Déclaration de Mme Arlette Laguiller, porte-parole de Lutte ouvrière et candidate à l'élection présidentielle de 2002, sur l'annonce de la candidature de Lionel Jospin, sur les inégalités sociales, sur le chômage, sur les licenciements, sur les bas salaires, sur le manque d'emplois dans la fonction publique, sur la pauvreté, sur la fiscalité, Le Havre le 21 février 2002.

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Circonstance : Meeting au Havre le 21 février 2002

Texte intégral


Travailleuses, travailleurs,
Dans la course de lenteur pour se déclarer candidat, Jospin a donc battu Chirac de quelques jours. "Une France active...", "Une France sûre...", "Une France juste...", "Une France moderne...", "Une France forte..." : voilà ce que Jospin a présenté comme ses cinq engagements de candidat. Engagements qui sont assez vagues pour ne pas engager à grand chose, si même les promesses électorales engageaient à quoi que ce soit.
Que l'on se souvienne de la promesse de Chirac de "réduire la fracture sociale". Ou de la promesse de Jospin, avant le succès de son parti aux élections législatives précédentes, d'empêcher la fermeture de l'usine Renault de Vilvorde, qu'il a laissé fermer une fois qu'il est devenu Premier ministre.
Ce n'est pas sur ses promesses électorales que les travailleurs ont à juger Jospin, mais sur la politique qu'il a menée pendant les cinq ans qu'il a passés gouvernement !
"Une France active qui tourne définitivement le dos au chômage", ose promettre le candidat Jospin. Mais, après cinq ans passés à la tête du gouvernement, le chômage reste catastrophique dans le pays et on n'a pas vu Jospin s'opposer à un seul plan de licenciements !
"Une France juste", promet-il encore, "Notre pays doit réduire encore les inégalités de revenus, de savoir, celles qui existent entre les hommes et les femmes ou celles qui affectent nos territoires". Quel charabia pour ne pas parler de la principale inégalité, l'inégalité sociale qui existe entre la grande bourgeoisie et les travailleurs qu'elle exploite, quand elle ne trouve pas plus profitable de transformer ces travailleurs en chômeurs !
Ceux qui, comme Jospin ou Chirac, nous parlent "de la France", "des intérêts de la France" ou "des intérêts des Français", nous mentent.
La réalité, c'est que la société est divisée profondément entre deux classes : une minorité qui dispose de la fortune, des entreprises, des banques et qui exerce un pouvoir dictatorial sur l'économie ; et une majorité qui ne dispose de rien d'autre pour vivre que de sa capacité de travailler. Tout oppose ces deux classes sociales. Ce qui est un drame pour les travailleurs : les bas salaires, le chômage, est un avantage pour les patrons et les actionnaires. Les bas salaires augmentent leurs bénéfices et le chômage leur permet d'imposer des salaires encore plus bas.
Pour ma part, si je m'adresse systématiquement aux travailleuses et aux travailleurs, c'est qu'on ne peut pas être à la fois dans le camp des exploiteurs et dans le camp des travailleurs !
Par travailleuses et travailleurs, j'entends tous ceux qui produisent, qui font marcher la société : ouvriers, employés, chauffeurs routiers, techniciens, ouvriers agricoles, ingénieurs, cheminots. J'entends aussi tous ceux dont le travail est utile pour le présent et pour l'avenir de la société : personnel soignant, enseignants, chercheurs. Mais j'entends aussi tous ceux que l'économie capitaliste écarte de la production et transforme en chômeurs ; comme j'entends la jeunesse ouvrière, à qui on ne donne même pas sa chance de trouver un travail satisfaisant ; ou encore les anciens qui doivent vivre, et souvent mal, de la retraite qu'on leur accorde, après une existence passée à enrichir le patronat. Tous ceux-là constituent une seule, une même classe, celle des travailleurs, quelles que soient leur situation juridique, leur origine, leur nationalité ou la couleur de leur peau.
Eh bien, sans la classe des travailleurs, la société ne pourrait pas fonctionner un seul instant, alors qu'elle pourrait se passer des patrons, des actionnaires, des financiers, des spéculateurs et des boursicoteurs ! La société pourrait se passer d'une Madame Bettencourt, première fortune de ce pays, qui gagne en une minute, sans rien faire, ce que gagnent les ouvriers de ses usines en travaillant durant un mois entier. L'économie pourrait se passer de ses pareils, les Pinault, les Arnault, presque aussi riches et dont la principale activité consiste à se faire la guerre économique, l'un contre l'autre, à se disputer les entreprises juteuses, en laissant sur leurs champs de bataille des entreprises qui ferment et des travailleurs licenciés.
