Interviews de M. Ernest-Antoine Seillière, président du MEDEF, dans "Le Figaro" le 10 juillet 1999, à France 2 le 28 et déclaration le même jour sur la deuxième loi sur les 35 heures et la politique contractuelle.

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Texte intégral

DEUXIEME LOI SUR LES 35 HEURES
Ernest-Antoine Seillière invité
du journal de 20 heures sur France 2

Mercredi 28 juillet 1999

Deuxième titre du journal
BENOIT DUQUESNE : Les 35 heures. Martine Aubry a présenté le texte de la deuxième loi au Conseil des ministres de ce matin. Selon elle, 100 000 emplois ont déjà été créés ou sauvegardés grâce à ce dispositif. Les syndicats se montrent plus réservés. Quant au MEDEF, il y est franchement hostile. Ernest-Antoine Seillière, le président du patronat, sera notre invité dans ce journal.
En cours de journal
BENOIT DUQUESNE : Les 35 heures. Martine Aubry a donc présenté ce matin en Conseil des ministres le texte de sa deuxième loi. Elle sera débattue à l'Assemblée à partir du 5 octobre. Cette présentation a été l'occasion pour Jacques Chirac de rappeler ses doutes sur l'adaptation de cette loi aux besoins de notre temps. Des réserves qu'il avait déjà manifesté à plusieurs reprise, alors que Lionel Jospin, lui, a apporté son soutien à Martine Aubry. Voyons les principales dispositions de ce texte.
Sujet sur les principales dispositions du texte.
BENOIT DUQUESNE : Le RPR dénonce ce soir une loi autoritaire et anti-économique, Démocratie libérale dénonce l'entêtement et la volonté de passer en force du gouvernement. Quant aux syndicats, ils se montrent réservés pour certains, comme la CGT qui demande que le texte soit amélioré ou bien franchement hostiles comme la CGPME pour les petites entreprises, et surtout, le MEDEF qui parle de " jour sombre " pour les entreprises françaises. Alors, nous y reviendrons dans un instant avec vous, Ernest-Antoine Seillière. Mais tout de même, vous allez voir dans ce reportage, dans une PME de Pontault-Combault, en Seine et Marne, que tous les patrons ne sont pas opposés à ce genre de pratiques.
Reportage
BENOIT DUQUESNE : Monsieur Seillière bonsoir.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Bonsoir.
BENOIT DUQUESNE : Merci d'être avec nous ce soir. On l'a vu dans ce reportage, certains patrons y trouvent leur compte ; on parle beaucoup de flexibilité. C'est quand même un jour sombre pour vous ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Oui, c'est un jour sombre pour les entreprises, pour les salariés, pour le dialogue social, pour l'emploi dans notre pays et pour l'avenir économique et social. Voyez-vous, nous les entrepreneurs, nous n'y allons pas par quatre chemins. Bien entendu, ça ne veut pas dire que les 35 heures ne sont pas faisables - et l'entreprise que l'on a vu à l'instant montre bien que c'est faisable - mais imposer...
BENOIT DUQUESNE : ... parce que flexibilité, réduction des charges, ce sont des choses que vous revendiquez depuis toujours...
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : ... ça, c'est de la propagande...
BENOIT DUQUESNE : ... là, vous en avez avec cette loi-là.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Imposer à 1,2 million d'entreprises de France le même jour le même régime des 35 heures a été toujours été considéré depuis le début comme une erreur. Et personne ne s'y est vraiment rallié. Mais que voulez-vous, la politique impose que l'on continue dans cette voie. Il y a 11 000 entreprises qui ont réussi à mettre en place les 35 heures sur 1,2 million. Ca fait moins de une sur cent. Alors, ce n'est vraiment pas un succès. Et nous, nous disons, la première loi, celle qui a été votée il y a un an a été un ratage. Et c'est parce que c'est un échec d'ailleurs que le gouvernement, pour ne pas casser l'emploi, pour ne pas casser l'expansion, repousse d'un an son application.
BENOIT DUQUESNE : Ce n'est pas ce qui dit Martine Aubry aujourd'hui. Elle indique qu'au contraire, ces deux derniers mois notamment, les accords se sont multipliés, que l'on a eu la création de 100 000 emplois. Donc, elle dit : on ne peut pas dire aujourd'hui que les 35 heures ne marchent pas.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Ecoutez, Martine Aubry, avec beaucoup d'acharnement, essaie de dire que son truc marche. Alors, ça, je ne peux pas le lui empêcher de le dire. Mais, nous ne sommes pas d'accord. Nous pensons, en réalité, que les 35 heures ne marchent pas quand on veut les imposer à tous. Et d'ailleurs, vous savez, nous avons 200 000 entreprises qui nous ont écrit une lettre modèle pour madame Aubry pour lui dire : écoutez, je vous en prie, écoutez-nous, respectez-nous, ne vous lancez pas comme ça dans quelque chose qui est entièrement travaillé avec vos fonctionnaires, vos inspecteurs du travail, vos contrôleurs de la Sécurité sociale, ce n'est pas comme cela qu'on fera tourner notre pays. Il faut écouter les gens qui organisent les entreprises, qui les créent, qui les développent et faire attention qu'ils ne se découragent pas. Alors, nous, nous sommes très très alarmés par cette deuxième loi.
BENOIT DUQUESNE : Et vous avez l'impression de ne pas être écouté par le gouvernement. Qu'est-ce que vous allez dire à vos adhérents ? Vous allez leur dire de faire quoi ? De faire de la résistance ? De refuser d'appliquer la loi ? Comment ça va se passer ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Non, on va leur dire en effet de ne pas se presser. Parce que tout ceci est très confus. Et puis, vous savez, on a vu par exemple, des gouvernements nationaliser à tour de bras et puis, des années après, eh bien privatiser à tour de bras. Alors, en ce moment, on est en train de réglementer à tour de bras. Nous serons les seuls en Europe à être soumis à une loi d'une formidable complexité, une véritable usine à gaz. Alors, nous disons, on ne sait pas, peut-être que sous peu, tout de même l'opinion publique, et peut-être même les parlementaires, pendant le débat, se rendront compte que tout ceci, finalement, c'est très exagéré, ce n'est pas réaliste.
BENOIT DUQUESNE : Donc, vous irez en traînant les pieds en quelque sorte et vous n'êtes pas mécontent d'avoir un sursis d'un an pour l'application de la loi ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Ce sursis d'un an, vous savez, on a la corde au cou, on peut tirer dessus à tout moment, ça ne nous rassure pas. Mais, pour nous, c'est un aveu, en effet, de ce que le gouvernement, au fond, a reconnu que son affaire ne fonctionnait pas, ne marchait pas. Et nous avons notre part évidemment, pour l'avoir aidé à prendre conscience de cela.
BENOIT DUQUESNE : Merci beaucoup Ernest-Antoine Seillière.

