Texte intégral
C'est avec plaisir que j'ai accepté d'ouvrir ces troisièmes conférences stratégiques et je tiens à féliciter l'IRIS, et d'abord son Président Pascal BONIFACE d'avoir pris cette initiative.
Nous avons besoin de dynamisme en France, dans le domaine des études stratégiques. Nous vivons justement une période de mobilité particulièrement propice au débat et à l'innovation. Les relations internationales, la guerre et la paix doivent être repensées autrement que sous une forme bilatérale. La meilleure analyse de la complexité des risques et des évolutions n'est pas seulement nécessaire pour assurer notre sécurité et notre influence. Elle nous donne des chances de peser de façon constructive sur l'organisation coopérative des relations internationales.
J'invite donc l'IRIS à poursuivre ses travaux de réflexion et d'études. Il est important pour notre pays de pouvoir disposer d'un vivier de centres et d'instituts qui nous aident à comprendre les évolutions et les mutations stratégiques. En retour, un effort est nécessaire de la part de ces centres pour élargir le cercle des participants à leurs réflexions. C'est un enjeu pour la démocratie et pour l'influence de la France.
Vous avez choisi cette année d'aborder les questions relatives à l'industrie européenne de défense, ainsi que le problème des droits de l'homme dans les relations internationales et les interventions pour raison humanitaire, questions qui sont intimement liées. C'est pourquoi j'ai choisi d'aborder avec vous la problématique des opérations extérieures, et plus particulièrement des opérations dites de maintien de paix.
La France s'est fortement engagée au lendemain de la fin de la guerre froide. En 1995, nous étions impliqués dans une dizaine d'opérations de maintien de paix, avec 11 600 militaires déployés sur le terrain, dont 7 400 en ex-Yougoslavie, au moment de la mise en place de la Force de Réaction Rapide (FRR). Au nom des Nations Unies, et avec un mandat, nos soldats ont été envoyés non seulement dans les Balkans, mais également au Cambodge, en Somalie, au Rwanda (opération Turquoise), en Somalie et nous sommes également présents au Liban (dans le cadre de la FINUL). Je souhaiterais faire le point sur ces opérations, les enseignements que nous en avons retirés et les questions qui se posent à nous.
Autrefois, les opérations de maintien de paix recouvraient des opérations d'ampleur très limitée, avec des " Bérets bleus " peu armés dont la mission consistait à s'interposer sur une ligne de cessez-le-feu ou à surveiller une trêve. La Charte des Nations Unies avait été rédigée pour des conflits entre Etats. Or, maintenant l'ONU doit faire face à des affrontements internes aux Etats (guerres civiles, sécessions, luttes tribales, affrontements ethniques).
Aujourd'hui, ce terme de maintien de paix désigne donc une large gamme de missions et d'opérations : simple observation, accompagnement d'un effort humanitaire, protection de populations civiles, imposition d'une résolution du conseil de sécurité. Ces opérations sont devenues plus " lourdes ", demandant la mobilisation d'importants moyens.
A cet égard, il faut noter :
- la grande diversité des opérations ;
- l'effacement des distinctions classiques entre les différents types de conflits ;
- la diversité et l'évolution des missions, à la fois dans le temps et dans l'espace, dans le cadre d'une opération donnée.
Il ne s'agit pas d'une vision pessimiste ou fataliste. Cet accroissement des tâches est d'abord l'illustration d'une ambition plus haute de la communauté internationale. Pas seulement pour mettre fin à des troubles mais pour créer une situation tendant vers l'équité, comme nous voulons le faire en Bosnie.
Quel est le rôle de la France ? Comme vous le savez, la France ne peut échapper à ses responsabilités en tant que membre du conseil de sécurité. Mais comme le rappelait le Premier ministre, l'an passé devant les auditeurs de l'Institut des Hautes Etudes de Défense nationale (IHEDN), " la France n'entend renoncer ni à sa vocation universelle, ni à son influence mondiale, ni à ses intérêts économiques. Fidèle à sa tradition, elle souhaite contribuer au contraire au respect du droit international et des droits de l'Homme, ainsi qu'aux actions de maintien de paix ".