Et je dirais même plus: sans cette couche de privilégiés qui vit de l'exploitation du travail des autres et, plus grave encore, oriente les capacités économiques de la société en fonction de ses seuls intérêts (quitte à ce que la société en crève), eh bien, sans cette couche de parasites, la société se porterait infiniment mieux !
Dans l'élection présidentielle à venir, les travailleurs, les victimes des plans sociaux passés, présents et à venir, ne peuvent pas soutenir la politique du gouvernement actuel, ni celle des gouvernements passés ou à venir de la droite. Ni Chirac ni Jospin et leurs alliés respectifs ne sont dans le camp des travailleurs ; ils sont dans le camp de la bourgeoisie, des riches, des possédants. Ils sont du côté de l'argent, pas du côté du travail !
Les mesures anti-ouvrières lancées par les uns sont poursuivies par les autres. Les attaques contre le système de santé du plan Juppé ont été poursuivies par le gouvernement Jospin. Les privatisations commencées sous Balladur ont continué sous Jospin aussi bien que sous Juppé. Et la gauche a même privatisé davantage que la droite. La dernière en date en est la privatisation rampante annoncée d'EDF.
Balladur s'était attaqué aux retraites des travailleurs du privé en allongeant la durée de cotisation et, par conséquent, l'âge où on peut partir avec une retraite pleine. Jospin n'est pas revenu sur cette mesure réactionnaire et continue d'année en année d'exécuter les décisions prises par Balladur. Et les lois de Chevènement, lorsqu'il était ministre de l'Intérieur, se situent dans la continuité des lois Pasqua-Debré contre les travailleurs immigrés.
Le bilan des vingt dernières années est que cela va de mieux en mieux pour les profits des entreprises, c'est-à-dire pour les revenus de la bourgeoisie. Et que cela va de plus en plus mal pour les salariés, dont la part dans le revenu national ne cesse de baisser.
Je vous donne seulement deux informations éloquentes, publiées il y a peu dans la grande presse.
La première indiquait que la rémunération des PDG des grandes entreprises a augmenté en une seule année, l'année dernière, de 36 % en moyenne. Et ce pourcentage d'augmentation ne se rapporte pas à des salaires d'ouvriers. Il se rapporte à des rémunérations comme celle de Thierry Desmarets, PDG de TotalFinaElf, l'entreprise qui pollue et qui tue, qui a gagné 5 millions d'euros, soit 33 millions de francs. Mais il y a mieux : Serge Tchuruk, PDG d'Alcatel a touché, l'année dernière, 20 millions d'euros, soit 131 millions de francs. Et je devrais ajouter que, même si les rémunérations de ces PDG sont très élevées, ils travaillent pour de gros actionnaires dont les revenus et les fortunes sont bien plus importantes.
La deuxième information concernant le dernier rapport de l'Observatoire de la pauvreté. Ce rapport souligne que les années dites de croissance, au lieu de diminuer la pauvreté, l'ont au contraire aggravée. Même ces deux ou trois ans où le chômage s'était mis à diminuer, la vie ne s'est pas améliorée pour ceux qui sont sortis du chômage. Car, très souvent, ils n'ont retrouvé qu'une activité précaire, partielle, où ils gagnent à peine plus que le RMI.
Je cite les chiffres dans leur sécheresse : 7 % des ménages en France, soit 4 millions et demi de personnes, vivent sous ce qu'on appelle "le seuil de pauvreté monétaire", c'est-à-dire en disposant de moins de 564 euros (3.700 F) mensuels par individu. 11 % des ménages, soit plus de 6 millions de personnes, sont pauvres au regard de l'indicateur de l'Institut de statistique qui tient compte, en plus, des difficultés liées au logement ou à l'endettement. Et ils sont 9 millions, 16 % de la population, ceux qui vivent sous le seuil de pauvreté tel que le définit la Commission européenne, c'est-à-dire 640 euros (4.200 F) par mois pour un célibataire.
Derrière les statistiques générales, combien de drames individuels pour ceux qui sont tombés dans le chômage et pour leurs familles ? Combien de malheurs pour ceux qui sont contraints de vivre avec l'allocation de chômage, le RMI ou un salaire tellement bas que s'en sortir tient du miracle ? Combien de malheurs pour ceux qui sont contraints d'habiter dans des logements délabrés et dont les enfants, dans l'incapacité de poursuivre une scolarité convenable, sont la proie des dealers et des voyous ?
Eh bien, les travailleurs ne peuvent pas accepter d'être poussés vers la pauvreté. Il faut qu'ils manifestent leur colère contre le patronat, mais aussi contre des gouvernements complices !