Ce 28 juillet est un jour sombre pour les entreprises françaises et pour les salariés.
Une réglementation qui porte atteinte à la liberté d'entreprise et au dialogue social est officiellement proposée à notre pays. Aucun pays au monde n'a osé soumettre ses entreprises à un ensemble de contraintes réglementaires dont l'étroitesse et la complexité frisent l'inconscience. Aucun pays au monde n'a osé s'engager dans une aventure aussi risquée. Seuls en Europe à devoir subir pareil handicap, on attend des entrepreneurs français qu'ils assurent le développement de l'emploi et l'expansion. Comment pourraient-ils le faire ? Le Gouvernement fait fausse route. Nous le lui disons avec force et nous espérons que l'opinion se rendra vite compte des illusions dangereuses de ce qu'on lui présente.
Le Gouvernement oublie que ce sont les responsables d'entreprise et leurs salariés qui créent les entreprises, les développent, les organisent, et non pas les fonctionnaires, les inspecteurs du travail, les contrôleurs de la Sécurité sociale. Pour avoir volontairement ignoré les entrepreneurs et avoir concentré le dialogue entre les services administratifs, les cabinets ministériels et les centrales syndicales, on a pris de grands risques pour les entreprises françaises et pour le dialogue social.
Et pourtant qui n'a compris que la première loi sur les 35h était un échec ? Après une propagande sans précédent servie par une Ministre acharnée, 11 000 entreprises seulement sont passées aux 35h, soit moins d'une entreprise sur 100. C'est dérisoire et la manipulation des chiffres et de l'opinion ne convainc plus personne, même dans les rangs des partisans des 35h.
Et qui n'a compris que le report d'un an de l'application effective de la loi des 35h était un aveu que le Gouvernement n'osait pas la mettre en application, de peur de casser la croissance et le développement de l'emploi ?
Les 35 h n'ont pas créé les emplois promis. En 1998 et 1999, c'est à la croissance née du développement libre du marché et de la libre initiative des entreprises qu'il faut attribuer, chacun le sait, l'essentiel des créations d'emploi. Les lourds et coûteux mécanismes réglementés et subventionnés n'ont été qu'un complément à l'avenir incertain, amplifié par la manipulation des chiffres.
Invitées à négocier pour définir les souplesses à mettre en face des 35h, 104 fédérations professionnelles ont conclu depuis la première loi avec les syndicats des accords de branche qui intéressent près de 10 millions de salariés. La loi les ignore et n'en tient aucun compte. C'est donc en cassant délibérément le dialogue social que le projet de loi invite à le développer. Quelle contradiction !
En niant le dialogue social, en rationnant le travail dans les entreprises, en soumettant chacun plus que jamais à la jungle des formulaires et à la suspicion des inspecteurs et contrôleurs, en taxant et retaxant les entreprises pour financer le coût de sa mesure autoritaire, en cherchant à imposer l'obligation syndicale dans les entreprises de terrain, le Gouvernement prend le risque de décourager les entrepreneurs, détruire des entreprises, réduire l'emploi, freiner le pouvoir d'achat, détériorer les relations sociales et amoindrir les capacités de l'économie française.
Le Mouvement des Entreprises de France luttera sans relâche contre le projet de loi. Il le juge dès à présent inapplicable et redoute de nouveaux excès. Il cherchera à le faire amender dans le sens de la souplesse et du bon sens. Le MEDEF appelle les entrepreneurs de France à se mobiliser pour que les parlementaires qui auront à examiner la loi à la rentrée fassent preuve de réalisme et de raison. Fort de près de 200 000 entreprises qui ont déjà signé la Lettre Ouverte à Martine AUBRY et par laquelle il lui demande de respecter et d'écouter enfin les entrepreneurs de notre pays, il fera entendre haut et fort la voix des entreprises.
Contre la réglementation, la taxation, le dirigisme suranné et dogmatique. Pour l'emploi, l'expansion, l'innovation et la liberté d'entreprendre dans un monde moderne dont nous voulons saisir pour notre jeunesse les chances et les opportunités.
En avant l'entreprise !
(source http://www.medef.fr, le 12 février 2001)