La France a de fait soutenu constamment l'accroissement du rôle des Nations Unies pour la promotion de paix et de la stabilité internationale. J'ai rappelé, lors de la réunion des grands commandeurs le 9 avril à l'Ecole militaire, que nous devons disposer d'une capacité suffisante d'action à l'extérieur de notre territoire, non pas au nom d'un " interventionnisme exacerbé " mais au service de nos valeurs et de nos intérêts. La France demeure la patrie des droits de l'Homme et ses valeurs sont à portée universelle. Nous avons intégré dans notre réflexion stratégique et notre planification de défense les leçons tirées de nos expériences de maintien de paix sur différents théâtres extérieurs.
Quels enseignements pouvons-nous tirer de notre expérience ?
1 - D'abord la cohérence du projet d'opération ;
Avant d'engager nos forces, il est indispensables que la clarté soit faite à un triple niveau :
- la nature du mandat international, ses limites (leur légitimité)
- les règles d'engagement, usage ou non de la force
- l'ordre d'opération.
Il est important que nos forces engagées sur des théâtres extérieurs ne puissent douter un instant du degré de volonté des autorités politiques. Il ne doit y avoir aucune ambiguïté sur les ordres et les missions confiés. De même, l'efficacité militaire impose que la chaîne de commandement soit la plus simple possible, qu'elle soit unique surtout si l'emploi de la force armée est envisagé.
2 - L'analyse et la connaissance du terrain
Le renseignement est vital pour ce type d'opérations. C'est à chaque fois vérifié et confirmé. La revue de programmes a confirmé le choix du satellite d'observation tous temps Hélios 2, mais je n'oublie pas toute l'importance du renseignement humain.
3 - L'indispensable puissance et la capacité de tenir
Nous devons disposer très tôt de moyens lourds et puissants, pour la protection des forces et afin d'exercer un effet dissuasif sur les parties en présence. Ce point ne fut pas évident. Je rappelle que c'est la France qui a imposé en ex-Yougoslavie que ses soldats soient véhiculés par VAB (véhicule de l'avant blindé) et non en camions. Nous avons ainsi sauvé de nombreuses vies humaines de l'explosion des mines sur les routes.
Par ailleurs, les opérations militaires peuvent être étalées dans le temps (plusieurs années) et dans l'espace (dispersion des forces). C'est une double différence avec les conflits régionaux de forte intensité.
4 - La primauté du combat sur la simple présence
Même si ces opérations prennent l'apparence d'opérations de police, il ne doit pas y avoir d'armée à double vitesse, avec d'un côté " les soldats de la guerre " et de l'autre les " soldats de paix ". La formation au combat demeure la meilleure des formations pour le maintien ou le rétablissement de paix.
5- La crédibilité du support politique.
Enfin, ces opérations seront presque toujours des opérations interarmées et multinationales. Les risques doivent être partagés et il convient d'éviter la critique de toute utilisation de la crise pour établir une domination d'un acteur régional ou mondial sur la zone concernée.
Il faut souligner ici tout l'intérêt des formules " ad-hoc ", que ce soit pour la concertation politique (cf. le Groupe de contact) ou pour les dispositifs militaires. L'OTAN l'a d'ailleurs reconnu en adoptant le concept des GFIM (groupements de forces interarmées modulaires). L'opération Alba, qui parce qu'elle a pleinement réussi, n'a pas suscité de grand intérêt dans les médias, a été l'exemple même de ce type de formule.
Deux notations font appel à la réflexion :
- si on cumule toutes ces conditions, il faut des capacités étendues pour réussir responsabilité des grands pays. Sont-ils nombreux à vouloir assumer la charge notamment là où leurs intérêts de puissance sont limités ?
- si on veut agir avec efficacité et si les forces en conflit sont étrangères à toute règle internationale (exemples : Caucase, Somalie, Moldavie, etc) quelles limites sont acceptables à la liberté d'action des intervenants légitimes des crises ?
