Interviews de M. Jean-Marie Le Pen, président du Front national et candidat à l'élection présidentielle de 2002, sur "LCI" le 15 avril et sur "France Inter", le 16 avril 2002, sur la plainte en diffamation lancée par Bruno Mégret à son encontre, sur les propositions du Front national en matière de retraite, de temps de travail, sur l'Europe.

Prononcé le

Média : France Inter - La Chaîne Info - Télévision

Texte intégral

15 avril 2002
A. Hausser - C'est la dernière ligne droite et ceux que l'on appelle les "grands candidats" appellent à voter utile. Vous ne craignez pas d'être un peu érodé par ces appels ?
- "Ca m'étonnerait que les électeurs qui ont l'intention de voter pour moi, aient l'intention de se reporter sur J. Chirac au premier tour ! Le vote utile, je le demande aussi, surtout quand j'ai un ou deux petits candidats qui ont pratiquement le même programme que moi et qui ne sont là que pour essayer de me grappiller des voix. J'espère que leurs électeurs ont compris que je suis le seul, dans cette élection, a pouvoir mettre en échec au premier tour un des deux candidats. Peut-être les deux, qui sait après tout ? Parce que tout se jouera, selon moi, entre 17 et 18, et je pense que je serais dans cette zone. Il est très possible que M. Jospin y soit le premier et peut-être même M. Chirac - il serait ainsi chabanisé, ce qui, dans le fond, serait un juste retour des choses."
Face à qui vous verriez-vous ?
- "Il est probable que ce soit face à Chirac, nous avons des choses à nous dire."
Autant qu'à M. Jospin ?
- "Oui, sans doute, parce que c'est M. Chirac qui est le sortant. M. Jospin ne sera sortant qu'aux élections législatives, il est candidat Jospin, candidat avec son programme et ses résultats assez médiocres. Mais J. Chirac, lui, est l'homme qui aurait dû rendre compte de son septennat ; nous n'avons entendu que des promesses et pas de comptes-rendus."
Qui sont les petits candidats qui vous grappillent des voix ; vous pensez à votre ancien lieutenant, B. Mégret ?
- "Oui, lui ou madame Boutin, qui a un peu le même programme familial que le mien, monsieur Saint-Josse... Il doit bien y avoir quelques chasseurs qui voteraient pour Le Pen - je leur demande de le faire !"
Ils préfèrent sans doute la chasse... Vous avez fait des déclarations sur le "fric" de monsieur Mégret. Cela vous vaut une plainte en diffamation ; ça va faire un joli procès ?
- "Cela m'étonnerait. Cela donnera en tous les cas à monsieur Mégret, l'occasion d'expliquer comment il a payé les sept millions de faillite de son journal Le Français, la dette énorme qu'il avait contractée lors des élections européennes et qui n'a pas été remboursée, ainsi que la campagne qu'il fait alors qu'il n'a pas de subventions. D'où vient l'argent ? Cela me permet d'ailleurs de finir cette semaine en réactualisant quelque chose que les Français ont oublié pour une bonne raison, c'est que les deux grands candidats - "je te tiens par la barbichette, tu me tiens par la reniflette" - n'ont pas souhaité parler des affaires. Or, les affaires ont volé aux Français des centaines de milliards. Il est nécessaire de reparler de ce black, de cet argent noir, de cette argent sale, qui a pourri la politique française. C'est une bonne occasion de la faire."
Qu'allez-vous dire ?
- "Je veux dire tout ce que nous savions déjà, à savoir que l'argent était racketté sur le dos des contribuables et qu'il était ensuite réparti par les partis politiques de la "bande des quatre", au bénéfice de leurs petits actionnaires - si j'ose dire. De temps en temps, quelques miettes tombent de la table et quelquefois, le petit sous-marin jaune de poche peut recevoir aussi un peu de pétrole."
Vous avez tiré une partie de votre popularité en jouant les victimes, en disant que vous n'aviez pas les signatures, qu'on vous avez fait des promesses qui n'avaient finalement pas été tenues... Vous avez eu vos signatures...
- "Mais pourquoi dites-vous "'jouer" ? Je n'ai pas joué les victimes ! On peut être victime sans jouer les victimes. Ce jeu théâtral, ce sont mes concurrents, mes adversaires qui ont l'habitude de faire ça. Ce sont des moeurs politiciennes."
Mais c'est vous qu'on a surtout entendu supplier les maires !
