était l'Afghanistan il y a quelques mois, aux incertitudes d'avant la conférence de Bonn, beaucoup pensaient qu'elle ne pourrait pas aboutir véritablement, or elle a abouti et les choses ne pouvaient pas aller mieux ni plus vite. Ce qu'ont fait le gouvernement de M. Karzaï ainsi que les Afghans est formidable. Il y a un peuple impatient de sortir de ce tunnel, de cette tragédie, pour tourner la page.
Nous ne pouvions pas être là hier, pour cette prérentrée scolaire, mais tout ceux qui y ont assisté, qui ont pu vivre ces moments ont écrit quelque chose de tout à fait touchant et qui donne confiance : les petites filles et les petits garçons qui se ruent sur le savoir, sur la connaissance, c'est l'une des clefs pour sortir de ce qu'ils ont vécu. C'est vraiment bien que la France puisse apporter la contribution que vous connaissez, au lycée des filles et à celui des garçons, reprenant le fil d'une ancienne tradition. Je voudrais là-dessus rendre hommage à ce qui a été fait par l'Education nationale mais aussi par France-Culture et par le ministère des Affaires étrangères bien sûr.
Vous savez que nous avons entamé des projets précis en matière de santé, d'agriculture, d'administration, de patrimoine, concernant le statut des femmes dans ce pays, la future constitution et dans des domaines un peu différents, la formation pour la future armée afghane, peut-être la question de la police notamment de lutte anti-drogue, car en plus de ce que nous avons déjà proposé ou entamé, les ministres que j'ai vus m'ont fait d'autres propositions. Je ne dis non à rien a priori, mais nous avons évidemment un budget, des moyens limités et nous ne pouvons pas tout faire. Il faut surtout s'assurer que cela s'articule bien, comme je l'indiquais avec ce que font les autres qui sont nombreux à agir. C'est le point dont j'ai parlé en particulier avec M. Brahimi pour la coordination et que notre aide soit la plus décisive, la mieux ajustée.
Voilà l'état dans lequel nous avons travaillé la délégation et moi-même dans tous nos contacts. C'est très rapide, c'est trop rapide mais c'est intense, ce n'est pas une visite comme une autre. A partir delà, nous pourrons rendre plus pertinente notre action par rapport à cet Afghanistan de demain. Je serai très heureux si ce message d'amitié et de confiance était entendu aujourd'hui.
Q - Vos interlocuteurs vous ont-ils parlé de leurs souhaits de voir l'Isaf sortir de Kaboul ?
R - C'est une question que nous avons traité avant avec M. Karzaï à Paris et également à différents niveaux. Concernant la prolongation dans le temps, l'accord est fait, nous avions de suite dit oui. Différents pays peuvent moduler l'importance des contingents, mais ce qui est important, c'est que cela se poursuive. En ce qui concerne l'extension géographique du mandat, M. Karzaï dans ses tournées a constaté une réticence générale de la part de ses partenaires quels qu'ils soient, car cela expose quand même cette force à être dans des situations difficiles. Malgré elle, elle aurait à arbitrer peut-être des conflits qui doivent relever du pouvoir afghan. Il y a donc une prudence assez grande dont nous n'avons pas reparlé aujourd'hui.
Q - Avez-vous abordé la question du désarmement ?
R - Non, pas directement. Indirectement par le biais de la question de la formation de l'armée nationale, puisque j'ai été questionné sur cette affaire qui est fondamentale comme pour la police d'ailleurs. Il faut absolument une armée dans ce pays qui échappe aux jeux des influences des groupes ethniques ou régionaux, des clientèles politiques ou du jeu des seigneurs de la guerre. Ils sont tous convaincus que cette aide est une nécessité. Ce dont vous parlez en fait partie, mais cela ne peut réellement fonctionner que si une armée réelle est en cours de constitution et que ceux qui attendaient leur sécurité d'une armée spécialisée commencent à penser qu'il y a une armée dans ce pays qui assurera la sécurité de tous. Les deux problèmes sont donc étroitement liés.
Q - Pensez-vous que l'armée afghane sera à même de reprendre le commandement du pays sans dérapage ou êtes-vous inquiet ?
R - Je crois qu'il ne faut pas les enfermer dans des calendriers stricts et bureaucratiques. Objectivement, le délai est court, je crois qu'il ne faut pas reconduire de façon aveugle l'Isaf parce que nous avons une expérience dans le passé d'opérations des Nations unies qui finalement se sont enlisées et dont les missions se perdaient. Il faut donc des délais courts pour que l'on en reparle politiquement et que l'on voit si les choses progressent bien. En même temps, il faut tout faire pour les aider à bâtir cette armée afghane, cette police afghane, nous verrons à chaque étape. Mais, je ne pense pas qu'il faille aujourd'hui être péremptoire, brutal et catégorique sur le délai. Nous avancerons le mieux possible d'ici là et nous verrons.
Q - Sur le retour du Roi, que vous a dit M. Karzaï ?
R - J'en ai parlé, il m'a donné des informations et je n'ai pas eu du tout le sentiment qu'il y ait un problème de principe. Je crois qu'en ce qui concerne le retour de Zaher Shah, nous sommes toujours sur la base des conclusions de la Conférence de Bonn. Il y a eu un certain nombre de problèmes de logistiques, de sécurité, d'accueil, d'organisation, je n'ai pas l'impression qu'il s'agisse d'autre chose.
Q - A-t-on une date ?
R - Il m'a dit que cela se ferait bientôt, je n'ai pas de date précise. Je n'ai pas eu le sentiment qu'ils aient changé de ligne par rapport au consensus qui s'était établi à Bonn. Si je me souviens bien, il était prévu que Zaher Shah vienne ouvrir la Loya Jirga de juin et c'est toujours prévu.
Q - Avez-vous fait un petit tableau des provinces, y a-t-il des endroit où les choses sont plus difficiles ?
R - Oui, il a fait un tour d'horizon rapide, nous avons parlé de cela, de même que nous avons parlé de la coopération des différents pays de la région à la mise en oeuvre de ce processus politique afghan. J'ai le sentiment que tous ces problèmes sont pris au sérieux mais n'étaient pas de nature à corriger un sentiment globalement assez positif. Je ne les ai pas trouvé trop inquiets. Il y a des problèmes mais personne ne pouvait imaginer qu'il n'y en ait pas. J'ai plutôt une bonne impression aujourd'hui.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 26 mars 2002)