Car les gouvernements qui se sont succédé, de gauche ou de droite, ont tous contribué à la dégradation du sort des travailleurs, au point qu'en se remémorant ces vingt dernières années, il est bien difficile de se rappeler qui a porté les coups les plus durs à la classe ouvrière.
C'est seulement au premier tour que les travailleurs pourront exprimer leur choix et se prononcer sur la politique qu'il nous faudra imposer. Car, au deuxième tour, on n'aura le choix qu'entre deux responsables différents d'une même politique anti-ouvrière.
Les représentants de la gauche gouvernementale me reprochent de ne pas faire la différence entre la gauche et la droite. Si, bien sûr, que je fais une différence entre l'électorat de droite et celui de gauche. Car les partis de gauche trouvent l'essentiel de leur électorat dans le monde du travail.
Et je sais aussi que des mesures comme par exemple l'obligation de respecter la parité entre les femmes et les hommes dans les élections ; des mesures comme le Pacs, comme la possibilité pour une jeune fille d'avoir accès librement à la pilule dite du lendemain et quelques autres mesures similaires peuvent être prises plutôt par la gauche que par la droite. Et encore !
Mais, d'une part, ces mesures sont choisies parce qu'elles ne coûtent rien au patronat. Et, surtout, elles ne changent rien aux problèmes fondamentaux du chômage, de la précarité, de l'aggravation des conditions de travail et de l'exploitation.
La gauche comme la droite ont de plus en plus de mal à faire croire qu'elles sont différentes. Du coup, un nombre croissant d'électeurs se détournent des élections. Mais se contenter de s'abstenir au premier tour, c'est s'abstenir aussi de critiquer leur politique, c'est encore leur laisser les mains libres pour mener la politique des possédants. Puisque le premier tour permet d'exprimer un choix social, saisissons l'occasion !
Saisissons l'occasion pour dire tout le mal que les travailleurs pensent de la droite, dont tous les candidats sont ouvertement au service des possédants !
Mais ne cautionnons pas pour autant le Parti socialiste qui, au gouvernement, mène la politique de la droite.
Bien sûr, les autres partis de la gauche plurielle cherchent, pendant la campagne, à se démarquer du gouvernement Jospin et de sa politique !
Mais on a pu vérifier pendant cinq ans que, s'il arrive aux écologistes, aux partisans de Chevènement et surtout au Parti communiste de se distinguer - en paroles - du Parti socialiste, ils ont tous cautionné la politique de Jospin.
Le Parti communiste, en particulier, radicalise son langage dans la campagne électorale. Robert Hue s'en est pris à la politique du gouvernement qu'il a qualifié de "politique trop soumise aux exigences des marchés financiers". Et parmi les mesures qu'il avance dans son programme électoral, il y en a qui vont dans le sens des intérêts des travailleurs. Lorsqu'il défend "le droit à la retraite à 60 ans, au terme de 37,5 annuités de cotisation" ou lorsqu'il revendique "un relèvement conséquent du salaire minimum", je suis, bien sûr, d'accord avec ces mesures. Comme je suis d'accord avec l'augmentation importante des minima sociaux.
Mais Robert Hue exigera-t-il de Jospin qu'il s'engage à appliquer ces mesures, pour appeler à voter pour lui au deuxième tour ? L'exigera-t-il pour entrer dans un futur gouvernement de gauche, si tant est qu'il y en aura un et que son parti y sera invité ?
Depuis cinq ans, il n'y aurait pas de majorité socialiste sans le soutien des députés communistes. Le Parti communiste aurait pu imposer au gouvernement les mesures qu'il préconisait en paroles. Robert Hue prétend qu'il faut être dans le gouvernement pour changer les choses. Mais les ministres communistes, qu'ont-ils changé d'important pour les travailleurs ? Rien ! Alors, même si, pendant la campagne électorale, Robert Hue "récuse" - je le cite - "toute responsabilité" dans les "grandes orientations économiques et sociale" du gouvernement, les ministres communistes en ont cautionné les mauvais coups contre les travailleurs !
En fait, Robert Hue se charge au premier tour de faire aux travailleurs et aux classes populaires les promesses que Jospin se garde de faire, pour ne pas perdre les voix des électeurs du centre, voire de droite, qui se porteront sur son nom. Robert Hue vise à recueillir le maximum de voix venant du camp des travailleurs, pour les inviter à se reporter sans condition sur Jospin au second tour, qui, lui, n'aura rien promis aux travailleurs.
Pour ma part, je n'ambitionne de participer à aucun gouvernement de la bourgeoisie, ni même à aucune coalition pour en soutenir un. Et si je me présente, c'est pour dénoncer l'ignominie, l'injustice de cette société qui écrase tous ceux qui, par leur travail, la font vivre. Je me présente pour dénoncer la politique menée depuis ces vingt ans où tous les gouvernements successifs ont consciemment creusé l'écart entre la petite couche de riches et la majorité de la population.