Pour les mêmes raisons qui nous ont poussés à être présents dans le passé, la France continuera d'assumer et d'assurer ses responsabilités. Mais il faudra un effort accru de sensibilisation des citoyens pour avoir le support de légitimité.
Doit-on attendre la pression médiatique, provoquant en réaction celle de l'opinion publique ? Pour ne prendre que l'exemple de l'Afrique, nous sommes intervenus en 1994 au Rwanda avec un mandat explicite des Nations Unies afin de faire cesser les massacres. Peut-être, sûrement même, la communauté internationale aurait dû intervenir plus tôt. Mais qui serait intervenu si la France n'avait pas pris l'initiative de monter l'opération Turquoise, avec l'aide de pays africains ?
Quand faut-il se désengager ? Les organisations humanitaires, critiques sur l'envoi des forces françaises dans la région des Grands Lacs furent les premières à regretter leur départ en août 1994. Un retrait prématuré peut compromettre et annihiler tous les efforts dégagés pour la réussite de l'opération. Plus globalement, est-il acceptable d'envisager une présence militaire pouvant s'étaler sur plusieurs années, après l'arrêt des combats ? La situation à Chypre en est un bon exemple. La situation dans les Balkans pourrait en être un autre.
Reste, maintenant, en montant à un niveau plus politique, à réfléchir sur le fondement politique des actions. Qu'est-ce que la communauté internationale ? Il faut poursuivre la réflexion sur l'ONU. Son rôle demeure prépondérant. Son but premier est d'ailleurs " le maintien de paix et de la sécurité internationale " (article 1er de la Charte). Dès le début des années 90, la France a fait des propositions pour renforcer cette instance : réactivation du Comité militaire, concept de " modules de forces en attente " ; renforcement des moyens du secrétariat général. La structure des Nations Unies est actuellement encore mal adaptée pour gérer les crises et l'ex-Yougoslavie en a été un exemple frappant.
La nature des missions de maintien de paix est en train d'évoluer. Ces opérations ne sont plus strictement militaires. De plus en plus, elles ressemblent à des opérations de type maintien de l'ordre et de la sécurité publique, y compris en zone urbaine. Une réflexion est à mener sur le type de forces à utiliser, leur formation et leur entraînement, les conditions d'engagement. Mais il faut prendre garde que nos forces armées sont d'abord et avant tout formées pour le combat, pour faire la guerre ou la prévenir, mais n'ont pas à se substituer à des forces de police dont les missions sont toutes différentes.
Nous devons continuer également à étudier la question de " sortie de crise ", que nous appelons au ministère de la défense les " affaires civilo-militaires ". Je pense à la reconstruction des pays dévastés par la guerre, qu'il faut reconstruire, que ce soient les habitations, les infrastructures routières, l'économie ou l'administration.
Autre question : va-t-on vers une " décentralisation " des opérations de maintien de paix ?
L'exercice " Guidimakha 98 " a été très instructif. Il s'agissait de tester le concept de maintien de paix en Afrique avec l'organisation d'une unité dite RECAMP (Renforcement des capacités africaines de maintien de paix). Les armées africaines ont désormais un savoir-faire et les moyens de faire face à des crises régionales, avec l'aide et l'appui de la France mais également des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne et j'espère que d'autres puissances occidentales viendront s'y joindre.
En Europe, l'OTAN a un rôle essentiel à jouer pour le maintien de paix. C'est une organisation rôdée, qui dispose de capacités militaires inégalées, avec engagement américain, et d'une chaîne de commandement simplifiée. Mais elle exerce ses fonctions essentiellement et surtout dans la zone euro-atlantique. C'est tout l'objet du débat sur le nouveau concept stratégique de l'Alliance.