- "Parce que je n'avais pas mes signatures ! C'est la raison pour laquelle je me suis battu et j'ai échappé de peu à une élimination programmée, qui consistait à me remplacer par monsieur Mégret. Avec ce dernier, on était sûr d'avoir quelqu'un qui rapporterait les voix à son maître. Alors qu'avec moi, on n'est pas sûr."
Avec tout cela, on n'a pas beaucoup entendu vos propositions. Je voudrais vous poser quelques questions précises : pour la retraite, êtes-vous favorable à la retraite à la carte, c'est-à-dire on part à la retraite quand on veut ?
- "Oui, absolument, et au complément par un système d'épargne - il y en plusieurs. Mais tout cela me laisse quand même sur le dos des retraités, les dépenses qui devraient en fait être assumées pas le système de retraite par répartition. Il faut constater que ce système de retraite, personne n'a voulu prendre les mesures nécessaires pour le sauver, au contraire ! Alors que la vie s'allongeait de 10 ans, on a réduit le temps de travail de cinq ans. En plus de cela, monsieur Jospin, - c'est la cerise sur le gâteau ! - a mis les 35 heures, alors que la France ne travaille pas assez et qu'elle vient de descendre au treizième rang en Europe de production de richesse par habitant, juste devant le Portugal et la Grèce. Personne n'ose proposer les mesures salvatrices, parce que nous sommes en période électorale et qu'en période électorale, on caresse l'électeur dans le sens du poil."
Faut-il abroger ou assouplir les 35 heures ?
- "Il faut les abroger. Il y a des lois, comme la loi Guigou, qui font plus de mal que de bien, je crois qu'il faut les abroger. Monsieur Jospin a voulu faire un effet d'annonce, à la manière des 40 heures de L. Blum en 1936. Il n'y a qu'un malheur, c'est que les 40 heures de L. Blum en 1936 ont débouché quatre ans après sur la défaite de 1940. Je ne souhaite pas que les 35 heures débouchent sur une défaite dans trois, quatre ou cinq ans."

Y a-t-il trop de fonctionnaires ?
- "Nous avons un appareil administratif trop lourd. Puisqu'il y a un renouvellement assez important, je pense que nous avons l'occasion de redistribuer dans les différents secteurs utiles la masse énorme - il faut tout de même le dire ! - des fonctionnaires de l'Etat ainsi que des collectivités locales. Cela dit, il faut introduire dans la fonction publique, des notions de rentabilité, d'émulation et que l'on demande à la fonction publique d'avoir une rentabilité dont bénéficie ceux qui paient, c'est-à-dire les contribuables."
Lors des législatives qui vont suivre la présidentielle, vous comptez faire battre un certain nombre de sortants, comme vous l'avez fait en 1997 ?
- "Je ne me bats pas pour faire battre les sortants, je me bats pour faire élire des candidats et, conformément à la loi républicaine, représenter le peuple. Ce qui est scandaleux aujourd'hui, ce n'est pas que tel ou tel fasse battre tel ou tel, c'est qu'avec 4,5 millions de voix, le FN n'ait pas un seul, député alors que le PC, avec 7 %, c'est-à-dire moins de la moitié, en a 35. Ca, c'est parce que la droite refuse d'appliquer, au second tour, la règle qui devrait être normale, celle de renvoie de solidarité pour permettre une représentation. Cela n'inclut pas forcément un accord de gouvernement, ce sont des accords de désistement qui sont logiques dans le système à deux tours. Sinon, ce que je préférerais moi-même, c'est que l'on fasse la proportionnelle, qui me parait être la plus juste représentation des citoyens."
(source : Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 15 avril 2002)
16 avril 2002
S. Paoli -
Alors que les analystes estiment qu'au moins 60 % des électeurs porteront au premier tour leur voix vers d'autres candidats que messieurs Chirac et Jospin, la question des alliances pour le deuxième tour est-elle posée dès maintenant ? Passera-t-elle par les extrêmes - à A gauche, LO, la LCR et le Parti des travailleurs ; à droite, le FN, le MNR ou CPNT ?
Les sondages vous placent au minimum en situation d'arbitre pour le premier tour ?
- "Oui, et je crois même que certains, aujourd'hui ou demain, je pense, me mettent à 14 %. Je suis en progression constante. Et de toute évidence, je suis maintenant définitivement, si j'ose dire, "Le troisième homme" dans la ligne droite. Je suis sorti du dernier virage en quelque sorte, et j'ai en ligne de mire, deux coureurs qui ont l'air de faiblir sur la fin de leur parcours. Et je crois pouvoir dire que ceux qui ne souhaitent pas - et je crois qu'ils sont très nombreux, très largement majoritaires - avoir à choisir entre Jospin et Chirac, et surtout qu'au deuxième tour, il n'y ait que Jospin et Chirac, eh bien n'ont qu'une solution, quelles que soient leurs opinions, c'est de voter pour moi."