Depuis vingt ans, la politique de chaque gouvernement a été de favoriser le profit des grandes entreprises, c'est-à-dire la fortune de leurs actionnaires. Avec cynisme, ils ont tous présenté cette politique comme allant dans le sens de l'intérêt de toute la société.
Ils ont sacrifié le pouvoir d'achat des travailleurs.
Ils ont sacrifié l'emploi.
Ils ont sacrifié la protection sociale, en diminuant les remboursements de la Sécurité sociale. Mais en même temps, la Sécurité Sociale finance des dépenses d'infrastructure hospitalière. Or le service public de la santé devrait être financé par l'Etat et pas par les cotisations des travailleurs ! Mais pire encore, la Sécurité Sociale sert de vache à lait pour aider le patronat par le biais de la baisse des charges patronales qui réduit les recettes de la Sécu.
Ils ont sacrifié les services publics, les hôpitaux, les écoles, la poste, les transports en commun car c'est sur eux qu'on fait des économies, pour donner plus aux entreprises.
Dans les hôpitaux, on fait des économies sur tout. Pas assez d'infirmières, d'aides-soignants, d'agents hospitaliers, de brancardiers. On hospitalise des malades loin de chez eux, faute de place dans des établissements plus proches, d'autant qu'on supprime des hôpitaux et des maternités de proximité. On oblige le personnel soignant à des horaires de travail déments, ce qui compromet la qualité des soins.
Le budget de l'hôpital du Havre est notoirement insuffisant, surtout par rapport à la situation sanitaire particulièrement mauvaise de la région. Et, au lieu d'embaucher, 25 emplois sont menacés !
On justifie ces économies, faites au détriment des malades aussi bien que du personnel, en invoquant le manque de crédits pour les hôpitaux publics. Mais, dans le même temps, on ose subventionner les cliniques privées pour les aider à être bénéficiaires ! Mais c'est l'inverse qu'il faudrait faire !
Pour réduire réellement les horaires de travail, il faudrait 80.000 emplois supplémentaires, le gouvernement n'en promet que la moitié ! Et, pour le moment, il ne fait que promettre ! Ce qui fait que, dans bien des hôpitaux, les horaires non seulement ne sont pas réduits, mais bien souvent ils s'allongent.
L'Education nationale, elle non plus, n'a pas les moyens en personnel ni en locaux pour prendre en main réellement l'éducation des enfants issus des couches populaires. Et, là encore, au lieu de prévoir la création de classes nouvelles, on en supprime. 79 fermetures de classes sont programmées en Seine-Maritime, 47 rien que dans le primaire, malgré la manifestation du 30 janvier au Havre et plusieurs occupations de classes à Senneville, à St-Vincent-Craménil et à St-Aubin-Routot.
On fait mine de s'étonner que les enfants issus de l'immigration ne soient pas intégrés ! Mais comment pourraient-ils l'être, quand non seulement ils sont condamnés à grandir dans des ghettos de pauvres, mais que l'Education nationale ne donne pas les moyens suffisants en personnel enseignant, pour pouvoir prendre ces enfants par petits groupes et leur apprendre à lire, à écrire correctement, à acquérir ce minimum de connaissances que leurs familles ne sont pas en situation de leur donner, et dont le manque les handicape dès l'enfance et de façon irrémédiable ? Et l'effort ne devrait pas seulement porter sur les classes primaires ou secondaires de la période de scolarité obligatoire, mais aussi sur les crèches et les maternelles. Leur nombre est insuffisant alors que leur rôle est essentiel, d'abord du point de vue des femmes qui travaillent, mais aussi du point de vue de la formation des petits enfants. C'est bien joli de se réjouir de l'augmentation des naissances. Mais si le personnel des crèches en est réduit à la grève pour revendiquer des locaux, des embauches et de meilleurs conditions de travail, c'est qu'il y a quelque chose qui ne va pas.
Le patronat et le gouvernement ont également sacrifié la retraite des vieux travailleurs. Ils menacent la retraite par répartition pour y substituer la retraite par capitalisation, un système qui a ruiné et privé de toute retraite les travailleurs de l'entreprise américaine ENRON en faillite.
Ils ont sacrifié la jeunesse ouvrière, dont la vie active, si l'on peut dire, commence par le chômage ou par des stages bidons, des prétendues formations non rémunérées et, dans le meilleur des cas, souvent par des emplois précaires en CDD, en CES, en Interim, avec beaucoup de travail et une petite paye.
Alors, pour de nombreuses familles ouvrières, l'année 2002 a commencé comme s'est terminée l'année 2001 : dans l'angoisse des plans de licenciement qui vous transforment en chômeurs après dix, vingt ou trente ans de travail dans la même entreprise.