Enfin, j'étais hier à Rhodes où se réunissaient les ministres des Affaires étrangères et de la Défense de l'UEO. L'Europe a réalisé des efforts concrets mais qui ne sont pas encore à la hauteur de ses ambitions. Cependant les européens se sont engagés fortement dans les opérations de maintien de paix, qui sont à la fois un " laboratoire " et un " moteur " pour l'Europe de la défense :
- coopération franco-britannique dans le cadre de la FORPRONU et de la Force de Réaction Rapide ;
- engagement croissant de l'Allemagne hors de ses frontières, engagement que nous encourageons et appuyons. Qui aurait imaginé il y a cinq ans que la brigade franco-allemande servirait en Bosnie au service de paix ?
- implication de l'UEO dans les opérations de maintien de paix (contrôle de l'embargo Adriatique/Danube, aide à la formation de la police locale à Mostar, en Albanie) ;
- intervention en Albanie, opération ad-hoc mais entièrement européenne, sous mandat de l'ONU, et mettant en oeuvre le concept français de " nation-cadre " ; avec le rôle pilote de l'Italie ;
- enfin, rappelons que les Européens représentent 50 % des effectifs de la SFOR en Bosnie.
Mais quelle que soit l'évolution vers une régionalisation des opérations de maintien de paix, la France affirme la suprématie de l'ONU. C'est une question de principe.
Les opérations de maintien de paix constituent par conséquent un vaste champ de réflexion. Mais elles ne constituent qu'un pis-aller. Il est nécessaire de mettre en place une stratégie de prévention des crises, avec des règlements diplomatiques qui parfois pourront s'appuyer sur des moyens coercitifs.
Le Kosovo est un bon exemple. Nous connaissons l'état de la question depuis plusieurs années. C'est un véritable défi qui est lancé à la société internationale de résoudre par des voies pacifiques ce problème. Il n'y a pas de fatalité.
Je finirai sur une note d'espoir. Le déploiement préventif opéré en Macédoine a permis de résoudre une question jugée il y a quelque temps par nos experts comme des plus explosives de la région. Donc, on réfléchit et on suscite des mécanismes de progrès. Merci à l'IRIS de participer à ces réflexions.
(Source http://www.défense.gouv.fr, le 18 septembre 2001)
Nous avons besoin de dynamisme en France, dans le domaine des études stratégiques. Nous vivons justement une période de mobilité particulièrement propice au débat et à l'innovation. Les relations internationales, la guerre et la paix doivent être repensées autrement que sous une forme bilatérale. La meilleure analyse de la complexité des risques et des évolutions n'est pas seulement nécessaire pour assurer notre sécurité et notre influence. Elle nous donne des chances de peser de façon constructive sur l'organisation coopérative des relations internationales.
J'invite donc l'IRIS à poursuivre ses travaux de réflexion et d'études. Il est important pour notre pays de pouvoir disposer d'un vivier de centres et d'instituts qui nous aident à comprendre les évolutions et les mutations stratégiques. En retour, un effort est nécessaire de la part de ces centres pour élargir le cercle des participants à leurs réflexions. C'est un enjeu pour la démocratie et pour l'influence de la France.
Vous avez choisi cette année d'aborder les questions relatives à l'industrie européenne de défense, ainsi que le problème des droits de l'homme dans les relations internationales et les interventions pour raison humanitaire, questions qui sont intimement liées. C'est pourquoi j'ai choisi d'aborder avec vous la problématique des opérations extérieures, et plus particulièrement des opérations dites de maintien de paix.
La France s'est fortement engagée au lendemain de la fin de la guerre froide. En 1995, nous étions impliqués dans une dizaine d'opérations de maintien de paix, avec 11 600 militaires déployés sur le terrain, dont 7 400 en ex-Yougoslavie, au moment de la mise en place de la Force de Réaction Rapide (FRR). Au nom des Nations Unies, et avec un mandat, nos soldats ont été envoyés non seulement dans les Balkans, mais également au Cambodge, en Somalie, au Rwanda (opération Turquoise), en Somalie et nous sommes également présents au Liban (dans le cadre de la FINUL). Je souhaiterais faire le point sur ces opérations, les enseignements que nous en avons retirés et les questions qui se posent à nous.
