Interview de M. Philippe Douste-Blazy, président du groupe parlementaire UDF à l'Assemblée nationale, à Europe 1 le 4 juin 2002, sur la revalorisation des honoraires médicaux et la nécessité pour l'UMP de gagner les élections législatives pour éviter une nouvelle cohabitation.

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Média : Europe 1

Texte intégral

J.-P. Elkabbach Le climat est à l'apaisement entre les médecins et la Cnam qui s'apprêtent à négocier cette nuit au finish et à conclure un accord jugé légitime sur la consultation à 20 euros. La seule contrepartie acceptée par les médecins, ce sont de bonnes pratiques des médecins. Est-ce que le cardiologue Douste-Blazy, ancien ministre de la Santé, peut expliquer ce que cela veut dire de "bonnes pratiques des médecins" ?
- "C'est très simple : nous sommes le seul pays au monde où on peut vous rembourser 24 électrocardiogrammes par jour à 100 %, même s'ils sont, les 24, normaux. Donc, il y a un moment où les bonnes pratiques médicales, cela veut dire quelque chose. Il faut évidemment rembourser le nombre d'électrocardiogrammes qu'il faut, dans la mesure où ils apportent quelque chose au diagnostic."
Vous voulez dire qu'il y en a trop. Si on m'en fait 24, c'est trop ?
- "S'ils sont normaux, les 24, vous êtes d'accord, ils sont quand même de trop ! Donc, aujourd'hui, nous avons par ce qu'on appelle des conférences de consensus, les bonnes pratiques. On sait que devant par exemple un ulcère à l'estomac, un anti-ulcéreux suffit. Si on en met deux, il y a un de trop. Eh bien, si on fait un dossier médical, si on marque tout ce que l'on sait à un malade sur un papier, on va vite savoir ce qui est bon et ce qui est accessoire. L'accessoire doit disparaître. C'est la raison pour laquelle on peut augmenter à 20 euros la consultation - à 30 euros la visite, pourquoi pas -, à condition de diminuer quelques actes médicaux."
Donc, il y a des contreparties de la part des médecins ?
- "Oui, et la contrepartie s'appelle la régulation médicalisée. Je crois qu'il n'y a rien de pire que la régulation comptable, parce qu'on ne peut pas comptabiliser, on ne peut pas dire à un médecin : "Vous allez voir tant de malades, et puis à partir de 20, on ne vous paye plus". Cela serait mauvais pour la médecine. Par contre, on peut lui dire : "D'accord, on vous augmente les tarifs, à condition que vous, vous engagiez à faire une régulation médicalisée."
Est-ce que vous, vous dites "oui" à une réduction des prescriptions d'antibiotiques, comme le dit J.-M. Spaeth de la Cnam ?
- "Cela ne veut strictement rien dire. Si on dit qu'il faut moins d'antibiotiques, alors qu'il nous prouve qu'il y a moins d'infections."
Mais il n'y a pas trop d'antibiotiques prescrits aujourd'hui ?
- "Ce n'est pas comme cela qu'il faut voir. Ce n'est pas un problème de "trop". Là, on retombe sur quelque chose de comptable et de quantitatif. Moi, je préfère le qualitatif. Devant par exemple une méningite à pneumocoques, nous savons qu'il y a tels et tels antibiotiques qu'il faut donner. "
Mais pas dans les cas les plus graves. Prenons une angine, une bronchite ?
- "Si vous prenez une bronchite chronique, nous savons très bien aujourd'hui que tels ou tels antibiotiques suffisent. Si un médecins en donne trop, alors là, il peut être en effet sanctionné."
Il peut être sanctionné ? Cela veut dire que vous acceptez la sanction ?
- "Pas la sanction collective : la sanction personnelle. C'est cela qui est très important - la révolution - et d'ailleurs, A. Juppé entre 1995 et 1997, avait demandé cet outil, c'est l'outil informatique. Moi, je suis médecin, j'ai un malade qui est devant moi, qui a une bronchite chronique. Je lui donne tels et tels antibiotiques. Tout le monde peut le voir, tout le monde peut le contrôler. Alors, si je fais une erreur, je dois payer."
Cette mesure doit coûter à peu près 255 millions d'euros. Pensez-vous qu'elle peut être autofinancée à partir de ces économies dont vous parlez vous-même ?
- "Bien sûr, et surtout, sachez que tous les médecins de France sont d'accord pour être évalués sur leurs pratiques. Les médecins de France sont de bons médecins. Ils ne veulent pas dépenser pour dépenser. On les montre toujours du doigt. Non, il y a tout simplement une augmentation du tarif médical, mais il faut en contrepartie être d'accord pour avoir une bonne pratique médicale."
Etes-vous favorable, vous, à la visite généralisée à 30 euros ?
- "Oui, je crois qu'il est normal de payer une visite 30 euros. Encore faut-il maintenant bien dire aussi à ceux qui appellent à 2h00 du matin un médecin généraliste, qu'il ne faut pas l'appeler pour un simple petit bouchon de cérumen dans les oreilles."