De Moulinex-Brandt à Danone, en passant par Air Liberté, Delphi, Airbus, Valéo, Bosch, Philips, Bata, Alstom, Aventis, Dim, Alcatel, Péchiney, Gemplus, la liste est longue des grandes entreprises qui licencient et qui ferment des usines entières. Ici, vous avez subi la fermeture des Ateliers et Chantiers du Havre. 2.500 emplois supprimés, dans les Chantiers même ou chez les sous-traitants. Et beaucoup de ces derniers n'ont pas retrouvé un emploi stable. Et puis, il y a eu la fermeture de CMS, filiale d'Alstom. Et voilà qu'en janvier 2002, c'est Atofina, branche chimique de TotalFinaElf, qui a annoncé 57 suppressions d'emplois à Gonfreville-L'Orcher. Et, dans beaucoup d'entreprises, combien de licenciements dans la discrétion, qui visent les intérimaires ?
Les partis liés au pouvoir comme ceux de l'opposition se vantent de la création du Port 2000 et des emplois à venir. Mais ce port sera concédé au privé, et les dockers, les grutiers, les différentes catégories de travailleurs auront des conditions de travail et de salaire bien plus difficiles que les salariés du port autonome. Les emplois précaires pourraient être la règle. Et, surtout, ceux qui se glorifient des créations d'emplois oublient d'ajouter que, parmi les nombreuses conséquences de Port 2000, il y a la destruction des vasières de la Baie de Seine. Outre ses conséquences écologiques, elle risque de se traduire par la disparition de l'emploi d'un millier de pêcheurs et de celui de près de 2.000 femmes et hommes dont l'activité est liée à la pêche artisanale.
En d'autres termes, il n'y a vraiment pas de quoi se vanter car le bilan risque, au total, d'être négatif aussi bien pour la nature que pour l'emploi !
Le chômage, c'est une catastrophe pour ceux qui en sont victimes, pour leurs familles et pour leurs enfants. Mais c'est aussi sur le chômage que s'appuie le patronat pour aggraver les conditions d'exploitation de ceux qui restent au travail ; pour rendre partout le rythme de travail inhumain, que ce soit sur les chaînes de production ou aux caisses de supermarché. Cette menace de perdre son emploi permet aux patrons de faire un chantage pour imposer des horaires flexibles et, du coup, pour tirer toujours plus de profit de chaque travailleur.
Les grands partis se livrent, chacun à son profit, à des assauts de démagogie pour capitaliser le sentiment d'insécurité dans les villes et les banlieues. Chirac y a consacré , à Garges-les-Gonesse, le discours de son premier déplacement officiel en tant que candidat. Il a même décrété la "mobilisation générale". "Aucune infraction aussi légère soit-elle ne doit être laissée sans réponse", dit-il, en prêchant "l'impunité zéro". Venant de sa part, l'expression ne manque pas de sel.
L'insécurité existe, c'est vrai, et vous savez que la violence gratuite pèse surtout sur les quartiers pauvres, comme les cités de Mont-Gaillard, Bléville, La Mare rouge et Caucriauville.
Mais Chirac ne nous parle pas avec autant d'insistance du sentiment d'insécurité qu'éprouvent tous les travailleurs quant à l'avenir de leur emploi. Il n'en appelle pas à la "mobilisation générale" contre le chômage ! Pourtant, l'angoisse du chômage est bien plus justifiée et bien plus profonde que celle de se faire agresser. Et surtout, les deux sont liés. L'insécurité s'est aggravée en même temps que s'est aggravé le chômage et que se sont détériorés les logements sociaux et dégradés les quartiers populaires. Il ne suffira pas que Chirac, s'il est réélu, crée un nouveau "ministère de la sécurité intérieure", ni qu'il ressuscite les maisons de correction, pour qu'il fasse bon vivre dans des quartiers populaires où le chômage avoisine 30 %, voire 50 %, des adultes et où les jeunes s'enfoncent dans le désespoir. Mais il est facile de faire des discours démagogiques sur l'insécurité, sans pour autant qu'elle cesse, alors qu'il faut commencer par mettre fin au chômage !
L'aggravation du chômage permet aussi aux démagogues d'extrême droite de canaliser le mécontentement contre les travailleurs immigrés, avec des slogans xénophobes et racistes. A l'échelle nationale, c'est le millionnaire réactionnaire Le Pen et son ex-lieutenant et aujourd'hui concurrent Mégret, qui essaient de faire de cette démagogie raciste un capital électoral.
Comme si c'était les travailleurs immigrés qui licencient, et pas les patrons, quelle que soit leur nationalité !