Autrefois, les opérations de maintien de paix recouvraient des opérations d'ampleur très limitée, avec des " Bérets bleus " peu armés dont la mission consistait à s'interposer sur une ligne de cessez-le-feu ou à surveiller une trêve. La Charte des Nations Unies avait été rédigée pour des conflits entre Etats. Or, maintenant l'ONU doit faire face à des affrontements internes aux Etats (guerres civiles, sécessions, luttes tribales, affrontements ethniques).
Aujourd'hui, ce terme de maintien de paix désigne donc une large gamme de missions et d'opérations : simple observation, accompagnement d'un effort humanitaire, protection de populations civiles, imposition d'une résolution du conseil de sécurité. Ces opérations sont devenues plus " lourdes ", demandant la mobilisation d'importants moyens.
A cet égard, il faut noter :
- la grande diversité des opérations ;
- l'effacement des distinctions classiques entre les différents types de conflits ;
- la diversité et l'évolution des missions, à la fois dans le temps et dans l'espace, dans le cadre d'une opération donnée.
Il ne s'agit pas d'une vision pessimiste ou fataliste. Cet accroissement des tâches est d'abord l'illustration d'une ambition plus haute de la communauté internationale. Pas seulement pour mettre fin à des troubles mais pour créer une situation tendant vers l'équité, comme nous voulons le faire en Bosnie.
Quel est le rôle de la France ? Comme vous le savez, la France ne peut échapper à ses responsabilités en tant que membre du conseil de sécurité. Mais comme le rappelait le Premier ministre, l'an passé devant les auditeurs de l'Institut des Hautes Etudes de Défense nationale (IHEDN), " la France n'entend renoncer ni à sa vocation universelle, ni à son influence mondiale, ni à ses intérêts économiques. Fidèle à sa tradition, elle souhaite contribuer au contraire au respect du droit international et des droits de l'Homme, ainsi qu'aux actions de maintien de paix ".
La France a de fait soutenu constamment l'accroissement du rôle des Nations Unies pour la promotion de paix et de la stabilité internationale. J'ai rappelé, lors de la réunion des grands commandeurs le 9 avril à l'Ecole militaire, que nous devons disposer d'une capacité suffisante d'action à l'extérieur de notre territoire, non pas au nom d'un " interventionnisme exacerbé " mais au service de nos valeurs et de nos intérêts. La France demeure la patrie des droits de l'Homme et ses valeurs sont à portée universelle. Nous avons intégré dans notre réflexion stratégique et notre planification de défense les leçons tirées de nos expériences de maintien de paix sur différents théâtres extérieurs.
Quels enseignements pouvons-nous tirer de notre expérience ?
1 - D'abord la cohérence du projet d'opération ;
Avant d'engager nos forces, il est indispensables que la clarté soit faite à un triple niveau :
- la nature du mandat international, ses limites (leur légitimité)
- les règles d'engagement, usage ou non de la force
- l'ordre d'opération.
Il est important que nos forces engagées sur des théâtres extérieurs ne puissent douter un instant du degré de volonté des autorités politiques. Il ne doit y avoir aucune ambiguïté sur les ordres et les missions confiés. De même, l'efficacité militaire impose que la chaîne de commandement soit la plus simple possible, qu'elle soit unique surtout si l'emploi de la force armée est envisagé.
2 - L'analyse et la connaissance du terrain
Le renseignement est vital pour ce type d'opérations. C'est à chaque fois vérifié et confirmé. La revue de programmes a confirmé le choix du satellite d'observation tous temps Hélios 2, mais je n'oublie pas toute l'importance du renseignement humain.
3 - L'indispensable puissance et la capacité de tenir
Nous devons disposer très tôt de moyens lourds et puissants, pour la protection des forces et afin d'exercer un effet dissuasif sur les parties en présence. Ce point ne fut pas évident. Je rappelle que c'est la France qui a imposé en ex-Yougoslavie que ses soldats soient véhiculés par VAB (véhicule de l'avant blindé) et non en camions. Nous avons ainsi sauvé de nombreuses vies humaines de l'explosion des mines sur les routes.