Je posais à l'instant la questions des alliances pour le deuxième tour. Vous vous êtes jusqu'ici toujours placé en situation de rupture, et notamment face à J. Chirac. Comment envisagez-vous votre positionnement ou quelles consignes donnerez-vous à vos électeurs ?
- "Non, mais honnêtement, c'est l'inverse. Le FN, lui, n'a jamais refusé d'entrer dans un accord, en tout les cas un accord électoral de deuxième tour, ni aux législatives ni aux présidentielles. C'est J. Chirac qui, depuis 20 ans, 15 ans en tout cas, jette sur le FN une interdiction totale d'alliance et qu'il ne justifie d'ailleurs pas autrement que par des silences peu démonstratifs. Il tient aux candidats, au deuxième tour, à dire ce qu'ils vont faire, leur programme. Au premier tour, on choisit, au deuxième tour, on écarte, chacun le sait. Par conséquent, les candidats qui resteront au deuxième tour, devront pendant les 15 jours de la campagne s'adresser au peuple français et lui dire quels sont leurs projets."
Mais vous attendez par exemple qu'un J. Chirac finisse par dire qu'une alliance avec le FN est pour lui une chose possible ?
- "Non, parce que je pense qu'il sera mon adversaire de deuxième tour. C'est pour cela que je m'inquiète pas de savoir ce qu'il peut proposer."
Mais de son côté, B. Mégret, lui, pour le MNR, dit ouvertement qu'il n'exclut pas une alliance avec la droite classique. Est-ce que ça ne vous place vous, aujourd'hui, dans une situation d'isolement au fond, la situation qui est la vôtre ? D'avoir à ce point critiqué J. Chirac ?
- "Non, mais il était normal que je critique J. Chirac. J. Chirac est Le président de la République sortant. C'est lui qui devrait faire un compte-rendu de mandat de sept ans de responsabilités, ce qu'il n'a pas fait d'ailleurs. Il se contente simplement, comme il le fait à l'habitude, de faire campagne, c'est-à-dire de proposer aux gens des projets pour l'avenir. Mais comment ferait-il demain ce qu'il n'a ni pu, ni su, ni voulu faire hier ! Par conséquent, je crois que les Français vont se rendre compte de cela, que, une fois de plus, on va leur faire des promesses. Et ils savent par expérience que celles-ci ne seront pas tenues. Ils iront donc vers des candidats qui n'ont pas changé dans leurs opinions et qui sont restés fidèles et loyaux, honnêtes."
La plainte en diffamation que vous lance B. Mégret ne vous trouble pas dans cette dernière partie de campagne ?
- "Non, pas du tout. Il est tout à fait évident pour tout le monde que B. Mégret, depuis la crise et probablement juste avant, ait été instrumentalisé, aussi bien politiquement que financièrement par le RPR et J. Chirac. Par conséquent, nous verrons bien ce que monsieur Mégret pourra donner comme explications quand il devra dire comment il a bouché le trou de la faillite de son journal, de 7 millions ?! Comment il a payé les dettes énormes de sa campagne européenne, puisqu'il n'a pas été remboursé ?! Et comment il mène relativement grand train politique sans avoir de ressources affichées ?!"
Revenons à votre programme, qui pose d'ailleurs un peu la question de la modernité ou pas. Vous dites : "Au fond, Travail, Famille, Patrie, moi je revendique cette formule".
- "Oui, c'est la devise de Saint-Eloi. J'ai fait une critique : j'ai dit que depuis que Vichy avait pris la devise de Saint-Eloi, on s'est cru obligés de diaboliser des concepts qui sont évidemment des concepts fondateurs de toute société. Il n'y a pas de société sans patrie, à mon sens au moins, sans travail et sans famille. Et il n'y a pas de Liberté, d'Egalité, de Fraternité, si elles ne sont pas sous-tendues par des qualités et des valeurs morales qui justement permettent à celles-ci de se développer."
Mais vous n'êtes pas gêné par la très forte connotation historique qui reste accolée à cette formule "Travail, Famille, Patrie" ?
- "Non..."
Et notamment celle de la Collaboration, disons les choses ?
- "Je voudrais rappeler que la Guerre mondiale s'est terminée il y a 57 ans..."
Oui, mais vous savez que l'histoire dure !