Alors, travailleuses et travailleurs de toutes nationalités, avec ou sans papiers, nous faisons partie de la même classe ouvrière et notre seul ennemi est le grand patronat ! Et j'en profite pour dire que je suis pour que soient accordés toutes les libertés démocratiques, tous les droits syndicaux et politiques, y compris le droit de vote, à toutes celles et tous ceux qui vivent et travaillent en France et qui se font exploiter ici pour le compte de la bourgeoisie qui, elle, est de toutes les nationalités.
Mais qu'est-ce que cette économie où l'on pousse à l'inactivité forcée des femmes et des hommes dont le travail pourrait être utile à la société, pendant qu'on en fait crever d'autres au travail ?
Eh bien, il n'est pas normal, il n'est pas acceptable que plus de 2.200.000 travailleurs de ce pays soient condamnés au chômage ;
que 4 millions d'autres, qui travaillent régulièrement ou occasionnellement, gagnent dans l'année moins que le Smic.
que plus d'un million de personnes soient obligées de subsister avec l'aumône du RMI, car s'il est légèrement augmenté et sa valeur désormais exprimée en euros, eh bien, 405 euros, cela ne permet que de survivre !
Il n'est pas normal, il n'est pas acceptable qu'une partie de la population ait besoin des Restaurants du coeur pour se nourrir. Et leur nombre s'accroît d'année en année.
Il n'est pas normal, il n'est pas acceptable que près de 100.000 personnes, jusque et y compris des enfants, soient privés de logement et que des centaines de milliers logent dans des taudis insalubres !
Eh oui, même dans ce pays parmi les plus développés, ce système économique reproduit et aggrave les inégalités. Et que dire de la misère indescriptible dans une grande partie de la planète ?
La misère a toujours existé dans ces pays, diront les défenseurs de l'ordre établi. Mais, aujourd'hui, l'Humanité a les moyens de mettre fin à cette misère partout sur la planète. La capacité productive des seuls pays industrialisés est largement suffisante pour assurer à tous la nourriture, un logement convenable, des soins, l'éducation. Mais cette capacité productive est gaspillée. On détruit de la nourriture dans des pays riches pour maintenir les prix pendant que dans d'autres on meurt de faim. On ne fabrique pas et on ne commercialise pas des médicaments indispensables, que l'on sait pourtant fabriquer, parce que ceux qui en ont besoin n'ont pas assez d'argent pour assurer des profits aux trusts pharmaceutiques.
En contrepartie du pillage des richesses naturelles des pays sous-développés, on offre des armes à leurs dictateurs, pour qu'ils continuent à maintenir leurs peuples sous le joug et dans la pauvreté.
Et, quand les achats d'armes et les dépenses de luxe de la couche privilégiée d'un pays pauvre endettent ce pays auprès des banquiers d'Occident, c'est encore au peuple qu'on présente la facture.
Oui, le capitalisme est une société qui a échoué et qui échoue tous les jours, en provocant des tragédies comme le chômage, comme les licenciements, comme la ruine de dizaines de milliers de travailleurs, mais aussi comme la paupérisation croissante des pays du tiers monde. Et bientôt on verra des mitrailleuses aux frontières pour empêcher les malheureux du monde entier de se jeter sur les grillages électrifiés entourant l'Europe ou fermant l'accès aux Etats-Unis. C'est tout cela, le capitalisme. C'est l'accumulation de la richesse à un pôle et la pauvreté à l'autre. Ce sont les guerres et les dépenses d'armement pour maintenir cet état des choses. C'est les risques encourus par la nature, voire les risques biologiques encourus par l'Humanité, et tout cela pour la recherche du profit.
C'est aussi la pollution de l'air qui entraîne toutes les conséquences pour la santé que vous ne connaissez que trop bien dans la région.
On nous parle de l'initiative individuelle. Mais l'initiative individuelle, elle n'existe pas. Elle est dominée par les détenteurs de capitaux. Quand quelques individus ont des idées et commencent à les exploiter, ils sont vite rachetés ou intégrés, et ils ont bien de la veine quand ils ne sont pas jetés avec leur entreprise !
Non, la société capitaliste n'est pas une société humaine. Elle n'est pas supportable et il est indispensable de la changer.
Voilà pourquoi je suis communiste et fière de l'être. Et c'est cette conviction que je veux faire partager dans mon livre qui vient d'être publié et qui s'appelle justement "Mon communisme".
Le sens de la transformation sociale nécessaire est au fond simple : il s'agit de mettre fin à la dictature des grands groupes capitalistes sur la planète, en expropriant la grande bourgeoisie et en transformant les usines, les banques, les transports, les grands circuits de distribution capitalistes, en propriétés collectives, sous le contrôle conscient et sous le contrôle démocratique de toute la population.