Par ailleurs, les opérations militaires peuvent être étalées dans le temps (plusieurs années) et dans l'espace (dispersion des forces). C'est une double différence avec les conflits régionaux de forte intensité.
4 - La primauté du combat sur la simple présence
Même si ces opérations prennent l'apparence d'opérations de police, il ne doit pas y avoir d'armée à double vitesse, avec d'un côté " les soldats de la guerre " et de l'autre les " soldats de paix ". La formation au combat demeure la meilleure des formations pour le maintien ou le rétablissement de paix.
5- La crédibilité du support politique.
Enfin, ces opérations seront presque toujours des opérations interarmées et multinationales. Les risques doivent être partagés et il convient d'éviter la critique de toute utilisation de la crise pour établir une domination d'un acteur régional ou mondial sur la zone concernée.
Il faut souligner ici tout l'intérêt des formules " ad-hoc ", que ce soit pour la concertation politique (cf. le Groupe de contact) ou pour les dispositifs militaires. L'OTAN l'a d'ailleurs reconnu en adoptant le concept des GFIM (groupements de forces interarmées modulaires). L'opération Alba, qui parce qu'elle a pleinement réussi, n'a pas suscité de grand intérêt dans les médias, a été l'exemple même de ce type de formule.
Deux notations font appel à la réflexion :
- si on cumule toutes ces conditions, il faut des capacités étendues pour réussir responsabilité des grands pays. Sont-ils nombreux à vouloir assumer la charge notamment là où leurs intérêts de puissance sont limités ?
- si on veut agir avec efficacité et si les forces en conflit sont étrangères à toute règle internationale (exemples : Caucase, Somalie, Moldavie, etc) quelles limites sont acceptables à la liberté d'action des intervenants légitimes des crises ?
Pour les mêmes raisons qui nous ont poussés à être présents dans le passé, la France continuera d'assumer et d'assurer ses responsabilités. Mais il faudra un effort accru de sensibilisation des citoyens pour avoir le support de légitimité.
Doit-on attendre la pression médiatique, provoquant en réaction celle de l'opinion publique ? Pour ne prendre que l'exemple de l'Afrique, nous sommes intervenus en 1994 au Rwanda avec un mandat explicite des Nations Unies afin de faire cesser les massacres. Peut-être, sûrement même, la communauté internationale aurait dû intervenir plus tôt. Mais qui serait intervenu si la France n'avait pas pris l'initiative de monter l'opération Turquoise, avec l'aide de pays africains ?
Quand faut-il se désengager ? Les organisations humanitaires, critiques sur l'envoi des forces françaises dans la région des Grands Lacs furent les premières à regretter leur départ en août 1994. Un retrait prématuré peut compromettre et annihiler tous les efforts dégagés pour la réussite de l'opération. Plus globalement, est-il acceptable d'envisager une présence militaire pouvant s'étaler sur plusieurs années, après l'arrêt des combats ? La situation à Chypre en est un bon exemple. La situation dans les Balkans pourrait en être un autre.
Reste, maintenant, en montant à un niveau plus politique, à réfléchir sur le fondement politique des actions. Qu'est-ce que la communauté internationale ? Il faut poursuivre la réflexion sur l'ONU. Son rôle demeure prépondérant. Son but premier est d'ailleurs " le maintien de paix et de la sécurité internationale " (article 1er de la Charte). Dès le début des années 90, la France a fait des propositions pour renforcer cette instance : réactivation du Comité militaire, concept de " modules de forces en attente " ; renforcement des moyens du secrétariat général. La structure des Nations Unies est actuellement encore mal adaptée pour gérer les crises et l'ex-Yougoslavie en a été un exemple frappant.