La gauche croit à des surprises à son avantage. Elle promet pour le 1er juillet une hausse de 5 % du Smic. Elle vous demande d'en faire autant. Vous pourriez ?
- "Le 1er juillet est le jour de la revalorisation annuelle légale et automatique des minima sociaux."
Mais cette fois-ci, on donne un coup de pouce ou un coup d'épaule, comme l'avait par exemple en 1995 A. Juppé qui avait donné 4 % d'augmentation ?
- "Et en 1997, monsieur Jospin. Il y aura probablement un petit coup de pouce et surtout, ce qui est important, ce sont les classes moyennes : baisser les charges sociales sur les bas salaires entre 1 et 1,7 Smic. Parce que si quelqu'un gagne 7.500 francs par mois, si vous lui donner 500 francs de plus après avoir baissé ses cotisations de 6 %, ces 500 francs partent directement à la consommation, directement à la croissance. Et vous dites à quelqu'un qu'il vaut mieux qu'il travaille plutôt que de cumuler les revenus sociaux. Vous passez d'une culture de l'assistanat à une culture du travail. C'est cela le message politique."
J.-P. Raffarin estime dans le journal La Montagne de ce matin que le climat sur le terrain vous est plutôt favorable ; est-ce que vous confirmez cette intuition informée du Premier ministre ?
- "Pour être allé beaucoup sur le terrain actuellement, je peux vous dire que la cohabitation est une solution de pis aller, institutionnelle et politique pour les Français. Ils n'y croient plus. En aucun cas, la cohabitation ne peut être un projet de Gouvernement pour la France. Il est triste de voir que les socialistes en mal de programme réduisent leur campagne aux louanges du régime de la cohabitation. De plus, il n'est pas adapté aux défis de demain si vous voulez réformer..."
D'accord, mais ce n'est pas ce que je vous demande. Est-ce que vous sentez qu'une majorité arrive pour l'UMP ?
- "Oui, je sens une majorité, parce que les gens voient bien qu'il faut donner à J. Chirac et à J.-P. Raffarin, qui manifestement est un excellent Premier ministre, une très grande majorité parlementaire. Si ce n'est pas le cas, il n'y aura pas de réformes."
Et l'UMP pourrait, selon vous, obtenir la majorité, toute seule ?
- "Oui, aujourd'hui, l'UMP est en passe de devenir majoritaire à elle seule à l'Assemblée nationale. Quand on voit que les socialistes disent qu'il ne faut pas donner le pouvoir à tous, excusez-moi, mais ils ont la mémoire courte : en 1981, ils avaient bien la majorité..."
Et vous vous en plaigniez ! L'opposition de l'époque s'en plaignait...
- "L'opposition de l'époque ne s'est jamais permise de revenir sur la Constitution et sur la légalité, la légitimité du vote socialiste en 1981. Nous avons combattu dans l'opposition, nous n 'avons jamais dit qu'ils prenaient tous les pouvoirs. C'est la Vème République qui le veut."
J. Dray, F. Hollande disent que si la droite gagne, c'est "un cauchemar" ; ce matin, J. Lang prédit une "explosion sociale"...
- "Cet argument est d'autant plus incompréhensible de la part du PS que si L. Jospin avait été élu, il aurait demandé aux Français une majorité à l'Assemblée nationale pour gouverner. Nous avons donc aujourd'hui aucune leçon à recevoir..."
Et vous, vous auriez demandé la cohabitation, si Jospin avait gagné ?
- "Bien sûr. Il est absolument ridicule de faire des discussions aussi stériles que celles-là aujourd'hui, alors qu'il faut réformer ce pays, alors que les retraites n'ont pas été réformées, que la fiscalité, les charges sociales, l'insécurité doivent être combattues. Comment voulez-vous que ces arguments de politique politicienne portent ? Nous, nous nous mettons au travail, ce Gouvernement a commencé et nous allons continuer tout l'été, s'il le faut, à l'Assemblée nationale."
Vous avez dit tout ce qu'il fallait faire : l'impôt sur le revenu, son pendant social puis les médecins, les mesures qui les concernent, la police, la justice, les retraites, la loi de programmation militaire. Qui va payer l'addition ?
- "Aujourd'hui, la croissance réapparaît, nous allons également diminuer les dépenses publiques, parce que c'est totalement nécessaire. On ne peut pas baisser les recettes, en particulier en diminuant et en baissant les charges sociales sans diminuer les dépenses."
Si l'UMP gagne et qu'on vous propose un ministère, accepterez-vous cette fois-ci ?
- "Vous avez commencé en disant "si on gagne" ; je vais d'abord essayer de faire en sorte..."
Vous venez de dire que vous allez gagner !
- "Non, je ne suis jamais sur des choses, surtout celles-là. En matière électorale, l'humilité prévaut. Le premier tour de l'élection présidentielle nous aura, j'espère, appris cela. Gagnons d'abord et ensuite on verra."
Mais vous ne dites pas non ?
- "Ensuite, on verra, et je reviendrais si vous le voulez bien..."
(Source :premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 5 juin 2002)