Cet objectif est abandonné depuis longtemps par les grands partis qui se disent socialiste et communiste, dénominations qui à l'origine indiquaient leur volonté de transformation sociale.
Oui, il faut que de tels partis renaissent. Ce dont les travailleurs ont besoin, c'est d'un parti qui défend rigoureusement leurs intérêts politiques et sociaux, pas seulement d'associations qui protestent les unes contre une chose, les autres contre une autre. C'est à la construction d'un tel parti que nous nous sommes attelés, et c'est bien difficile. Et, beaucoup de jeunes et de moins jeunes qui sont attirés par des mouvements comme Attac seraient bien plus utiles aux intérêts de toute la société s'ils s'attelaient à la construction d'un tel parti.
Il y a des dizaines de milliers de militants ouvriers dont les uns, déçus par les reniements et les trahisons de leur parti, ont rendu leur carte. D'autre l'ont conservé, sans trop y croire. Mais ces militants représentent une valeur considérable pour le monde du travail, même s'ils sont aujourd'hui partiellement démobilisés. Et puis, il y a la nouvelle génération, les jeunes travailleurs, les jeunes intellectuels, qui n'ont pas connu les espoirs déçus, les trahisons, et qui découvrent chaque jour, les uns par leur expérience personnelle d'exploités, les autres parce qu'ils ont accès à un peu plus de culture, à quel point ce monde est malade, à quel point il est nécessaire de le changer. Et c'est là-dessus que nous fondons nos espoirs pour l'avenir !
Dans l'immédiat, l'objectif politique prioritaire est d'arrêter la dégradation des conditions d'existence du monde du travail, en contestant à la classe capitaliste son droit d'user et d'abuser de sa situation dominante dans l'économie.
Dans cette situation marquée par un chômage en hausse, je le dis : Si les patrons ne sont pas capables de faire fonctionner leurs entreprises sans licenciements, c'est-à-dire sans aggraver le chômage, eh bien, qu'ils s'en aillent ! Voilà pourquoi je dis qu'il faut interdire les licenciements et, si les patrons licencient quand même, les sanctionner par la réquisition de leurs usines.
On nous dit que ces entreprises ne sont plus rentables. Ce n'est vrai que du point de vue des actionnaires qui exigent des profits de l'ordre de 15 %. Mais le problème de rentabilité ne se pose pas dans les mêmes termes, que l'on soit capitaliste ou travailleur ou ménagère. Quand une entreprise produit des biens de consommation utiles, qu'importe qu'elle ne dégage pas de profits ! Si elle vendait sa production à prix coûtant, après amortissement, sans avoir à enrichir des actionnaires parasites, elle pourrait maintenir un salaire à ses salariés tout en rendant service à la collectivité.
Et quand bien même les entreprises qui ferment ne sont plus rentables, elles l'ont été dans le passé. Elles ont rapporté des fortunes à leurs propriétaires. Ces fortunes n'ont pas disparu. Elles continuent à exister sous forme de capitaux investis dans d'autres entreprises. Elles continuent à exister sous forme de propriétés immobilières, de châteaux, de biens de luxe, de yachts ou d'avions privés.
Eh bien, pour assurer un emploi à tous, pourquoi ne prendrait-on pas sur les fortunes personnelles des propriétaires présents et passés des entreprises ?
Ce serait une atteinte intolérable à la propriété privée ? Mais les licenciements, c'est une atteinte bien plus intolérable à l'existence matérielle des travailleurs et aussi à leur dignité !
Les capitalistes savent utiliser les circuits financiers, voire les paradis fiscaux, pour dissimuler tout ce qu'ils possèdent. Eh bien, il faut contraindre les grandes entreprises à rendre publique toute leur comptabilité.
Il faut que la population puisse vérifier quelle est, dans ces profits privés, la part des subventions ou des cadeaux fiscaux, c'est-à-dire la part de l'argent public.
Il faut que la population puisse vérifier à quoi servent les bénéfices, quelle est la part de ce qui est réinvesti dans la production, et ce qui est gaspillé dans la spéculation.
Il faut aussi une transparence absolue sur les marchés publics, ceux de l'Etat, des régions, des départements comme des municipalités.
Ce sont peut-être de basses manoeuvres électorales qui font resurgir, en ce moment même, toutes sortes de sales affaires impliquant la caste politique jusqu'au sommet de l'Etat. Mais ces affaires existent et ne constituent que la partie émergée de l'iceberg.