- "D'accord. Mais je dis très clairement ce que je veux dire. Je pense que, par exemple pour le travail : je crois que les Français ne travaillent pas assez pour se maintenir face à la concurrence mondiale, surtout sans frontières, comme c'est le cas aujourd'hui. Nous travaillons 38 heures par semaine, les Allemands 40, les Anglais 43. Et nous ne pouvons pas résister. Nous sommes passés dans le classement européen de la création de richesse par habitant, en cinq ans, de la quatrième place à la treizième place. Nous n'avons plus derrière nous que le Portugal et la Grèce. Ceci est un bilan désastreux. Il est évident que ceux qui ont proposé de réduire le temps de travail, aussi bien pour ce qui touche la retraite que pour les 35 heures, sont allés exactement à l'inverse de ce qui était nécessaire. Et de ce chef, devraient être délibérément condamnés par l'opinion publique."
Et que dit le candidat que vous êtes à la présidence de la République, à cause la situation au Proche-Orient, de la remontée des attentats antijuifs et de ce que certains estiment être une montée de l'antisémitisme en France ?
- "Je les condamne évidemment fermement. Car ils contribuent de surcroît au désordre généralisé. Mais je dirais peut-être, en faisant une analyse plus fine, qu'il s'agit plutôt d'antijudaïsme que d'antisémitisme. C'est-à-dire, c'est probablement plus en liaison avec les événements que dogmatique ou intellectuel, si vous voulez. Cela dit, compte tenu de la masse immigrée d'origine arabo-musulmane, il est incontestable que ça crée un danger. Mais ce n'est pas le seul que crée cette masse."
Concernant vos positions sur la question de l'immigration, on dit beaucoup que votre langage, votre discours se sont arrondis. Sur le contenu et sur le fond, rien n'a changé s'agissant de J.-M. Le Pen ?
- "Mais je suis fidèle aux analyses que j'ai faites. Et d'ailleurs les événements les ont confirmées. C'est parce que les événements les ont confirmées que les hommes politiques, les journalistes, les politologues parlent un langage qui n'est pas très éloigné du mien, quand ils ne le recouvrent pas, voire le dépassent. Et c'est évident qu'à partir de ce moment-là, je suis normalisé, puisque tout le monde parle comme moi. C'est ce qu'on a appelé à un moment donné la "lepénisation des esprits"."
L'ouverture de la France à l'Europe : là aussi, vous êtes sur une position assez fermée vous, paradoxalement ?
- "Oui, je suis eurosceptique, tout à fait. Député européen depuis 18 ans, j'ai pu voir que les concessions inacceptables et contraires à notre Constitution qui ont été faites au niveau supranational, privent notre pays de son indépendance dans tous les domaines, pas seulement le domaine diplomatique. Nous n'apparaissons pas du tout, ni d'ailleurs l'Europe, dans le domaine du Proche-Orient, mais encore dans le domaine économique, puisque nous avons abandonné notre monnaie nationale et que sans monnaie nationale, nous sommes obligés évidemment de nous aligner en permanence. Et je crois que pour faire des réformes, quelles qu'elle soient - tout le monde propose des réformes, mais pour les faire -, il faut avoir le pouvoir de les faire ; il faut avoir l'indépendance de les faire. C'est pour cela que le premier référendum que je proposerai est un référendum qui évidemment demanderait aux Français s'ils veulent recouvrer leur indépendance ou bien s'ils acceptent d'être, somme toute, subordonnés à l'Europe, c'est-à-dire aux Etats-Unis."
Je reviens à une question à laquelle vous n'avez pas vraiment donné de réponse. Vous vous voyez, vous, en situation d'être l'homme face à J. Chirac pour un deuxième tour. Si vous ne l'étiez pas et que vous étiez donc en situation d'arbitrage, quelles consignes de vote donneriez-vous pour un deuxième tour ?
- "D'abord, j'ai toujours une grande manifestation, très habituelle, le 1er Mai, à Paris. C'est généralement là que je donne mon point de vue. Mais j'attendrai, bien évidemment, que ce diront les candidats, si je n'étais pas candidat. Mais je pense que j'ai de sérieuses chances de l'être si les électeurs des petits candidats, qui ont dans le fond manifesté pendant cette campagne leur point de vue, ce qui est tout à fait légitime, comprennent qu'il faut voter utile et que la chance qu'il y a de changer les choses en France, c'est un peu de bousculer le jeu du duo Chirac-Jospin, dont semble-t-il les Français sont un peu las."
(source : Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 16 avril 2002)