La nature des missions de maintien de paix est en train d'évoluer. Ces opérations ne sont plus strictement militaires. De plus en plus, elles ressemblent à des opérations de type maintien de l'ordre et de la sécurité publique, y compris en zone urbaine. Une réflexion est à mener sur le type de forces à utiliser, leur formation et leur entraînement, les conditions d'engagement. Mais il faut prendre garde que nos forces armées sont d'abord et avant tout formées pour le combat, pour faire la guerre ou la prévenir, mais n'ont pas à se substituer à des forces de police dont les missions sont toutes différentes.
Nous devons continuer également à étudier la question de " sortie de crise ", que nous appelons au ministère de la défense les " affaires civilo-militaires ". Je pense à la reconstruction des pays dévastés par la guerre, qu'il faut reconstruire, que ce soient les habitations, les infrastructures routières, l'économie ou l'administration.
Autre question : va-t-on vers une " décentralisation " des opérations de maintien de paix ?
L'exercice " Guidimakha 98 " a été très instructif. Il s'agissait de tester le concept de maintien de paix en Afrique avec l'organisation d'une unité dite RECAMP (Renforcement des capacités africaines de maintien de paix). Les armées africaines ont désormais un savoir-faire et les moyens de faire face à des crises régionales, avec l'aide et l'appui de la France mais également des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne et j'espère que d'autres puissances occidentales viendront s'y joindre.
En Europe, l'OTAN a un rôle essentiel à jouer pour le maintien de paix. C'est une organisation rôdée, qui dispose de capacités militaires inégalées, avec engagement américain, et d'une chaîne de commandement simplifiée. Mais elle exerce ses fonctions essentiellement et surtout dans la zone euro-atlantique. C'est tout l'objet du débat sur le nouveau concept stratégique de l'Alliance.
Enfin, j'étais hier à Rhodes où se réunissaient les ministres des Affaires étrangères et de la Défense de l'UEO. L'Europe a réalisé des efforts concrets mais qui ne sont pas encore à la hauteur de ses ambitions. Cependant les européens se sont engagés fortement dans les opérations de maintien de paix, qui sont à la fois un " laboratoire " et un " moteur " pour l'Europe de la défense :
- coopération franco-britannique dans le cadre de la FORPRONU et de la Force de Réaction Rapide ;
- engagement croissant de l'Allemagne hors de ses frontières, engagement que nous encourageons et appuyons. Qui aurait imaginé il y a cinq ans que la brigade franco-allemande servirait en Bosnie au service de paix ?
- implication de l'UEO dans les opérations de maintien de paix (contrôle de l'embargo Adriatique/Danube, aide à la formation de la police locale à Mostar, en Albanie) ;
- intervention en Albanie, opération ad-hoc mais entièrement européenne, sous mandat de l'ONU, et mettant en oeuvre le concept français de " nation-cadre " ; avec le rôle pilote de l'Italie ;
- enfin, rappelons que les Européens représentent 50 % des effectifs de la SFOR en Bosnie.
Mais quelle que soit l'évolution vers une régionalisation des opérations de maintien de paix, la France affirme la suprématie de l'ONU. C'est une question de principe.
Les opérations de maintien de paix constituent par conséquent un vaste champ de réflexion. Mais elles ne constituent qu'un pis-aller. Il est nécessaire de mettre en place une stratégie de prévention des crises, avec des règlements diplomatiques qui parfois pourront s'appuyer sur des moyens coercitifs.
Le Kosovo est un bon exemple. Nous connaissons l'état de la question depuis plusieurs années. C'est un véritable défi qui est lancé à la société internationale de résoudre par des voies pacifiques ce problème. Il n'y a pas de fatalité.
Je finirai sur une note d'espoir. Le déploiement préventif opéré en Macédoine a permis de résoudre une question jugée il y a quelque temps par nos experts comme des plus explosives de la région. Donc, on réfléchit et on suscite des mécanismes de progrès. Merci à l'IRIS de participer à ces réflexions.
(Source http://www.défense.gouv.fr, le 18 septembre 2001)