Eh bien, oui, il faut que les revenus et les ressources des responsables politiques soient publics et contrôlables. Mais s'il y a des corrompus, il y a des corrupteurs, à commencer par toutes ces grandes entreprises du bâtiment et des travaux publics qui s'enrichissent grâce à des contrats avec les autorités étatiques. Ou encore ces groupes qui, avant de se diversifier dans les médias, dans l'informatique ou dans l'achat et la vente de "marchandises culturelles", comme Vivendi, ex-Générale des Eaux, se sont enrichis et continuent à s'enrichir grâce à des contrats passés par des municipalités pour la distribution de l'eau.
Alors, pour mettre fin aux petites escroqueries comme aux grands gaspillages, il faudra que soient rendu publics les comptes des grandes entreprises, mais aussi, les comptes en banque de leurs patrons, de leurs principaux actionnaires, de leurs PDG et de leurs hauts cadres, voire des prête-noms des uns et des autres, afin que tout un chacun puisse connaître la situation réelle !
Il faut une loi qui mette fin au secret bancaire, au secret commercial et au secret des affaires. Oh, je sais bien que la loi seule n'y suffirait pas. Mais qu'une fraction seulement de la population ait la volonté de s'en servir et puisse légalement se mêler des affaires des grandes entreprises ou des grandes banques, et tout le monde pourrait constater que les licenciements ne sont jamais justifiés.
Il faut, aussi, que la population puisse contrôler réellement le pouvoir politique. On nous dit que nous vivons en démocratie car il y a des élections. On élit en effet les membres de nombre d'institutions représentative de l'Etat. Mais une fois élus pour quatre, cinq, six, voire neuf ans, rien ne les empêche de renier tous leurs engagements et de faire l'inverse de ce qu'ils avaient promis. Eh bien, je suis pour l'élection de tous ceux qui occupent une position de responsabilité publique, mais aussi pour leur révocabilité ! Il faut que la population qui les a élus, puisse les congédier à n'importe quel moment !
On nous parle de consultation de la population. Pasqua ose réclamer, par démagogie abjecte, un référendum sur le rétablissement de la peine de mort. Mais croyez-vous que ces gens puissent seulement proposer un référendum sur la question de savoir à quoi il faut consacrer plus d'argent dans le budget de l'Etat : aux services publics ou à l'aide au grand patronat ? S'il faut privatiser ou non l'EDF, la SNCF, la Poste ? Ou qu'ils proposent un référendum dans les régions concernées par la marée noire de l'Erika, sur la question de savoir si TotalFinaElf doit rembourser les dégâts causés ? Non, là-dessus, on ne consulte pas la population !
Voilà ce qu'ils appellent la démocratie. Eh bien, cette fausse démocratie cache seulement la toute puissance de l'argent !
Je me présente à cette élection présidentielle pour défendre tous ces objectifs-là. Mais aussi pour affirmer qu'il faut arrêter toute subvention au grand patronat, tout avantage fiscal et tout dégrèvement de cotisations sociales.
Pour dire qu'il faut rétablir l'impôt sur les bénéfices comme il y a vingt ans.
Pour dire qu'il faut augmenter les tranches supérieures de l'impôt sur le revenu, au lieu de les diminuer. L'Etat aurait ainsi les moyens d'améliorer les services publics, au lieu de les vendre par morceaux au secteur privé.
Dans cette société, il n'y a que le rapport de force qui compte. Et le rapport de forces ne sera changé que par l'action collective des travailleurs, par les manifestations, par les grèves, qui convergeront dans une volonté collective d'imposer le contrôle sur les entreprises, leurs comptes, leurs productions.
Cette élection ne changera pas le sort du monde du travail. C'est vrai ! Mais elle peut permettre de se compter. Et si nous sommes nombreux à nous compter sur mon nom, sur ce programme, cela peut montrer à nos ennemis que la classe ouvrière existe et qu'elle se renforce en tant que force politique.
Oui, le nombre des suffrages qui se porteront sur mon nom peut redonner confiance à tous ceux qui se croient isolés, chacun dans sa ville, dans son quartier, sur son lieu de travail, impuissants face à des patrons qui croient avoir tous les droits. Cette confiance peut nous rendre plus forts moralement, politiquement, pour engager les luttes collectives que, de toute façon, il nous faudra mener.
Car il n'y a pas d'autre choix que de mener la lutte de classe, face à un patronat qui, lui, n'a de cesse de faire la guerre au monde du travail.
Oui, si des millions de femmes et d'hommes choisissent d'affirmer avec leur bulletin de vote qu'ils partagent le constat que je fais, et disent aussi, ensemble, qu'il est vital d'imposer les mesures que je propose, oui, je le pense, cela aidera au développement de ces luttes, à leur élargissement, à leur unification sur un programme correspondant aux intérêts vitaux du monde du travail.
(source http://www.lutte-ouvriere.org, le 22 février 2002)